Interview de M. Charles Millon, ministre de la défense, à Europe 1 le 20 octobre 1996, sur la réforme des industries de défense, le projet de loi sur la réforme du service national et du rendez-vous citoyen, et les relations entre la France et l'OTAN.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q. : Monsieur le ministre de la défense, le club de la presse est heureux de vous accueillir ce soir. Alors la majorité des questions que nous vous poserons ce soir aura trait à la grande réforme décidée par Jacques Chirac, la professionnalisation des armées dont vous êtes par fonction le chef d’orchestre. Cette professionnalisation ne sera réalisée qu’après une phase de transition dont nous évoquerons avec vous les étapes qui passent entre autre par une suppression des effectifs des cadres dans l’armée de terre, l’armée de l’air, la marine nationale et la gendarmerie. Des incitations financières sont prévues pour ces départs, ce qui devrait permettre le recrutement d’engagés. Croyez-vous pouvoir tenir ces objectifs ? Et puis 85 régiments vont être supprimés, ce qui veut dire que 85 villes seront affectées par ces bouleversements, avez-vous prévu quelque chose pour que ces villes ne souffrent pas trop.

Puis il y a le rendez-vous citoyen qui va bientôt remplacer le service national. Il est prévu pour durer cinq jours et déjà jugé beaucoup trop court par à peu près tout le monde. Alors comptez-vous le rallonger ? Vous nous parlerez aussi des restructurations dans l’industrie de défense. Le Gouvernement vient de choisir Matra pour la reprise de Thomson, vous nous direz ce que vous avez pensé de ce choix. Et puis il y a aussi la politique commune de défense, vous nous direz comment avance ce dossier, d’ailleurs s’il avance. Alors, pour vous interroger sont réunis ce soir, Jean Guisnel, du Point, François Dorsival de Valeurs Actuelles et Jean-Jacques Lachaud d’Europe 1 qui vous pose la première question.

Monsieur le ministre, vous êtes à l’hôtel de Brienne depuis mai 1995, depuis le début de la nomination d’Alain Juppé et un sondage publié aujourd’hui impose une question. Ce sondage semble indiquer une baisse inexorable du Premier ministre dans les cotes de popularité qui donne l’impression de tirer le comme on dit, le président de la République et l’ensemble du Gouvernement vers le bas. Alors qu’en pensez-vous et comment l’expliquez-vous ?

R. : Tout d’abord, il convient de rappeler que la mise en oeuvre de réformes nous amène à avoir contre soi tous ceux que la réforme ébranle dans leur situation et ne pas avoir pour vous, pour soi, ceux qui vont profiter de la réforme. Donc il y a un passage qui est très difficile lorsque vous réformez. C’est celui où il faut convaincre les Français et les Françaises que demain sera meilleur qu’aujourd’hui ? La politique exige du temps. Quand elle porte des réformes en elle-même et ce qui explique sans doute qu’aujourd’hui la côte de popularité du président de la République et du Premier ministre ait atteint ces seuils. Mais j’insiste sur le fait que la France ne peut pas se passer de réformes.

En effet, la situation telle qu’elle a été trouvée par les Gouvernements 93 et en 95 est une situation préoccupante. J’en veux pour preuve, d’ailleurs que la situation que j’ai moi-même trouvé dans le domaine de l’armement avec une société GIAT, c’est-à-dire les arsenaux terrestres qui accuse 11 milliards de perte cumulées et puis des chantiers navals qui accusent une perte annuelle eux de 7 milliards de francs. Et à partir de ce moment-là, il est absolument indispensable que le Gouvernement engage les réformes sinon c’est la faillite assurée. Or, la situation de l’armement n’est pas exceptionnelle et Alain Juppé a été amené à engager des réformes dans nombre de secteurs, on l’a vu durant ces mois derniers. C’est ce qui explique sans doute, j’allais dire, l’expectative des Français.

Q. : Dans les mauvais résultats que supporte le Gouvernement, il est évident que les chiffres de l’emploi sont pour l’essentiel. Or vous-même, vous voyez défiler les ouvriers des arsenaux terrestres ou des chantiers navals que vous venez de citer comme étant très lourdement déficitaires. La réforme que vous avez engagée de ces chantiers navals et de cette industrie d’armement, comment va-t-elle se traduire du point de vue de l’emploi, comment pouvez-vous dire qu’il n’y aura pas de licenciement sec, comment vont se renouveler les effectifs de ces industries ?

R. : Je suis obligé de la dire, la situation est très préoccupante. Et c’est la raison pour laquelle, dès ma nomination au ministère de la défense, j’ai pris ces dossiers en main pour étudier avec la direction de ces établissements et avec les représentants du personnel, les syndicats, la méthode qu’il convenait de mettre en place pour pouvoir redresser la situation. Car je me permets d’insister sur un aspect, il n’est pas question pour le Gouvernement de liquider ces entreprises qui sont en situation difficile. Il est question de les redresser, de les redéployer, de leur permettre même de conquérir des marchés à l’extérieur de nos frontières puisque ce sera à l’extérieur qu’il conviendra de trouver une expansion des ventes.

On a mis en place une méthode qui a trois phases. D’abord la clarification. Il a fallu clarifier les comptes et voir quel était l’état réel de ces sociétés. Je viens de le dénoncer, je ne vais pas le rappeler, 11 milliards de pertes cumulées pour le Giat, 7 milliards de déficit annuel pour les chantiers navals.

Deuxièmement, après nous avons fait une concertation. Une concertation très approfondie puisque par exemple pour ce qui est de la DCN, la direction des constructions navales, plus de 4 000 personnes ont été consultées sur la situation de la société, sur les méthodes à mettre en place afin d’assurer le redressement que ce soit dans le domaine économique, dans le domaine technique, dans le domaine social.

La troisième phase, c’est la phase de décision qui a été réalisée, qui a été effective dans ces deux secteurs puisque les plans sont en cours. Je précise qu’il n’y aura ni licenciements secs, ni restructurations qui amènerait l’élimination de tel ou tel secteur dans le domaine de l’armement. Nous allons mettre en oeuvre deux actions, une action d’accompagnement social, une action d’accompagnement économique : l’accompagnement social, ce sont mes mesures d’âge, par exemple les retraites anticipées, le temps partiel, l’organisation du temps de travail, les mesures de mobilité géographique, les mesures de mobilité professionnelle.

Et il y aura un accompagnement économique. Il sera énoncé d’une manière beaucoup plus précise avant la fin ce cette année 96 puisqu’un délégué aux exportations d’armements a été nommée et que le Gouvernement, sachant que l’avenir de ces entreprises repose non seulement sur le budget de la défense mais aussi sur les marchés extérieurs, voudrait développer les exportations. Vous voyez bien que nous sommes décidés, je dis bien décidé, à redresser ces entreprises et à garantir ainsi la pérennité des emplois qui seraient ainsi conservés.

Q. : Cela vaut-il aussi pour les sous-traitants de ces grands chantiers et de ces grandes entreprises ?

R. : Tout à fait. On a mis un système j’allais dire de surveillance, de l’état des sous-traitants et il y a au ministère un certain nombre de services qui sont en relations constantes avec les entreprises sous-traitantes, car on sait bien, que lorsque le chiffre d’affaire des chantiers navals ou le chiffre des arsenaux terrestres baisse, c’est souvent les sous-traitants qui trinquent ou qui paient. Je suis intervenu d’ailleurs au mois de juillet auprès du ministère des finances pour insister sur le fait qu’il convenait de les payer régulièrement afin qu’ils ne subissent pas, ces sous-traitants, les effets de la situation difficile. Il y a eu une somme de 4 milliards 500 millions qui a été dégagée pour les payer. D’autre part, il y a tout un plan de diversification qui est actuellement mis en place par la délégation interministérielle aux restructurations industrielles et nous souhaitons que dans les bassins d’emplois qui vont être concernés par des restructurations industrielles, il y ait un certain nombre d’investissements qui viennent diversifier le tissu et accompagner le redressement économique.

Q. : Alors on a bien vu depuis quelques mois qu’un grand mouvement se dessine dans l’industrie de défense. On a vu d’une part le président imposer un rapprochement en l’Aérospatiale et Dassault et puis maintenant le rapprochement Matra Thomson. Quelle est la prochaine étape ?

R. : Si vous me le permettez, je voudrais d’abord rappeler dans quel cadre se situent toutes ces restructurations. Tous les budgets de la défense dans le monde sont en baisse. La France n’est un pays exceptionnel. Les États-Unis, le Canada, l’Angleterre, l’Allemagne, je crois que tous les pays au monde ont baissé leur budget de la défense. Que c’est la conséquence des conditions géostratégiques, la chute du mur de Berlin et à partir de ce moment-là, nous n’avons pas besoin d’un budget de défense comme du temps de la guerre froide.

À partir du moment où les budgets de la défense ont baissé, les commandes d’armements baissent normalement. Donc, il est absolument indispensable de revoir les structures des industries d’armement. Il faut le revoir avec deux idées en tête : la première idée, c’est le maintien du tissu économique, c’est ce que François Dorsival vient de soulever et la deuxième idée, c’est la garantie de l’indépendance nationale car un pays qui serait obliger d’acheter toutes ses armes à l’extérieur ne pourrait plus avoir une politique autonome indépendante au niveau de la conception de sa défense.

C’est la raison pour laquelle le président de la République m’a demandé et a demandé à tout le Gouvernement de porter une politique de restructuration industrielle nationale et européenne. Et notre objectif, c’est de rétablir une base industrielle française dans le domaine de l’armement qui viendrait en suite participer à la construction d’une industrie européenne de défense. Nous avons un certain nombre d’actions en cours. Tout d’abord, le redressement des activités qui étaient en difficulté, je n’y reviens pas, c’est ce que je viens d’analyser ; deuxièmement, la constitution d’un pôle aéronautique, c’est la fusion entre Dassault et Aérospatiale, elle sera effective au premier janvier prochain ; c’est la constitution d’un pôle électronique. Elle est en cours cette constitution puisque le rapprochement de Matra et de Thomson a pour objectif entre autre de faciliter la constitution d’un pôle européen d’électronique professionnelle. Il y a la constitution enfin d’un pôle d’électromécanique qui s’appuiera sur les chantiers navals et sur le GIAT industries. Voilà en réalité quelle est notre politique. Notre politique se complète, ou plutôt se développe ou s’épanouit, à travers l’agence européenne d’armement qui est en germe dans l’agence franco-allemande qui a été décidée aux accords, aux… sommets franco-allemands de Baden Baden et de Dijon.

Q. : Ceci dit, le franco-allemand en ce moment, ce n’est pas le grand pied pour parler familièrement ?

R. : Je me porte en faux. Vous savez, on m’avait dit, l’affaire Matra Thomson va encore participer de nos difficultés éventuelles ou supposées avec l’Allemagne. Il n’y a pas de difficultés avec l’Allemagne. Il y a des discussions extrêmement fermes car les Allemands ont leur budget de défense qui a baissé, moins 7 milliards de marks. La France a son budget de défense qui a baissé puisque je le dis quand même pour les auditeurs, nous avons baissé notre budget de la défense française de 20 milliards de francs par rapport à la loi de programmation précédente. C’est-à-dire que nous avons engagé une baisse des dépenses publiques qui est considérable pour pouvoir permettre une baisse des impôts et une reprise de l’initiative économique dans notre pays.

Cette baisse, elle est entre les deux lois de programmations, la loi de programmation 1994 et la loi de programmation de 1995. Ça c’est le premier point. Le deuxième point, je précise pour ce qui est de l’Allemagne, il y a eu donc des discussions sur les programmes mais aujourd’hui, l’Allemagne et la France ont décidé de mener à bien tous les programmes engagés. Ces programmes c’est en particulier le programme Hélios, c’est-à-dire le programme de satellite de surveillance ; le programme Horus, le programme de radars de surveillance car nous savons que l’une des méthodes pour construire une Europe de l’armement c’est de parier sur une politique d’observation, une politique satellitaire dans le domaine de l’armement et la France et l’Allemagne sont décidés à donner à l’Europe une indépendance dans l’observation militaire. C’est la raison pour laquelle, nous avons décidé avec l’Allemagne de continuer la construction du satellite Hélios et du radar. Enfin, nous avons un certain nombre d’autres programmes qui sont en cours d’études, tels que le véhicule blindé, tel que l’avion de transport futur et là, les relations franco-allemandes sont au beau fixe.

Q. : Mais il n’empêche que dans la logique qui a conduit le Gouvernement à choisir Matra pour Thomson, il est évident que l’équilibre des relations entre la France et l’Allemagne d’une part que vous venez de souligner, et d’autres part, la France et la Grande-Bretagne a joué puisque ce sont nos deux grands partenaires.

R. : Non, pas du tout. Je précise que la France et l’Allemagne ont des accords dans les domaines des missiles et des satellites et que le groupe Matra Thomson va avoir des responsabilités dans le domaine des missiles et des satellites comme d’ailleurs, le ministère le souhaitait. Il y aura une compétition entre différents partenaires pour éviter le monopole. Car il faut dire les choses telles qu’elles sont. Si on laisse construire des monopoles, ce ne sont plus les politiques qui vont gouverner la politique d’armement, ça va être… Des monopoles d’industries d’armements en Europe. Ça sera en réalité l’industrie d’armement et nous auront deux pôles : un pôle Thomson Matra et puis un pôle entre l’industrie allemande représenté par DASA et l’industrie française représentée par Aérospatiale et j’ai confirmé à mon collègue, le ministre de la défense allemand que nous souhaitions que les accords entre DASA et Aérospatiale non seulement se perpétuent mais s’enrichissent et que l’agence franco-allemande d’armement puisse effectivement prendre en compte cette dimension.

Q. : Monsieur le ministre, l’un des grands principes dans la professionnalisation de l’année est la réforme du service national avec un nouveau service national et un rendez-vous citoyen. Vous y tenez beaucoup, on l’a dit tout à l’heure, vous l’avez fixé à cinq jours et beaucoup de gens disent que c’est beaucoup trop court à l’image d’Olivier Darazon, le rapporteur de la mission d’information de l’Assemblée nationale qui pense que cinq jours, ça rassemblera à un patronage. Le club 89 de Jacques Toubon qui souhaite que ce rendez-vous citoyen pour être efficace soit beaucoup plus long. Alors vous considérez vous que cinq jours c’est largement suffisant ? Qu’est-ce que vous allez mettre dans ce rendez-vous citoyen ?

R. : D’abord, je crois qu’il faut expliquer l’origine. On part d’une décision du président de la République de mettre en oeuvre une armée professionnelle. Une armée professionnelle, cela signifie qu’il n’y a plus de service militaire et qu’à partir de ce moment-là se présente la possibilité soit de faire un service civil obligatoire, soit de mettre en oeuvre un volontariat avec une période obligatoire très courte, avec un lieu de rencontre de tous les jeunes Français pour pouvoir affirmer leur adhésion au pacte républicain et en même temps, faire un bilan sur eux-mêmes et être informé sur les volontariats.

Or, ce rendez-vous citoyen dont vous venez de parler est ce moment fort. Nous souhaitons que ce rendez-vous ne provoque pas la lassitude de la part des jeunes Français, qu’au bout du rendez-vous, ils ne disent pas : « Enfin, c’est fini ». On souhaiterait qu’au termes de ce rendez-vous, ils disent : « Ah ! C’est déjà fini ». C’est-à-dire que ça soit un rendez-vous intense, une période de rencontre qui soit forte entre tous les jeunes Français. Et cette période aura trois parties, essentiellement :

Une partie, un bilan, c’est-à-dire qu’on va demander aux jeunes de faire le bilan sur eux-mêmes, bilan personnel, bilan médical, bilan professionnel, bilan culturel et c’est là où on verra qu’il y a un certain nombre de jeunes qui sont passés à travers les mailles du filet de la protection et du filet de la formation, qu’il y a des jeunes qui sont illettrés, qu’il y a des jeunes qui n’ont pas vu leurs handicaps physiques.

Q. : C’était les « trois jours » d’autrefois.

R. : Non mais, maintenant ce ne sont pas trois jours, c’est à peu près une demi-journée… Toute la jeunesse de la France va faire son bilan et l’État va les aider à faire ce bilan, c’est la première partie du rendez-vous citoyen.

Q. : Garçons seuls ?

R. : Garçons et filles à partir de 2002. C’est-à-dire toute la jeunesse. Ça va donner d’ailleurs l’occasion d’un brassage assez extraordinaire puisque vous allez avoir en France à peu près douze centres de rendez-vous citoyen où tous les jeunes qui auront 18 ans vont se rencontrer durant cette période.

Ensuite, vous allez avoir une information civique qui va s’inscrire dans un parcours civique. C’est-à-dire que nous avons convenu lors d’une réunion interministérielle, en particulier avec le ministère de l’éducation, que l’instruction civique devait être réhabilitée et qu’à un moment donné, il va y avoir une instruction civique, j’allais dire d’un nouveau type, où nous allons voir des Français venir témoigner de leur engagement dans la cité : des juges viendront leur parler de la justice ; des syndicalistes viendront leur parler des relations sociales et des syndicats ; des patrons viendront leur parler de l’initiative économique, des maires ou des élus locaux viendront leur parler de l’engagement dans la municipalité; des députés ou sénateurs leur parleront de l’organisation parlementaire en France, etc. Ça, ça va être un rendez-vous civique où la jeunesse de France va se rendre compte de ce qu’est la République, la démocratie, ce qu’est un pays de liberté, un état de droit.

Enfin il y aura une troisième partie et cette partie ce sera l’information sur le volontariat. Et je me permets d’insister sur cette partie parce que c’est sans doute la partie la plus nouvelle. Jusqu’à maintenant, la jeunesse de France subissait une obligation. C’était l’obligation du service national. On va lui demander d’assumer un volontariat. Et ce volontariat va avoir des formes diverses, trois formes essentielles :
    - la sécurité défense, et il va y avoir un effort extraordinaire qui devra être fait par les militaires pour pouvoir avoir des volontaires. Il faudra qu’ils viennent expliquer, ce que l’on y fait, comment l’on s’y épanouit ;
    - il va y avoir un volontariat social, de cohésion sociale, solidarité, et là on aura des associations de quartier qui viendront expliquer comment lutter contre l’illettrisme, comment lutter contre l’inégalité sociale ;
    - enfin, il y aura un volontariat coopération, aide humanitaire et là, c’est tout le problème du rayonnement de la France au sens profond du terme qui va être vécu par les jeunes.

Vous voyez que c’est une période qui, si on veut qu’elle réussisse, doit être intense. Elle doit permettre véritablement une sensibilisation forte de la jeunesse de France. Alors je n’aime pas bien quand on ironise sur cette période parce qu’on ironise un peu sur la communauté nationale, sur ce lien qui doit exister entre la nation et la jeunesse et nous voulons faire de ce moment-là un moment fort dans la vie républicaine et dans la vie démocratique.

Q. : Il y a des écueils : le premier, c’est que tout le contenu que vous donnez à ce rendez-vous, comment allez-vous le faire tenir en cinq jours et puis un autre écueil qui est votre réponse à ceux qui veulent voir ce rendez-vous s’étendre dans sa durée, c’est à un certain moment, de reconstituer une sorte de service national. Donc, comment allez-vous tenir entre ces deux écueils ?

R. : Je précise tout d’abord que la conscription n’est pas abolie, qu’elle existe puisqu’au rendez-vous citoyen tous les jeunes Français seront convoqués. Et que si demain, il faudra étendre la période pour pouvoir la transformer dans son contenu, un gouvernement pourra le faire. Mais j’insiste sur le fait que si vous étalez cette période où d’abord les jeunes vont commencer à s’ennuyer, où les jeunes vont commencer à constater qu’ils perdent leur temps dans un certain nombre de cas, ou… ceci va être une gêne pour leur vie étudiante, leur vie professionnelle, leur entrée dans la vie active et on va voir réapparaître les problèmes de report, les problèmes d’exemption et les problèmes d’inégalité des jeunes devant le rendez-vous citoyen. Or nous voulons que ce soit un rendez-vous universel, égalitaire où véritablement il y ait une mobilisation civique qui puisse se passer.

Q. : Dans ces rendez-vous, Monsieur le ministre, à chaque fois, ils se retrouveront à combien ?

R. : Actuellement, il est envisagé d’avoir à peu près douze centres en France et ce serait des rendez-vous où il y aurait 600 à 800 jeunes qui se retrouveraient, qui seraient encadrés par des cadres civils et militaires et je souhaite – l’autre jour, j’ai rencontré des syndicats d’enseignants – que les enseignants prennent toutes leurs responsabilités pour aider à l’instruction civique ou la formation sur les volontariats. Il y aura donc à peu près par centre 100 à 120, 150 personnes qui encadreront et qui permettront à ces jeunes d’avoir la rencontre que je viens d’indiquer.

Q. : Et c’est votre ministère qui va payer tout ça bien sûr ?

R. : Non, pas du tout. Le rendez-vous citoyen est une démarche interministérielle donc il y aura un partage des responsabilités, même financière entre les ministères.

Q. : Le partage financier est-il défini avec vos collègues ?

R. : Il sera défini au fur et à mesure puisque en 1997, le rendez-vous citoyen ne sera mis en place que d’une manière expérimentale dans trois centres et c’est à ce moment-là que l’on va en fait faire des évaluations… Il faut dire les choses telles qu’elles sont, je ne souhaite pas en tant que ministre avoir un projet de loi qui prévoit les moindres détails, je souhaite plutôt un texte qui prévoit les grands principes, les grandes lignes et qu’ensuite on puisse adapter ce rendez-vous citoyen en fonction de l’analyse pratique qui sera faite sur le terrain. Il y aura donc trois centres expérimentaux en 1997 et on en tirera toutes les conclusions.

Q. : Nous revenons donc au rendez-vous citoyen. Vous dites pour 1997, trois centres vont fonctionner, de manière expérimentale. Quelle est la date de départ en vraie grandeur des douze centres répartis sur le territoire national de telle sorte que les fermetures de régiment sont compensées ou pas et enfin comment allez-vous loger les jeunes gens que vous allez réunir pour ce rendez-vous ?

R. : Je précise que je parle d’un projet. Il va être affine et il sera soumis à l’Assemblée nationale, au Sénat et il pourra subir un certain nombre d’amendements et de modifications, donc je donne les grandes lignes du projet. Alors vous m’avez posé une première question :
    - premièrement, quand l’expérimentation devrait-elle commencer ? Ce sera en juillet 1997 ;
    - deuxièmement dans quels locaux ? Il est bien évident qu’on va se servir des anciennes casernes après les avoir réhabilitées, après les avoir transformées car nous souhaitons que ce soit un lieu d’éveil, de sensibilisation. Un lieu de rencontre dans ces anciennes casernes. Il va y avoir la mise en place de centres rendez-vous citoyen, ce qui permettra de compenser la dissolution de régiments dans un certain nombre de cas et c’est ce qui explique qu’il y a un certain nombre de villes qui ont vu ou qui verront leur régiments dissous et qui ne subiront aucune conséquence, fonctionnant en permanence douze mois sur douze et recevant environ 600 à 800 jeunes par semaine.

Q. : Je ne sais pas si c’est le moment mais, je voulais parler de la Bosnie-Herzégovine. Il y a une échéance importante, celle du 20 décembre avec la fin de la mission de l’IFOR. Que va-t-il se passer ?

R. : La position de l’armée française n’a jamais varié. Nous sommes venus dans le cadre de l’IFOR, avec les États-Unis, nous resterons dans le cadre de l’IFOR avec les États-Unis, mais nous partirons de Bosnie-Herzégovine si les États-Unis partent. Il n’est pas question pour nous, j’allais dire de faire bande à part comme certains l’ont laissé suggérer, il est pour nous question de répondre ensemble à une situation donnée. Il y a une échéance devant nous qui est le 20 décembre il y a les institutions qui se mettent en place. Nous souhaitons que la situation économique puisse être renforcée.

Pour l’après 20 décembre, la décision sera prise au niveau du conseil des ministres de l’OTAN et avec concertation au niveau des chefs d’États. Il y aura ensuite la déclinaison de cette décision au niveau du comité militaire et au niveau des états-majors. Je précise simplement que nous resterons tous ensemble et si nous partons il faudra à ce moment-là réfléchir aux modes et aux moyens de garantir la paix en Bosnie-Herzégovine. Je précise aussi, que si nous restons – l’Allemagne a déjà fait savoir et – c’est une nouvelle très importante – qu’elle souhaitait être présente avec la France en Bosnie-Herzégovine dans le cadre de la brigade franco-allemande. C’est une nouvelle extrêmement importante car l’arche de la défense est en train d’évoluer positivement puisque la brigade franco-allemande qui jusqu’à maintenant n’avait qu’une construction, j’allais dire du temps de paix et qui n’avait jamais été rendu opérationnelle le deviendra si la décision du comité militaire est de rester en Bosnie-Herzégovine.

Q. : Cela montre bien tout le problème des relations entre la France, l’OTAN, l’Europe. On sent bien en ce moment, dans nos relations avec les États-Unis et le fait que nous soyons retournés dans les structures militaires de l’OTAN qu’il y a là des positions qui ne sont pas clarifiées. Vous-même avez exprimé un certain nombre de demandes en ce qui concerne le commandement de l’OTAN en Europe et les Américains ne vous suivent pas. On voit bien d’autre part que les Américains ne suivent pas non plus les positions européennes que le président de la République française prend au Proche-Orient.

R. : La position de la France est claire, nous souhaitons l’affirmation de l’identité européenne de défense. Nous pensons que l’affirmation de l’identité européenne de défense se fera d’une manière, d’autant meilleure qu’elle se fera à l’intérieur d’une rénovation de l’Alliance atlantique. Pour nous rénovation de l’Alliance atlantique, affirmation de l’identité européenne de défense, se déclinent ensemble. Nous avons souhaité qu’il y ait une rénovation de l’Alliance atlantique pour que soit mieux affirmé le partenariat euro-américain. Alors il y a déjà eu des progrès tout à fait sensibles :
    - premièrement, les GFIM en sont un exemple. Je reconnais que cela est assez compliqué, ceci signifie simplement qu’il y a une structure plus souple pour pouvoir mobiliser les troupes à l’intérieur de l’OTAN sans qu’il y ait une direction américaine sur le terrain et qu’il y aura par contre soutien de ces forces même si les Américains n’y participent pas ;
    - deuxièmement, il y a l’option d’un adjoint européen au commandement de l’OTAN pour de ce qui est de l’Europe ;
    - troisièmement, il y a eu un accord sur le découpage des commandements en Centre-Europe entre Américains et Européens, il reste encore un certain nombre de problèmes qui sont les attributions des commandements aux Européens ou aux Américains.

Mais je crois qu’il faut être très clair. Pour la France ce n’est pas une négociation de marchand de tapis, nous voulons une rénovation de l’Alliance atlantique. Si cette rénovation n’arrive pas tout de suite, dans ce cas la France restera dans la situation où elle est, c’est-à-dire en dehors d’une Alliance intégrée, elle restera dans la position où le général de Gaulle l’a installée. Si par contre il y a une évolution effective, je dis bien concrète au niveau de l’organisation des commandements, au niveau de l’organisation de la gestion quotidienne de l’Alliance atlantique, à partir de ce moment-là nous reverrons notre position, car ce ne sera pas un retour (pour reprendre votre expression), ce ne sera une réintégration (pour reprendre l’expression d’un certain nombre de vos confrères), ce sera en fait une adhésion à une Alliance atlantique rénovée.

Q. : Mais là vous êtes bien en train de dire que ce n’est pas négociable.

R. : Il n’y a pas de conditions.

Q. : Les Américains disent « non », et je crois savoir que nous en avez parlé avec votre homologue américain et que les choses se sont passés de manière plutôt assez sèche.

R. : Vous savez, on est des hommes comme les autres et on est franc entre nous, quand on a envie de dire « oui », on dit « oui » et quand on a envie de dire « non », on dit « non ».

Q. : Là, c’est lui qui a dit « non ».

R. : Il a dit non dans l’état actuel des choses et je lui ai dit dans l’état actuel des choses. Mais simplement je crois qu’il faut le préciser, c’est que la France n’est pas demandeur : la France souhaite simplement que l’Alliance atlantique puisse se rénover pour permettre une meilleure affirmation de l’identité européenne de défense. Si véritablement les esprits ne sont pas mûrs, si les Gouvernements ne veulent pas faire évoluer les structures dans l’état actuel des choses, nous continuerons à tout mettre en oeuvre pour affirmer cette identité européenne de défense. D’ailleurs c’est ce que nous faisons dans le domaine de l’armement, c’est ce que nous faisons aussi dans le domaine d’organisations des forces européennes : Euromarfor, Euroforce, Eurocor, brigade franco-allemande. C’est un problème qui est important, je crois même qu’il est grave, au sens étymologique du terme, mais il faut rester très serein et c’est la raison pour laquelle nous l’avons dit à tous nos amis qu’ils soient Américains ou Européens. Nous, nous souhaitons qu’il y ait réorganisation de l’Alliance qu’elle intervienne quand elle doit intervenir, nous ne casserons pas la baraque pour autant.