Texte intégral
Monsieur le ministre chargé de la Coopération,
Monsieur le ministre du Commerce extérieur de la Nouvelle-Zélande,
Monsieur l'ambassadeur d'Australie,
Mesdames, Messieurs,
Je suis particulièrement heureux d'accueillir à l'Assemblée nationale ce colloque sur « la France et les États du Pacifique Sud », si opportunément organisé par MM. Thierry Comillet et Éric Duboc, respectivement, président des groupes d'amitié « France-Australie » et « France-Nouvelle-Zélande » – un colloque qui bénéficie, en outre, du concours des groupes d'amitié parlementaires avec les Îles Fidji, la Papouasie-Nouvelle-Guinée et le Vanuatu.
Mes vœux de bienvenue, très chaleureux, s'adressent à chacune et chacun d'entre vous.
L'importance de cette rencontre n'échappera à personne. Au moins autant que le contenu de ses conclusions, le fait qu'elle ait lieu constitue, à lui seul, un événement marquant.
Je me réjouis, en tout cas, qu'elle intervienne dans un climat que la fin des essais nucléaires français dans le Pacifique et l'adhésion de la France aux protocoles du traité de Rarotonga auront singulièrement contribué à apaiser.
Chacun sait qu'il n'est ni dans mon caractère, ni dans mes habitudes d'esquiver les sujets délicats ou douloureux. Je n'omettrai donc pas de rappeler que la question des essais a été, depuis de nombreuses années, la source de malentendus persistants entre la France et les pays du Pacifique Sud. Cette hypothèque est aujourd'hui levée. Et elle l'est sans que nul n'ait jamais renié ses convictions. Tant il est vrai qu'on ne saurait fonder d'amitié durable que sur la franchise, et la reconnaissance mutuelle de nos préoccupations et intérêts respectifs.
Un tel colloque, donc, vient à son heure.
Il peut, de manière très concrète, contribuer à dégager les voies d'un nouveau dialogue politique, ainsi que celles d'une coopération économique et culturelle à vaste échelle entre la France et les États du Pacifique Sud. Les thèmes que vous avez fort justement retenus pour votre rencontre vont, précisément, dans ce sens.
Si nous voulons progresser, il nous faut regarder les choses telles qu'elles sont.
C'est parce que sa présence et son rôle dans le Pacifique Sud sont le fruit de l'histoire, qu'il revient à la France, aujourd'hui, de s'insérer de manière plus harmonieuse, dans ce vaste espace régional, notamment par l'intermédiaire de ses territoires d'outremer, tout en intensifiant sa coopération avec l'ensemble des États insulaires.
La présence de la France dans le Pacifique est ancienne. Elle remonte, pour l'essentiel, au XVIIIe siècle, et au début du XIXe, lorsque ses grands navigateurs, Bougainville, La Pérouse, d'Entrecasteaux ou Dumont d'Urville, dans la lignée des navigateurs portugais ou espagnols et à l'image des marins anglais, révélèrent au reste du monde les beautés, jusqu'alors inconnues en Europe, des terres insulaires du Pacifique. Ce fut une révélation, celle d'une vision idyllique, décrite avec enthousiasme par les navigateurs et les naturalistes, qui fournirent ainsi à Jean-Jacques Rousseau, l'illustration de ses « bons sauvages », et à Stevenson, le cadre de ses grands romans d'aventure.
Quelques décennies seulement après le début de la colonisation britannique en Australie, et presque au moment même où s'effectuait celle de la Nouvelle-Zélande, il y a 150 ans, la France, puissance maritime, s'installait donc en Nouvelle-Calédonie, puis, peu après, dans l'archipel polynésien et des Nouvelles Hébrides.
À la fin du XIXe siècle, l'ensemble du Pacifique insulaire, Nord et Sud, s'est donc trouvé affecté par une colonisation qui, loin d'unifier cet espace immense, en a accentué l'hétérogénéité et la fragmentation politique, doublées, il est vrai, de rivalités religieuses, souvent entretenues par les puissances coloniales elles-mêmes.
Telle est donc la situation qui s'est pérennisée jusqu'aux années soixante-dix, lorsque de nombreux territoires ont accédé peu à peu à l'indépendance, en dépit de leur taille et de leur extrême insularité.
Si je me suis livré à ce court rappel historique, c'est pour mieux souligner ce que nous devons tous à l'histoire. C'est aussi pour rappeler qu'il nous faut construire l'avenir, et que nous ne pourrons le faire utilement qu'en unissant nos efforts.
Car la présence de la France dans le Pacifique n'a pas qu'un caractère anecdotique… Comme les autres implantations européennes dans la région, intervenues à la même époque et dans des conditions similaires, cette présence a créé des liens d'intérêt et de sentiment. Ne restons pas prisonniers, en effet, d'une vision ethnocentrique ou régionaliste étroite : nous partageons là, à bien des égards, une histoire qui nous est commune, et donc, nous devons partager aussi la responsabilité du futur.
Je le dis d'autant plus simplement que, pour la France comme pour les autres, ce lien, depuis longtemps, a cessé d'être celui de la force et de la contrainte. Lorsque la Constitution de 1958 a été soumise à référendum dans les territoires français du Pacifique, ceux-ci ont choisi délibérément, et en toute connaissance de cause, le maintien dans la France, avec le statut de territoire d'outre-mer. Cette adhésion sans ambiguïté a été renouvelée maintes fois par les populations concernées, à travers chacun des scrutins locaux ou nationaux qui se sont succédé depuis bientôt quarante ans. Les dernières élections territoriales en Polynésie française, malgré une indéniable percée des thèses indépendantistes, ne se sont-elles pas encore traduites par une très large victoire des partis qui militent pour le maintien du territoire au sein de la République ?
La France ne saurait donc être présentée comme une puissance purement extérieure, dont la présence serait superficielle et peu soucieuse des intérêts régionaux du Pacifique Sud.
Bien au contraire, elle considère cette vaste partie du monde comme une zone privilégiée, tant pour son action internationale que pour les actions de coopération régionale qu'elle estime indispensables au bon développement de ses territoires d'outremer, et à leur pleine et entière intégration dans les courants d'échanges et d'activité régionaux.
Les contentieux liés à une politique que l'on a un peu vite qualifiée de néocoloniale sont en grande partie réglés. Les Nouvelles Hébrides ont accédé en 1980 à l'indépendance sous le nom de Vanuatu. Quant à la Nouvelle-Calédonie, les accords de Matignon, signés en 1988, ont créé les conditions d'une paix durable, grâce à un engagement sans réserve de la France en faveur d'un développement équilibré du territoire. Sans préjuger de son statut final, cette politique de réconciliation entre les différentes communautés a été une constante pour l'ensemble des gouvernements qui se sont succédé depuis. Force est de reconnaître que, malgré le poids des affrontements passés et des rancœurs accumulées, et en dépit des efforts qu'il faut encore produire, les résultats sont aujourd'hui considérables.
L'ultime malentendu, donc, c'était les essais. Je ne reviendrai pas sur les manifestations les plus aiguës de cette polémique, où tout a été dit, parfois de la manière la plus excessive, avec force déformations et exagérations. La France a été conduite avant tout par le souci de maintenir la crédibilité de sa défense, en toute indépendance, et, par-delà, celle de l'Europe. Cela supposait le maintien d'une technologie de dissuasion nucléaire moderne, qui ne devait rien à d'autres puissances. Les États-Unis dans l’îlot de Bikini, la Grande-Bretagne dans l'île de Christmas ou dans le désert australien, ont procédé, dans le passé, à de très nombreux essais. La France, inspirée par le même souci de maintenir son potentiel de défense, a souhaité en effectuer une ultime série, en s'entourant de toutes les précautions nécessaires.
Cela n'a pas toujours été compris. Il reste que ce contentieux appartient désormais au passé. La signature par la France, le 24 mars dernier, de ces protocoles qui font de l'hémisphère sud une vaste zone dénucléarisée, clôt, j'en suis certain, et de manière définitive, une phase difficile de nos relations avec les États du Pacifique Sud.
Plus encore, la volonté manifestée par le président de la République d'aboutir rapidement à l'interdiction de tout essai nucléaire sur l'ensemble de la planète, rejoint les préoccupations diplomatiques de plusieurs de nos partenaires régionaux, en particulier l'Australie et la Nouvelle-Zélande. La France a simplement estimé, au départ, que pour créer les conditions d'une paix durable, il fallait qu'elle maintînt une défense forte et crédible.
Une fois ces malentendus levés, le temps est donc venu pour la France d'engager un nouveau dialogue politique avec les États du Pacifique Sud.
Les instruments existent déjà, ils sont nombreux et diversifiés : commission et forum du Pacifique Sud, traité de Rarotonga, ainsi que de nombreuses organisations régionales spécialisées, auxquelles la France participe directement, ou par le biais de ses Territoires d'outre-mer.
Il nous reste à mieux les utiliser, et pour cela, il nous faut une volonté commune. Je vois au moins deux séries de motifs puissants qui doivent nous conduire à donner à nos relations une nouvelle dimension. Tout d'abord, notre attachement commun à la démocratie, que nous avons su, par le passé, manifester ensemble et avec éclat. Ensuite, nos intérêts respectifs et notre souci d'assurer le meilleur développement possible de l'ensemble de la région.
Au plus fort de nos divergences, le dialogue n'a jamais cessé entre nous. L'attention excessive portée aux sujets de mésentente temporaires, reléguait par trop dans l'ombre la force et la solidité de liens plus profonds. J'évoquais à l'instant l'ancienneté de la présence française dans le Pacifique Sud. Mais je pourrais évoquer tout ce qui unit le Pacifique Sud à l'Europe… Et développer longuement la solidarité profonde qui a soudé, jusque sur les terrains de combat de la lointaine Europe, les démocraties australienne et néo-zélandaise à la République française.
L'attachement à la démocratie est bien notre lien le plus fort. Ce ne sont pas là des mots, ou des idées vagues. Je parle de la vraie fraternité d'armes, scellée par le sang versé, qui nous a unis, par exemple, il y a huit décennies, sur les champs de bataille des Dardanelles. Oui, je pense à ces terribles affrontements de Gallipoli, où nos poilus de France et les forces de l'ANZAC ont souffert ensemble pour une cause commune. Et je pense aussi aux combats des Flandres et d'Artois, où, là encore, nous filmes côte à côte, dans la boue des tranchées : les tombes innombrables de nos alliés du bout du monde en portent témoignage. Je pense à chacune des seize mille vies données par la Nouvelle-Zélande, des 60 000 autres données par l'Australie sur les fronts de la Grande guerre. Je pense encore au formidable effort de guerre produit pendant la Seconde guerre mondiale, aux 400 000 soldats mobilisés par l'Australie, à ceux que fournit aussi la Nouvelle-Zélande dans un effort surhumain, que les historiens ont pu comparer, proportionnellement, à celui de l'Union soviétique…
Et comment oublier que pendant la Seconde guerre mondiale, l'Australie fut, dans le Pacifique, la base arrière des démocraties, celle qui permit à MacArthur d'engager la reconquête ?
Si j'évoque ces souvenirs, ce n'est pas gratuitement. C'est parce que ce sont ces valeurs partagées qui pourront nous inciter à construire ensemble l'avenir dans la région.
Qui ne voit tout ce que nous avons à retirer de notre coopération future ?
Le monde océanien à travers son extrême diversité – l'on y parle encore près de 2 000 langues –, la Mélanésie, la Micronésie et la Polynésie, sont appelés à jouer un rôle toujours plus important dans les contacts et les échanges qui traversent dorénavant, de toute part, l'océan Pacifique. En y étant présente, en participant à ces échanges, en aidant au développement de la région, la France a conscience de participer à l'émergence d'un pôle dont certains prédisent qu'il pourrait devenir le nouveau centre du monde au siècle prochain.
Car, parallèlement, la dimension Asie-Pacifique est devenue déterminante dans la stratégie des États du Pacifique Sud. Il n'est plus vrai aujourd'hui que le Pacifique soit un « lac anglo-saxon », comme pouvait le dire MacArthur au lendemain de la victoire sur le Japon. Il faut désormais compter avec l'Asie. Ainsi, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et la Papouasie-Nouvelle-Guinée, sont membres de l'APEC, forum de coopération économique de l'Asie-Pacifique, qui réunit 18 pays de part et d'autre de l'océan. L'Australie et la Nouvelle-Zélande, qui ont développé une étroite coopération bilatérale au sein du CER (Close Economie Relations), suivent par ailleurs, avec beaucoup d'attention, les évolutions de l'ASEAN, en particulier de sa zone de libre-échange.
Précisément : alors que le sommet de Bangkok vient de définir le cadre d'un dialogue et d'un partenariat euro-asiatique renouvelé, il importe que nous puissions favoriser une coopération du Pacifique Sud avec la sphère asiatique, sans que soit négligée ou perdue de vue pour autant, la force du lien direct qui subsiste avec l'Europe.
L'Australie et la Nouvelle-Zélande sont fortes, en effet, d'une triple appartenance culturelle, à l'Europe, à l'Asie, à l'Océanie. Le monde insulaire du Pacifique Sud, quant à lui, dont la superficie terrestre, 500 000 km2, est similaire à celle de la France, et dont les disparités, tant géographiques qu'économiques ou politiques, sont considérables, doit pouvoir, lui aussi, compter sur la solidarité de l'Europe, et notamment sur celle des anciennes métropoles.
C'est pourquoi, la présence de la France dans le Pacifique Sud est, à mon sens, un atout indiscutable pour la région. Au moment où d'autres puissances tendent à se désengager progressivement de la région, la France apparaît comme un intermédiaire naturel entre l'Europe et le Pacifique Sud.
Elle offre en elle-même un fort potentiel de coopération pour des États à faibles revenus et souvent dépourvus de ressources naturelles, pour lesquels le morcellement géographique et l'insularité constituent un handicap économique. L'aide de la France, en faveur des pays insulaires, s'est élevée en 1995, à 131 millions de francs, après l'Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni, mais avant les États-Unis. Elle a en outre financé 85 % du nouveau siège de la commission du Pacifique Sud qui se trouve à Nouméa, et augmenté de 30 % ses concours à cette organisation entre 1989 et 1995, ce qui illustre l'intérêt qu'elle porte à la coopération régionale. La commission du Pacifique Sud est ainsi en mesure de suppléer à l'éclatement géographique de la région, en développant des infrastructures techniques, indispensables pour améliorer la qualité de vie des populations.
J'ajoute que nos Territoires d'outre-mer offrent des possibilités de coopération considérables : ainsi, dans le domaine de la recherche géophysique et océanographique, dans celui de l'enseignement universitaire – avec la plus grande ouverture de l'Université française du Pacifique Sud –, dans celui de l'environnement.
La France partage ce souci qu'ont l'Australie et la Nouvelle-Zélande d'œuvrer conjointement en faveur du développement régional. Son aide complète efficacement l'effort de développement consenti par ces deux pays.
Nos préoccupations sont, je le répète, communes. Certes, la France comprend parfaitement la volonté de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande de procéder à un recentrage sur le monde asiatique. Mais l'Europe doit demeurer un partenaire privilégié, sur le plan économique comme sur le plan culturel. Une stratégie trop brutale d'insertion du monde asiatique, qui renierait le passé et les racines européennes, serait, sans nul doute, vouée à l'échec…
Tant il est vrai qu'on ne peut construire véritablement l'avenir en faisant table rase de son histoire. Cette histoire qui nous est commune, et que nous devons continuer d'écrire ensemble.
C'est assez dire, je pense, l'importance de ce colloque.
C'est pourquoi, Messieurs les ministres, Mesdames, Messieurs, je forme des vœux très sincères pour la réussite de vos travaux…