Texte intégral
Près de 75 % des militants socialistes, interrogés en octobre dernier, dans le cadre du processus de rénovation du PS, se sont montrés favorables à l'inscription dans nos statuts, de l'objectif de parité.
Je me félicite de ce score élevé.
Toutefois, le fait même que cet objectif soit proposé témoigne d'un dysfonctionnement du système politique français.
En effet, les femmes ont considérablement œuvré pour sortir de la sphère familiale dans laquelle la Révolution, puis le code civil les avaient placées, leur réservant un statut de mineures.
Les femmes bénéficient désormais d'un égal accès à l'éducation, où elles réussissent, d'ailleurs, souvent mieux que les garçons.
Elles ont fait une entrée remarquée dans le monde du salariat, leur permettant ainsi d'acquérir leur indépendance financière. La loi Roudy prévoit leur égalité professionnelle et salariale, même si elle n'est pas acquise.
L'évolution des mentalités en matière de santé et de fécondité a été marquée par leur acharnement à revendiquer la maîtrise de leur corps. C'est ainsi que depuis 20 ans, elles peuvent user du droit à la contraception et à l'IVG, ainsi que du droit à leur remboursement.
Grâce à une intense activité législative, l'égalité de droits entre femmes et hommes a été complétée, depuis le début des années 80, par l'élimination des dernières discriminations légales et les sanctions contre les comportements ségrégatifs.
Mais, leur égalité avec les hommes ne saurait encore se passer de mesures spécifiques qui encouragent le changement des pratiques et des comportements à leur égard.
Car, en effet, les conditions de bases contenues dans la loi sont-elles pour autant des garanties pour une égalité de fait ?
Les femmes sont les plus touchées par les conséquences de la crise et subissent de plein fouet le chômage et la pauvreté.
Le nombre de métiers auxquels elles ont accès, et antérieurement à leurs filières de formation, sont encore peu diversifiés ; les emplois qu'elles obtiennent restent eux-mêmes plus précaires, moins qualifiés et moins rémunérés que ceux des hommes.
À compétence et diplôme égaux, elles restent plus mal payées que les hommes.
Nombre d'employeurs persistent à considérer comme un handicap le fait qu'elles soient en situation d'interrompre – même pour des durées courtes et légales – leur activité pour mettre au monde des enfants, ou bien encore qu'elles utilisent le temps partiel choisi. Leurs formations, carrières et rémunérations en pâtissent, quand leurs choix ne leur ferment pas, purement et simplement, les portes de l'emploi.
Dans le domaine privé, les femmes françaises supportent encore l'essentiel du poids de la sphère domestique.
Depuis quelques années, elles subissent de plus l'assaut de ceux qui leur contestent le droit à maîtriser leur fécondité. Arque-boutés sur une « loi naturelle » qui leur semble plus fondée que les lois de la République, les militants anti-IVG, avec violence et parfois impunité, bénéficient, en outre, du soutien actif de groupes de pression au sein du Parlement.
À cette situation de menace sur les droits acquis des femmes, s'ajoute, pour tous les Français, le contexte de crise dans lequel se trouve notre pays. Le chômage mine notre société et place dans l'insécurité sociale plus de 5 millions de personnes. Le chômage reste une priorité nationale, mais résiste à la diversité des mesures jusqu'alors destinées à le combattre.
La situation particulière des femmes revient toutefois sur le devant de la scène quand, dans certains esprits nostalgiques, germe l'idée selon laquelle, les femmes pourraient être spécifiquement motivées pour rentrer dans leurs foyers, afin de dégager des emplois. Solution toute prête, solution qui témoigne d'une réelle incapacité à agir, elle dit aussi combien l'évolution des mœurs est moins rapide que l'évolution de la loi.
Ces exemples, qui ne sont pas directement le cœur de notre débat d'aujourd'hui – mais qui le cernent car, pourquoi parler de parité politique à des femmes que l'on maintiendrait, par ailleurs, en situation d'inégalité – sont toutefois utiles pour constater combien la volonté politique est indissociable de l'initiative et de l'accompagnement de la transformation de la société.
Ils témoignent, dans l'actualité sociale et politique, du retour du combat pour le maintien de droits acquis, ce qui, par certains côtés, hypothèque la conquête de l'égalité et de droits nouveaux.
Car il existe bel et bien une citadelle à laquelle les femmes n'ont pas encore eu réellement accès, celle de l'égalité politique. Et je viens là au cœur de votre sujet.
Pour ce qui concerne l'aspect électif, hormis les mandats de conseillères municipales et de députées européennes, dans lesquels elles sont plus de 20 %, tous les autres mandats nationaux et locaux les cantonnent dans une représentation qui frôle le ridicule. Je ne surprendrai personne ici, en rappelant que notre pays vient de battre le triste record qui le fait passer de l'avant-dernier au dernier rang européen pour ce qui concerne la participation des femmes dans les parlements.
Ainsi, les chiffres sont brutaux : les femmes représentent 53 % du corps électoral et les hommes monopolisent (à 95 %) la représentation parlementaire.
La formation politique que je dirige n'échappe pas à certaines critiques, même si elle a toujours encouragé les femmes à l'investissement politique et électoral. Ainsi, elles ne sont que 7,2 % du groupe socialiste de l'Assemblée nationale et 6,7 % de celui du Sénat.
Elles représentent 5,6 % des conseillers généraux et 14,5 % des conseillers régionaux. Les pourcentages concernant le nombre de femmes socialistes élues maires et conseillères municipales sont équivalentes à ceux des autres tendances politiques, soit respectivement 7,5 % et 21,5 %.
Les femmes représentent 46,6 % des parlementaires européens du Parti socialiste français après que ce dernier ait bâti, en 1994, et pour la première fois de son histoire, une liste paritaire.
En dehors de l'aspect strictement électif, les femmes s'investissent également en nombre moins important dans les partis politiques. Qui plus est, leur nombre s'amenuise proportionnellement, au fur et à mesure que l'on progresse dans la hiérarchie des organisations politiques.
La représentation féminine dans les instances du Parti socialiste est fixée par les statuts, qui instaurent un quota de femmes, à tous les échelons, ainsi que pour les élections au scrutin de liste. Fixé à 10 % en 1972, il a été porté à 15 % en 1977, à 20 % en 1987, puis à 30 % en 1990.
Les femmes représentent, à l'heure actuelle, 30 % des adhérents du Parti socialiste. On dénombre 14,5 % de femmes secrétaires de sections et 6,8 % à la tête des instances départementales. Le bureau national compte 24,65 % de femmes ; en revanche, le secrétariat national que j'ai nommé en compte 37 %, auxquels s'ajoutent 30 % de déléguées nationales.
Je ne reviendrai pas en détail sur les causes de la lenteur de l'évolution de la place des femmes dans la vie politique française, mais certaines de ces raisons sont significatives.
Leur accession fort tardive au droit de vote, en 1944, soit après la plupart des pays occidentaux, est d'abord à relever. Les effets de ce retard se vérifient encore aujourd'hui puisque, a contrario, les pays précurseurs dans l'octroi du suffrage réellement universel disposent d'une représentation proche de la parité hommes-femmes dans leurs instances parlementaires… exception faite de la Grande-Bretagne.
Le mode de scrutin majoritaire, le cumul des mandats et la notabilisation de la classe politique renforcent le conservatisme du pouvoir.
Plus encore, le scrutin indirect tel qu'il existe pour les élections sénatoriales favorise le vote des notables… pour ceux qui leur ressemblent.
Les impératifs familiaux et tâches domestiques dont je parlais tout à l'heure, restant principalement à la charge des femmes en plus de leur activité professionnelle, leur occasionnent une double journée – la plus lourde en Europe – qui ne favorise pas un choix d'engagement politique.
Mais enfin, comment ne pas prendre également en compte la réticence des femmes elles-mêmes à l'égard du pouvoir politique tel qu'il est exercé. Ce dernier est considéré par beaucoup d'entre elles comme trop éloigné des préoccupations concrètes, déconnecté de la vie de nos concitoyens, impropre à trouver des solutions à leurs problèmes, pour se consacrer principalement aux joutes oratoires ou aux manœuvres politiciennes, consommatrices d'énergie et de temps, sans garantie de résultat.
Cette dernière raison du manque d'engagement des femmes comporte en elle-même une critique implicite de la fonction politique. D'ailleurs, malgré leurs convictions souvent très fermes, beaucoup de femmes refusent de franchir le pas de l'engagement politique, alors qu'elles n'hésitent pas à s'investir dans les associations.
La rareté des femmes dans les organes de direction du pays et des partis politiques, parallèlement à la réticence de certaines directions à intégrer des femmes et des jeunes, doivent être considérés comme des signes d'obsolescence et d'inadaptation des réponses politiques à la situation sociale.
Le Parti socialiste a, bien entendu, réagi. J'y faisais allusion tout à l'heure, il a mis en place des quotas, il a misé sur la mixité, il se fixe désormais un objectif de parité. Cet objectif n'est pas un affichage ou un « argument de vente » en direction des femmes et de l'opinion en général. Il doit permettre aux femmes de s'investir, en même temps qu'il peut changer la façon de faire de la politique. Lever les barrages, corriger la sous-représentation des femmes, repose sur une réelle volonté de sensibiliser des acteurs politiques à l'archaïsme de la situation. Outre la volonté politique, je souhaite mettre l'accent sur quelques méthodes et objectifs. Je les décris ci-après.
Changer les mentalités
Convaincre
Les femmes ne sauraient être considérées comme des cas particuliers, dès lors qu'elles bénéficient de mesures de discrimination positive.
Il est politiquement insatisfaisant d'utiliser un quota, quel qu'en soit le chiffre, ou d'user de coercition pour permettre à la moitié des Français d'être mieux représentée.
Mais, toutes les mesures et propositions doivent être destinées à ce que les femmes ne soient pas considérées comme illégitimes lorsqu'elles accèdent aux lieux de pouvoir, pour corriger une inégalité criante et ancienne, qui a peu de raison de se modifier par elle-même.
La pédagogie et la répétition ont leur rôle à jouer. Combien de Français ont-ils réellement connaissance des chiffres de la représentation nationale des femmes ? Beaucoup d'entre eux n'auraient-ils pas le sentiment, s'ils les connaissaient, que la démocratie est atrophiée ?
Éduquer
L'éducation a un rôle central à jouer. Trop souvent encore, les images respectives des femmes et des hommes dans les manuels scolaires, montrent une répartition traditionnelle des rôles.
Plus tard, la répartition des filles et des garçons dans les filières d'enseignement est marquée par une coupure entre les métiers considérés comme masculins ou féminins.
L'éducation nationale doit veiller à chasser les représentations sexuées traditionnelles, dans son fonctionnement et ses textes.
D'autre part, l'intérêt porté à la chose publique bénéficierait aussi de l'accès précoce à la connaissance des mécanismes de la citoyenneté. La vieille instruction civique, revue pour être rendue plus attrayante, pourrait être de nature à rapprocher les petits Français de leur République et des prises de responsabilité.
Démocratiser l'exercice de la politique
Vaincre les réticences à l'engagement politique
Beaucoup de femmes – mais aussi d'hommes – se disent attirés par un exercice politique et une démocratie du quotidien.
C'est pourquoi, le Parti socialiste, pour ce qui le concerne, met en place une série de consultations de ses adhérents et sympathisants sur chaque étape de son projet, afin de déterminer ses orientations et modes d'action, pour une meilleure prise en compte de l'aspiration au changement.
Associant à la prise de décision sa base militante, il consulte donc davantage les femmes.
Permettre de faire des choix
Comment choisir un engagement politique sans sacrifier une partie de sa vie familiale et de son activité professionnelle ? En comptant sur l'évolution du partage des responsabilités au sein des ménages, bien sûr, mais également en prenant en compte les besoins nouveaux de notre société. D'où la nécessité du développement des modes de garde d'enfants et de la réduction du temps de travail.
Un second objectif pourrait, de ce fait être pris en compte : celui de la lutte contre le chômage, par la création d'emplois dans les services de proximité.
Ouvrir les partis politiques
L'arrivée massive des femmes dans les partis politiques est en mesure de modifier leur image et leur fonctionnement, confisqués majoritairement par les hommes. Plus le nombre de femmes augmentera, plus elles seront nombreuses à vouloir prendre des responsabilités et à y accéder. On peut ainsi penser à une campagne destinée à l'adhésion des femmes.
La formation, destinée à tous ceux qui veulent s'investir, peut être déterminante pour lever certaines réticences, notamment des femmes.
Pour ce qui concerne particulièrement le Parti socialiste, les réformes statutaires visant à mettre en place l'objectif de parité sont en cours.
Dès lors que l'une des fonctions des partis politiques est de désigner des candidats aux élections, chacun d'entre eux doit veiller à promotionner des femmes. Il en va ainsi, naturellement, des scrutins de listes, qui devront prendre en compte la parité, comme cela a été le cas du Parti socialiste, lors des élections européennes de 1994. Pour ce qui concerne les scrutins uninominaux, des objectifs précis et non-dérogatoires doivent être fixés.
Pour ce qui concerne le Parti socialiste, j'ai ainsi pour objectif, une amélioration très sensible du nombre de femmes députées en 1998. De même, les diverses élections de cette année-là doivent ouvrir un champ large aux candidatures féminines.
Agir par la loi
Restreindre le cumul des mandats et des fonctions
Le cumul des mandats est déjà limité dans des conditions précises, mais il doit être encore réduit, d'autant que la décentralisation a développé l'intercommunalité et le nombre de fonctions afférentes.
Cette mesure serait un moyen pour redéployer les responsabilités politiques et permettre l'expression d'un plus grand nombre d'hommes et de femmes dans la sphère politique, gage d'enrichissement et d'acquisition d'expérience.
J'avais d'ailleurs fait des propositions en ce sens lors de l'élection présidentielle.
Examiner l'élargissement du scrutin proportionnel
Le scrutin majoritaire favorise la personnalisation des candidats ; le sortant bénéficie naturellement d'une « prime à la notabilisation ».
Le scrutin proportionnel intègre plus aisément la possibilité de faire émerger des candidats de renouvellement, de mettre en place des listes paritaires et dès lors, de faciliter la promotion des femmes, même si on lui reproche traditionnellement d'éloigner les élu(e)s des électeurs.
Réfléchir à un statut de l'élu(e)
Depuis la décentralisation, le transfert de compétences aidant, la fonction d'élu(e) requiert des compétences et une disponibilité de plus en plus importantes. La reconnaissance de ce statut, l'élargissement des garanties concernant la suspension totale ou partielle de l'activité professionnelle pour raison électorale, entraîneraient à la fois une meilleure lisibilité de la fonction politique, lèveraient certaines réticences compréhensibles et pourraient profiter ainsi aux femmes.
Financer les partis politiques selon le nombre de femmes
Je reprends, ici, la proposition que j'avais faite au moment de l'élection présidentielle, car je considère que, sans pénaliser les partis politiques, une « prime » supplémentaire pourrait leur être octroyée, suivant leurs efforts pour promouvoir les femmes au sein de leurs instances.
Intégrer la parité dans la Constitution
Ce point mérite interrogation, car on comprend que le principe serait directement efficace. Il pourrait également introduire une distinction entre les Français, réputés égaux entre eux. D'autre part, cette distinction ne pourrait-elle pas être suivie d'autres ?
Resterait à examiner une révision de la Constitution.
Je conclurai mon propos en revenant sur la volonté politique nécessaire pour parfaire la complémentarité des femmes et des hommes dans la vie institutionnelle et démocratique de notre pays.
Le Parti socialiste s'efforcera d'être exemplaire en la matière, mais il ne saurait considérer que la place des femmes dans la vie sociale, professionnelle, politique, n'est l'affaire que des formations politiques.
L'État devrait, lui aussi, être exemplaire vis-à-vis des Françaises. Ainsi, je pense que l'absence de tout ministère ou secrétariat d'État centré sur les femmes est une erreur, même si Madame Couderc s'est vue confier une mission fin novembre 1995.
De même, l'éviction de 8 ministres féminins dans un gouvernement qui avait présenté leur présence comme une nécessité, a été de nature à ridiculiser les femmes politiques, autant qu'elle a signalé l'instabilité de leur présence dans le champ politique de l'État.
Mais, au-delà des déclarations, les actes doivent être probants. Ainsi, je ne saurais accepter les décisions gouvernementales en matière de politique familiale, par exemple.
Quand l'allocation jeune enfant est supprimée ex abrupto, y compris pour les personnes attendant un enfant au moment de la décision, je considère qu'il s'agit au moins d'une triple erreur. Erreur pour la lutte contre la « fracture sociale » : ce sont les ménages les plus modestes qui sont touchés. Erreur pour la relance de la consommation ; les parents hésiteront à s'équiper. Erreur pour la santé : les femmes hésiteront à commander des examens de contrôle supplémentaires.
L'inefficacité des mesures pour lutter contre le chômage touche particulièrement les femmes, qui font l'objet de pression pour retrouver leur foyer et une fonction éducatrice des enfants ou bien encore pour occuper des emplois à temps partiel contraint. Le Parti socialiste préconise, quant à lui, une politique du temps choisi par une réduction du temps de travail pour tous, sans réduction de salaire, afin de créer des emplois. Nous voulons également la mise en place d'une politique contractuelle de grande envergure entre partenaires sociaux des secteurs privé et public pour une égalité d'accès à l'emploi. Nous voulons la création d'emplois dans les services de proximité, facilitant la garde des enfants et ouvrant des possibilités d'emplois aux femmes.
Le gouvernement et le Parlement doivent rester également vigilants concernant les tentatives de contournement des lois, et particulièrement, celles concernant le droit à l'IVG et le délit d'entrave (loi Neiertz).
Là aussi, au-delà d'une réaction précipitée sur un amendement subreptice, les Français et les Françaises doivent être certains que la représentation nationale et l'État sont garants des droits acquis.
Je pense également que le Parlement serait bien inspiré en menant un débat sur l'application de la déclaration finale de la Conférence internationale de Pékin de 1995.
Voilà donc les analyses et les propositions que je voulais faire. Je conclurai mon propos en disant, qu'au moment où notre pays a besoin de mobiliser toutes ses forces pour combattre la crise et donner des perspectives à nos concitoyens, il doit être particulièrement sensible à leur égalité. À ce titre donc, comme l'indique le rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) : « Ignorer la dimension féminine dans le développement humain revient à le compromettre ».