Texte intégral
Service national : la France fait-elle le bon choix ?
M. DENOYAN : Bonsoir.
Le service militaire a vécu. En annonçant hier soir la suppression du service nationale le 1er janvier 1997, le Président de la République a mis fin à une certaine idée de la défense nationale née du temps de Valmy et de la Révolution française. Ce n’est donc plus le citoyen qui défendra la Patrie, mais une armée professionnelle, annoncée le 22 février.
La volonté de transformer notre Défense nationale n’aura pas traîné. Il faut dire que l’opposition à cette armée nouvelle n’a pas été très vigoureuse. Même Lionel Jospin, Premier secrétaire du Parti socialiste, reconnaissait que la professionnalisation de l’armée était inéluctable.
Le Président de la République a-t-il fait le bon choix ? invités d’OBJECTIONS, ce soir Messieurs Jean-Pierre Chevènement, président du Mouvement des citoyens et député de Belfort, et Pierre Lellouche député RPR du Val-d’Oise.
Messieurs, bonsoir,
L’un était ministre de la défense d’un gouvernement socialiste qui s’est engagé auprès des alliés lors de la guerre du Golfe et, n’approuvant pas cette décision, a démissionné.
L’autre est un proche de Jacques Chirac, député RPR du Val-d’Oise et spécialiste des questions de défense.
Jean-Pierre Chevènement, Pierre Lellouche, vous nous direz quelles réflexions vous inspire la fin de la conscription ?
Et avec Pierre Le Marc de France Inter et Jean-Michel Aphatie du « Parisien-Aujourd’hui », nous vous questionnerons également sur les inconvénients et les avantages de la transformation de nos armées.
Pour commencer, si vous voulez, une question peu générale mais simple : fallait-il vraiment changer notre système de défense appuyé jusqu’à maintenant sur la conscription ?
M. CHEVÈNEMENT : Je pense qu’on pouvait le changer, mais le changer progressivement, en modernisant l’armée mixte. Parce qu’il faut le rappeler, il y a actuellement 300 000 professionnels, 200 000 appelés dans les armées françaises. Donc, on pouvait réduire un peu le format, préserver le service militaire à l’intérieur du service national, certes, développer les formes civiles, c’eut été plus raisonnable pour les 10 ou 15 ans à venir. Car la formule choisie par le Président de la République, dès le 22 février, confirmée hier, « suppression du service national » et, par conséquent du service militaire qui est l’essentiel du service nationale, cette décision va entraîner un vide militaire, je crois qu’il faut le dire. Cette décision débouche sur une réorganisation qui sera extrêmement difficile, sur une paupérisation que je crains dramatique pour nos armées et, en définitive, correspond à des motivations qui ont été complètement occultées dans ce débat-bidon car il n’y a eu aucune concertation…
M. DENOYAN : … J’espère que celui-ci ne le sera pas, donc on saura.
M. CHEVÈNEMENT : Ces motivations sont simples : il s’agit de former une armée projetable, une armée de professionnels qu’on pourra envoyer au loin pour défendre les intérêts très éloignés des intérêts essentiels, des intérêts vitaux de la France et cela, je dirais, sans se préoccuper de l’adhésion du peuple, de la participation du peule à la défense, cela en réintégrant l’OTAN. Car la vraie corrélation, il faut le dire, est entre la suppression du service nationale, la réintégration de l’OTAN et la construction d’une armée professionnelle, d’une armée destinée à être projetée dans toutes les aventures, d’une armée qui aura pour tâche d’assurer la police de l’ordre international défini par d’autres.
M. DENOYAN : Pierre Lellouche.
M. LELLOUCHE : Je serai un peu moins manichéen, si vous le permettez, et un peu moins conservateur. Je crois que la réforme de nos armées s’imposait, qu’elle était inscrite dans l’immense révolution stratégique qui a eu lieu avec la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, il y a déjà 7 ans, que nous avons tardé à la faire en France pour des raisons qui tenaient à la situation politique du pays. Il a fallu attendre l’alternance du Président de la République pour que celle-ci devienne possible puisque, comme vous le savez, le chef de l’État est le chef des armées et c’est lui qui peut impulser une réforme aussi importante, donc nous avons pris du retard. Et tandis que la plupart des grandes puissances, à l’Est comme à l’Ouest d’ailleurs, ont reformaté, comme on dit, leurs forces, ont réduit leurs dépenses militaires, la France y est venue assez tard. Et nous, nous faisons cette réforme maintenant.
La transformation de l’ordre géopolitique en Europe a entraîné une conséquence majeure pour nous et pour les autres Européens, mais disons pour nous, Français. Cette transformation est que, pour la première fois dans notre histoire et sur plusieurs siècles, nous ne visons plus – je le dis avec beaucoup de solennité et aussi pour m’en réjouir – avec l’inquiétude d’une invasion physique de notre territoire national. C’est cela l’immense novation de l’après-guerre froide.
Plus personne aujourd’hui, capable de le faire, n’est susceptible de nous envahir à vision humaine prévisible, ni l’Allemagne qui a été notre ennemie les deux siècles écoulés, avec laquelle nous faisons aujourd’hui l’Europe et qui est notre principal partenaire politique et économique, ni même la Russie qui, ave du mal, se dirige vers la démocratie et qui a beaucoup réduit et qui va réduire son potentiel militaire. Si jamais les choses devaient tourner mal en Russie, nous aurions plusieurs années pour reconstituer au besoin une levée à masse. Mais à vision humaine prévisible, nous ne sommes plus dans cette équation.
En revanche, nous avons d’autres types de menaces et de vulnérabilité, les uns concernent nos centres urbains, c’est le terrorisme, c’est éventuellement des frappes de missiles, mais c’est le retour de la guerre à la périphérie de l’Europe, c’est cela que nous voyons : les Balkans, le Caucase, des situations qui, sans être téléguidées, Monsieur Chevènement, par je ne sais quelle puissance impérialiste, risqueraient de proche en proche de déstabiliser l’Europe. Et c’est pour cela qu’il nous faut des unités capables, nous seuls ou en liaison avec nos alliés européens, d’aller prévenir ou restaurer la paix. C’est cela l’ambition du Président et il a raison de prévoir une armée qui pourra le faire et qui ne pouvait pas le faire dans les années écoulées. On reviendra tout à l’heure sur le guerre du Golfe, mais voilà la raison de tout cela.
Un dernier mot, si vous le permettez, Monsieur Gilbert Denoyan, vous avec commencé en disant que « le service militaire avait commencé avec le Révolution française », non…
M. DENOYAN : … J’ai dit la conscription.
M. LELLOUCHE : Oui, la conscription. Mais le service militaire date de 1905. Je sais bien que l’idéologie…
M. CHEVÈNEMENT : … Et la loi Jourdan, Monsieur Lellouche ?
M. LELLOUCHE : Vous connaissez la période qui a mené de 1789 jusqu’à 1905…
M. CHEVÈNEMENT : … De quand date la loi Jourdan ?
M. LELLOUCHE : Il y a eu plusieurs tentatives pour imposer les conscriptions qui étaient à chaque fois aléatoires. Tout cela a été dit, écrit…
M. CHEVÈNEMENT : … Cette loi Jourdan a tout de même duré. De quand date-t-elle ?
M. LELLOUCHE : Vous voulez me poser une colle ? Je ne m’en souviens plus.
M. CHEVÈNEMENT : 1798.
M. LELLOUCHE : Ensuite, quand a-t-elle été abrogée, Monsieur Chevènement ?
M. CHEVÈNEMENT : Après la fin des guerres napoliennes.
M. LELLOUCHE : Elle a duré quoi ? Elle a duré quelles années et nous sommes revenus à une situation…
M. CHEVÈNEMENT : … La Restauration et puis le Second Empire ont fonctionné sur la base d’une armée professionnelle qui a fait merveille à Sedan.
M. LELLOUCHE : J’aurais dû amener mes citations historiques. La conscription n’a pas pu être maintenue en France et, à Valmy, ce sont les gardes royaux qui se sont battus et par les volontaires de levée en masse.
M. DENOYAN : On peut clore sur ce chapitre.
M. LELLOUCHE : Ce point méritait d’être rappelé.
M. DENOYAN : Jean-Michel Aphatie vous interroge.
M. APHATIE ; Une question d’ordre un peu général, mais c’est ce que vous avez dit, Monsieur Chevènement, qui m’incite à la poser. Vous définissez l’armée nouvelle, telle que la dessine jacques Chirac, comme une armée de projection. Est-ce qu’à partir de cette analyse – et votre avis, Monsieur Lellouche, serait intéressant – il vous semble que les intérêts vitaux de la Nation, notamment la défense du territoire, continuent d’être correctement assumés avec l’armée telle que la dessine Jacques Chirac ?
M. CHEVÈNEMENT : Ma réponse est claire, dussè-je me faire traiter de manichéen par Monsieur Lellouche…
M. APHATIE ; … Et de conservateur.
M. CHEVÈNEMENT : Je ne le pense pas, parce que cette armée de projection permettra de mettre 30 000 hommes relevables, plus 5 000, l’équivalent d’une brigade, sur un autre théâtre et rien de plus ; Or, dans l’état actuel des armées, il n’y a pas besoin d’aller très loin, il suffit de regarder ce qui se passe dans les Balkans ou sur le pourtour méditerranéen, pratiquement toutes les armées ont un format et une puissance de feu très supérieurs à ce que nous pourrions développer sur la longue durée. Par conséquent, je pense que la France n’a pas à faire durablement la police des Balkans et encore moins du Caucase puisque ce sont les deux hypothèses qu’a évoquées Monsieur Lellouche, encore heureux qu’il ne les ait pas envoyés à Sidi-Ferruch ou sur la rive sud de la Méditerranée, au Liban ou ailleurs.
Je pense que l’armée française doit garantir d’abord le territoire national, ses approches, ses lignes de communication et surtout préserver la liberté d’action de la diplomatie d’un pays comme la France qui doit pouvoir parler librement au monde entier.
M. APHATIE : Et telle qu’elle apparaît au terme de cette réforme, l’armée française ne vous paraît pas susceptible de remplir cette mission ?
M. CHEVÈNEMENT : Non, ce sera une police supplétive de ce que le Président Bush appelait « le nouvel ordre mondial » en 1990 et dont on voit aujourd’hui ce que vaut l’aune. Essentiellement, je dirais que c’est un ordre qui correspond aux intérêts des États-Unis où la France n’a guère sa place. Je rappellerai que, aussi bien lors de la conférence de Madrid que lors des accords de Dayton, la délégation française, même pas la délégation des Européens, ne se trouvait à la table de conférence. Je pense que nous ne pouvons pas faire l’impasse sur deux catégories de risques :
1. Un risque majeur en Europe. Et, pour moi, une armée a pour but d’établir l’équilibre, d’empêcher la guerre, je ne pense pas qu’on puisse s’en remettre uniquement à la Bundeswehr d’être une force terrestre conséquente à côté de la Russie qui restera durablement une grande puissance militaire, nucléaire et conventionnelle.
2. Les attentats terroristes. Monsieur Lellouche, d’ailleurs, les a évoqués. Ce sont des déstabilisations internes qui sont faciles à provoquer, qui impliquent qu’on puisse garder les points sensibles. Je voudrais rappeler que le Plan Vigipirate a réclamé la mise en œuvre d’un effectif de 50 000 personnes.
Personnellement, j’aurais été partisan de rénover le service militaire dans le cadre d’unités de défense opérationnelle du territoire où les jeunes auraient été mobilisés sur place, connaissant mieux leur pays ; connaissant mieux la région dans laquelle ils sont et capables de protéger ces points sensibles en cas de crise intérieure, à mon avis, possible dans les 10, 15 années qui viennent parce que c’est l’horizon auquel il faut être capable de se projeter pour dire des choses à peu près intelligentes.
M. DENOYAN : Pierre Lellouche, souhaitez-vous répondre à Jean-Pierre Chevènement ou avançons-nous dans le débat ?
M. LELLOUCHE : Juste un mot pour dire que si l’Europe n’était pas présente à Madrid, c’est parce que le Président Mitterrand, à l’époque s’était opposé au processus de paix directe entre les Israéliens et les Palestiniens, rien à voir avec le sujet.
M. CHEVÈNEMENT : Qui ? Qu’est-ce que vous racontez ?
M. LELLOUCHE : Je raconte, Monsieur Chevènement, ce que je sais.
M. CHEVÈNEMENT : Monsieur Mitterrand s’était opposé au processus de paix ?
M. LELLOUCHE : Permettez…
M. CHEVÈNEMENT : … Vous plaisantez.
M. LELLOUCHE : Le Président Mitterrand à l’époque, s’était opposé aux négociations directes et souhaitait mettre le Plan de paix du Proche-Orient dans le cadre d’une négociation onusienne. C’est la raison pour laquelle l’Europe n’a pas eu de strapontin ou la France n’a pas participé à cette négociation, et je le regrette.
M. CHEVÈNEMENT : Justement que conseil de sécurité…
M. LELLOUCHE : … Permettez que je continue ? Quant à Dayton où j’ai moi aussi, regretté l’absence de la diplomatie européenne, les raisons pour lesquelles il y a eu Dayton, c’est tout simplement parce que l’Europe a été inexistante, inexistante depuis le début de la guerre de Yougoslavie. Et pourquoi l’était-elle ? Parce qu’on s’est borné à envoyer une troïka en juin 1990, au moment où on était au bord de la guerre, sans avoir le premier soldat capable d’influer sur la situation. Et c’est parce que l’Europe était impuissante que la France a été conduite à gesticuler dans des conditions humanitaires, dans une politique humanitaire sans issue, et c’est de cette politique qu’est sorti le Président Chirac en juin dernier.
Alors, ne confondez pas la cause et la conséquence…
M. CHEVÈNEMENT : … Vous me permettez de répondre sur ces points rapidement ?
M. DENOYAN : Rapidement.
M. LELLOUCHE : C’est parce que la France et les autres Européens, je le souhaite, auront les moyens de peser sur une situation de crise que l’Europe pèsera sur le règlement diplomatique. Tant que nous n’aurons rien, nous ne pèserons de rien et ce seront les Américains qui profiteront de ce boulevard que nous ouvrons sur notre propre continent. Donc, votre recette, Monsieur Chevènement, est une recette conservatrice qui, de surcroît, n’est pas possible, ni sur le plan financier, ni sur le plan de l’organisation de nos forces parce que l’armée mixte dont vous parlez n’existait pas. Nous avons 1 million 200 000 jeunes aujourd’hui en report d’incorporation parce que vous avez laissé dériver notre armée.
M. CHEVÈNEMENT : Laissez-moi répondre.
M. LELLOUCHE : Laissez-moi terminer. Cela vous gêne que je dise des vérités, apparemment…
M. CHEVÈNEMENT : … Pas du tout.
M. LELLOUCHE : Alors, laissez-moi terminer. C’est par ce que cette armée n’est ni tenable, ni utilisable en temps de crise, que nous avons été réduits à la situation où nous étions avant l’élection du Président Chirac et c’est cette réforme-là qui va permettre à la France de retrouver sa place et son rang à la tête de l’organisation future de la défense de l’Europe.
Voilà une ambition positive qui n’a rien à voir avec cette espèce de conservatisme qui veut que vous vous accrochiez comme vous le pouvez à l’ordre ancien qui a disparu. Nous n’allons pas refaire les guerres du XIXe siècle avec des forces armées qui n’ont plus rien à voir avec ce dont nous avons besoin.
M. CHEVÈNEMENT : Vous me permettez de vous répondre maintenant ?
M. DENOYAN : Jean-Pierre Chevènement vous répond.
M. CHEVÈNEMENT : La vérité ne me gêne nullement, Monsieur Lellouche…
M. LELLOUCHE : … Écoutez, si.
M. CHEVÈNEMENT : C’est la raison pour laquelle vous ne me gênez pas du tout. Il ne suffit pas de brader pour être moderne.
M. LELLOUCHE : Mais qui a bradé pendant la guerre du Golfe, Monsieur Chevènement ?
M. CHEVÈNEMENT : Qui a bradé qui ? L’indépendance nationale.
M. LELLOUCHE ; Vous voulez que vous rappelle quelques souvenirs historiques ?
M. CHEVÈNEMENT : Oui, je vous en prie.
M. LELLOUCHE : Qui a bradé quoi ?
M. CHEVÈNEMENT : Qui a bradé quoi ? Eh bien, oui, vous posez la question, répondez.
M. LELLOUCHE : Quand vous étiez ministre, vous saviez la situation de l’armée française à l’époque. Avec une armée deux fois plus grosse que l’armée britannique, nous avons réussi avec la plus grande peine à déployer 15 000 hommes sur le terrain, la moitié du contingent britannique. Qui a bradé quoi ? Où étaient l’indépendance et la capacité de manœuvre de la France ?
M. CHEVÈNEMENT : Permettez-moi, maintenant que vous avez précisé votre question, d’y répondre. C’est une décision du Président de la République qui a consisté à n’envoyer dans le Golfe que des militaires professionnels, il aurait été parfaitement possible d’envoyer des appelés. Le Président de la République a jugé qu’il n’était pas souhaitable…
M. LELLOUCHE : … Vous auriez été d’accord, vous qui n’étiez pas d’accord avec cette guerre, pour envoyer des appelés ?
M. CHEVÈNEMENT : Je n’étais déjà pas d’accord avec la guerre, par conséquent…
M. LELLOUCHE : … Alors, de quoi parlons-nous ? Vous seriez d’accord pour envoyer des appelés dans le Golfe, Monsieur Chevènement ?
M. CHEVÈNEMENT : Je vous demande de me permettre maintenant de m’exprimer.
M. LELLOUCHE : Mais faites.
M. CHEVÈNEMENT : Je pense que la participation française dans la guerre du Golfe était importante politiquement et non pas militairement. Les Américains étaient 500 000, je vous le rappelle, les Britanniques ont envoyé 40 000 hommes, mais c’est peu de choses à côté de 500 000, et, nous-mêmes, nous avons aligné à peu près 15 000 hommes…
M. LELLOUCHE : … Ce qui est encore moins.
M. CHEVÈNEMENT : C’est moins, mais la manœuvre qui a été faite, qui était une manœuvre de contournement a été faite de manière tout à fait professionnelle par la Division Daguet. Donc, il n’y a rien à dire sur ce qu’on fait nos militaires pendant la guerre du Golfe.
M. LELLOUCHE : Il y a beaucoup à dire. Il y a que, pour arriver à déployer ces 15 000 hommes, on a dû déshabiller 47 régiments différents.
M. CHEVÈNEMENT : Permettez-moi de vous répondre…
M. LELLOUCHE : … Je le dis au ministre de la défense, ancien.
M. CHEVÈNEMENT : Permettez-moi de vous répondre, je ne vous ai pas interrompu.
M. LELLOUCHE : 47 régiments pour trouver ces forces.
M. CHEVÈNEMENT : En Yougoslavie, il a été décidé à l’inverse d’accepter que des appelés puisse se porter volontaires, et même 40 % de nos personnels servant dans l’ex-Yougoslavie sont des appelés. Maintenant, vous excellez à dévier la question essentielle, la question essentielle est celle de la paix américaine. Le Président de la République souhaitait que les questions, notamment au Proche et au Moyen-Orient, soient réglées dans le cadre du conseil de sécurité où la France est présente. Elle est un des cinq membres permanents. Et pour cela il a jugé utile que la France soit dans la guerre pour, je le rappelle, être présente de la paix. La France n’a pas été présente dans la paix. Donc, c’est une erreur d’appréciation, il faut le dire.
M. LELLOUCHE : Permettez que je vous coupe sur ce point ?
M. CHEVÈNEMENT : Non, non, je vais aller jusqu’au bout.
M. LELLOUCHE : Le Président de l’époque…
M. CHEVÈNEMENT : Non, je ne vous permets pas, je ne vous ai pas interrompu.
M. LELLOUCHE : Je vous répondrai après, alors.
M. CHEVÈNEMENT : Oui, s’il vous plaît. Deuxièmement, vous avez évoqué Dayton. À Dayton, vous constatez que la paix est américaine, mais Dayton, c’était en septembre 1995 et la fameuse initiative de Jacques Chirac consistant à envoyer la Force de Réaction Rapide date du mois de juin-juillet 1996. Par conséquent, l’envoi de la Force de Réaction Rapide, de cette force de projection, comme on dit aujourd’hui, en Bosnie-Herzégovine n’a nullement suffi pour que nous soyons présents à la table de négociations.
Aujourd’hui, la proposition que Jacques Chirac a faite d’un conseil de surveillance de l’accord entre le Liban et Israël ne s’est toujours pas traduite dans la réalité parce que les États-Unis ne le veulent pas. Les États-Unis sont la puissance hégémonique, ils veulent le rester. Que vous ayez une force de projection ou non, que vous envoyez des engagés ou des appelés, cela n’a pas d’importance. Les États-Unis ne veulent voir aucun rival politico-militaire, ni en Europe, ni en Asie.
D’ailleurs, l’un de leurs rapports, rendu public par erreur, l’avait dit de manière très claire – je parle du rapport Volfowitz de 1992 – et je pense qu’il faut partir de cette idée-là pour savoir ce que peut faire la France dans le monde d’aujourd’hui.
Je pense que vous vous illusionnez gravement en pensant que vous pouvez substituer à la stratégie d’indépendance nationale, définie par le Général de Gaulle, une stratégie d’influence. Car je comprends la logique que vous avez développée dans un livre que vous venez de faire paraître. Je comprends cette logique, c’est une logique qui consiste à essayer de peser de l’intérieur, mais vous ne faites pas le poids. Et je vous l’ai déjà dit, d’ailleurs vous reprenez ma citation : « Vous êtes un peu dans la situation du papillon, en s’introduisant dans le bocal, veut faire bouger le bocal ». Eh bien, vous n’aurez aucun succès dans cette tentative.
M. DENOYAN : Alors, vous jouez le papillon quelques instants, et l’on continue avec les questions.
M. LELLOUCHE : Laisse au papillon le soin de dire…
M. CHEVÈNEMENT : C’est assez sympathique de vous traiter de papillon…
M. LELLOUCHE : Il y en a de très jolis et puis il y a en a…
M. DENOYAN : … de très vilains aussi.
M. LELLOUCHE : Il est vrai que leur durée de vie est courte.
Laissez-moi vous dire une chose, je suis très conscient de ce que vous dites sur le poids hégémonique d’une super puissance, bien entendu. Et ce n’est pas moi qui vais vous dire que c’est un pays facile à bouger dans une situation de crise où ils ont davantage de moyens que nous.
Mais la solution, Monsieur le ministre, ce n’est pas de nous résigner au pré-carré au nom d’un faux gaullisme, d’ailleurs maladroitement récupéré par vous, de dire : « C’est vrai, c’est la fin de la guerre froide, les conditions ont changé, mais nous n’avons pas les moyens…
M. CHEVÈNEMENT : … mais adroitement bradé par vous.
M. LELLOUCHE : … – permettez-moi de terminer – … de peser sur les États-Unis ou sur les situations de crise, contentons-nous de tendre, derrière la ligne bleue des Vosges, que peut-être, un jour, un ennemi nous menace à nouveau, et laissons filer l’histoire. »
C’est une situation que je ne peux pas accepter pour mon pays, et contrairement à votre réécriture de ce qui s’est passé l’an dernier, je crois que vous faites une erreur d’analyse. C’est parce que Jacques Chirac est sorti de ce traquenard de l’humanitaire, dans lequel la France était embourbé par faiblesse et par mauvaise conscience, en créant la Force de Réaction Rapide, qu’une dynamique nouvelle a pu être imposée à la diplomatie.
C’est vrai que nous avons eu le plus grand mal à faire entendre notre voix à Dayton. Elle a été entendue un peu plus lors de la signature des accords de Paris, Elle l’est aujourd’hui parce que la France est présente et parce qu’il y a un coordinateur européen dans les Balkans.
Mais la vérité, c’est qu’il ne faut pas courir derrière les fantasmes. Les Américains dans les Balkans ont dit qu’ils n’étaient là que pour quelques mois. Ils vont se retirer. On va voir ce que l’on va faire, nous, Européens, une fois la puissance hégémonique partie. La question de fond est celle-là !
N’essayez pas de brosser le portrait d’une super puissance américaine qui, dans tous les cas de figure, va défendre l’Europe à notre place. Ce n’est pas le cas ! Les Américains, depuis 4 ans, ont eu la pire réticence à intervenir dans cette affaire. Ils se sont engagés pour quelque moi. La vraie question qui nous est posée à nous, Européens, à nous, Français, c’est : « Avons-nous les moyens politiques et militaires de garantir la paix dans cette région qui est toute proche ? » Et pour cela, il faut avoir des moyens – je reviens au sujet –, une armée professionnalisée…
M. DENOYAN : Si vous voulez bien, on va revenir au sujet par des questions, Pierre Le Marc ?
M. LE MARC : Venons-en au cœur du sujet : le système décidé par le Président, arrêté par le Président, consiste en un rendez-vous citoyen d’une semaine et à l’offre de volontariat aux jeunes.
Je voudrais demander à Jean-Pierre Chevènement en quoi il trouve ce système inapplicable et détestable. Y avait-il d’autres solutions ? Qu’il nous les donne !
Et je voudrais demander à Pierre Lellouche si, tout de même, ce système n’a pas des inconvénients sérieux ? Comment va-t-on financer le système ? Comment va-t-on l’encadrer ? Est-ce que la transition entre les deux systèmes, le système actuel et le nouveau système, ne va pas poser de problèmes très graves dans les casernes ?
M. DENOYAN : La première question était posée à Jean-Pierre Chevènement.
M. CHEVÈNEMENT : Le rendez-vous dit citoyen, on supprime le service militaire et l’on maintient le conseil de révision ou, si vous préférez une expression plus moderne, les 3 jours qui vont devenir non pas 7 mais 5 parce qu’il faut préserver les week-end. Tout cela n’est pas très sérieux !
Faire une évaluation du niveau scolaire des jeunes : c’est le rôle de l’école.
L’éducation civique : si Monsieur Bayrou n’avait pas réduit de moitié les horaires de l’éducation civique que j’avais réintroduite en 1984 dans les programmes des écoles et des collèges, peut-être que les jeunes connaîtraient un petit peu mieux les rudiments de notre appareil de défense et les raisons qui valent que l’on défendre la France et la République.
J’entends qu’il faudrait faire également un effort pour l’insertion des jeunes, mais cela, c’est le rôle de l’ANPE. On ne peut pas « doublonner » à la fois l’éducation nationale et l’ANPE. Alors, qu’est-ce qui reste ? Le bilan de santé. Il se trouve qu’un de mes fils a fait ses 3 jours. Le premier jour, on lui a demandé de revenir le lendemain. Le lendemain, il a pissé dans un bocal et le surlendemain il n’avait plus besoin de rien !
M. LELLOUCHE : Le teste était-il bon ?
M. CHEVÈNEMENT : On ne va quand même pas convoquer le ban et l’arrière-ban de la jeunesse française pour un rite dépourvu de signification, parce que coupé de toute finalité militaire.
M. LE MARC : Y a-t-il des solutions alternatives à celles qu’a décidées le Président ?
M. CHEVÈNEMENT : Absolument.
M. LE MARC : Lesquelles ?
M. CHEVÈNEMENT : Il suffisait d’augmenter les formes civiles jusqu’à à peu près 40 %, et l’on voit que cela peut se faire, notamment dans la politique de la ville…
M. LE MARC : … obligatoires ?
M. CHEVÈNEMENT : … obligatoires, bien entendu. Et puis, d’autre part, maintenir un service militaire qui représenterait 60 % du Service national, conserver une armée de terre à 200 000 hommes, avec des unités de défense opérationnelle du directoire, qui seraient largement composées d’appelés, et puis des unités professionnalisées, en tout cas largement professionnalisées, où les appelés pourraient continuer de servir.
J’ajoute que le service militaire était de vivier du volontariat « service long » et des engagés et que, d’autre part, on ne remplacera évidemment pas les appelés qui ont une certaine technique, les médecins, les mécaniciens, les informaticiens par des engagés… ou alors il faudra y mettre un prix exorbitant ; Et c’est ce qui va se produire : cela va coûter telle cher qu’on aura la solution de nos moyens, c’est-à-dire la solution de notre manque d’argent, on aura une armée paupérisée, on aura budget d’équipement qui se réduire comme peau de chagrin, une industrie de défense sur laquelle, dès aujourd’hui, plane, à mon sens, une épée de Damoclès.
M. DENOYAN : Sur les moyens, justement, est-ce que Pierre Lellouche pourrait dire un mot : cela va nous coûte cher. Et c’est vrai qu’n ce moment nous sommes plutôt à la recherche d’argent…
M. LE MARC : … et cela va être difficile à organiser.
M. LELLOUCHE : Je suis un peu terrifié par cette avalanche de conservatisme de tout genre et qui oublie, en plus, l’histoire. Si l’armée est paupérisée aujourd’hui, c’est parce que vous avez été aux affaires pendant 14 ans et que vous n’avez pas pris les décisions. Vous n’avez pas fait les choix.
M. CHEVÈNEMENT : Vous ne pensez pas que c’est un disque que vous auriez intérêt à changer parce qu’il commence à être payé ?
M. LELLOUCHE : Non, non. Ce n’est pas un disque du tout. Il y a malheureusement des faits.
Les faits : si vous comparez les lois de programmation militaire sous le Générale de Gaulle, qui, elles, étaient tenues et celles qui ont été lancées sous le gouvernement socialiste, qui ne l’on jamais été…
M. CHEVÈNEMENT : … Je crois qu’aucune ne l’a jamais été, à vrai dire !
M. LELLOOUCHE : … avec une accumulation en fin de parcours de toute une série de programmes d’armement qui n’ont pas été pris et qui, en définitive, paupérisent en effet notre industrie d’armement.
M. CHEVÈNEMENT : Je vous rappelle que mon budget en titre V était à 103 milliards. Vous avez voté contre. Mais maintenant c’est 75… Mon dernier budget, 1991…
M. LELLOUCHE : … votre budget, on va en reparler !...
Le débat sur la loi de programmation, c’est la semaine prochaine, et, moi, je vais vous ressortir vos lois de programmation et voir ce que vous avez promis au départ et fait à l’arrivée. Préparez-vous à des chiffres qui vont être intéressants.
M. DENOYAN : est-ce que cela va nous coûter cher ?
M. CHEVÈNEMENT : … remontez jusqu’à 1960…
M. LELLOUCHE : Cela, c’est pour la paupérisation.
Quant à l’armée dite de métier ou professionnalisée, les études, que nous avons faites, qui ont été faites au ministère de la défense, montrent qu’elle ne coûtera pas plus cher. Elle coûtera un peu plus cher au départ dans la phase de constitution, et puis elle devrait se traduire par une économie de 5 à 6 milliards de francs par rapport à « l’armée mixte » actuelle qui est le plus mauvais des systèmes, parce que nous avons à la fois une armée qui est sous-encadrée…
En ce moment, nous avons une armée sous-encadrée de moitié, à peu près 50 %, par rapport à l’armée allemande.
Nous avons des matériels qui souvent sont vétustes et nous avons les plus grandes difficultés à avoir des forces, au niveau équivalent, soit de l’adversaire, soit de nos alliés, on l’a vu pendant la guerre du Golfe, que l’on peut regrouper et utiliser à l’extérieur.
Et l’on a en même temps 12 200 000 jeunes qu’on ne peut pas incorporer faute de place dans les armées, donc de plus en plus de gens qui en font pas aujourd’hui le service militaire (35 %), et les vertus dites républicaines : quel est le point commun entre un jeune qui fait son service à Singapour aujourd’hui dans une entreprise et une jeune de banlieue qui, dans la moitié des cas, ne sera pas pris par l’armée. Et vous le savez, cela ! La mission d’information l’a démontré.
Une réforme comme celle-là qui évidemment va heurter toutes sortes de conservatisme, chez les militaires, comme chez les notables, chez les politiques accrochés à une autre époque, c’est pourtant une réforme nécessaire.
Elle est nécessaire à la fois pour les besoins de défense de notre pays, et ce que vous avez considéré, vous, comme pas sérieux, à savoir le maintien de ce rendez-vous citoyen, est pourtant l’essentiel, à savoir d’abord le maintien du recensement, c’est-à-dire que si jamais, à Dieu ne plaise, nous étions dans une situation où il fallait recommencer avec la mobilisation, eh bien nous aurions un instrument qui est le recensement.
Nous avons conservé un système très important qui est celui de l’évaluation sanitaire des jeunes Français, c’est le seul instrument que nous ayons.
Et nous aurons un système où les jeunes pourront – là je vous rejoins sur l’éducation nationale, je considère qu’elle ne fait pas assez son travail sur l’éducation civique – être au courant de la défense et des formes volontaires qui leur sont offertes.
Je signale à nos auditeurs que 30 000 jeunes français chaque année pourront continuer à servir comme volontaires dans les armées, au titre du service national, que plusieurs dizaines de milliers d’autres, environ 25 à 30 000, pourront servir dans les autres forces de sécurité (police, gendarmerie, douane, protection civile) et que nous allons conserver des formes civiles mais qui ne seront plus financées sur le budget de la Défense nationale.
M. APHATIE : La principale critique qui était faite au rendez-vous citoyen, tel que l’annonçait Jacques Chirac, c’est sa durée : 5 jours, cela ne sert pas à grand-chose, on ne peut pas apprendre grand-chose. Beaucoup de gens qui étaient favorables à la mesure, y compris les députés d’ailleurs, pouvaient proposer jusqu’à 8 semaines… on disait 4 mois, 6 mois…
5 jours, cela paraît un peu inutile, il faut bien le dire !
M. LELLOUCHE : Il y a deux options – au moins Monsieur Chevènement est cohérent – : il y a soit un service militaire raccourci de 4 moi à 5 mois, où l’on fait un service militaire, et l’on construit à côté de l’armée professionnalisée une autre armée composée de conscrits. Cela pose des problèmes d’encadrement, parce qu’il faut bien les encadrer, donc il faut prendre de l’armée de conscrits, et puis cela pose des problèmes intenses de matériels, parce qu’on ne peut pas garder les types, comme on le fait aujourd’hui dans casernes à balayer, leur faut des véhicules, de l’essence, munitions pour que ceci devienne intéressant. Donc il faut constituer en fait une deuxième armée.
La France a-t-elle les moyens d’une deuxième armée ? Je pose la question : Si Monsieur Chevènement dit : « Allez, je vous donne 30, 40 milliards de plus, faites donc une armée de conscrits » eh bien, faisons ! Mais le problème n’est pas là ! D’ailleurs l’utilité militaire est tellement douteuse, qu’il s’agisse d’opérations extérieures ou même de défense du territoire : Quant à l’utilité financière, elle est franchement compromise.
En dehors de cette formule qui, au moins, avait le mérite de la cohérence, il reste effectivement le lieu de recensement et le point de recensement.
M. CHEVÈNEMENT : J’aimerais quand même remettre la montre de Monsieur Lellouche à l’heure. Il parle de conservatisme, je pense qu’il aurait été plus raisonnable de moderniser l’armée mixte que de se lancer dans l’improvisation, dans une professionnalisation dont vous n’aurez pas les moyens. Je dis bien IMPROVISATION, DÉMAGOGIE, car il est extrêmement facile de supprimer le service militaire, il sera très difficile de le rétablir, c’est une mesure irréversible.
M. LELLOUCHE : Ah bon ? Des pays qui avaient une armée de métier en cas de guerre ont pu le faire…
M. CHEVÈNEMENT : ... Cela a été extrêmement difficile…
M. LELLOUCHE : … les États-Unis, l’Angleterre.
M. CHEVÈNEMENT : … Il a fallu attendre 1916, par exemple, pour que la Grande-Bretagne instaure le service militaire. Ce n’est pas aussi facile que vous avez l’air de la dire…
M. LELLOUCHE : … pas pour des raisons militaires, mais pour des raisons politiques !
M. CHEVÈNEMENT : … et, d’autre part, je considère que c’est très facile, en effet, d’exonérer les gens de leur devoir.
Si vous proposez aux contribuables de supprimer les impôts ou si vous leur demandez s’ils sont d’accord pour cela, les sondages vous donneront sûrement une écrasante majorité pour la suppression des impôts.
Mais qu’est-ce que c’est que le Service national ? C’est un impôt en nature. Et je comprends qu’un certain nombre de jeunes, surtout appartenant à des milieux relativement favorisés, des tranches d’âge un peu élevées déjà éduqués, etc., se disent : « Si l’on pouvait s’en passer, c’est très bien ! ». Mais ce n’est pas comme cela qu’il faut raisonner. La citoyenneté…
M. LELLOUCHE : … ce ne sont pas les jeunes qui viennent me voir dans ma permanence.
M. CHEVÈNEMENT : … c’est un ensemble de droits et de devoirs.
Mais moi aussi j’en vois des jeunes…
M. LELLOUCHE : … Les jeunes les plus défavorisés ont les plus grosses difficultés aujourd’hui d’emploi.
M. CHEVÈNEMENT : D’ailleurs je voyais un sondage où un certain nombre de jeunes, il est vrai des adolescents, je me méfie beaucoup des sondages, interrogés se prononçaient plutôt pour le maintien du service militaire. Le devoir, c’est de dire : « Le pays a besoin d’être défendu. La défense repose sur le peuple. La dissuasion nucléaire ne suffit pas, il faut aussi une dissuasion populaire, une volonté de défense. Il faut un lien entre l’armée et la Nation ».
Et ce que vous faites, c’est que vous êtes en train de déconstruire la République. Vous lui portez un mauvais coup, car la République n’est pas une notion facile à comprendre. La France, c’est un projet… un projet politique ; c’est une communauté de citoyens ; c’est un vouloir vivre ensemble.
Et, finalement, dans un pays qui est très divers, qui est naturellement un agrégat de peuples du Nord et du Sud de l’Europe, et même du monde entier, aujourd’hui il n’est pas mauvais de rappeler à chaque jeune français ce qu’est la France et ce que sont les devoirs que chacun a vis-à-vis de la France.
On peut supprimer tout cela, on peut brader, c’est facile ! Mais est-ce bien responsable ?
Je pense que les événements politiques qui peuvent se dérouler d’ici 2 ans peuvent mettre un utile tempérament à vos ardeurs improvisées qui risque de mettre l’outil militaire français en très mauvais état, pour autant que je puisse en juger.
Un mot encore, je voulais quand même protester contre l’idée que l’universalité du service militaire en France est mieux respectée que dans tout autre pays de l’OTAN. En réalité, il y a 20 % d’exemptés, 5 % de dispensés. Je vous rappelle que, pendant la guerre de 14-18, ils étaient 15 %.
Par conséquent tout ce qu’on raconte là-dessus procède de la caricature. Qui veut noyer son chien dit qu’il a la rage.
M. DENOYAN : La parenthèse est refermée. Pierre Le Marc.
M. LE MARC : Je voulais demander à nos invités ce qu’ils pensent de la manière dont le Président a géré cette réforme, gère cette réforme ? Estiment-ils normale la prééminence très forte de la présidence sur le secteur de la défense ?
Ne trouvent-ils pas qu’il faudrait peut-être nuancer les pouvoirs de la présidence par un contrôle plus important du Parlement sur le secteur ?
M. LELLOUCHE : Avant de répondre à la question, je voudrais revenir sur les deux points évoqués précisément par Monsieur Chevènement.
Cette réforme n’a pas été improvisée. Pour avoir travaillé depuis 8 ans auprès de Jacques Chirac, je sais que c’est une réforme à laquelle il a longuement réfléchi, qu’il a longuement préparée et qui correspond à un besoin.
Donc, malgré vos tentatives, vous ne transformerez pas ce qui est quelque chose d’assez fondamental dans la refonte de notre appareil militaire : le service militaire, mais aussi la dimension industrielle, la dimension européenne…
M. APHATIE : Il ne l’a pas beaucoup évoqué pendant sa campagne présidentielle, on peut le noter ! S’il y a beaucoup pensé les années précédentes, il ne l’a pas beaucoup évoqué pendant sa campagne présidentielle ?
M. LELLOUCHE : Parce qu’en général, en période électorale, les histoires internationales et de défense – je suis le premier à le regretter – ne sont guère évoquées.
M. APHATIE : Le Service national, cela aurait été un beau débat !
M. LE MARC : Il y a eu quand même une grande conférence de presse sur les histoires internationales et sur la défense.
M. LELLOUCHE : Je le rappelle sur le Service national : nous avons tenu des universités d’été, l’année précédente des élections, au RPR et que le consensus était la suppression du service.
Sur le creuset républicain, idée qui m’est chère, car, moi aussi, je suis un républicain et sur de point de je partage la vision de Jean-Pierre Chevènement. Simplement je constate aujourd’hui que ce travail qui devrait être fait à l’école, ne l’est plus, et que vous ne pouvez pas demander à l’armée française d’être la « voiture-balai » de la société française !
M. CHEVÈNEMENT : Il ne l’est plus pourquoi ? Parce qu’il manque une volonté politique.
M. LELLOUCHE : Monsieur Le Marc, la réponse à votre question est que le Président de la République, aux termes de nos institutions, est le chef des armées, qu’il lui appartenait… non seulement il était dans son droit, mais c’était son devoir que de préparer la défense future de la France. Il l’a fait en proposant une professionnalisation de nos forces. Il a ouvert un débat pour savoir, étant donné qu’on ne prenait plus que 10 % d’une classe d’âge dans l’armée, ce sont les 30 000 volontaires dont je parlais, que fait-on des 300 000 autres ? Question posée au pays qu’il n’a pas pu poser !
J’avais suggéré un référendum au début. J’étais le premier à l’avoir suggéré. Il n’est pas possible aux termes de l’article 11, je le regrette ! Mais le débat est ouvert dans le pays. Il a été mené de façon assidue dans les deux assemblées.
J’ai siégé pendant 2 mois dans la mission d’information sur le Service national. On a travaillé des heures, des heures et des heures.
M. LE MARC : Faut-il augmenter les pouvoirs du Parlement ? Oui ou non ?
M. LELLOUCHE : Il faut toujours augmenter les pouvoirs du Parlement…
M. LE MARC : … sur ce domaine.
M. LELLOUCHE : … dans tous les domaines.
Le Parlement va pouvoir se prononcer dès la semaine prochaine sur le cadre budgétaire de tout cela.
Réforme des finances : que finance-t-on dans les années qui viennent ?
Si vous parlez des réformes du Parlement, vous voulez dire quoi ?
M. LE MARC : Utilisation de l’armée de métier…
M. CHEVÈNEMENT : … deux minutes ! J’observe le divorce constant entre la parole et les actes. D’ailleurs l’exemple vient de haut, parce que le Président de la République a repris hier l’exposé des motifs de ceux qui sont attachés à la conscription, parlant beaucoup de la République, mais le dispositif ne suit pas. Et j’observe que Monsieur Lellouche, de ce point de vue-là, est un chiraquien formidable…
M. LELLOUCHE : Vous êtes trop bon, Monsieur le ministre, vraiment, cela me touche !
M. CHEVÈNEMENT : Je sais que cela ne desservira pas votre plan de carrière.
M. LELLOUCHE : Merci, Monsieur le ministre.
M. CHEVÈNEMENT : Donc, je vous le dis.
M. LELLOUCHE : Je suis touché par votre intérêt sur ce point.
M. CHEVÈNEMENT : Il y a vraiment quelque chose qui me choque, c’est que le Président de la République a annoncé la décision le 22 février et, après une parodie de débat, a annoncé hier…
M. LELLOUCHE : … il y a eu 10 000 débats organisés dans le pays.
M. CHEVÈNEMENT : J’ai organisé un débat…
M. LELLOUCHE : … nous aussi.
M. CHEVÈNEMENT : … avec l’association des maires du Territoire de Belfort, je peux vous dire qu’il n’est pas venu beaucoup de jeunes et qu’on a surtout entendu un discours citoyen, ce qui ne vous étonnera pas.
M. LELLOUCHE : … Vous savez pourquoi ils ne sont pas venus les jeunes ? Parce que pour eux la décision de suppression était acquise.
M. CHEVÈNEMENT : Le débat n’a pas davantage existé à l’Assemblée nationale et au Sénat. Les commissions auxquelles nous avons participé, nous savons très bien ce que leurs membres pensent !
En réalité, il y a un excellent rapport Darason que je vous conseille, parce qu’il dit à quel point toute cette démarche est mal pensée, mal équilibrée. Il montre combien il aurait mieux valu garder le Service national en le modernisant. Et puis il se prononce à la fin pour un rendez-vous citoyen qui, si l’on suit la pensée de Monsieur Darason, devrait durer au moins un mois ou deux.
On sent qu’il est pris – puisqu’il appartient à votre Majorité – dans cette contradiction qui est celle de la Ve République : une décision est prise dans un système monarchique et puis, en définitive, tout le monde entérine. Le groupe parlementaire majoritaire se couche et, par conséquent, il n’y a pas de débat.
M. LELLOUCHE : On est en démocratie, Monsieur Chevènement a le droit d’avoir cette lecture du rapport Darason. Moi, j’en ai une autre. Et nous l’avons étudié avec les réserves que nous avons exprimées quant aux critiques qu’il recèle.
Sur le fond, pour moi la mission d’information a démontré qu’il était impossible, dans ce pays, de maintenir le flou artistique de l’armée mixte dont vous avez parlé, et qu’il fallait aller vers une armée de professionnels.
M. CHEVÈNEMENT : Mais le flou, nous y sommes !
M. DENOYAN : Je vous remercie Jean-Pierre Chevènement, Pierre Lellouche.
M. CHEVÈNEMENT : Et il durera longtemps.
M. DENOYAN : J’espère qu’ils ont permis aux auditeurs de mieux comprendre le débat qui est engagé.
Merci.