Interviews de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, dans "Le Parisien" le 20 mai et à RMC le 21 mai 1997, sur la situation au Zaïre, et sur l'incidence d'une éventuelle cohabitation après les élections législatives sur la réforme des institutions européennes et sur l'Union économique et monétaire.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Elections législatives les 25 mai et 1er juin 1997

Média : Emission Forum RMC FR3 - Le Parisien - RMC

Texte intégral

Date : 20 mai 1997
Source : Le Parisien

Le Parisien : Quel est votre jugement sur cette « non-campagne » électorale ?

Hervé de Charette, ministre UDF des Affaires étrangères : Au moins les enjeux sont-ils désormais clairs. Les socialistes – qu’il s’agisse de la création d’emplois artificiels ou de l’éternelle affaires des 35 heures payées 39 – ne proposent rien qu’ils n’aient déjà mis à l’épreuve dans le passé. En échouant chaque fois.

Pour le reste, nos concitoyens ont exprimé à nouveau ce qu’ils avaient déjà laissé transparaître : une certaine frustration que les choses n’aient pas bougée aussi vite qu’ils l’espéraient après l’élection de Jacques Chirac, en 1995. Mais il nous a bien fallu commencer à régler les factures des quatorze années de présidence socialiste, en commençant – excusez du peu ! – par un déficit budgétaire multiplié par onze en quatorze ans…

Le Parisien : Pour les Français, le « tour de vis » n’est donc pas fini…

Hervé de Charette : Erreur. La question des déficits est aujourd’hui, au moins pour l’essentiel, réglée : une nouvelle étape est donc devant nous. Ce que nous proposons, c’est le retour à la croissance. Si l’on veut que la politique retrouve du sens, tout doit être orienté vers cet objectif central et déterminant. Soyons en effet conscients que, depuis dix ans, la croissance française n’a été, en moyenne, que de 1 %. Autrement dit, toujours inférieure à la croissance moyenne en Europe.

Le Parisien : Vous souhaitez davantage de « libéralisme » ?

Hervé de Charette : Je n’aime pas ce mot. Comme tous les mots en « isme », il exprime une idéologie. Ce qui est important pour la France, ce n’est pas de réutiliser pour la centième fois des solutions qui ont échoué, c’est de regarder la réalité en face. Pour nous adapter. Pour bouger.

Le Parisien : Les électeurs disent : et le chômage ?

Hervé de Charette : Mais le vrai remède au chômage c’est justement le retour à la croissance. Même si, par ailleurs, Philippe Séguin a tout à fait raison de souligner qu’il existe aussi, comme il dit, de « formidables gisements d’emplois » dans le secteur social. La France a tout pour réussir.

Le Parisien : L’Europe ne continue-t-elle pas de diviser la majorité ?

Hervé de Charette : Non. Car, chez nous, la page de Maastricht est définitivement tournée. Il y a, entre nous, un accord général sur la nécessité de faire la monnaie unique. Puisque cette monnaie aura, notamment, des effets directs sur l’emploi.

À gauche, en revanche, c’est le brouillard : non seulement le PS est allié avec le PC et le Mouvement des citoyens qui disent « non » à l’euro, mais les socialistes posent maintenant des « conditions » à la mise en place de cette monnaie. Il faut être clair : une victoire de la gauche entraînerait automatiquement une crise en Europe. Et elle provoquerait en plus, forcément, une crise entre le président et le nouveau gouvernement.

Le Parisien : Giscard souhaite que la France soit « gouvernée autrement »…

Hervé de Charette : Les Français veulent une étape nouvelle. Et je les comprends. D’abord, tout doit être désormais fondé sur la recherche de l’emploi par la croissance. Ensuite, la façon de gouverner doit faire davantage place au dialogue avec nos concitoyens. La France a besoin d’une vraie révolution des attitudes et des mentalités.

Il faut tordre le cou à tout ce qui paralyse l’initiative. Il faut aborder de front la question des charge qi bloquent dramatiquement la création d’emplois. Il faut une mesure massive concernant les bas salaires. Bref, il faut une révolution de l’État. Car l’heure n’est pas aux demi-mesures, aux petites étapes, aux petits pas, au peu à peu. Il faut que la majorité l’emporte mais si nous n’allions pas assez loin et assez vite, il ne faudrait pas s’étonner que, derrière la crise sociale, s’ouvre alors une crise politique. La France, c’est criant, a besoin d’un nouvel élan.


Date : 21 mai 1997
Source : RMC

Question : Monsieur le Ministre, quelques mots sur le Zaïre, devenu République démocratique du Congo. Deux hommes d’affaires français connus ont été assassinés hier par des hommes en uniforme. Avez-vous des soupçons sur les assassins ? Y aura-t-il des conséquences ?

Réponse : Je ne peux pas exprimer ici de soupçons à l’égard de qui que ce soit. Simplement, les nouvelles autorités du Zaïre, je le rappelle solennellement, ont la responsabilité à l’égard de la communauté internationale d’assurer le bon ordre et la sécurité, et notamment, le bon ordre et la sécurité pour les ressortissants étrangers, et tout particulièrement pour les ressortissants français.

Question : Y voyez-vous un acte de vengeance contre la politique française au Zaïre ?

Réponse : Non, je ne crois pas que l’on puisse dire cela. Mais, je n’ai pas pour l’instant d’informations qui me permettent de porter un jugement sur les circonstances de ce drame.

Question : Quand la France reconnaîtra-t-elle le nouveau régime, ce qui a été déjà fait par plusieurs pays étrangers ?

Réponse : Je ne vois pas ce que cela signifie. La France reconnaît des États, elle ne reconnaît pas les Gouvernements. En d’autres termes, nous avons déjà pris acte de ce qui s’est passé au Zaïre et maintenant nous attendons de ces nouvelles autorités qu’elles prennent les dispositions nécessaires.

Vous savez, il y a un temps pour la guerre, y compris pour les guerres civiles, et un temps pour la paix. Donc, si le Zaïre, pardon le Congo, veut sortir de cette crise, il est grand temps que soit constitué un Gouvernement d’union nationale qui rassemble l’ensemble des forces politiques et que s’organise un processus démocratique qui est seul capable de préparer l’avenir.

Je resterai profondément troublé par l’indifférence avec laquelle la communauté internationale dans son ensemble, et M. Kabila en particulier, ont vécu tous ces drames des réfugiés abandonnés au Zaïre en dépit de quelques appels dont celui de la France, vous en conviendrez.

Question : Il est vrai que l’on parle de 190 000 disparus…

Réponse : Nous ne connaissons pas vraiment les chiffres ; mais ce que nous savons, c’est qu’il y a des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, qui ont été abandonnés. Il y a une enquête internationale qui a été demandée par les Nations unies et je constate qu’elle ne peut pas aujourd’hui accomplir son travail sur le terrain, de même qu’il est grand temps que les organisations humanitaires puissent intervenir pour secourir ces malheureux. Je constate que c’est toujours très difficile.

Question : Si M. Mobutu demandait à être accueilli en France, quelle serait la réponse de notre pays ?

Réponse : La question ne s’est pas posée, donc je ne vais pas me compliquer la cervelle à résoudre des problèmes que je n’ai pas devant moi.


Date : mercredi 21 mai 1997
Source : RMC

RMC : Quelques mots sur le Zaïre, devenu d’ailleurs la République démocratique du Congo : deux hommes d’affaires connus, français, ont été assassinés, hier, par des hommes en uniforme. Est-ce que vous avez des soupçons sur les assassins et est-ce qu’il y aura des conséquences ?

Hervé de Charette : Je ne veux pas exprimer, ici, le soupçon à l’égard de qui que ce soit. Simplement, les nouvelles autorités du Zaïre, je le rappelle solennellement, ont la responsabilité, à l’égard de la communauté internationale, d’assurer le bon ordre et la sécurité, et notamment le bon ordre et la sécurité des ressortissants étrangers et tout particulièrement, en ce qui me concerne, pour les ressortissants français.

RMC : Est-ce que vous y voyez un acte de vengeance contre la politique française au Zaïre ?

Hervé de Charette : Non, je ne crois pas qu’on puisse dire cela mais je n’ai pas, pour l’instant, d’informations qui me permettent de porter un jugement sur les circonstances de cela.

RMC : Quand la France reconnaîtra-t-elle le nouveau régime, ce qui a déjà été fait par plusieurs pays étrangers ?

Hervé de Charette : Je ne vois pas ce que cela signifie. La France reconnaît des États, elle ne reconnaît pas des Gouvernements. En d’autres termes, nous avons déjà pris acte de ce qui s’est passé au Zaïre et maintenant nous attendons de ces nouvelles autorités qu’elles prennent les dispositions nécessaires. Vous savez, il y a un temps pour la guerre – y compris pour les guerres civiles – et un temps pour la paix. Si le Zaïre, pardon le Congo, veut sortir de cette crise, il est grand temps que soit constitué un Gouvernement d’union nationale qui rassemble l’ensemble des forces politiques et que s’organise un processus démocratique qui est seul capable de préparer l’avenir. En toute hypothèse, je resterai profondément troublé par l’indifférence avec laquelle la communauté internationale, dans son ensemble, M. Kabila en particulier, ont vécu tous ces drames des réfugiés abandonnés au Zaïre, en dépit de quelques appels, dont celui de la France, vous en conviendrez.

RMC : C’est vrai que l’on parle de 1,9 million de disparus ?

Hervé de Charette : On ne connaît pas vraiment les chiffres mais, ce que l’on sait, c’est qu’il y a des milliers d’hommes, de femmes, d’enfants qui ont été abandonnés. Il y a une enquête internationale qui a été demandée par les Nations unies et je constate qu’elle ne peut pas, aujourd’hui, accomplir son travail sur le terrain. De même, qu’il y est grand temps que les organisations humanitaires puissent intervenir pour venir secourir tous ces malheureux. Je constate que c’est toujours très difficile.

RMC : Un dernier mot sur ce sujet : si M. Mobutu demandait à être accueilli en France, quelle devrait être la réponse de notre pays ?

Hervé de Charette : La question ne s’est pas posée, donc je ne vais pas me compliquer la cervelle à résoudre des problèmes que je n’ai pas devant moi.

RMC : Retour en France avec une question sur laquelle vous pouvez particulièrement répondre puisque vous avez participé à deux cohabitations. Le Président de la République a demandé, hier, que la France parle d’une seule voix dans les mois qui viennent, et d’une voix forte, a-t-il dit, mettant en garde – c’est comme cela qu’on l’a compris en tout cas – contre une éventuelle cohabitation. Mais les cohabitations auxquelles vous avez participé, nous n’avions pas le sentiment que cela avait été des périodes mauvaises pour la construction européenne, des périodes de ralentissement.

Hervé de Charette : Nous avons devant nous plusieurs échéances importantes, nous avons la réforme des institutions européennes qui est en cours actuellement – ce qu’on appelle la Conférence intergouvernementale –, il y a l’élargissement de l’Alliance atlantique et sa rénovation. C’est dans les toute prochaines semaines et puis nous avons l’Union économique et monétaire, c’est-à-dire la monnaie et tout ce qui va avec. Il y a beaucoup de sujets et des questions importantes qui vont avec. Est-ce que l’on peut imaginer que sur ces questions, il y ait, à la tête de l’État, un président qui pense d’une certaine façon et un Premier ministre qui pense d’une autre ? Or c’est ce qui se préparerait si la gauche est amenée à gagner les élections législatives. Je ne crois pas, mais c’est ce qui se passerait.

RMC : M Jospin dit qu’il n’y aurait pas de problème.

Hervé de Charette : C’est ce qu’il dit. Seulement, il a dit aussi un certain nombre de choses, notamment sur la monnaie, qui sont très directement contraires à ce que jusqu’à présent dans la majorité et à ce que le Président de la République a dit et aux choix que nous avons faits, qui sont d’ailleurs des choix plus cohérents que ceux de M. Jospin qui piétine les fleurs européennes qu’il a lui-même plantées, Alors il est vrai qu’on voit très bien apparaître des risques d’affaiblissement de la France parce qu’à la tête de l’État, il y aurait le Président qui penserait d’une certaine façon et le Premier ministre et son Gouvernement qui penseraient dans un autre sens. Cela provoquerait, par des négociations souvent, vous vous en doutez, compliquées, difficiles, où la défense des intérêts français n’est pas simple, une situation étrange.

RMC : Je ne me souviens pas qu’en 1986 et 1993, vous aviez analysé comme un affaiblissement de la France le fait que vous arriviez au pouvoir et que vous gagniez les élections contre le Président de la République qui s’appelait M. Mitterrand, à l’époque ?

Hervé de Charette : D’abord en ce qui me concerne, parce que, là, vous faites un propos général sur la majorité. J’ai toujours considéré, pour vous dire franchement, que la majorité d’aujourd’hui avait, à l’époque, une expression trop conviviale de la cohabitation. Mais ceci dit, nous n’avons pas connu de négociations européennes majeures dans ces deux périodes 1986-1988 et 1993-1995. Voilà le point qui est très important puisque vous me parler de l’Europe. La cohabitation dans son ensemble, c’est un autre sujet dont je veux bien parler mais s’agissant de l’Europe, il est incontestable, aujourd’hui, qu’il y aurait problème. Imaginez le Gouvernement socialiste tel que certains peut-être en rêvent M. Jospin, M. Hue, M. Chevènement, M. Voynet, tout ce petit monde qui n’a déjà pas le même avis sur l’Europe, qui essaie de se rassembler vaille que vaille.

RMC : Dans la majorité, c’est le cas aussi.

Hervé de Charette : Non, non pas du tout. Dans la majorité, il y a des voix qui s’expriment mais pas des forces politiques qui s’opposent. Là, c’est le Parti socialiste contre le Parti communiste. Ils n’expriment pas la même vision de l’Europe. Et dans la majorité vous ne pouvez pas dire que le RPR a un point de vue sur l’Europe et l’UDF en a un autre. Ce n’est pas exact. Et donc, il y aurait confusion dans le Gouvernement et conflit entre le Président de la République et le Premier ministre. Cette situation est évidemment gravement nuisible à la négociation des intérêts de la France dans les grandes échéances que j’ai rappelées, à savoir la réforme de Maastricht, la mise en œuvre de la monnaie unique et la réforme de l’alliance Atlantique.

RMC : Dans quelques jours, les Français vont voter, au premier tour des élections législatives. L’habitude des Français, c’est de choisir au premier tour, et on dit qu’ils vont choisir dans les petits partis pour se défouler. Est-ce que vous craignez un vote de défoulement au premier tour ? Parce qu’ils ne sont pas très enthousiastes de la majorité, il faut dire les choses comme elles sont.

Hervé de Charette : Ils ne sont pas très enthousiastes de la gauche.

RMC : Des deux.

Hervé de Charette : Comme vous y allez. En réalité, il y a un scepticisme, je crois, de beaucoup de nos citoyens, en tout cas d’une partie notable d’entre eux. D’où vient-il ? Il vient de ce que, depuis bientôt 20 ans, la crise du chômage s’épaissit d’année en année. Si vous regardez la courbe du chômage, vous constatez, en effet, qu’elle n’a pas cessé d’augmenter, depuis la première crise pétrolière, jusqu’à 1993. Notez bien ce chiffre, il n’est pas négligeable. À partir de 1993, nous avons plafonné mais elle n’a pas régressé. Donc, les Français ont le sentiment, enfin un certain nombre d’entre eux, que, les uns ou les autres, cela ne résout pas le problème majeur de la société française qui est le chômage.

RMC : Les chiffres ne leur donnent pas tort.

Hervé de Charette : Alors je voudrais dire, aujourd’hui, de façon très ferme et très personnelle, que je suis absolument convaincu que résoudre le problème du chômage est à la portée des Français, à notre portée. Maintenant que nous avons résolu, résorbé la question des déficits à payer et que nous craignons des factures socialistes à régler, nous entrons dans une période où nous pouvons enfin aborder sérieusement la question du chômage. Mais il faudra, pour cela, que notre pays et que nos dirigeants acceptent de faire une véritable révolution des attitudes et des mentalités.

RMC : Et on est prêt, vous croyez ?

Hervé de Charette : Si c’est oui, alors je peux dire à ceux qui nous écoutent que dans la législature, les cinq ans qui viennent, on peut résoudre le problème du chômage et faire que tout cela soit derrière nous. Si c’est non, alors je crains le pire.

RMC : Et pour que cela soit oui ?

Hervé de Charette : Il faut s’éloigner des vieilles recettes. Inutile de chercher à se battre sur les 35 heures, sur les créations de postes de fonctionnaires. Tout cela, on a essayé, c’est déjà fait. On connaît les résultats. Il faut faire neuf et pour cela, je crois qu’il faut s’engager dans une révolution profonde de la façon dont nous traitons les choses. Révolution des charges sociales et fiscales mais pas des petites mesures, il faut aller vite et loin. Révolution de l’initiative : il faut enfin débarrasser la route de celles et ceux qui ont envie d’entreprendre, de tous les obstacles que l’administration et que nous-mêmes, tous les matins, y avons mis. Et révolution de l’État, parce que la réforme de l’État ce n’est pas ce qu’on a fait jusqu’ici, c’est-à-dire rien, ce sont des changements profonds.