Texte intégral
Q. : Est-ce que vous avez eu l'impression, en voyant un certain nombre d'interlocuteurs, d'une cohésion entre eux ou non ?
R. : Au sein des organes gouvernementaux et auprès du président, oui, les interlocuteurs que j'ai eu en face de moi m'ont paru tout à fait soudés entre eux.
Q. : Aucun décalage ?
R. : Non, franchement non. Bien entendu, j'ai vu le président de la Douma ce matin, c'était différent, Mais après tout c'est une situation, comment faut-il appeler cela, de cohabitation. C'est compliqué parce que chaque pays a ses institutions dont les rapports mutuels sont différents. Vous me posez la question de la cohésion, la cohésion entre M. Primakov et le président me paraît totale, oui.
Q. : Sur la Tchétchénie, M. Primakov vous a assuré hier qu'il avait l'intention de négocier. Est-ce que vous imaginez comment ils entendent le faire puisqu'en même temps, ils promettent d'exterminer les indépendantistes et de faire intervenir le dialogue inter-tchétchène ?
R. : Oui, je voudrais d'abord vous redire les principes sur lesquels s'appuie la position française…
Q. : Oui n'ont pas changé ?
R. : Je ne crois pas, non. En tous cas ces principes sont fermes, ils sont au nombre de quatre. D'abord, l'attachement de la France au respect de l'intégrité territoriale de la Fédération de Russie. Deuxièmement, la ferme condamnation des prises d'otages qui n'est pas un moyen pour exprimer ses revendications. Nous avons nous-mêmes, en diverses circonstances su ce qu'était une prise d'otages pour en avoir été victimes. Nous le condamnons. Troisièmement, nous recommandons le dialogue politique pour sortir de cette crise. Et enfin, nous rappelons les engagements pris par l'ensemble des pays qui ont souscrit à l'OSCE, qui font partie de l'OSCE, et nous demandons que la mission de l'OSCE puisse remplir les tâches qui sont les siennes. J'ai parlé de tout cela avec M. Primakov, qui m'a confirmé son attachement au dialogue politique, et m'a promis que la mission de l'OSCE serait à même de remplir sa tâche. Alors, bien entendu, je ne suis ni aveugle ni sourd, je vois bien qu'il y a un débat à l'intérieur même de la Russie sur ce sujet, sans aucun doute très difficile. Je n'ai pas caché non plus l'émotion qui avait été ressentie en France à l'occasion du dernier drame et j'ai dit l'importance que nous attachions à ce sujet comme un des éléments qui pèseront du point de vue de l'appréciation faite par la communauté internationale vis-à-vis de la Russie.
Q. : Monsieur le ministre, nous avons rencontré hier des membres de l'opposition à M. Eltsine et ceux-ci pour la plupart prônent l'indépendance de la Tchétchénie. Quelle est votre position par rapport à ...
R. : Ce sont des questions internes à la Russie et il n'appartient pas à la France de discuter ces points de vues. Je vous ai dit tout à l'heure qu'il y a un débat en Russie sur ces questions. C'est plutôt positif, S'il y a débat, c'est que c'est un pays qui réfléchit à ses problèmes et qui essaie de les résoudre. Voilà ce que je peux vous dire.
Q. : Est-ce que vous avez rencontré des personnalités justement de l'opposition ?
R. : J'ai rencontré le président de la Douma qui, comme vous le savez, est un opposant. Et j'ai un déjeuner, mais qui est un déjeuner plutôt privé, alors que la rencontre avec le président de la Douma avait un caractère officiel. J'ai donc eu un déjeuner privé à l'Ambassade avec un certain nombre de personnalités qui représentent je crois l'horizon à peu près complet de la vie politique russe d'aujourd'hui.
Q. : Le Président, M. Eltsine, vous a-t-il confirmé sa candidature ?
R. : Non, non. Nous avons parlé de ce sujet, bien sûr, avec le Président Eltsine. Mais je ne vous dirai pas ce qu'il m'a dit.
Q. : Votre sentiment serait qu'il s'acheminerait vers une candidature ?
R. : Comme je crois vous l'avoir dit à l'instant, je ne vous dirai pas ce qu'il m'a dit.
Q. : La seule information qu'il donne, Monsieur le ministre, c'est qu'il rejouera au tennis dans un mois. Cela vous semble plausible ?
R. : Oh, écoutez, franchement, je ne suis pas un bon spécialiste du tennis. Je comprends qu'on ait envie de jouer au tennis
Q. : Monsieur le ministre, la position de la France, à ce que je crois savoir, est quand même d'intégrer de plus en plus la Russie dans les débats internationaux et d'éviter qu'elle soit mise à l'écart ? Est-ce que pour cet objectif, que tout le monde comprend ici, la France est prête quand même à accepter la Russie quelle que soit sa situation intérieure ? Où sont les limites ?
R. : Je vais vous dire. Dès lors que la Russie a fait le choix de la démocratie et de l'économie de marché, on ne voit pas au nom de quoi, en vertu de quel principe, on pourrait tenir ce grand pays, cette nation forte, avec un passé extraordinaire et un avenir important, en dehors des grandes instances internationales. Alors naturellement, pour accéder à ces grandes instances il y a parfois des conditions à remplir qui sont dans les statuts mêmes ou dans les règles d'organisation de ces instances. Il faut vérifier simplement qu'elles sont remplies et si elle ne le sont pas, attendre qu'elles le soient. Si elles le sont, le prendre en considération. Je donne un exemple bien précis : la France souhaite que le G7 soit élargi à huit. C'est-à-dire que la Russie fasse partie de cette concertation des premières puissances économiques du monde. Alors, naturellement, dans tout cela je vois bien qu'il y a deux façons d'observer la situation russe. Il y a une façon qui au fond, est une façon inspirée par le scepticisme, et qui consiste dire nous allons attendre. C'est un pays qui s'est mis en marche, nous allons attendre la fin de la marche et quand tout sera fait, en bien, à ce moment-là nous dirons « oui ». C'est une attitude passive et sceptique et ce n'est pas l'attitude française. Nous pensons que la démarche russe est désormais fortement engagée. Donc nous souhaitons plutôt accompagner ce mouvement d'autant que cela correspond à une attente forte de l'opinion publique russe. Je veux dire par là que l'opinion publique russe attend de la communauté internationale que les efforts qu'elle a faits, les sacrifices qu'elle a consentis, les difficultés qu'elle traverse soient plutôt accompagnés par cette communauté internationale de façon positive. C'est dans cet esprit que nous sommes.
Q. : Concernant l'adhésion de la Russie au conseil de l'Europe, est-ce que vous estimez qu'elle remplit sous les critères requis ?
R. : L'assemblée du Conseil de l'Europe se réunit dans quelques jours et doit en délibérer. Je souhaite que la délégation française à cette assemblée vote positivement.
Q. : Avec les événements de Tchétchénie, ne craignez-vous pas un report de la décision ?
R. : Je ne crois pas que ce soit le cas.
Q. : La commission des Droits de l'Homme du Conseil de l'Europe estime que pour l'instant la Russie n'est pas un État de droit...
R. : Vous savez, dans le domaine du droit, en effet, on est dans le domaine du droit. La Russie a sans doute beaucoup de chemin à parcourir, parce que on ne passe pas, du jour au lendemain, ni même en un petit nombre d'années, d'un système juridique de type communiste un système juridique conforme à la vie moderne, et ce dans beaucoup de domaines. Il y a quelques instants, je parlais avec des chefs d'entreprises. Eux aussi m'ont expliqué les difficultés qu'ils rencontrent de ce point de vue. C'est-à-dire qu'il y a encore des zones d'incertitude juridique qui posent des problèmes fiscaux, des problèmes de création d'entreprise et beaucoup de problèmes pour la vie des entreprises. Je persiste à vous dire que ce mouvement est engagé et qu'il est aujourd'hui utile et préférable de l'accompagner.
Q. : Puisque la France souhaite que le G7 soit élargi en G8, est-ce que cela veut dire que la France fera tout pour qu'au sommet de Lyon...
R. : La France fera ce qu'elle peut, cela ne dépend pas que d'elle.
Q. : Est-ce que la France mettra tous les moyens pour que la Russie soit admise membre à part entière dans le Conseil de l'Europe ? Est-ce que cela, vous l'avez annoncé à Boris Eltsine ?
R. : Non, je ne l'ai pas annoncé à Boris Eltsine. Je le lui ai confirmé.
Q. : Pour vous, le fait qu'il y ait des démissions et des limogeages, notamment du ministre chargé des affaires économiques ?
R. : Écoutez, j'ai parlé de ces questions. Cela relève de la même analyse que j'ai faite tout à l'heure, doit-on être sceptique ou doit-on être « pushing » (pour parler comme M. Toubon !) ? Alors, je peux vous dire que, aussi bien le Président Eltsine que M. Primakov, m'ont confirmé que, de leur point de vue, leur volonté était de poursuivre la démarche, la double démarche de la démocratisation et de l'économie de marché. Je crois d'ailleurs que leurs propos publics l'ont confirmé.
Q. : Monsieur le ministre, vous n'êtes pas sans savoir qu'avec la Russie, et avec l'Union soviétique, de tous temps il y a eu un problème de terminologie. Ici et ailleurs, on a toujours utilisé les mêmes termes avec des concepts tout à fait différents...
R. : Ah, bon, je suis d'accord depuis 1917. Est-ce que vous avez exposé ou est-ce que la France a une idée précise de ce qu'elle attend précisément de la Russie lorsque l'on parle de réformes, d'économie de marché à Moscou, ou est-ce que nous sommes prêts à accepter tout ce qui vient de Moscou sous prétexte que les termes « économie de marchés », « réforme », sont avancés ?
Q. : Non, non, Madame. Nous sommes des gens réalistes.
Q. : Je repose donc la même question, où sont les limites ?
R : Mais, Madame, je vous le redis, nous ne sommes pas prêts à prendre des vessies pour des lanternes. Nous sommes tout à fait décidés, dans ce domaine, à être exigeants parce que nous pensons que c'est l'intérêt même de la Russie de devenir un pays ouvert à l'économie de marché Madame, il faut quand même se rappeler que nous avons, en 1945, nationalisé la moitié de l'économie française et que, à l'époque, nous n'avons pas pensé que nous sortions de l'économie de marché. Autrement dit, il faut aussi nous-mêmes ne pas avoir une vision cléricale de l'économie de marché. Il faut avoir une conception objective, c'est-à-dire ouverte aux règles de cette économie.
Q. : Monsieur le ministre, l'affaire tchétchène dans le marché de la Russie vers la démocratie présente un accroc. Est-ce que vous estimez qu'il y en a eu cet été dans le traitement russe de l'affaire tchétchène ?
R. : Oui, bien sûr.
Q. : Dans ce cas-là, le Conseil de l'Europe n'est-il pas le lieu le plus indiqué pour marquer la désapprobation de l'Occident ?
R. : Oui, Madame. Je veux bien, je suis d'accord avec vous. Oui, c'est un accroc, Un accroc regrettable. Mais je le répète, veut-on ou non aider la Russie à prendre sa place dans le concert des nations démocratiques et libres ? Ou bien veut-on, avec un style puritain, s'installer sur la colline et les laisser se débrouiller tout seul ? Eh bien, notre attitude est en effet l'attitude d'un ami qui veut encourager, soutenir et aider un autre ami qui, en effet, est en face de difficultés réelles. Nous avons de la considération pour la Russie et nous avons l'intention de le lui témoigner. Cela ne veut pas dire que nous mettons de l'eau dans notre vin, cela ne veut pas dire que nous faisons des compromissions avec les valeurs que nous défendons, que nous ne cesserons pas d'exprimer. Mais cela veut dire aussi que nous marquons à l'égard de la Russie la sollicitude dont, je crois, elle a besoin. Voilà, en termes politiques, j'en suis intimement convaincu.
Q. : Mais, Monsieur le ministre...
R. : Madame, chacun peut avoir son avis sur ce sujet. Je viens de vous exprimer le mien.
Q. : Monsieur le ministre, vous venez de souligner le fait que les interlocuteurs officiels que vous venez de rencontrer ont manifesté leur volonté d'aller dans le sens d'un rapprochement avec les normes occidentales.
R. : Non, je ne suis pas du tout d'accord avec vous. J'ai passé hier de 16 h 30 à 23 heures avec M. Primakov (de temps en temps, je dois le reconnaître, nous avons un peu plaisanté...) Nous avons dîné agréablement avec nos épouses. Mais enfin en six heures on se rend compte, on a la capacité de juger la personne que l'on a en face de soi. Il y a ce que m'a dit M. Primakov et ce que j'ai pu apprécier de lui. Et ce que j'ai pu apprécier de lui ne me permet pas de dire non plus qu'il y a un bouleversement de la politique étrangère russe qui, après avoir été pro-occidentale, deviendrait « pro », et anti-occidentale. Je ne peux pas dire cela non plus. Et j'ai eu avec M. Primakov un débat sérieux, très intéressant, très intéressant, et qui me confirme dans l'idée que la France doit avoir comme l'une de ses priorités fortes d'excellentes relations avec la Russie.
Q. : Monsieur le ministre, ce ne sera pas la première fois que la Russie aura un double langage. Ne pensez-vous pas que...
R. : Nous verrons bien. J'exprime devant vous un message de confiance vis-à-vis de la Russie.