Interviews de M. Eric Raoult, ministre délégué à la ville et à l'intégration, à Europe 1 et dans "Le Figaro" du 20 juin 1996, sur la lutte contre le Front national et sur le Pacte de relance pour la ville.

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Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Europe 1 - Le Figaro

Texte intégral

Date : jeudi 20 juin 1996
Source : Europe 1/Édition du Matin

Europe 1 : Vous étonnez-vous de l’entrée du FN dans les organismes HLM ?

E. Raoult : Ils sont rentrés à 18. Il y a 1 500 élus.

Europe 1 : Il n’y avait que 30 candidatures.

E. Raoult : C’est vrai, mais ce n’est pas une déferlante. Mais ça montre une chose : le RPR et l’UDF auraient dû être beaucoup plus présents. C’est souvent comme ça : quand on n’est pas là, eux se pointent.

Europe 1 : Quelle définition donnez-vous du FN ? Une quarantaine de personnalités politiques ont été consultées en réponse au droit de réponse obtenu par le FN dans la presse.

E. Raoult : C’est un parti d’extrême-droite. Quand on invite à son congrès M. Schönhüber, quand on assiste au mariage de M. Jirinovski, quand on vend des médailles nazies à ses réunions électorales on n’est pas modéré, on est carrément d’extrême-droite. Donc, le FN est à la droite de la droite. En plus, il aide parfois la gauche.

Europe 1 : Vous aviez qualifié dans Le Figaro le FN de « chiendent de la politique ». C’est de la mauvaise herbe ?

E. Raoult : Ça veut dire que, quand vous ne cultivez pas un endroit, lorsque vous laissez les choses aller, les mauvaises herbes apparaissent. Il faut donc cultiver les quartiers. Il faut lutter contre l’exclusion, parce que sinon, eux sont présents. Les extrémises de tout poil ont toujours apporté de faux espoirs à la population en détresse.

Europe 1. : Le chiendent, ça s’arrache, non ?

E. Raoult : La mauvaise herbe, il faut la couper lorsque c’est possible et il faut cultiver le terrain, parce que, quand on oublie de cultiver le terrain, ce sont ces mauvaises herbes qui apparaissent.

Europe 1. : N’y a-t-il pas un risque électoral à tenir de tels propos dans la perspective de 1998 ?

E. Raoult : Nous, on est net. J’aimerais que tout le monde le soit tout autant. Pendant des années, on a peut-être dit un certain nombre de bêtises sur le FN. Mais maintenant, je m’aperçois simplement d’une chose : les triangulaires, servent plutôt le PS. Quand le PS est élu grâce aux voix du FN, il ne fait pas la fine bouche et oublie les grandes thèses et les grandes propositions qu’hier il pouvait être amené à proposer en ce qui concerne notamment la lutte contre le FN.

Europe 1 : Donc, comme le disait M. Noir, mieux vaut perdre une élection que son âme ?

E. Raoult : Il vaut mieux gagner les élections en gardant son âme.

Europe 1 : Lutter contre le FN, c’est lutter contre la fracture sociale ?

E. Raoult : Quand le président de la République a placé cette nécessité impérative pour la société française de n’oublier personne sur le bord du chemin, il avait une façon efficace de lutter contre le FN. D’ailleurs, on l’a bien vu au moment des élections présidentielles : M. Le Pen aurait souhaité que M. Jospin soit élu.

Europe 1 : S’il fallait arbitrer en 1998, vous iriez contre le FN partout où il se trouverait, quitte à faire passer les socialistes ?

E. Raoult : Nous irons tout à la fois contre la PS en disant « attention, ils ne peuvent pas revenir parce qu’ils n’ont pas de propositions », et nous dirons également face au FN à l’ensemble de nos compatriotes « attention, si eux arrivaient, ils ne partiraient plus jamais ».

Europe 1 : Sur un deuxième tour, entre le PS et le FN, que faire ?

E. Raoult : Pour les deuxièmes tours, dans le plus grand nombre de circonscriptions, grâce au bilan du gouvernement d’Alain Juppé et pour faire réussir la présidence de J. Chirac, la droite républicaine – parce qu’il y a les républicains et ceux qui ne le sont pas – le RPR et l’UDF seront bien placés pour recueillir l’ensemble des suffrages. Alors, on demandera au PS : « voulez-vous toujours rester l’opposition ou voulez-vous éviter que les autres arrivent ? »

Europe 1 : En Seine-Saint-Denis, le FN est arrivé à 40 % dans certains cas.

E. Raoult : Dans certains cas, il a même menacé de prendre une ville, Clichy-sous-Bois. Je m’aperçois d’une chose : tout ce que l’on peut faire avec J.-C. Gaudin au quotidien au niveau du ministère de la Ville, ça les gêne beaucoup.

Europe 1 : Pourquoi, autrefois, étiez-vous supposé avoir des sympathies pour l’ultra-droite alors que vous tenez de propos plus tranchés aujourd’hui ?

E. Raoult : On a un drapeau tricolore. Si le FN dit que c’est leur drapeau, on ne va pas changer le nôtre. Il y a des problèmes d’immigration, c’est vrai. Si aujourd’hui J.-L. Debré, plutôt que de parler, agit, c’est aussi une réalité. Il y a des problèmes d’insécurité qui sont bien souvent ceux des métropoles. L’ignorer serait se cacher les yeux. Mais en l’occurrence, aujourd’hui, nous avons bien compris une chose : la droite républicaine veut améliorer la situation, mais le FN veut qu’elle empire.

Europe 1 : Votre projet de loi d’intégration urbaine est devant l’Assemblée. Les maires auront-ils vraiment les moyens de votre politique ?

E. Raoult : Nous avons écouté, avec J.-C. Gaudin, pendant le début de ce débat, des maires socialistes être gênés. On a une opposition commise d’office sur ce texte, parce qu’elle défend avec peu d’empressement un certain nombre d’idées qu’elle n’a pas eues pendant des années. La politique de la ville, c’est parfois les socialistes qui l’ont inventée, mais c’est nous qui la réalisons. Eux ont expérimenté ; nous, nous pérennisons.

Europe 1 : Vous annonciez un plan Marshall des banlieues et on entend à l’Assemblée que c’est un petit catalogue de bonnes intentions.

E. Raoult : Le plan Marshall, c’était l’objectif en 1946-47, c’était retrouver l’espoir pour éviter que le communisme ne déferle sur l’Europe. C’est un peu toujours la même chose. On a l’esprit Marshall en tête mais on a les moyens qui sont aujourd’hui ceux d’un pays qui doit parfaire une politique de la ville après deux septennats socialistes.

Europe 1 : Dans le plan Marshall, il y avait des moyens, il y avait des tracteurs pour les agriculteurs. Vous n’avez pas de tracteur, vous.

E. Raoult : Non, on a des zones franches, des emplois de ville et on va essayer de faire en sorte que, comme les tracteurs du plan Marshall, on puisse défricher ces quartiers qui sont parfois des quartiers oubliés.

Europe 1 : Pourquoi n’avez-vous pas créé des conseils de quartier mais seulement des comités consultatifs ?

E. Raoult : Entre les soviets et l’absence de démocratie, nous avons choisi la moyenne. Ce seront des comités d’initiative et de consultation des quartiers. Ça marche à Marseille, à Amiens, à Paris, à Lyon et dans d’autres villes. Ce que nous voulons faire, c’est modérément, avec une vision réaliste de la politique locale, associer les habitants des quartiers tout en respectant l’autorité et la légitimité du maire.

Europe 1 : Les maires qui préconisent la suppression des allocations familiales pour les mineurs délinquants récidivistes, qu’en pensez-vous ?

E. Raoult : Il y a un certain nombre d’élus locaux qui ont fait une proposition de responsabilisation. Je crois qu’elle est peu à même d’être introduite dans ce projet de loi. Elle existe déjà dans le code des allocations familiales pour ce qui concerne la rupture scolaire d’un certain nombre d’écoliers. Ce qu’il faut, c’est évident : on ne peut pas, avec l’État, avec les élus, oublier que c’est la famille qui règle bien souvent plus les problèmes des foyers que les autorités locales ou nationales.

 

Date : 20 juin 1996
Source : Le Figaro

Le Figaro : Pensez-vous que majorité et opposition doivent s’unir contre la Front national, comme samedi dernier à l’initiative de François Léotard ?

E. Raoult : Oui, mais en restant chacun chez soi et en ne mélangeant pas les socialistes, responsables du phénomène, et la majorité qui en est victime. J’ai pu observer la montée du Front national dans mon département de la Seine-Saint-Denis où il a rassemblé jusqu’à 39 % des voix lors des dernières élections législatives. Qui est bien souvent l’électeur du FN ? Je serais tenté de dire : « Un brave type qui en a marre de se faire prendre pour pauvre type ». Quelqu’un qui rencontre des difficultés, qui a l’impression d’être oublié et qui ne parle pas obligatoirement une petite moustache et une mèche sur le front.

Attention ! Je ne veux pas dire par là qu’il faut s’apitoyer sur un vote qui peut être dangereux. Mais il faut bien voir que sur le terrain – je ne parle pas de l’expression publique – le FN est avant tout un parti attirant à lui ceux qui se sentent oubliés, ceux qui pensent que l’on a mis en valeur des exclus en laissant de côté les autres.

Le parti de Jean-Marie Le Pen est comme une mauvaise herbe, c’est le chiendent de la vie politique. Il s’insinue dans les infrastructures de la société. Quand il y a une cassure, quand se révèlent des carences et des oublis de l’action publique, il apparaît. Plus ça va mal, plus le FN va mieux. Sur fond de commerce se développe sur les vitrines brisées. C’est le parti des friches humaines.

Face à cette situation, il faut bien évidemment continuer à mener des actions de rattrapage social, de discrimination positive des quartiers. Mais il ne faut pas oublier « les quartiers d’à côté ». Il faut
Continuer à mener une action en faveur des jeunes, mais ne pas oublier aussi qu’il y a u quart-monde français. Réduire la fracture sociale, c’est aussi réduire la montée du FN.

Le Figaro : À vous entendre, les électeurs du FN sont de pauvres gens et seuls ses dirigeants sont condamnables ? C’est une manière comme une autre de tenter d’attirer ces électeurs…

E. Raoult : Non ! Il ne s’agit absolument pas d’attirer les électeurs du FN. Ils sont majeurs, mais ils se trompent ! Les culpabiliser ne suffirait pas à les faire changer. Il faut les secouer et leur ouvrir les yeux. Je constate simplement, et je ne suis d’ailleurs pas le seul, que les dirigeants du FN avancent de fausses solutions à de vraies questions qui se posent à notre société. L’électeur mécontent le manifeste en votant FN. A nous de remobiliser ces électeurs, de savoir nous adresser à eux, et de leur faire croire de nouveau à la politique. Face aux semeurs de haine il nous faut réimplanter l’espoir !

Le Figaro : Jean –Marie Le Pen refuse que l’on désigne son parti comme étant d’extrême droite. Qu’en pensez-vous ?

E. Raoult : Il est évident que le Front national est un parti d’extrême droite. C’est un parti extrémiste qui ne renie ni ne renonce à ses attaches et ses références ! Il n’a jamais condamné ses militants qui ont tué ou qui ont conduit des actions particulièrement violentes. La vérité est gênante mais elle est bonne à dire.

Le Figaro : Faut-il dépasser les clivages droite-gauche pour contrer la montée du FN ?

E. Raoult : Je pense que l’image de François Léotard à côté d’Élisabeth Guigou ne fait pas baisser les scores de Jean-Marie Le Pen, mais risque de brouiller le message. Ce n’est pas le verbe, même brillant, qui fera diminuer les scores de ce parti, mais la présence sur le terrain. En outre, je crois qu’il y a une façon de droit et une façon de gauche d’appréhender ce dossier. Le Front national c’est un peu une manipulation génétique du socialisme. Sa marque de fabrique c’est « merci Tonton ». On en est arrivé là parce que François Mitterrand a joué avec le FN : avec le mode de scrutin, le droit de vote des étrangers, le laxisme migratoire. La gauche s’est servie de Le Pen comme d’une marionnette qu’elle n’a cessé d’agiter pour diviser la droite. Elle a tout intérêt à parler du FN et le FN a tout intérêt à voir revenir les socialistes au pouvoir.

Dans ce contexte, la réponse de la droit doit être ferme. La majorité doit dire que le FN est fort en gueule mais pauvre en solutions. Elle doit affirmer haut et fort que voter pour ce parti est inefficace et dangereux. Parce que cela peut conduire à tout et parce que sa politique ne mène à rien. C’est un vote sans issue, un cul-de-sac politique. L’union sacrée contre le FN, on doit la faire chacun dans son camp. Il n’y aurait rien de pire que de montrer que nous sommes tous ensemble d’un côté et qu’eux sont seuls en face. Si on fait croire que le FN est une alternative, on finira par lui donner une crédibilité dans l’alternance. Or le FN n’est pas une alternative et nous ne pouvons pas le laisser se présenter comme l’incarnation d’une alternance.

Le Figaro : Le danger pour les législatives, c’est le PS ou le FN ?

E. Raoult : Les deux, mon général. On devra se battre sur les deux fronts. D’un côté, il faudra dire « attention ils reviennent ». De l’autre « non ils ne peuvent pas passer » sinon ils ne partiraient plus. Bref, en 1998 il faudra tout à la fois se battre contre un PS qui n’a plus vraiment d’idées et contre un FN, qui, même s’il se met une peau de mouton, a toujours de grandes dents.

Europe 1 : Vous ne croyez pas que le Parti socialiste puisse renaitre de ses cendres ?

E. Raoult : Le PS est raplapla. Il devient socialo-rétro-rigide ! Moins il a d’idées, plus les dirigeants aboient. Mais la polémique à tout crin n’a jamais constitué une vraie politique. Lionel Jospin aura bien du mal à faire passer par « pertes et profits » les années de gestion socialiste qui ont conduit notre pays vers la fracture sociale. Je le vois d’ailleurs en ce moment sur la politique de la ville ! Les députés socialistes critiquent notre pacte de relance pour la ville, mais sont totalement incapables d’avancer des propositions constructives. Or, quand on est dans l’opposition et que l’on n’est pas contraint par la gestion des affaires du pays, c’est le moment privilégié de travailler à des propositions de réformes. Force est de constater que sur la politique de la ville, sur la fiscalité, sur la défense ou sur la protection sociale, il n’y a pas de contre-projet socialiste à la politique Juppé. Où sont leurs propositions ?

Europe 1 : Sur la ville justement, on attendait un plan d’une autre ampleur. On a oublié le plan Marshall…

E. Raoult : On attendait Marshall, on a eu Gaudin-Raoult. Mais nous arrivons tout de même à tirer notre épingle du jeu !

Jacques Chirac a été l’élu des banlieues et il s’en est souvenu. Rappelons-nous que nous avions envisagé la création de 10 000 emplois de ville, et qu’on en a obtenu 100 000. Il devait y avoir une quinzaine de zones franches à titre expérimental, il y en aura finalement 38 en métropole.

Nous avons, non seulement poursuivi l’effort urbain de nos prédécesseurs, mais aussi donné un coup de pouce en termes de moyens et d’imagination. Notre pacte est un moyen de faire renaître l’espoir. Pour la ville et pour la République, ce n’est pas seulement une question de moyens mais de volonté et de savoir-faire. Nous les avons !