Texte intégral
Monsieur le Ministre, cher Maurice Schumann,
Monsieur le Directeur Général, cher Henri Lopez
Mesdames,Messieurs,
Je me réjouis d'être avec vous aujourd'hui et de participer à vos débats. Cette session du Haut conseil a pour thème général la Francophonie face aux défis des nouvelles technologies. C'est un thème d'actualité, essentiel pour l'avenir de nos peuples, de nos sociétés, de nos valeurs.
Votre tâche est passionnante et ambitieuse car c'est la Francophonie de demain que vous devez imaginer. Elle est difficile, car dans ce domaine, les évolutions sont brusques et souvent inattendues.
Cependant, votre réflexion, bien que prospective, peut prendre appui sur des projets et des réalisations qui commencent dès aujourd'hui.
Certes, le développement rapide des nouvelles technologies représente un vrai défi pour notre langue et notre culture. Cependant, je ne viens pas devant vous pour dénoncer les risques d'uniformisation culturelle et linguistique que représentent l'avènement d'une société de l'information globale, qui se joue des frontières et des espaces culturels et linguistiques protégés.
Je voudrais plutôt vous faire partager mon optimisme, car j'ai confiance dans la volonté de la France et des Francophones de saisir les chances immenses que nous offrent les procédés de numérisation, pour promouvoir une société de l'information qui respecte les valeurs essentielles qui sont les nôtres, et je pense tout particulièrement à la diversité culturelle et linguistique.
I. – Les nouvelles techniques : une chance à saisir pour le plurilinguisme
En effet, les nouveaux moyens de diffusion de l'information : le câble, le satellite, le multimédia en ligne ou sur un support optique, font tous appel à la numérisation de celle-ci, grâce aux systèmes de compression des données, permet l'élaboration et l'accès à des contenus en plusieurs langues pour un coût moindre.
À nous de faire en sorte qu'une innovation technique majeure serve notre liberté. À nous d'empêcher qu'elle ne devienne un instrument de domination.
L'espace numérique qui s'ouvre à nous poursuit son expansion, mais il est déjà très vaste, suffisamment pour accueillir toutes les cultures et toutes les langues, même s'il est vrai que c'est un espace très mobile et encore très instable, qui nous impose de modifier constamment nos stratégies.
Le français sera d'autant plus fort qu'il s'inscrira dans un monde plurilingue. C'est là le sens de la politique de la France en faveur du plurilinguisme, en Europe, dans les organisations internationales et au sein même de l'espace francophone. Or, grâce à ces technologies, le plurilinguisme n'est pas un rêve inaccessible. Nous avons les moyens et la volonté de réaliser cette ambition et cette stratégie pour notre langue et notre culture.
Je ne crois pas que les nouvelles technologies de l'information et de la communication menacent le français et la diversité linguistique. L'évolution du marché de la micro-informatique ces dernières années nous montre que les fournisseurs de logiciels et d'interfaces qui ont gagné le marché grand public sont justement ceux qui ont décliné leurs produits dans la langue de l'utilisateur.
Il n'en demeure pas moins qu'actuellement, la prépondérance de l'anglais sur les réseaux est incontestable. Cette prépondérance s'explique notamment par le taux d'équipement des ménages aux États-Unis et la densité dans ce pays des infrastructures de communication ainsi que par leur faible coût.
Pour ceux qui n'y ont pas accès, les possibilités offertes par les nouvelles technologies n'ont pas de sens et ne peuvent pas même devenir un enjeu.
L'offre et la demande de contenus français doivent se répondre et se développer simultanément. Il faut donc dans le même temps favoriser l'équipement des ménages, des administrations et des entreprises en ordinateurs multimédia, en décodeurs numériques. En France même, nous sommes encore trop peu équipés. Il faut veiller à ce qu'existent les possibilités de connexion propres à une utilisation aisée des réseaux de communication pour un coût acceptable. Il faut enfin et surtout promouvoir une offre de contenus et de services attractifs, divers et à forte valeur ajoutée.
Pour entrer rapidement dans la société de l'information, la France a ainsi choisi une démarche souple qui implique un grand nombre d'acteurs privés et publics. Les projets mis en œuvre offrent déjà à cet égard un champ d'observation significatif des produits et des services de la société de l'information de demain. Mon collègue François Fillon vous a exposé hier les actions conduites dans ce domaine.
La politique du Gouvernement a un caractère global. Elle vise à soutenir la création de contenus et de services en français sur les nouveaux supports numériques et à en promouvoir l'accès.
II. – Lever les obstacles techniques et juridiques
Il nous faut veiller d'une part à ce que ne subsiste dans ce cadre nouveau aucun obstacle technique à la présence et à la diffusion du français sur les supports numériques. Il nous faut d'autre part veiller à ce que le cadre juridique et réglementaire de ce nouvel espace respecte nos valeurs et nos droits. J'ai tenu à m'exprimer publiquement sur ce point et j'ai demandé à mes services d'y être particulièrement attentifs.
Des difficultés demeurent. Elles sont maintenant clairement identifiées, certaines viennent d'être résolues, toutes le seront très prochainement.
Sur le plan technique, la circulation et l'échange d'informations dans toutes les langues sur les nouveaux supports rendent nécessaires l'adoption de normes internationales. Il faut donc que nous soyons présents et actifs dans les instances qui élaborent ces normes afin de faire valoir nos intérêts.
Dans le domaine de la télévision numérique, il me semble indispensable que les programmes diffusés en clair puissent être reçus par tous les décodeurs mis à disposition en Europe. Il existe maintenant une norme et une directive européennes qui nous assurent que la diffusion de nos contenus et de notre langue ne sera pas freinée par des problèmes liés à l'interopérabilité des systèmes.
Dans le domaine proprement linguistique, dans le prolongement de travaux conduits dans le cadre de la coopération franco-québécoise, la France soutient l'action de l'Agence française de normalisation, afin d'assurer la présence stratégique d'experts francophones dans les instances internationales de normalisation pour que les nouvelles normes qu'elles élaborent permettent le plurilinguisme. Dans ce domaine les Francophones doivent agir ensemble et de façon concertée.
Ces actions sont parmi les priorités de la France. Dans quelques semaines, la délégation française au Sommet du G7 sur la société de l'information, en Afrique du Sud, rappellera toute l'importance que nous attachons à la normalisation internationale et au rôle des instances institutionnelles à cet égard.
Quand les normes qui permettent le plurilinguisme existent, il faut qu'elles soient utilisées et, pour cela, il est indispensable d'en promouvoir la diffusion.
La délégation générale à la langue française participe, en collaboration avec l'Agence française de normalisation, à la réalisation et à la diffusion de guides techniques mentionnant et explicitant de façon très précise les normes à implanter pour la réalisation de produits et services en français et plurilingues, notamment sur internet. Vous savez que le courrier électronique – n'assure pas toujours la transmission des caractères accentués de notre langue. Ces guides permettront de prévenir ce genre d'inconvénients. Diffusés sur Internet, ils seront accessibles à tous les Francophones.
De la même façon que nous ne voulons pas que l'espace numérique devienne une jungle technique, nous ne souhaitons pas qu'il soit une jungle juridique. C'est une question de respect des droits, des libertés et des valeurs.
C'est en effet dans des cadres qui rassureront producteurs de contenus, détenteurs de droits et utilisateurs que l'espace numérique pourra être un espace de libre expression sans être une zone de non-droit, où le pire deviendrait permis et où les valeurs politiques et éthiques seraient bafouées. Il faut adapter notre droit quand cela est nécessaire.
La technique numérique ne bouleverse pas les données juridiques de la création littéraire et artistique. Notre dispositif de protection de la propriété intellectuelle n'a pas à être profondément modifié. Mais il convient d'harmoniser les niveaux de protection propres à chaque État, notamment pour éviter les risques de piratage. Une méthode universelle d’identification des œuvres exploitées sur rapport numérique peut être une solution. Le principe d'une telle identification vient d'être retenu par les instances de normalisation, notamment grâce à l'action de la France.
Dans un autre domaine, la loi du 30 septembre 1986 sur la liberté de communication n'avait pas anticipé le développement de la diffusion de la télévision à partir de satellites de télécommunication et l'apparition de bouquets numériques se services. J'ai donc décidé de définir un cadre juridique rénové pour la diffusion audiovisuelle par satellite, afin de fixer des règles permettant à la fois le développement de ce marché, mais protégeant aussi nos intérêts essentiels.
Pour ce qui concerne Internet, en l'absence d'un encadrement juridique et déontologique, la protection de la vie privée, des mineurs et des consommateurs risque de se révéler insuffisante. Cependant la spécificité de ce réseau appelle des solutions originales. Elles sont à l'étude. François Fillon et moi-même avons lancé une mission de réflexion sur ces points qui rendra ses conclusions au mois de juin prochain.
L'idée d'une convention internationale prévoyant quelques principes de déontologie pourrait être inscrite à l'ordre du jour du Sommet du G7 de Lyon. La France souhaite que les instances internationales favorisent la réflexion et la coopération entre les Etats, tous confrontés à la même problématique, pour élaborer des règles propres à ces réseaux.
III. – Favoriser la création et la diffusion des contenus de qualité
Définir ce cadre technique et juridique est absolument nécessaire. Mais il est aussi essentiel de favoriser la création de contenus numérisés de qualité, d'organiser et de faciliter leur diffusion. Les contenus en français doivent exprimer la richesse et l'originalité des cultures française et francophone.
En effet, nous ne pouvons pas imaginer que les contenus en français soient uniquement des traductions de contenus réalisés dans d'autres langues. Cela ne nous suffit nullement parce que nous ne voulons pas qu'une seule vision du monde s'exprime dans toutes les langues.
Si nous voulons pouvoir continuer d'exprimer et de porter notre vision du monde dans notre langue c'est parce que notre langue constitue pour nous l'outil le plus efficace de notre pensée.
C'est dans ce but que je continue à renforcer notre industrie de programmes afin que nous soyons capables de répondre à une demande d'images qui va croître très rapidement du fait de la multiplication des chaînes. La France a su garder une industrie de programmes audiovisuels.
En 1995 plus de 1 600 heures de programmes ont été produites avec l'aide du compte de soutien à l'industrie des programmes audiovisuels, ce qui représente une nette progression par rapport aux chiffres de 1994.
Dans le même esprit, des dispositifs de soutien aux producteurs privés de contenus multimédias ont été mis en place.
Le ministère de la culture et le ministère de l'industrie se sont associés pour mettre en place le fonds « Mémoires optiques » et l'étendre aux produits en ligne afin d'aider les opérateurs privés à créer des contenus multimédias attractifs.
J'ai en outre décidé de mettre en place un fonds pour aider la presse à investir dans le multimédia. Il sera doté de 20 MF.
Dans le domaine spécifique des langues, la délégation générale à la langue française va soutenir la réalisation de dictionnaires spécialisés en ligne ou hors ligne.
Enfin, le ministère de la culture réalise lui-même des produits de grande qualité. Vous connaissez tous les disques optiques compacts sur le musée du Louvre ou Léonard de Vinci, réalisés en collaboration avec des éditeurs privés par la Réunion des musées nationaux. Je me réjouis du très large succès de ces produits dont témoigne le MILIA d'or remporté en 1996 par le disque optique compact réalisé sur le Musée d'Orsay.
Le ministère de la culture a en outre la responsabilité de la conservation et de la diffusion des fonds patrimoniaux. Leur exploitation et leur mise à disposition sur les nouveaux supports supposent leur numérisation. Si nous ne le faisons pas, d'autres le feront pour nous. C'est pourquoi la France est engagée dans un ambitieux plan de numérisation des représentations de ses collections patrimoniales, qu'il s'agisse des musées ou des bibliothèques, dont la Bibliothèque nationale de France.
Des crédits importants ont été affectés à ce plan de numérisation.
De plus, le ministère de la culture met en place une plateforme expérimentale pour permettre l'accès aux bases de données sur le patrimoine : le projet de « Service public d'informations culturelles » (SPIC). Ce projet permet de consulter sur Internet la base Joconde sur les musées et la base Mérimée sur les monuments. Il sera ensuite étendu à d'autres bases.
De même, le ministère de la culture soutient plusieurs projets qui visent à développer des services de diffusion de fonds iconographiques ou sonores.
Les contenus culturels sont en effet pour nous un atout essentiel pour assurer notre présence sur les réseaux.
Preuve en est que le serveur Web du ministère de la culture est, avec plus de deux millions de connexions par mois, le premier serveur français institutionnel. Je vous invite vivement à en découvrir toutes les richesses dans le Cybercafé qui a été installé dans ce centre de conférences.
Nous devons non seulement produire mais offrir des possibilités de diffusion à tous ces contenus et ces services multimédias et à tous ces programmes de télévision et leur assurer dans un espace numérique foisonnant une bonne visibilité tout en veillant à ce qu'ils ne soient pas réservés à un petit nombre d'utilisateurs privilégiés.
En ce qui concerne la télévision numérique, il faut apporter une réponse en matière de stratégie industrielle pour être présent dans la diffusion des bouquets de programmes qui seront reçus en France.
Pour cela, à côté de Canal +, j'ai voulu une présence forte du service public dans les bouquets de chaînes numériques au moment même où ses structure ce marché.
C'est la raison pour laquelle France-Télévision est entrée dans le capital de la société d'exploitation d'un nouveau bouquet qui sera lancé prochainement et dont les contenus seront essentiellement français et francophones. Il m'est apparu que seule cette présence pouvait garantir une place satisfaisante aux chaînes thématiques publiques et préserver la liberté éditoriale de celles-ci.
Pour les contenus en français sur Internet, chaque jour plus riches, plus variés et plus nombreux, il était nécessaire d'aider les utilisateurs à trouver de façon plus rapide et efficace l'information qu'ils recherchent en mettant à leur disposition des outils adaptés. Par exemple, les guides et les annuaires disponibles sur Internet prennent mal en compte les contenus en langue française.
Le ministère de la culture soutient donc l'édition et la réalisation de répertoires sur papier et en ligne qui permettront aux utilisateurs francophones d'Internet de retrouver plus facilement les informations qui les intéressent. Un premier annuaire de ce type a été aidé et présenté au public en mars dernier.
Il faut aussi favoriser une meilleure adaptation pour la France des logiciels de navigation sur Internet. Aujourd'hui, même quand ils sont traduits en français, ils dirigent automatiquement les utilisateurs vers des contenus en anglais, leur assurant ainsi automatiquement une promotion dont ne disposent pas les contenus en français. Le plan d'action lancé par le Gouvernement pour développer les contenus à caractère éducatif pourra être l'occasion d'inciter les fournisseurs de logiciels à prendre des initiatives dans ce sens comme l'ont déjà fait nos amis canadiens et québécois.
IV. – Favoriser le dialogue entre les cultures
En premier lieu, Internet ne doit pas être réservé aux riches. Le ministère de la culture va participer aux ateliers de formation organisé dans le cadre de la réunion internationale INET 96, en juin prochain à Montréal, et destinés à des techniciens de pays francophones du Sud. Une telle initiative me semble être un bon exemple des actions que nous devons continuer de développer ensemble.
Ensuite, il faut mettre en place dans l'espace culturel numérique des passerelles entre les langues et les culturelles. Nous savons trop que les espaces de pensée clos sur eux-mêmes sont propres à favoriser l'appauvrissement de la pensée elle-même, voire à conduire cette pensée vers tous les extrémismes et tous les intégrismes.
Nous devons donc encourager la diffusion de nos contenus à l'extérieur et développer le plurilinguisme. Cela fait aussi partie d'une stratégie dynamique pour être présents dans l'espace numérique.
Nous devons veiller à ce que nos contenus soient diffusés dans d'autres espaces culturels. Je favoriserai les stratégies d'alliance qui iront dans ce sens. Je me réjouis de l'entrée de TV5 dans le bouquet de programmes « multichoice » qui dessert l'Afrique anglophone comme j'approuve les projets de la chaîne publique française Canal France International qui envisage de diffuser ses programmes en plusieurs langues selon les parties du monde qui les reçoivent.
Pour ce qui est du multimédia en ligne, il faut donner aux Francophones la possibilité d'accéder en français à des contenus en langues étrangères, comme il faut donner aux non-francophones la possibilité de consulter nos contenus dans leur langue.
Pour aller dans cette direction, le ministère de la culture assure la promotion de travaux de terminologie plurilingue dans le cadre de programmes européens. L'accord de coopération passé entre l'Inventaire général français et son homologue italien est un exemple intéressant du travail qui peut être réalisé en ce sens.
Un autre exemple est le projet européen « Aquarelle », piloté par l'Institut national de recherche en informatique et en automatique, qui permettra un accès plurilingue aux grandes bases de données européennes sur le patrimoine.
Je crois fermement que les efforts menés en France, avec ceux qui sont conduits dans d'autres pays francophones et par les institutions de la francophonie multilatérale permettent d'envisager avec confiance un avenir pour la langue française dans la société de l'information.
C'est en assurant une présence dynamique des pays francophones sur les autoroutes de l'information que le français continuera de jouer son rôle de grande langue de communication internationale, de langue d'accès au savoir et aux cultures.
Au Sommet de Cotonou, le Président de la République a appelé la Francophonie à prendre la tête d'une vaste campagne pour le pluralisme linguistique et la diversité culturelles sur les inforoutes de demain.
Le prochain Sommet du G7 à Midrand, en Afrique du Sud nous permettras de faire entendre la voix des Francophones et de faire valoir ses priorités.