Interview de M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, à RMC le 16 février 1999, sur la parité dans la fonction publique, la réduction du temps de travail et la modernisation de l'administration, la situation en Corse et la préparation de la liste unique pour les élections européennes.

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Circonstance : Remise du rapport de Mme Anne-Marie Colmou sur l'encadrement supérieur de la fonction publique à Paris le 17 février 1999

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

P. Lapousterle
Au fur et à mesure que les rapports paraissent, on dit de vous que vous êtes le ministre d'administrés qui ont la vie plus facile que les autres. C'est votre sentiment ?

E. Zuccarelli
- « Le fait d'avoir la sécurité de l'emploi est évidemment un avantage qui prend une valeur différente selon les époques. Cela dit, j'entends régulièrement fleurir des accusations en direction des fonctionnaires qui ne travailleraient pas, qui seraient surpayés. Je crois qu'il faudrait faire litière de ces imputations. Le rapport Roché, contrairement à ce qu'ont pu prétendre les gens qui l'ont lu en diagonale, n'a pas du tout établi que les fonctionnaires ne travaillaient pas. Au contraire, il a établi que dans leur immense majorité - il y a 4,5 millions de fonctionnaires, et on peut toujours sortir un cas marginal et faire des effets de manche - les fonctionnaires travaillent. Ils travaillent normalement, ils travaillent bien, ils travaillent au moins autant que les salariés au privé. Et je pense que cette imputation est tout à fait infondée. »

P. Lapousterle
Le rapport sur la SNCF, qui est sorti hier, dit : 25 % à 30 % de moins dans les heures travaillées.

E. Zuccarelli
- « Je pense qu'il appartient aux partenaires sociaux de la SNCF d'en discuter. »

P. Lapousterle
Est-ce que vous considérez comme normal, en tant que ministre de la fonction publique, que les avantages - la sécurité de l’emploi, une retraite supérieure, des salaires au moins égaux - doivent avoir une contrepartie ?

E. Zuccarelli
- « Non, ce sont des idées reçues. Je ne peux pas laisser dire que les fonctionnaires ... »

P. Lapousterle
La sécurité de l'emploi, ce n'est pas une idée reçue !

E. Zuccarelli
- « Oui, mais j'ai entendu dire que les fonctionnaires étaient, en moyenne, autant payés sinon plus que les salariés du privé. Mais, il faut quand même regarder ce que sont les fonctionnaires ! Dans les fonctionnaires d'État, vous avez 50 % de professeurs, donc des gens qui sont au niveau Bac +5. La moyenne des rémunérations se compare tout à fait normalement entre les fonctionnaires et le secteur privé. Mais si vous comparez, à formation égale, vous verrez que les fonctionnaires sont moins payés. »

P. Lapousterle
Le retraite : 37 ans et demi de travail au lieu de 40 ans pour le privé !

E. Zuccarelli
- « Le système est différent Les bases de la retraite ne sont pas les mêmes. Vous savez bien que la retraite ne s'appuie pas sur la totalité de la rémunération des fonctionnaires, puisque toutes les primes qui représentent quelquefois une partie importante de la rémunération ne sont pas prises en compte pour la retraite, Là aussi, il faut faire des comparaisons précises et ne pas parler de manière trop générale et floue. Lorsque M. Roché dit : les fonctionnaires travaillent entre 36 et 38 heures ou entre 35 et 37 heures, il fait un calcul très rigoureux. Il dit : quand je calcule le temps de travail hebdomadaire, je fais la correction des jours de congés supplémentaires que, dans certains cas, les fonctionnaires ont- on a parlé de la semaine-Malraux, la semaine du receveur. On corrige ! Et la durée de travail affichée c'est la vraie durée de travail, et je vous garantis que, dans tout le secteur privé - en particulier dans les grandes entreprises privées - il y a des systèmes qui sont tout à fait comparables. Et les fonctionnaires travaillent tout autant, sinon plus que d'autres. »

P. Lapousterle
Donc, pas de contreparties pour les quelques avantages dont les fonctionnaires disposent ?

E. Zuccarelli
- « Il faut arrêter d'instruire le procès de la fonction publique ... »

P. Lapousterle
Ce n'est pas un procès, c'est une constatation !

E. Zuccarelli
- « J’entends dire que les fonctionnaires sont des privilégiés. Les fonctionnaires ne sont pas des privilégiés. Ils travaillent, ils ont une tâche difficile, de plus en plus difficile avec tous les problèmes auxquels ils ont à faire face. Le service public, en France, est bien donné. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faille pas en permanence l'améliorer : il faut améliorer l'efficacité, moderniser les services publics. Et la perspective des 35 heures, dans laquelle les fonctionnaires doivent eux aussi s'inscrire, sa logique et son objectif, c’est de moderniser le service public pour mieux prendre en compte les besoins des citoyens."

P. Lapousterle
Est-ce que cela veut dire que les 35 heures va se faire sans embauches nouvelles ?

E. Zuccarelli
- « Nous le verrons. Ce que je dis c'est que la logique est différente. Dans le secteur privé, dans le cadre des lois Aubry, on réduit le temps de travail, on réorganise, on dégage les gains de productivité qui, par parenthèses, amènent des suppléments de recettes, et on crée de l'emploi. Dans la fonction publique, la logique est différente, parce que la productivité ne crée de recettes supplémentaires ; et que le chômage est apparu dans le secteur privé, alors que l'emploi public est quand même monté depuis environ 15 ans. Ce n'est pas le même objectif de départ. L'objectif est de moderniser le service public. »

P. Lapousterle
La parité arrive en seconde lecture à l'Assemblée nationale. Est-ce que dans la fonction publique, la parité va enfin s'instaurer ? Il n’y a un rapport de Mme Colmou qui dit que l'administration n'est pas en pointe sur cette question de la parité.

E. Zuccarelli
- « L'administration n'est pas en pointe. C'est vrai que vous devons faire un constat sévère à ce stade. La moitié des fonctionnaires sont des femmes. À l'ENA il y en a un tiers ; et dans la haute fonction publique, il n'y en a que 10 %. Donc, cela veut dire qu'il y a un gros effort à faire. Il y a plusieurs moyens d'y parvenir. Il faut jouer de plusieurs cordes à la fois. Le rapport que j'ai demandé à Mme Colmou, consiste à identifier les grains de sable, les mécanismes qui gênent cette progression normale des femmes vers la parité à tous les niveaux. »

P. Lapousterle
Vous allez fournir un effort particulier, rapide ?

E. Zuccarelli
- « Tout à fait C'est un objectif tout à fait important pour la fonction publique qui se modernise, et qui doit dans tous les domaines être à la mesure des enjeux de notre époque. »

P. Lapousterle
Dans combien de temps verra-t-on les changements ?

E. Zuccarelli
« Je vais vous dire progressivement. C'est une longue marche. Mais vous verrez très rapidement des résultats. »

P. Lapousterle
La Corse : vous êtes candidat aux élections territoriales. Est-ce que vous pensez que vous pourrez faire triompher les idées de la gauche ?

E. Zuccarelli
- « Je le pense, et je fais tout pour cela. Nous sommes dans une situation un peu particulière. Depuis un an, ce gouvernement est le premier dans l'histoire récente, il s'est mis en tête de faire que la Corse vive dans la loi républicaine, qui n'est pas imposée à la Corse, mais qui, au contraire, est un droit restitué à la Corse de vivre à l'abri de la loi. Parce que la loi ça protège, en particuliers les plus faibles. Un an d'application de la loi, c'est un changement formidable par rapport aux 25 années d'horreur et de… »

P. Lapousterle
Il paraît que, parfois, c'est appliqué avec une certaine brutalité ? Certains Corses s'en plaignent.

E. Zuccarelli
- « C'est un rodage inévitable. Il peut y avoir quelques excès : désagréments pour une partie de la population. C'est exact : là-dessus que les nationalistes, par exemple, fondent leurs ????? ou la droite qui a un comportement qui me préoccupe un ?????, essaye de surfer sur ces quelques irritations pour discréditer cette politique d'application de la loi qui est normale. Je dis que les Corses sont des gens de bon sens, et ils savent que discréditer l'application de la loi c'est couper toute perspective à la Corse. Et que la seule perspective pour la Corse, c'est d'arriver sur la rive en face. Il ne faut pas rester au milieu du gué. Il faut arriver à vivre normalement, et à ce moment-là, se développer. Je crois qu'il y a des choses à faire pour impulser un développement économique. La Corse a les moyens dès lors qu'elle vit dans la paix et dans la loi. »

P. Lapousterle
N’est-il pas nécessaire que les assassins du préfet Érignac soient arrêtés pour que les Corses soient persuadés que la loi revient définitivement sur l'île ?

E. Zuccarelli
- « C'est, en tout cas, éminemment souhaitable. Le Gouvernement ne ménage aucun effort pour y parvenir. Et je suis absolument persuadé que les assassins du préfet Érignac, et les commanditaires de cet assassinat affreux seront démasqués et châtiés. »

P. Lapousterle
C'est ce qu'on dit depuis 369 jours.

E. Zuccarelli
- « 369 jours. Vous avez un meurtre, qui remonte à dix ans, qui a été élucidé. Et les commanditaires de l'assassinat du président Kennedy n'ont jamais été trouvés. A travers ce que je peux savoir de ce dossier, l'enquête a fortement progressé. Et, elle aboutira. »

P. Lapousterle
Les élections européennes : vous êtes responsable du Parti radical de gauche. Est-ce que vous pensez que les conversations avec le Parti socialiste pour une liste unique, comme le souhaite F. Hollande, vont aboutir ? Dans quelle ambiance êtes-vous ?

E. Zuccarelli
- « Une ambiance de conversation sérieuse qui n'est pas totalement terminée. Nous verrons si nous pouvons aboutir à un accord. C'est une perspective qui est tout à fait possible. Mais nous trancherons le 6 mars. »

P. Lapousterle
C'est parce qu'on ne vous donne pas assez de places sur la liste ?

E. Zuccarelli
- « C'est un ensemble. Il y a les places sur la liste, après tout nous avons neuf sortants. Et puis, il faut discuter également du cadre politique. »

P. Lapousterle
Vous êtes optimiste ? Vous êtes près d'aboutir ou vous êtes dans la direction de créer votre propre liste ?

E. Zuccarelli
- « Optimiste, cela voudrait dire que j'ai un souhait… »

P. Lapousterle
Est-ce qu'il y a de bonnes chances que cela aboutisse ?

E. Zuccarelli
- « L'aboutissement est tout à fait dans le domaine du possible. »