Texte intégral
M. Mano : Bonsoir. Bienvenue à « Invité spécial ».
Nicole Notat, Monsieur Gandois, bonsoir.
Mme Notat : Bonsoir.
M. Gandois : Bonsoir.
M. Duhamel : Bonsoir.
M. Mano : Une première question qui s'adresse à l'un et l'autre : Quelle est votre évaluation de la situation, du climat économique ? On parle de reprise, à votre avis, est-elle au rendez-vous.
On commence avec vous, Madame Notat.
Mme Notat : Je ne suis pas conjoncturiste, je ne suis pas économiste, je constate une chose, c'est qu'on vit un énorme paradoxe. Au niveau de la croissance, qu'elle soit faible ou qu'elle soit forte, on produit des richesses. Et en même temps qu'on produit des richesses, on creuse le chômage et on creuse l'exclusion. C'est un terrible paradoxe et c'est un insoutenable paradoxe.
Donc, je dis une seule chose : « Bien sûr, il faut la croissance, mais peut-être faut-il inverser le raisonnement ? ». Du point de vue de la société, cette situation ne peut pas durer. Il faut résorber le chômage, prendre de vraies mesures pour réinsérer les gens dans le circuit économique, et peut-être que la croissance reviendra au rendez-vous ?
M. Mano : Monsieur Gandois la croissance est quand même essentielle ?
M. Gandois : La croissance est tout à fait essentielle. Aujourd'hui, ce n'est pas la gloire, ça va mieux. En moyenne, on a eu un quatrième trimestre 1995 tellement mauvais que l'amélioration est sensible, mais pas pour tout le monde. Donc, on un panorama très contrasté. Je crois que les prévisions gouvernementales d'une croissance qui n'est pas terrible, 1,3 % sur l'année, sont crédibles. On n'y est pas aujourd'hui. Cela veut dire que ça va sans doute monter sur le reste de l'année.
M. Duhamel : Madame Notat, le climat social, cette fois-ci, est-ce un printemps placide ou agité ?
Mme Notat : Là aussi, je ne fais pas de météo social.
M. Duhamel : Vous n'êtes pas la plus mal placée quand même.
Mme Notat : Le climat social n'est pas bon. Avec le taux de chômage qu'on a, le taux d'exclusion, l'inquiétude, l'angoisse sur l'avenir, ce n'est pas bon. Mais toute la question est de savoir s'il faut se résigner à ce climat social ? Et, moi, je dis : « non ». À la CFDT, nous pensons que nous avons un rôle à jouer pour changer ce climat social, pour construire quelque chose, une mobilisation, quelque chose qui permette aux gens de reprendre espoir dans le fait que le chômage, ce n'est pas la fatalité, ce n'est pas la fatalité de craindre toujours pour le lendemain.
C'est la raison pour laquelle nous allons prendre des mesures, lancer une grande campagne d'action, de mobilisation, de sensibilisation…
M. Duhamel : … Sur ?
Mme Notat : Sur des vraies mesures susceptibles de faire reculer le chômage.
Il y en a une qu'on n'a encore jamais utilisée, alors qu'enfin, on l'étudie sérieusement, c'est la réduction du temps de travail…
M. Duhamel : … On va en parler.
Monsieur Gandois, dans le secteur privé, que sentez-vous ? Le climat social ?
M. Gandois : Le climat social, lui-même, n'est pas mauvais. Je veux dire, l'agressivité des salariés…
Mme Notat : … Il n'est pas mauvais au sens où il n'y a pas de grèves et où il n'y a pas de conflits. Voilà ce que cela veut dire.
M. Gandois : Ce n'est pas seulement un problème de grèves, Madame Notat, vous le savez bien, c'est un problème de mentalité des salariés vis-à-vis de leur entreprise. Mais tout le monde est inquiet du chômage, il n'y a pas que des syndicalistes qui sont inquiets du chômage, les patrons le sont aussi.
Mme Notat : J'aime vous l'entendre dire.
M. Gandois : Et, par conséquent, c'est un problème auquel nous voulons nous attaquer. La seule question, c'est de savoir si notre mobilisation, qui va être, je l'espère, aussi grande que la vôtre, vu être sur les mêmes thèmes ?
Mme Notat : Ah ! Voilà une bonne nouvelle.
M. Mano : Parlons de l'emploi. Monsieur Gandois, avez-vous le sentiment que les chiffres de l'emploi peuvent s'améliorer dans l'année qui vient ?
M. Gandois : Je pense que non, ou bien alors, tout à fait à la fin de l'année si, vraiment, la reprise que j'attends pour le second semestre était plus forte que prévue. Mais ne nous faisons pas d'illusions, le chômage ne diminuera pas sensiblement en 1996.
M. Mano : Madame Notat, c'est la faute de qui ?
Mme Notat : Eh bien, voilà, nous sommes encore dans une situation tout à fait classique. Monsieur Gandois est en train de nous expliquer que, puisque les conjoncturistes nous disent qu'on va seulement avoir 1,3 % de croissance, que parce que, selon les schémas classiques qui font qu'il faut la croissance, et puis l'investissement, et puis que l'emploi viendra après, eh bien, effectivement, dans ces conditions-là, il a raison, cela ne va pas changer.
Moi, je dis : « Prenons les moyens ». Ce sont les acteurs, ce sont les patrons, c'est l'État effectivement, mais ce sont aussi les salariés, les syndicalistes, qui doivent enfin réfléchir à des mesures. Ensemble, Monsieur Gandois. Nous avons 84 branches professionnelles qui ont ouvert des négociations…
M. Gandois : … C'est-à-dire plus de la moitié.
Mme Notat : Oui, c'est sérieux, ce n'est pas mal. Mais nous sommes dans un round d'observation, tout de même, en ce moment. C'est-à-dire que la réduction du temps de travail qui est à l'ordre du jour de ces négociations, en échange d'une meilleure organisation du travail, d'une meilleure souplesse des besoins de l'entreprise, « donnant-donnant », si, effectivement, nous n'avançons qu'à petits pas sur cette négociation, Monsieur Gandois a raison, le chômage ne bougera pas. Moi, je ne désespère pas qu'on fasse changer cette situation.
M. Duhamel : Monsieur Gandois, la réduction de la durée du travail dont parle Madame Notat, pour vous, est-ce la bonne voie ou pas pour faire reculer le chômage ?
M. Gandois : C'est une des voies. Ne nous faisons aucune illusion, on ne paie pas des gens pour faire des cocottes en papier sur le coin de la table. Par conséquent, ou bien la réduction de la durée du travail est capable d'augmenter l'activité – c'est le cas dans un certain nombre de circonstances. Moi, je l'ai fait dans un certain nombre d'usines en changeant l'organisation du travail, en utilisant mieux les équipements, en permettant de mieux satisfaire les clients parce qu'on les sert au moment où ils veulent et de la façon dont ils veulent si on augmente l'activité en changeant l'organisation du travail, on crée plus de richesses, on prend des parts de marchés supplémentaires et, là, on paie la réduction du travail. Sinon, de ce problème de la réduction de la durée du travail dite « partagé », c'est : qui paie ?
Quelqu'un de bien connu, Monsieur Rocard, a dit une phrase remarquable l'autre jour : « Les salariés ne peuvent pas avoir leur salaire diminué, les entreprises ne peuvent pas avoir leurs charges augmenter, sinon elles ne seraient plus compétitives, et les déficits budgétaires et sociaux ne peuvent pas être augmentés non plus », qui paie ?
Mme Notat : Deux objections :
La première est que je ne voudrais pas laisser croire que la réduction du temps de travail, Monsieur Gandois, ce sont les « Restos du cœur » ou une action humanitaire. La réduction du temps de travail est le moyen – en même temps qu'on augmente les capacités de travail – de faire travailler plus de gens que ceux qui travaillaient avant. Car vous savez tout de même comme moi que le nombre d'heures supplémentaires dans ce pays, cela veut dire qu'il y a des capacités de travail. Or, l'heure supplémentaire aujourd'hui, ce n'est plus – selon la définition que nous en avions donné dans un accord interprofessionnel – quelque chose qui est utilisé de manière temporaire et de manière exceptionnelle, cela devient quelque chose qui est naturel. Cela veut dire qu'il y a du travail en plus régulièrement. Alors, pourquoi ces heures supplémentaires ?
Ne réfléchissant pas à une autre organisation du travail qui diminue les heures supplémentaires, qui permet de faire face à des fluctuations d'activités – bien sûr qu'il y en a, nous le reconnaissons – mais en organisant le travail autrement, dans les conditions propres à chaque secteur, il faut faire du sur-mesure, je suis d'accord. Et, à ce moment-là, en réduisant la durée du travail, en changeant l'organisation du travail, nous aurons de quoi faire travailler plus de gens, j'en suis sûr.
M. Mano : Monsieur Gandois, je vous vois impatient de répondre.
M. Gandois : Il y a des centaines de cas où on a organisé le travail autrement. Moi-même, dans des dizaines d'usines, en tant que chef d'entreprise, j'ai organisé le travail autrement. Cela ne veut pas dire qu'on supprime les heures supplémentaires, cela veut dire – dans l'esprit de Madame Notat d'ailleurs …
Mme Notat : … On les réduit.
M. Gandois : Qu'on peut les compenser en temps et non pas en argent.
Mme Notat : On peut les réduire.
M. Gandois : Je suis désolé. Je ne crois pas qu'aujourd'hui, et d'ailleurs quand vous comparez avec l'étranger, notamment avec l'Allemagne, vous trouviez en France un excédent d'heures supplémentaires. Je crois que nous sommes dans un monde où les besoins sont irréguliers et où il y a nécessité d'heures supplémentaires comme vous dites, de travail irrégulier.
Mme Notat : Il y a des nécessités, qu'à certains moments, les horaires de travail ne soient pas les mêmes d'une semaine à l'autre, ne soient pas les mêmes d'un mois à l'autre, ne soient pas les mêmes en fonction de certaines périodes.
M. Gandois : Tout à fait.
Mme Notat : Mais cela peut s'organiser, vous savez que des entreprises le font, vous avez raison, et certains l'ont fait avec des réductions du temps de travail massives, donc c'est possible.
L'enjeu, aujourd'hui, c'est de passer d'expériences et d'une bonne vitrine sociale par rapport à quelques entreprises à une généralisation de ce dispositif.
M. Mano : Justement, Madame Notat, si, dans les négociations des 84 branches, cela n'avance pas assez vite, et pour celles qui n'ont pas engagé de négociations, seriez-vous favorable à ce qu'on légifère ? À ce qu'une loi réduise globalement et partout la durée du temps de travail ?
Mme Notat : Oui, mais, moi, je n'oppose pas l'action par la négociation, le résultat par la négociation et le résultat par la loi parce que ce qui m'intéresse, c'est que les solutions qu'on trouve soient les bonnes solutions au problème qui est posé, à savoir la réduction du chômage et la création de l'emploi.
M. Mano : D'accord, vous ne vous opposez pas, mais êtes-vous pour une loi ?
Mme Notat : Mais il faudra une loi de toute façon, Monsieur Gandois a fait une proposition en disant : « la question est celle du financement », il a raison. Le problème-clé à la réduction du temps de travail, c'est le financement.
M. Duhamel : La réponse ?
Mme Notat : Parce que, pour créer de l'emploi, la réduction du temps de travail doit être massive. C'est notre objectif des 32 heures. Elle doit être massive, mais en même temps, elle doit être faite sur mesure, c'est-à-dire adaptée à chaque profession qui n'a pas les mêmes conditions d'organisation, de contraintes, et aux besoins des salariés.
Si on ne finance pas, ce n'est pas l'entreprise toute seule qui peut le financer, dont acte ! Ce n'est pas les salariés qui peuvent se payer tout seuls des fortes réductions du temps de travail. Alors, finançons…
M. Mano : … Monsieur Gandois, Madame Notat vient de dire deux choses :
1. « 32 heures, c'est l'objectif ». Êtes-vous d'accord ou pas ? Est-ce que cela vous paraît réaliste ?
2. Il faudra une loi. Êtes-vous d'accord ou pas ?
M. Gandois : Je n'ai pas entendu les 32 heures de Madame Notat. Je ne voudrais pas qu'on confonde tout.
Madame Notat, tout à l'heure, nous a fait une antienne sur les heures supplémentaires, je voudrais tout de même dire que même un certain nombre d'organisations syndicales estiment que si l'on supprimait les heures supplémentaires dans ce pays, on créerait de l'ordre de 100 000 emplois. Par conséquent, ce n'est pas la réponse aux 3 300 000 chômeurs…
Mme Notat : … C'est un morceau.
M. Gandois : Bien sûr, c'est un morceau.
Mme Notat : Ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières.
M. Gandois : Je suis tout à fait d'accord avec vous sur le fait qu'il y a un gisement d'emplois dans une réduction intelligente de la durée du travail.
Mme Notat : Dont acte.
M. Gandois : J'ai même dit qu'à mon avis, il y avait probablement un gisement de 200 à 300 000 emplois dans ce domaine-là.
Mme Notat : Eh bien, allons-y.
M. Gandois : Ce n'est pas 3 millions de chômeurs.
Ce que je ne voudrais pas, si vous voulez, c'est qu'on se fasse, par générosité collective – parce qu'on a tous de de la générosité, les syndicalistes, les patrons, les hommes politiques – un rêve commun : la réduction de la durée du travail va supprimer le chômage demain matin. Parce que nous serions irresponsables de donner une déception massive aux Français de cette manière-là.
M. Duhamel : Il y a quelque chose que Madame Notat n'avait pas fini de dire mais qui est exactement lié à tout cela et qui est : si ce n'est pas l'État qui paie, si ce ne sont pas les salariés qui peuvent payer, si ce n'est pas l'entreprise à qui on doit ajouter des charges supplémentaires, comment finance-t-on ?
Mme Notat : Je pense que ce sont les trois à la fois.
On a commencé, Monsieur Gandois, dans un accord interprofessionnel le 6 septembre dernier où l'on a décidé que des gens qui n'avaient pas 60 ans, mais qui avaient 40 années de cotisations pouvaient partir en préretraite, mais il faut financer en attendant qu'ils aient la retraite, à condition qu'on embauche un jeune. Et c'est l'UNEDIC qui finance ces gens-là qui s'en vont. Bénéfice net pour l'emploi : un s'en va, un autre rentre. Personne, l'entreprise, le salarié, n'a déboursé un sou de plus.
J'espère que nous allons avancer dans une nouvelle négociation qui doit s'ouvrir…
M. Gandois : … Vous savez bien que j'ai été un promoteur, comme vous-même, de cet accord.
Mme Notat : Nous l'avons signé.
M. Duhamel : Vous êtes d'accord au moins sur un point.
Mme Notat : Je suis en train de dire que nous avons fait quelque chose en commun qui est positif et qui va dans la bonne voie.
Le deuxième – j'espère que nous aboutirons à un engagement que vous avez pris – est d'explorer une négociation sur la réduction progressive en fin de carrière.
M. Gandois : J'ai l'habitude de tenir mes engagements, vous le savez.
Mme Notat : Donc acte.
De 55 à 56 ans, de pouvoir partir à mi-temps, d'une manière attractive, à condition qu'on embauche des jeunes.
M. Gandois : Pouvoir partir à temps partiel, non pas à mi-temps.
Mme Notat : À temps partiel. On discutera. Ça, c'est la négociation, on ne va pas la faire tout de suite. Donc, une nouvelle proposition qui va faire un nouveau bénéfice net pour l'emploi.
M. Duhamel : Et tout cela, dans vos petits ruisseaux, ça représente combien d'emplois ?
Mme Notat : On a dit : « 100 000 emplois potentiels pour le premier accord ». Sur le deuxième, nous ne l'avons pas encore fait…
M. Duhamel : … L'évaluation ?
Mme Notat : Mais je pense qu'il est à peu près de même nature si tous les salariés concernés prenaient cette disposition. Et, ensuite, il faut passer à une réduction du temps de travail individualisé, pas seulement en fin de carrière.
M. Mano : Vous nous dites : « Cela peut faire 200 000 emplois », pourquoi ne le fait-on pas tout de suite ? Pourquoi cela n'avance-t-il pas plus vite ?
M. Gandois : Déjà – Madame Notat vient de le dire – nous avons pris la première mesure et nous avons attendu les mesures législatives…
Mme Notat : … Avant six mois.
M. Gandois : Permettant de la mettre en œuvre. Et depuis que ces mesures législatives sont prises, il y a déjà plusieurs dizaines de milliers de dossiers qui sont traités.
M. Duhamel : Donc, ça marche.
M. Gandois : Par conséquent, ça avance et ça marche.
Mais ce que je voudrais dire, c'est ceci : « Le problème du chômage que nous avons en face de nous nécessite manifestement d'autres mesures d'une autre ampleur ». Je voudrais dire, et je sais que c'est une préoccupation de Madame Notat, que ma préoccupation principale aujourd'hui, qui n'est pas exclusive de ce qu'on vient de dire, c'est le problème des jeunes. Il faut que la France retrouve sa jeunesse, non seulement parce qu'on oblige les jeunes à des parcours d'insertion sauvages absolument désagréables pour eux, mais en plus, parce que cela crée un climat général dans ce pays qui est mauvais pour tout et pour l'économie en particulier.
M. Duhamel : Sur ce point précis, les mesures qui ont été prises par le gouvernement, depuis qu'il est en place, améliorent-elles les choses ou, au contraire, passent-elles à côté des choses ? En ce qui concerne les jeunes.
M. Gandois : Pour le moment, le gouvernement n'a pas encore pris de mesures concernant spécifiquement les jeunes. Il va en prendre et j'espère que nous allons tous nous mobiliser dans ce sens-là parce que c'est, pour moi, essentiel.
Je voudrais dire ceci : « Cela va plus loin. Allons-nous être une société de jeunes ou allons-nous être une société de vieux ? … et comme nous avons une société vieillissante, nous avons besoin d'avoir des entreprises jeunes ». Une entreprise dans laquelle la moyenne d'âge est de 30 ans et une dans laquelle la moyenne d'âge est de 40 ans, elle ne se comporte pas de la même manière sur les marchés.
Mme Notat : Monsieur Gandois, votre discours me plaît beaucoup, la preuve, c'est que la campagne que nous allons faire, nous la faisons sur le thème : « le temps de travail, embauchons les jeunes ». Vous parlez de l'État qui n'a pas encore pris des mesures…
M. Gandois : … Moi, je la ferais dans l'autre sens, mais enfin…
Mme Notat : … Mais nous avons signé des accords sur les contrats d'apprentissage, sur les contrats d'apprentissage, sur les contrats d'alternance, de qualification, sur les contrats d'adaptation. Cela fait plus de 10 ans. Aujourd'hui, dans les entreprises, dans l'année 1995, alors que nous ne cessons et que le patronat ne cesse de nous dire : « 100 000 emplois, 150 000 emplois en 1995 », quand nous avons révisé cet accord, l'année 1995, le nombre de contrats d'apprentissage, le nombre de contrats de qualification – ce n'est pas l'État, ce sont les entreprises, c'est le résultat de nos accords – a diminué. Alors, moi, votre discours me plaît bien.
M. Gandois : Ce n'est pas vrai pour le contrat d'apprentissage.
Mme Notat : Quand les entreprises vont-elles vous suivre dans le discours que vous faites avec brio ce soir ?
M. Gandois : Ce n'est pas vrai pour les contrats d'apprentissage. C'est vrai pour les contrats de qualification.
Mme Notat : En 1995, si.
M. Gandois : Non.
M. Mano : Une question simple qui peut appeler une réponse rapide : êtes-vous d'accord, l'un et l'autre, pour que les aides aux entreprises soient conditionnelles qu'elles soient liées à l'embauche ?
M. Gandois : Moi, je suis surtout d'accord pour réduire considérablement les aides à l'emploi parce que j'estime que beaucoup d'entre elles sont inutiles.
M. Mano : Par exemple ?
M. Gandois : Il y a 43 sortes d'aides à l'emploi, on ne va pas entrer dans la liste…
M. Duhamel : … On ne va pas faire les 43.
M. Gandois : Mais il y en a un certain nombre aujourd'hui dont le rapport « coût-efficacité » est très mauvais.
M. Duhamel : Y en a-t-il une symbolique de cela, par exemple, qui, à la fois, coûte cher et ne sert à rien.
M. Gandois : Il y a un certain nombre de réductions de charges globales qui ne servent à rien.
Mme Notat : Évidemment. Regardez cette prime qui a été instaurée, à la fin du conflit, sur le CIP et qui fait que, pour embaucher un jeune, les entreprises bénéficient de 1 000 à 2 000 francs. Enfin, franchement ! Ou bien les entreprises décident d'embaucher les jeunes, dans l'esprit que vous indiquez, parce qu'effectivement, il y a nécessité d'embaucher des jeunes, et on n'a pas en plus besoin de leur donner une carotte pour embaucher les jeunes.
M. Gandois : Voilà un point sur lequel nous sommes d'accord, Madame Notat.
Mme Notat : Deuxième élément – et, là, nous ne sommes peut-être pas d'accord –·la réduction des charges sociales. Alors, quelle antienne et quelle musique patronale pendant des années ! Au point que les derniers gouvernements socialistes ont entamé la réduction sur l'impôt des sociétés, ont entamé la réduction sur les charges sociales, toujours dans l'espoir qu'il y aurait derrière un emploi.
M. Duhamel : Alors. Ça ne sert à rien ?
Mme Notat : J'attends qu'on me fasse la démonstration qu'il y a un retour « emploi ». Or, j'entends même le président de la République et le Premier ministre aujourd'hui – je n'ai pas le sentiment que ce sont des gens qui sont très, très en dehors de l'intérêt des entreprises –…
M. Gandois : … Madame Notat…
Mme Notat : … Mais je dis : « Ces mesures ne sont pas automatiquement bénéficiaires pour l'emploi ». Peut-être faut-il faire évoluer les conditions de financement de la protection sociale ? Mais ce n'est pas le même sujet.
M. Duhamel : Monsieur Gandois, vous répondez et, ensuite, je vous pose une question.
M. Gandois : L'ensemble des prélèvements que paient les entreprises, pas seulement les charges sociales, les impôts de toutes sortes, y compris la taxe professionnelle, plus l'ensemble des prélèvements que paie chaque individu, c'est excessif aujourd'hui. C'est une des raisons pour laquelle nous avons le taux de chômage que nous avons, c'est une des raisons pour laquelle l'Allemagne a le taux de chômage qu'il a. Nous sommes dans un excès de prélèvements. Ce n'est pas cela qui va se mettre en face de l'emploi. Je ne demande même plus, actuellement, une diminution des charges sociales des entreprises, si on les met sur le budget de l'État, elles vont nous retomber sur la tête sous forme d'impôts.
Mme Notat : Oui, à nous aussi.
M. Gandois : À tout le monde.
M. Duhamel : D'un mot, ce que vous préconisez, l'un et l'autre, est-ce possible de le faire dans un cadre national ? Ou faudrait-il, dans l'idéal, que ce soit coordonné sur le plan européen ? Possible ou pas possible ?
M. Gandois : Je pense que chaque pays a un effort à faire., mais il faut, évidemment, que l'Allemagne suive la même voie. Cela me paraît tout à fait fondamental.
M. Duhamel : Madame Notat.
Mme Notat : Pour le moment, l'Allemagne me semble avoir pris une avance sur nous, puisqu'il y a un pacte social en Allemagne qui implique l'État, les patrons et les syndicats, et qui s'attaque sacrément…
M. Duhamel : … Il tangue un peu en ce moment.
Mme Notat : … Il tangue… moi, je voudrais bien avoir un pacte comme ça qui tangue…
M. Gandois : … Mais il n'y a pas de pacte, Madame Notat.
Mme Notat : Parce que cela veut dire qu'il existe puisqu'il tangue.
M. Gandois : Il n'y a pas de pacte, Madame Notat.
Mme Notat : Cela existe quand il tangue.
J'ai rencontré, il n'y a pas longtemps, le président du DKB…
M. Duhamel : … C'est-à-dire le grand syndicat allemand.
Mme Notat : Le grand syndicat allemand, je peux vous dire que, de temps en temps, j'aimerais bien qu'il se passe des choses un peu similaires en France.
M. Gandois : Je m'excuse mais, moi, j'ai rencontré, il y a 8 jours, le président du patronat allemand qui ne pense pas du tout…
Mme Notat : … Qui vous a dit le contraire.
M. Mano : On ne va pas aborder tous vos agendas personnels. On va passer à la question suivante : on parle beaucoup de flexibilité. Quand on regarde l'exemple États-Unis où se créent beaucoup d'emplois dans les dernières périodes, ce sont souvent des petits jobs, des emplois très flexible. On a l'impression, en France, d'être frileux là-dessus. N'est-ce pas un peu la faute des syndicats, Madame Notat ?
Mme Notat : Tiens, voilà autre chose : ce sont les syndicats qui sont responsables de l'absence…
M. Mano : … Est-ce que, pour préserver l'emploi dans le cadre habituel, on ne limite pas les possibilités de créations d'emplois qui ne sont pas classiques ?
Mme Notat : Attendez ! Vous rendez-vous compte, en France, de ce qu'on a fait ! En France, on a supprimé l'autorisation administrative de licenciement. Le prédécesseur de Monsieur Gandois s'appelait Monsieur Gattaz, il nous avait promis 400 000 emplois avec la suppression de l'autorisation administrative de l'emploi.
M. Gandois : Ce n'est pas mon prédécesseur.
Mme Notat : Comment, ce n'est pas votre prédécesseur ?
M. Duhamel : Immédiat. C'était Monsieur Périgot.
Mme Notat : Deuxièmement, on a des conditions de souplesse offertes aux entreprises par le code du travail, de modulation de l'entreprise, qui sont énormes.
Il y a des conditions aujourd'hui, les CES, les contrats d'initiative emploi, il y a, aujourd'hui, toute une batterie, toute une panoplie de mesures qui fait qu'on peut, effectivement, utiliser des moyens qui ne sont pas les moyens d'un contrat normal, classique, mais qui sont tout à fait de type particulier, c'est le moins qu'on puisse dire, mais ils sont mais ils sont déviés, il y a des dérives. C'est cela qui est le handicap au vrai développement de l'emploi et des emplois de proximité, en particulier.
M. Duhamel : Monsieur Gandois, faut-il plus de souplesse ou pas ?
M. Gandois : Dans certains domaines, il faut plus de souplesse.
M. Duhamel : Par exemple ?
M. Gandois : Par exemple, dans un certain nombre de domaines dont nous parlions tout à l'heure, sur la flexibilité du temps de travail assortie de la réduction du temps de travail, il nous faut plus de souplesse.
Dans d'autres domaines, nous avons été trop loin. Il y a des chasseurs de primes dans ce pays, il y a des tas d'entrepreneurs qui n'ont même plus la possibilité de savoir s'ils ont droit à une prime ou pas une prime. Nous sommes entrés dans un système fou d'aides dont je demande la révision. Je le disais tout à l'heure. Sur ce point-là, je suis d'accord avec Madame Notat, nous avons besoin de flexibilité.
Je voudrais ajouter autre chose : on a un monde qui change très rapidement. Ce monde demande une adaptation du sens du travail même. Ce n'est pas la peine de se faire des illusions, nous n'aurons plus des emplois à vie comme autrefois. Nous aurons une beaucoup plus grande précarité de l'emploi, elle est inévitable, cela demande des garanties supplémentaires parce qu'on ne peut pas laisser les gens, seuls, devant la précarité. Mais il ne faut pas dire : « Nous ne voulons pas d'emplois précaires » parce qu'il y aura des emplois précaires. Un monde qui change aussi rapidement ne peut pas ne pas créer des emplois précaires.
Mme Notat : Je crois qu'il faut faire attention au vocabulaire. Aujourd'hui, il y a les chômeurs, il y a les RMIstes et il y a des gens à temps partiel et à contrat précaire. Ces contrats précaires – je vous le dis – ne peuvent pas être l'avenir pour demain et ce n'est pas l'intérêt des entreprises. Je préférerais que vous disiez, et, cela, je crois que c'est juste, qu'il y a une évolution du travail, une évolution de l'organisation de l'entreprise qui fera qu'il y aura une mobilité professionnelle plus importante.
M. Gandois : C'est la même chose.
Mme Notat : Non, ce n'est pas la même chose parce que, avec la mobilité, il faut des garanties. On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre. Il faut la mobilité pour les salariés, alors, il faut les garanties sur des conditions de protection sociale, sur des conditions de travail…
M. Gandois : … Nous sommes d'accord. Mais la mobilité entraîne une certaine forme de précarité.
Mme Notat : Alors, attention aux mots.
M. Mano : Nous ne sommes pas loin de la fin de l'émission, donc, une question d'Alain Duhamel.
M. Duhamel : Avant-dernière question : Monsieur Gandois, la concurrence européenne, en matière de service public, signifie-t-elle que les emplois de service public – on pense à France Télécom, en ce moment – vont devenir plus précaires qu'ils le sont ou pas ?
M. Gandois : Je crois qu'il faut distinguer deux choses :
Il y a ceux qui, aujourd'hui, sont dans les services publics. C'est toujours grave de remettre en cause le statut de quelqu'un qui a eu des garanties et qui n'a pas souvent de marge de manœuvre aujourd'hui si on lui enlève ses garanties. Par contre, il est évident que les gens qui feront ce métier demain et qui ne sont pas encore embauchés, n'auront pas les mêmes garanties. C'est clair.
M. Duhamel : Madame Notat, maintient-on les garanties ou pas pour ceux qui les ont, à votre avis ?
Mme Notat : Le jour où le Premier ministre a annoncé qu'il allait les maintenir, il serait malvenu, de mon côté, de dire qu'il ne faut pas les maintenir.
M. Duhamel : Non, ce n'est pas cela que je veux dire. Je veux dire : Est-ce que les garanties données par le gouvernement vous satisfont ? C'est cela le sens de la question.
Mme Notat : Nous sommes le 11 avril, il y a une grève à France Télécom aujourd'hui…
M. Mano : ... Que vous soutenez ?
Mme Notat : Oui, à laquelle la CFDT participe. Aujourd'hui, il y a une vraie question : nous ne sommes pas sûrs que la modernisation de France Télécom passe obligatoirement par une évolution de l'entreprise. En tout cas, il y a débat là-dessus. On va voir. Le gouvernement décide de l'affaire, on va voir.
Si tel est le cas, oui, il faut maintenir les garanties. Il faut soutenir et défendre les garanties du personnel, car il n'y a pas incompatibilité entre la modernisation de l'entreprise et de bonnes garanties faites au personnel.
M. Mano : Les uns et les autres, vous avez eu des rapports plus ou moins bons, avec des hauts et des bas, avec le gouvernement de Monsieur Alain Juppé. Nous sommes presque à un an de fonction de ce gouvernement. Comment ça va, Madame Notat, avec Monsieur Juppé !
Mme Notat : Que voulez-vous que je vous dise ? Comment ça va avec Monsieur Juppé ? Moi, j'attends que Monsieur Juppé prenne ses responsabilités. Il a fait une réforme de la Sécurité sociale qui a été au fond des choses. On nous a, pendant très longtemps, dit : « Oh ! là, là, c'est très fort, mais est-ce que les intentions vont correspondre aux actes ? ». Il y a eu trois ordonnances, on est en train de s'apercevoir que, finalement, des intentions aux actes, l'écart n'est pas celui que beaucoup attendaient.
Maintenant, qu'est-ce que j'attends de Monsieur Juppé ? J'attends de Monsieur Juppé qu'il prenne la question du chômage avec la même détermination qu'il a prise celle de la réforme de l'assurance-maladie.
M. Mano : Monsieur Gandois, ça va mieux ?
M Gandois : Mais cela n'a jamais été mal en ce qui me concerne. Ce n'est pas une question d'hommes…
M. Duhamel : … Cela a été agité à un certain moment quand même.
M. Mano : Oui, mais c'était avec le gouvernement, pas avec l'homme.
M. Gandois : Exactement c''était une question posée à un gouvernement.
M. Mano : Alors, est-ce qu'entre le patronat et le gouvernement, ça va mieux ?
M. Gandois : Il faut arriver à des rapports adultes dans ce pays. Ce n'est pas la vocation du patronat d'être toujours d'accord avec ce que fait le gouvernement. La vocation du patronat est de dire ce que, de son point de vue, il croit bon pour l'état économique et social du pays.
M. Duhamel : Ça va mieux ?
M. Gandois : Je crois que ça va beaucoup mieux.
M. Mano : Entre la CFDT et le CNPF, il y a un terrain de dialogue ?
M. Gandois : Ah ! Il y a sûrement un terrain de dialogue, mais il y a aussi des terrains d'engueulade, vous avez pu le voir.
Mme Notat : Conflictuels, de temps en temps.
M. Mano : Merci. Bonsoir.
Bonne soirée sur France 2.