Texte intégral
TF1 : Mercredi 29 mai 1996
TF1 : Il y aura beaucoup de départs, mais vous nous le confirmez, il n'y aura pas de licenciements ?
F. Fillon : Il n'y aura pas plus de départs qu'aujourd'hui, car France Télécom, ces dernières années, ne remplaçait pas la totalité des personnes qui partaient en retraite, et recrutait environ 1 500 à 2 000 personnes tous les ans. Pour les dix années qui viennent, France Télécom recrutera 3 000 nouveaux agents tous les ans pour rajeunir une pyramide des âges qui en avait besoin.
TF1 : Quel sera le statut pour ceux qui étaient des fonctionnaires ? Vont-ils le rester ?
F. Fillon : Les fonctionnaires vont rester fonctionnaires. Le Premier ministre s'y est engagé à plusieurs reprises, et ce point est très clairement précisé dans le projet de loi qui a été adopté par le conseil des ministres ce matin. Les fonctionnaires conserveront toutes les garanties qui sont attachées à leur statut, et en particulier, conserveront tous les droits à la retraite qu'ils ont acquis.
TF1 : Le statut qui va changer, c'est celui de France Télécom, qui ne sera plus une entreprise nationale, mais une société anonyme. Qu'est-ce que vous allez faire, vous tous, au gouvernement, de ce trésor de guerre qui va arriver avec la privatisation ?
F. Fillon : Vous savez, il n'y a pas vraiment de trésor de guerre dans la mesure où, pour permettre à France Télécom d'affronter la concurrence, l'État va reprendre à sa charge la totalité des retraites des personnels fonctionnaires de France Télécom. C'est une charge énorme qui était aujourd'hui complètement assumée par l'entreprise, qui désormais, paiera des cotisations retraites comme toutes les entreprises du secteur privé. Les recettes de privatisation – quand elles viendront – compenseront très partiellement cet effort de l'État pour donner à notre champion national des capacités pour rayonner, non seulement en France, mais aussi en Europe et sur les autres marchés mondiaux.
TF1 : On peut imaginer que France Télécom appartienne désormais à un seul opérateur privé ?
F. Fillon : Non, l'État restera majoritaire au capital de France Télécom. L'État conservera 51 % du capital de France Télécom. C'est une condition pour permettre à l'entreprise de continuer à assumer des missions de service public. C'est aussi une condition pour permettre à des fonctionnaires de travailler dans cette entreprise, qui sera désormais une société commerciale, avec des règles de gestion comme les entreprises du secteur privé, et avec un actionnaire qui sera l'État et des obligations de service public.
TF1 : Peut-on s'attendre à des baisses de tarifs, comme cela s'est fait en Grande-Bretagne ?
F. Fillon : C'est largement pour les utilisateurs que le gouvernement a engagé cette réforme. Elle va se traduire par des baisses de tarifs, pour tous les tarifs. Elle va se traduire par une offre de service accrue. On voit, aujourd'hui, dans les pays libéralisés, que les opérateurs offrent beaucoup plus de services et pour des tarifs qui sont globalement – si l'on prend l'exemple de la Grande-Bretagne ou de la Suède – 30 % inférieurs à ceux de France Télécom, aujourd'hui, en France.
France Inter : Mercredi 29 mai 1996
France Inter : Outre vos fonctions ministérielles, vous êtes aussi un excellent connaisseur des questions militaires, puisque vous avez été, entre autres, président de la commission de la défense à l'Assemblée nationale. Je me suis laissé dire que, dans les années 80-90, vous n'aviez pas été pour rien dans la conversion ou dans l'adhésion de J. Chirac à la notion d'armée professionnelle. Est-ce que vous vous souvenez quand et surtout sur quels arguments vous avez emporté le morceau ?
F. Fillon : J'ai commencé, en 1986, à tenter de convaincre le RPR qu'il fallait prolonger la réforme du général de Gaulle, celle de la dissuasion qui, au fond, portait en germe l'abandon de la conscription. Et c'est après la chute du mur de Berlin, en 1991, que lors d'un conseil national du RPR, j'ai réussi à obtenir, avec d'autres – et notamment avec P. Messmer – que J. Chirac fasse de la professionnalisation un des thèmes principaux de la politique du RPR à partir de cette date.
France Inter : Mais la professionnalisation est incompatible avec le maintien d'un service national pour tous ?
F. Fillon : Oui, sauf avoir une armée d'un million d'hommes, ce qui n'est pas dans l'air du temps, une armée professionnelle ne peut pas être consacrée, pour l'essentiel, à l'encadrement des recrues. Il faut qu'elle soit opérationnelle.
France Inter : Cette professionnalisation de l'armée fait quand même quelques nostalgiques, il n'y a pas de débat extraordinaire, mais il y a des nostalgiques qui disent que ce service national était une sorte de melting-pot social qui avait son utilité pour la rencontre de jeunes d'origines différentes. Qu'avez-vous à leur répondre, est-ce que le fameux rendez-vous civique va remplacer cela ?
F. Fillon : Ils sont tellement nostalgiques qu'ils rêvent d'une période qui a disparu depuis très longtemps. En réalité, le service national était devenu une grande injustice au plan social, depuis des années. Comme les armées n'avaient pas l'emploi des 300 000 garçons que constitue chaque année une classe d'âge, un très grand nombre d'entre eux était soit dispensé, soit affecté à des tâches qui étaient bien peu militaires. Et en réalité, le vrai service militaire était fait, de plus en plus, par des jeunes de catégories sociales défavorisées, qui n'avaient pas trouvé le moyen d'échapper à ce qui était considéré comme une corvée.
France Inter : On dit aussi beaucoup que des jeunes d'origine étrangère, maghrébine notamment, n'étaient pas pris, pour éviter… ?
F. Fillon : Il y en avait qui n'étaient pas pris, il y en avait d'autres qui, comme vous le savez, faisaient leur service dans leur pays d'origine. En réalité, la notion de melting-pot était complètement dépassée depuis le milieu des années 70, depuis que l'armée est descendue en dessous du chiffre 700 000 ou 600 000 hommes. C'est très simple à comprendre, 300 000 jeunes garçons qui doivent faire leur service militaire, si l'armée ne fait plus que 500 000 hommes, comme il faut quand même quelques professionnels, on ne peut pas les prendre tous et du coup, on envoie tous ceux qui le veulent, finalement, faire des formes de service militaire ou civil qui sont très éloignées du melting-pot auquel pensent les nostalgiques que vous évoquez.
France Inter : Une précision sur le calendrier, qu'est-ce qui va se passer pendant ces cinq ans, entre le 1er janvier 1997 et 2002 ? Il y a quand même une petite période de flou, j'ai l'impression que ça n'est pas très clair, qui va faire son service, en dehors des sursitaires et des volontaires ?
F. Fillon : On ne peut pas retirer brutalement à l'armée toute la ressource que représente la conscription, il faut le faire de manière progressive. Donc, au 1er janvier 1997, tous ceux qui auront 18 ans, en gros, à cette date-là ne feront plus de service militaire. Pour les autres, pour ceux qui sont nés avant le 1er janvier 1979, le service militaire continuera comme aujourd'hui, sans doute avec une décroissance de la durée, chaque année, jusqu'en 2002.
France Inter : Vous êtes dans l'actualité pour une autre raison, puisque vous présentez aujourd'hui au conseil des ministres, et cette fois en tant que ministre de La Poste et des télécommunications, un projet de loi réformant le statut de France Télécom ; on l'attend depuis longtemps mais on a encore en mémoire le changement de statut de 1990, qui avait été longuement négocié. Cela va devenir une société anonyme à capitaux majoritaires d'État. Qu'est-ce que ça change, est-ce que c'était vraiment indispensable ?
F. Fillon : Ça change tout. France Télécom, aujourd'hui, est une structure administrative et France Télécom va devoir, à partir du 1er janvier 1998, se battre avec des géants en matière de télécommunications, qui sont tous, sans exception, des sociétés commerciales, des sociétés anonymes, privés ou à capitaux publics. Il fallait, pour que France Télécom puisse affronter cette concurrence dans de bonnes conditions, que France Télécom ait le même statut que ses concurrents, c'est-à-dire les mêmes règles de gestion. On sait bien qu'une société commerciale n'est pas gérée comme une administration. Il fallait que France Télécom puisse échanger des participations croisées avec des alliés, je pense à Deutsche Telekom, par exemple, et à l'américain Sprint. Et il fallait aussi que France Télécom clarifie ses relations avec l'État. Personne ne peut s'appuyer sur une société publique qui entretient des rapports aussi ambigus avec l'État. Comment voulez-vous que Deutsche Telekom ou Sprint puisse conclure une alliance durable avec France Télécom, en sachant que l'État, au gré des majorités, au gré du contexte économique, peut changer de politique ? C'est pour toutes ces raisons qu'il fallait donner à France Télécom un vrai statut d'entreprise.
France Inter : Il y a aussi le problème des personnels, les retraites seront prises en charge par l'État. J'avais compris qu'on recrutait des fonctionnaires jusqu'en 2002. Et finalement, ce n'est pas aussi simple que ça ?
F. Fillon : À partir de la promulgation de ce texte, lorsqu'il aura été voté par le Parlement, France Télécom pourra recruter des personnels, comme toute société du secteur privé, c'est-à-dire des personnels de droit privé. France Télécom pourra, jusqu'en 2002, continuer à recruter un certain nombre de fonctionnaires, de manière à ce qu'il y ait une transition entre la période où France Télécom ne recrutait que des fonctionnaires et la période où France Télécom deviendra une entreprise comme les autres.
France Inter : Il y aura deux statuts ?
F. Fillon : De toute façon, il y aura deux statuts, puisqu'il y a aujourd'hui 170 000 fonctionnaires, qui vont rester fonctionnaires jusqu'à la fin de leur carrière. Le président de l'entreprise a négocié avec plusieurs organisations syndicales, un chiffre de recrutement, jusqu'en 2002, de fonctionnaires, qui est de 4 500. Chiffre qui est à mettre en rapport du nombre de recrutements que France Télécom devra faire pendant cette période, qui sera beaucoup plus important parce que France Télécom va mettre en place, avec l'appui du gouvernement, un système de départs anticipés qui va concerner 20 000 ou 25 000 personnes.
France Inter : Dans la logique que vous avez développée pour justifier ce changement de statut, comment pouvez-vous dire qu'on ne va pas tout droit vers la privatisation ?
F. Fillon : On ne va pas tout droit vers la privatisation pour deux raisons. La première, c'est que France Télécom conserve des missions de service public, qui ont été clairement précisées dans la loi de réglementation des télécommunications que j'ai présentée au conseil des ministres, il y a moins de deux mois et qui a déjà été adoptée par l'Assemblée nationale ; et ensuite, parce que l'État restera propriétaire de 51 % du capital de France Télécom. Et l'État restera propriétaire longtemps de 51 % du capital de France Télécom, parce que France Télécom emploie des fonctionnaires et que dans notre droit français, en particulier au regard des principes constitutionnels, on ne peut pas mettre à disposition d'une entreprise privée des fonctionnaires ; il faut que cette entreprise ait des missions de service public et qu'elle soit majoritairement détenue par l'État.