Article de M. Bernard Stasi, vice-président de Force démocrate, dans "Libération" du 28 mai 1996, sur le silence et l'absence de condamnation par les autorités algériennes de l'assassinat des sept trappistes français de Tibéhirine, intitulé "Algérie, un silence pesant".

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Depuis quelques semaines, les dirigeants algériens se vantaient d'avoir réussi à mettre pratiquement hors d'état de nuire le terrorisme islamique. L'assassinat des sept trappistes de Tibéhirine est le plus cinglant des démentis.

De toute évidence, en se réfugiant dans le silence, le président Zeroual s'efforce de banaliser cette dramatique péripétie. Mais ce silence est lourd de conséquences pour l'Algérie.

Élu démocratiquement, à une large majorité, chef de l'État algérien, Liamine Zeroual aurait pu, avec la légitimité et l'autorité qui s'attachent à sa fonction, condamner fermement ces crimes et exprimer la peine et l'indignation du peuple algérien.

Alors que même le gouvernement iranien et des dirigeants du Front islamique du salut ont élevé de vigoureuses protestations, le silence de l'Algérie officielle est pesant.

Il attriste les amis de l'Algérie, qui souffrent de voir l'image ce pays noircie dans le monde par la haine, la violence et le fanatisme. Il réjouit ceux qui voudraient faire croire que l'Algérie est peuplée d'une immense majorité de fanatiques, tous plus ou moins complices du terrorisme.

Certes, pour les dirigeants algériens et pour l'opinion publique algérienne, l'assassinat des moines français, si horrible soit-il, n'est qu'un acte de violence parmi d'autres, parmi cette interminable série de crimes, de massacres dont les Algériens sont victimes depuis si longtemps. Et peut-être y a-t-il, de l'autre côté de la Méditerranée, un certain agacement à voir que l'opinion publique internationale s'émeut pour le martyre des religieux français, alors qu'elle paraît si souvent indifférente, ou du moins résignée, aux souffrances subies quotidiennement par le peuple algérien.

Mais la médiatisation dont a été l'objet le drame de ces derniers jours n'offrait-elle pas précisément au président Zeroual l'occasion, au-delà de la condamnation, de sensibiliser l'opinion internationale sur le calvaire vécu par le peuple algérien, l'occasion de solliciter la compréhension et le soutien des États dans le combat difficile mené par les autorités algériennes et par les démocrates du pays ? L'occasion aussi, en partageant publiquement l'émotion du peuple français, de susciter chez nos compatriotes – qui, trop souvent, ne regardent l'Algérie qu'à travers leurs rancœurs ou leurs préjugés – un sentiment de douloureuse solidarité dans l'épreuve entre les deux pays.

Ce serait, en tout cas, un triste paradoxe si la mort de ces moines, qui ont consacré leur vie, jusqu'au sacrifice suprême, à la fraternité entre les hommes et plus particulièrement, entre Algériens et Français, si cette mort qui devrait unir les deux peuples dans une même tristesse, une même indignation et une même détermination à lutter contre la barbarie, avait pour conséquence, en raison du silence des autorités algériennes, d'aggraver, entre les deux rives de la Méditerranée, l'incompréhension et la rancœur.