Texte intégral
Date : Lundi 26 mai 1997
Source : France 3/Edition du soir
E. Lucet : Est-ce que cette décision d’Alain Juppé change la donne du second tour ?
Lionel Jospin : Je ne sais trop de quel poids peut peser une telle annonce faite de cette façon, au début de la campagne du second tour. J’ai trouvé étranges les commentaires qui viennent d’être faits et les compliments adressés à ce Premier ministre que l’on veut offrir en sacrifice. Je ne suis pas sûr que ce soit là le problème. Le problème est un choix de politique, un changement de politique qui est nécessaire. Par ailleurs, je crois que c’est quand même un indice de crise, de trouble. Je ne crois pas qu’il y ait un précédent à une telle attitude, à une telle décision dans la chronique des élections législatives de la Ve République.
E. Lucet : Depuis votre déclaration d’hier soir, on ne vous a pas entendu. Vous êtes toujours sur la même longueur d’onde à savoir pas de triomphalisme ou vous sentez-vous conforté par les résultats définitifs du premier tour ?
Lionel Jospin : Moi, ce qui me frappe d’abord dans ce premier tour, c’est l’intelligence et la lucidité dont le peuple français a fait preuve. Non pas parce qu’il a donné, semble-t-il, un avantage dans le premier tour aux forces de gauche, aux Verts, aux forces du changement, parce que le message qu’il nous adresse à nous-mêmes n’est pas sans nuance. On le voit avec le taux d’abstention qui est important, on le voit avec la persistance d’un courant extrémiste dans notre pays, sous la droite. Mais je pense effectivement qu’il n’y a pas simplement dans ce vote du premier tour, l’expression d’un vote sanction, comme je l’entends dire, mais l’aspiration à un changement. Et c’est cela qui sera l’enjeu de ce deuxième tour.
E. Lucet : Quelle marque allez-vous imposer à la campagne entre ce premier et ce second tour ? Vous avez l’air très prudent.
Lionel Jospin : Je crois que ce qui a été très important, c’est que les Françaises et les Français – qu’on avait voulu d’une certaine façon frustrer de cette élection – ont rappelé qu’ils étaient le souverain au sens de la souveraineté du peuple. C’est le peuple qui est le souverain, on ne décide pas à sa place. Il s’est saisi de cette élection et il ira jusqu’au bout dans ce choix. Notre campagne à nous, doit rester une campagne positive comme nous avons essayé de le faire pendant toute la campagne du premier tour. Vous savez très bien que nous avons diffusé nos propositions à l’ensemble des Français à plus de onze millions d’exemplaires. Elles pouvaient être critiquées mais au moins, elles existaient. Donc, nous n’avons pas mené une campagne négative ou de caricature et je crois que nous devons poursuivre ainsi pendant le deuxième tour. C’est pourquoi j’ai proposé hier soir, depuis ma circonscription, un pacte de changement aux Français qui doit concerner aussi bien la politique économique que la façon de faire fonctionner l’État et la vie démocratique dans notre pays, et puis la prise en compte des problèmes aigus que les Français rencontrent au quotidien parce qu’on sait que cela nourrit notamment la tentation extrémiste, mais aussi parce que ces problèmes fondamentaux ne doivent pas être ignorés. Ils ne peuvent être ignorés que par des gens qui n’ont pas, eux-mêmes, de problèmes au quotidien.
G. Leclerc : Vous parliez de rejet de la droite ou de la majorité actuelle. Est-ce que cela signifie pour vous que le vote d’hier est une adhésion à votre projet à vous, et je pense notamment au projet économique ?
Lionel Jospin : Il est important que ce vote qu’on présente comme un vote sanction soit en même temps un vote d’adhésion positive. Cette adhésion positive ne sera pas sans nuances, elle ne sera pas sans réserves. Il est impossible que les responsables politiques français, compte tenu du passé, quelle que soit leur couleur politique, puissent espérer de notre peuple une adhésion sans nuances. Mais je pense que, dans ce qui s’est exprimé, hier soir, il y a comme une forme, une volonté de retrouver une confiance même timide. Il y a en tout cas, une aspiration au changement en France, et cette aspiration ne peut passer que par le vote en faveur des forces de gauche et écologistes, dimanche prochain, le 1er juin. Alors il faut passer, si j’ose dire, de la sanction à l’action, de la sanction à la volonté de changement. Sur la politique économique, je crois que là, il s’agit non pas d’un bouleversement comme je l’entends dire, non pas d’un retour à 1981 – car nous ne sommes pas dans la situation économique de 1981 : l’inflation est vaincue, le commerce extérieur est restauré et nous-mêmes ne proposons pas la même approche qu’en 1981 – mais il s’agit d’introduire une réelle inflexion dans notre politique économique dans le sens de la croissance et de l’emploi. Dans la mesure où nous disons· très clairement qu’il n’y aura pas d’augmentation des prélèvements obligatoires, qu’il n’y aura pas d’augmentation des dépenses publiques, je pense que nous conjuguons les nécessités du réalisme et les nécessités d’une inflexion de la politique pour la centrer dans la lutte contre le chômage. Tout cela est cohérent avec notre approche de la politique européenne.
G. Leclerc : Dans la méthode, quelle est la vitrine que le Parti socialiste va afficher entre les deux tours ? Est-ce que se sera encore beaucoup Lionel Jospin ou une équipe et pourquoi un seul meeting aux côtés de Robert Hue pour aller soutenir un candidat Vert ?
Lionel Jospin : Je fais un meeting à Villeurbanne comme vous le savez ; je vais rejoindre mes amis. Je ferai un grand meeting à Lille. Je me déplacerai encore à travers la France. De toute façon, j’ai toujours dit au premier tour que c’était dans les 577 circonscriptions que le débat démocratique se faisait, que c’était autour de nos candidates et de nos candidats que le changement se faisait. Et à cet égard, quand même, cela a été souligné par de nombreux observateurs. Je crois que le mouvement d’adhésion qui s’est fait dans une certaine mesure vers nous au premier tour et qui doit s’amplifier au second, tient aussi en partie au fait que nous avons donné l’image d’un vrai renouvellement. Beaucoup de femmes chez nous et dont des dizaines sont en position d’être élues, ce qui est formidable ; beaucoup de jeunes, la moitié de nos candidats étaient nouveaux c’est-à-dire que le renouvellement d’une génération politique passe par le vote socialiste. De même que si on veut avoir les députés écologistes à l’Assemblée nationale, ce qui serait également une première dans notre vie politique, cela passe par un vote en faveur des socialistes et des écologistes qui se présentent avec nous. Cela me paraît tout à fait significatif.
E. Lucet : Si vous pouviez parler à Jacques Chirac ce soir, que lui diriez-vous ?
Lionel Jospin : Je me suis étonné que Jacques Chirac ne parle pas à propos de ce retrait du Premier ministre !
E. Lucet : Il en parlera demain soir à vingt heures.
Lionel Jospin : Faut-il d’ailleurs le croire ?! Parce que, sur toute une série d’effets d’annonce, nous sommes quand même dans une attitude de scepticisme ou de précaution.
G. Leclerc : Vous trouvez normal que le chef de l’État reparle demain soir ?
Lionel Jospin : Je trouve en tout cas que je n’ai pas, moi, à m’adresser au chef de l’État, ce soir. Cela manquerait à mon sens de pertinence. Si le chef de l’État juge qu’il doit intervenir à nouveau dans la campagne et pendant la campagne officielle et dans le deuxième tour, je ne le juge pas. Mais ce qui me paraît alors nécessaire, c’est que nous-mêmes, nous puissions répondre.
Date : Mercredi 28 mai 1997
Source : RTL/Edition du matin
M. Cotta : Jacques Chirac a parlé, hier soir, à la télévision. Est-ce que c’était, selon vous, le discours d’un chef de campagne militant ou celui d’un président de la République déjà entré dans la cohabitation ?
Lionel Jospin : J’ai vu les interprétations qui ont été données. Il y avait quelque chose d’un entre-deux, peut-être dans l’intervention du président de la République hier. Et c’est peut-être aussi ce qui donnait moins de force au message. Mais justement, puisque je parle de message, j’ai l’impression que Jacques Chirac s’est trompé sur le premier tour de l’élection législative. Lui, il voit ça comme trop de responsables politiques de haut en bas. Il dit : « Vous m’avez envoyé un message, j’ai compris votre message ». Je crois que ce n’est pas ça qui s’est produit au premier tour. Les Français ont commencé à faire un choix, ils décident, ils n’envoient pas un message à des gens qui sont chargés de l’interpréter et décider pour eux. Ils décident, on leur a donné la parole et ils décident. Et je crois que c’est ce malentendu sur la façon dont les Français jugent la démocratie et les élections, c’est-à-dire quelque chose qui se passe de bas en haut. C’est eux qui décident. On leur a donné la parole, ils l’ont saisie. Et je crois que beaucoup des malentendus de la politique, aujourd’hui, viennent de là, et se ressentaient dans l’intervention de Jacques Chirac hier.
M. Cotta : Puisqu’on parle de cohabitation, est-ce qu’une cohabitation de cinq ans est possible ? La gauche cohabitera-t-elle avec un président de droite comme la droite a cohabité avec un président de gauche, François Mitterrand ?
Lionel Jospin : Mais la cohabitation n’est pas une affaire d’humeur ou de convenance, elle est d’abord le respect de la Constitution et elle est aussi et surtout, de façon plus vivante et plus dynamique – parce qu’elle résulte toujours d’un vote qui vient de se produire –, respect de ce que le peuple a décidé. Après, ce n’est qu’une affaire d’attitude, de comportement, d’esprit de responsabilité à l’égard du pays.
M. Cotta : Et ça va durer cinq ans ?
Lionel Jospin : Ne me mettez pas dans une situation qui vous ferait penser que je considère que l’élection est faite. Elle n’est pas faite, il y a eu un premier tour. Comme l’élection est à deux tours, moi j’ai le sentiment que les Français ont commencé à exprimer un choix. Mais ce choix, dans notre système, puisque ce n’est pas un système à un tour, comme dans le système britannique, par exemple, il se fait en deux fois. Donc attendons que les Françaises et les Français aient totalement décidé, ce que je pense, et qu’ils se rendent compte qu’un changement – puisque ce thème est l’objet d’une compétition, en quelque sorte, entre la coalition sortante, le RPR et l’UDF, et nous-mêmes – n’est pas possible avec le maintien de cette coalition. Et s’ils veulent changer, et je le crois parce qu’ils en ont besoin, en tout cas pour la grande majorité d’entre eux, ils le feront avec nous. S’ils le font avec nous, ce qui n’est pas encore décidé aujourd’hui, il nous restera à être dignes de cette confiance si elle nous est faite.
O. Mazerolle : Mais précisément, pour guider leur choix, ils ont besoin de savoir tout de même comment cela se passerait au cas où vous gagneriez les élections. Sur la cohabitation, il y a tout de même des points de friction possibles. Par exemple, sur le mandat présidentiel à cinq ans, il faudrait que le président soit d’accord.
Lionel Jospin : J’ai cru comprendre que c’était… D’abord ce n’est pas une exigence première. Une équipe nouvelle qui arriverait dans la cohabitation ne commencerait pas par – je dirais un peu grossièrement – dire : « Voilà, on va raccourcir le mandat présidentiel ». Il y a d’autres exigences qui sont celles de l’emploi, d’engager clairement une rupture sur le terrain, je dirais, des comportements publics, de l’attitude de l’État, de l’indépendance de la justice par rapport au pouvoir politique, la question du cumul des mandats dans le domaine de la démocratie. Dans le domaine de l’économie, il y aura un bilan à faire sur l’état des dépenses publiques ; vous savez que nous ne voulons pas augmenter les dépenses publiques, nous ne voulons pas augmenter les prélèvements qui ont été portés à un record en France. Il y aura à mener des politiques pour l’emploi, des politiques de relance économique. Quand je dis « relance », je me corrige en employant ce terme parce que je ne veux pas une relance économique, je veux une progression vers la croissance. Il y aura des rendez-vous européens. Je pense qu’on parlera davantage de ces choses que d’un mandat à cinq ans. Pour autant, j’ai cru comprendre quand même qu’il y avait un relatif consensus qui existait pour aller vers cet objectif. Mais de toute façon, comme deux ans se sont passés depuis 1995, en tout état de cause dire cinq ans ne porterait atteinte à la susceptibilité de personne, mais ce n’est pas le problème.
O. Mazerolle : Vous parlez volontiers du pluralisme de gauche, mais en quoi ce pluralisme permet-il de former une coalition plus solide que la majorité sortante RPR-UDF ?
Lionel Jospin : Je précise d’abord que ce pluralisme, il s’est exprimé au premier tour et que l’approche qui avait été la nôtre collectivement – parce que chacun y a pris sa part – mais à laquelle j’ai quand même attaché beaucoup d’importance et d’attention, à savoir une confrontation de points de vue entre les socialistes, les radicaux, les communistes, le Mouvement des citoyens, les Verts, c’est-à-dire un courant essentiel de l’écologie. Je pense que cette approche a porté ses fruits puisque des candidats nombreux de ces différentes forces, des candidats nouveaux pourront être à l’Assemblée nationale et je les appelle tous, tous ceux qui ont voté pour ces forces, à se mobiliser. Parce qu’il y a un élément nouveau, dans ce deuxième tour, qui n’était pas présent au premier. Je sais qu’on s’interroge sur les absentions. Les absentions ont été plus fortes, je le regrette, que dans d’autres élections et on dit : mais où sont les réserves d’abstentions ? Sont-elles à droite, sont-elles à gauche ? Moi, je voudrais dire une chose : dans les dernières enquêtes, on voyait que les français indiquaient finalement que le souhait pour la gauche, pour le changement, augmentait, était plus fort, mais qu’en même temps, le pronostic sur la possibilité de gagner était faible. Maintenant, ça a changé avec le premier tour et je suis convaincu que de nombreuses électrices et électeurs vont dire : « Ah, mais c’est possible ! » Alors si c’est possible, on le fait et ils vont venir.
O. Mazerolle : Ma question posait tout de même sur l’exercice du pouvoir…
Lionel Jospin : Oui, bien sûr, non mais je ne…
O. Mazerolle : Est-ce que vous ne risquez pas d’être confronté à une sorte de double cohabitation, d’un côté avec le président de la République et d’un autre côté dans les discussions avec Robert Hue, par exemple ?
Lionel Jospin : Non, ne rendez pas plus difficile la tâche de celle ou de celui qui serait Premier ministre dans cette hypothèse, non. D’abord, cette coalition sera pluraliste. À l’Assemblée nationale, il y aurait, dans l’hypothèse que vous choisissez d’une majorité nouvelle, des représentants en nombre inégal quand même et sans doute très différents de ces forces variées dont j’ai parlé à l’instant. Donc elles devraient se retrouver aussi dans un Gouvernement, cela paraît logique. Si chacun le veut et si chacun est prêt à s’engager sur une orientation car il n’y aura pas plusieurs orientations au Gouvernement. Mais ce qui devrait vous rassurer à cet égard par rapport à votre question, c’est que ces problèmes, nous les avons discutés avant. De même qu’on a retiré le Premier ministre sortant, Alain Juppé, pour essayer au dernier moment de changer l’état d’esprit des Français, de même est-on en train d’essayer de construire l’idée d’un attelage, qui pourtant a créé à la fois des illusions puis des désillusions en 1995, l’idée qu’on pourrait mettre ensemble – on ne sait pas où et pourquoi – un ultralibéral dur comme M. Madelin et quelqu’un dont on dit que son tempérament serait plus social ou plus républicain, mais enfin on l’a vu au pouvoir quand même, comme M. Séguin. Et dans la confusion, on ne sait pas en réalité si tout ça pourrait marcher. On n’oublie pas que M. Madelin, au bout de trois mois, a été démissionné du Gouvernement de M. Juppé. Nous, ces questions, nous les avons posées sur la table, vous le savez bien, vous y avez assisté pendant deux ou trois ans à ces débats et ces colloques. Donc on sait où on en est et à un moment, on tranche. Il ne sera pas plus difficile en quelques jours de se mettre d’accord sur des orientations que ça ne l’est pour le RPR ou l’UDF quand ils font un gouvernement. Si nous nous trouvons dans cette hypothèse, mais je le précise, je réponds à vos questions, je ne pense nullement que nous y soyons aujourd’hui.
M. Cotta : Alain Juppé a parlé de nécessité d’une nouvelle équipe pour la majorité. Y a-t-il une nouvelle équipe socialiste ? Lorsqu’Alain Juppé parle de retour de la génération Mitterrand, de retour des éléphants, qu’est-ce que vous lui dites ?
Lionel Jospin : Quand il parle de retour des éléphants pour M. Aubry, d’abord c’est impertinent et ensuite, c’est peu pertinent parce qu’en l’occurrence Martine Aubry, je crois qu’elle a dû être deux ans dans un Gouvernement sous Édith Cresson et Pierre Bérégovoy…
O. Mazerolle : Nous mais il parlait de vous, de Laurent Fabius, de Jack Lang…
M. Cotta : Il ne parlait pas forcément des femmes.
Lionel Jospin : Et il ne parlait pas forcément des femmes et il a raison de ne pas parler forcément des femmes. Il n’est pas le mieux placé pour le faire en politique bien sûr et donc nous, c’est un des résultats du premier tour extrêmement frappant parce que restons quand même dans l’élection. Vous voulez toujours, vous, passer à l’exercice suivant…
M. Cotta : Non mais on passe à dimanche soir.
Lionel Jospin : Oui, mais vous avez tort de passer à dimanche soir comme si les Français avaient décidé. Ils n’ont pas décidé. Moi, je ne le fais pas, j’attends. Je n’attends pas passivement, j’essaie de les convaincre dans les derniers jours qui viennent et je le fais aussi grâce à vous, je l’espère. Mais j’attends qu’ils décident. Mais vous parlez des femmes. Oui, j’ai souhaité que 30 % des candidats socialistes ou radicaux et Verts, à partir du moment où nous avons fait un accord, soient des femmes. On a dit, mon Dieu, quelle prise de risque, c’est sûrement courageux mais… On a dit ensuite, dissolution, elles n’ont pas le temps de se faire connaître. Qu’est-ce que je constate, c’est que je crois 119 d’entre elles sur les 167 sont au deuxième tour, c’est que nous aurons des dizaines de femmes élues à l’Assemblée nationale. Quel que soit le résultat, ça c’est un signe clair d’une volonté de renouvellement politique. Et donc j’imagine que si un gouvernement avait à se former, un gouvernement nouveau, il serait à l’expression, je vous le dis, de ce renouvellement.
M. Cotta : Je ne vous pose pas la question, sur « est-ce que vous accepteriez d’être Premier ministre », c’est une question à laquelle vous répondez, vous ne répondez pas ? Est-ce que vous accepteriez d’être Premier ministre ?
Lionel Jospin : Non, je ne réponds pas…
O. Mazerolle : Quand on pose la question à Laurent Fabius, à Martine Aubry, à Jack Lang, ils disent, oui, ça serait normal. Ils ne paraissent pas offusqués à l’idée que vous puissiez être Premier ministre ?
Lionel Jospin : Ça veut dire que chacun est dans son rôle.
M. Cotta : Donc on ne vous pose pas la question. Mais quelles seront les premières mesures d’un gouvernement de gauche, techniquement, concrètement qu’est-ce que vous faites pour l’emploi, une grande conférence sur les salaires, vous l’avez annoncée mais un audit, est-ce que vous suspendez toutes les décisions sur l’emploi, le SMIC au résultat de l’audit ?
Lionel Jospin : Je reprends ce que je disais quand même à l’instant. Les formes, le ·respect de la Constitution, ça pourrait se comparer aux règles de la politesse dans la vie civile, dans la vie sociale. C’est très important. Et donc, vous parlez de secret de Polichinelle, les autres disent… Il faut respecter la Constitution, il faut respecter les prérogatives du président de la République. Et donc, pour moi, c’est essentiel au-delà de ce que vous pouvez penser, supposer, supputer. Pardonnez-moi.
M. Cotta : Chacun est dans son rôle, nous l’avons dit.
Lionel Jospin : Oui, mais je voulais quand même le préciser.
M. Cotta : Est-ce que l’audit est essentiel et préliminaire à tout ?
Lionel Jospin : Non, l’audit pour moi, ce n’est pas refaire le coup de la commission du bilan que nous avions faite nous-mêmes en 1981, que M. Balladur a voulu faire et les circonstances dramatiques du moment font que tout cela s’est un peu oublié. Mais, c’est simplement savoir où l’on en est sur les finances publiques. Honnêtement, on n’est pas au clair aujourd’hui parce qu’il y a des exercices de dissimulation budgétaire ; la question de France Télécom est un exemple, ça au moins on le sait. Il y a d’autres éléments, il n’y a pas qu’en France qu’on fait ça. Quand on voit, puisqu’on parle des critères de Maastricht et les Allemands, la rigueur, il ne faudrait pas discuter, négocier puis on apprend que le ministre de l’économie et des finances allemand envisage de réévaluer autrement le stock d’or pour que ça rende plus facile l’entrée dans les critères de Maastricht. Tiens, on ne discute pas, nos amis allemands, si rigoureux sur les critères, ne sont pas en train de regarder si on ne peut pas s’arranger. Je dis en passant par rapport aux discussions européennes. Nous voulons savoir où nous en serons, pas simplement sur les problèmes des déficits des finances publiques au sens strict, des finances de l’État. Ce qui nous préoccupe davantage, si je peux dire, ce sont les comptes de la Sécurité sociale.
O. Mazerolle : Est-ce que vous ne risquez pas d’une certaine manière, toujours dans le cas où la gauche serait majoritaire, de vous retrouver un peu dans la même situation que Jacques Chirac en 1995 ? Est-ce que vos électeurs n’auront pas retenu principalement de votre discours les 35 heures, la hausse des salaires, l’emploi des jeunes et est-ce qu’ils ne peuvent pas avoir une sorte de déception en voyant que cela ne vient pas tout de suite ?
Lionel Jospin : Non, parce que s’ils m’ont écouté précisément, s’ils ont entendu nos candidats et je crois que nous avons tous tenu le même langage, nous avons dit que tout cela se ferait dans la durée. La conférence salariale est une conférence sur les salaires, sur la diminution du temps de travail et sur l’’emploi. J’ai indiqué très clairement que dans une entreprise donnée et au même moment, on ne peut pas envisager de diminuer le temps de travail sans baisser les salaires, ce qui, en passant, fait augmenter le salaire horaire et en même temps, imaginer que l’on va avoir brutalement une hausse du salaire direct !
O. Mazerolle : Donc, il n’y aura pas de déception à votre avis ?
Lionel Jospin : Je ne peux pas dire qu’il n’y aura pas de déception parce que je ne suis pas chargé d’interpréter à l’avance les émotions, les sentiments et les jugements des Français. Je veux dire en tout cas, qu’il ne peut pas y avoir d’erreur, de tromperie sur la méthode. J’ai dit que nous devons rompre avec la culture selon laquelle les choses doivent être faites en trois mois et que ce qui n’est pas fait en trois mois ne sera jamais fait. Nous devons gouverner dans la durée et apprendre à mener des politiques économiques et sociales dans la durée pour que les bilans positif ou négatif et j’espère positif, soient fait au bout du compte. Ce n’est pas le problème de savoir si on a fait des réformes ou si on a augmenté le SMIC ou autre chose de tel ou tel montant dans les six mois, si après on est obligé de faire un tournant de la rigueur, si après on reste dans l’immobilisme pendant trois ans sur le plan social. À quoi cela sert au bout du compte ! Ce qui est important, au bout du compte, c’est que le solde puisse être positif pour les Français en matière de pouvoir d’achat, en matière d’emploi, en matière de conditions de vie. Naturellement, on n’est pas là à dire : « Écoutez, vous nous laissez agir et puis on verra dans cinq ans ! » Cela ne se passe pas comme cela. De toute façon, nous voulons introduire dans la vie quotidienne, et y compris dans la vie sociale, des méthodes de dialogue, des capacités à contracter qui feront des acteurs de la vie économique et sociale vraiment des acteurs et non pas des gens passifs de qui on reçoit des messages.
M. Cotta : Vous avez déclaré au Nouvel Observateur, la semaine dernière : « J’ai fait le pari d’être un homme politique qui mérite la confiance. » Qu’est-ce que cela veut dire ? Vous sentez-vous le garant d’une certaine morale en politique et comment allez-vous procéder ?
Lionel Jospin : Non, je ne me sens pas le garant. Je crois qu’il faut restaurer, dans la vie politique, un certain nombre de règles. Il faut qu’il y ait un rapport aussi étroit que possible entre la morale courante telle qu’on l’inculque à nos enfants, telle qu’on est chargé de la rappeler aux citoyens et la morale de l’État, la morale des hommes publics. Donc, je ne veux pas du tout laisser entendre que j’incarnerai je ne sais quelle vertu mais je suis animé de cette conception républicaine et je vous prie de croire que si nous sommes aux responsabilités et pour la part qui serait la mienne, on s’en inspirera. Et pour moi, ce n’est pas du moralisme mais le respect des règles normales qui devraient exister dans un État et une démocratie. Ce qu’on dit au tableau noir, ce que disent nos professeurs des écoles à nos enfants, pourquoi faudrait-il tout d’un coup passer l’éponge dessus quand on monte dans les palais officiels ?
O. Mazerolle : Précisément, beaucoup d’hommes politiques sont soit poursuivis soit condamnés dans des affaires qui ne les mettent pas toujours en cause à titre personnel. Ils le sont souvent ès qualité. Est-ce que la France peut continuer à vivre dans cette atmosphère qui fait dire à beaucoup « tous pourris » Est-ce que c’est un problème ?
Lionel Jospin : Si vous pensez à une loi d’amnistie, non !
O. Mazerolle : Comment sortir de ce climat ?
Lionel Jospin : D’abord, il faut que les citoyens soient suffisamment objectivement informés et eux-mêmes suffisamment avisés pour faire la part des choses entre quelqu’un qui met la main dans la caisse ou quelqu’un qui profite de ses fonctions publiques pour arranger son train de vie, mélanger le patrimoine public et son patrimoine privé et quelqu’un qui a pu être mis en cause à un moment où n’existait pas le financement des partis politiques parce qu’il avait des fonctions, par exemple, de trésorier et qui se trouve mis en cause sans que son honorabilité personnelle ne le soit alors que d’autres responsables politiques auraient pu l’être à sa place. Il y a une différence fondamentale. Les Français la font. Parfois, ils amalgament mais fondamentalement ils la font. Il est très important que vous les aidiez à le faire parce que cela c’est très important. Alors déjà, du point de vue de la conscience, du point de vue de ce que chacun peut penser de soi et du point de vue du regard des autres sur soi, c’est tout à fait différent Il y a des personnes, y compris dans ma propre formation politique, qui se trouvent dans cette situation d’avoir été mises en cause pour leur responsabilité au nom du Parti socialiste et dont vous savez qu’ils ont toute notre estime et notre respect. Mais ils sont saisis par une législation. Malheureusement, je pense que c’est le temps qui permettra d’effacer cela. On ne peut pas, en tout cas, revenir vers des formules où c’est le pouvoir politique qui efface.
M. Cotta : J.-M. Le Pen arbitre des élections à l’issue du premier tour, est-ce que cela caractérise la France d’aujourd’hui ? Quel sentiment cela vous donne ?
Lionel Jospin : Je ne crois pas qu’il soit l’arbitre des élections. En aucune façon ! Je crois simplement que le score du Front national est beaucoup trop élevé mais il n’est pas l’arbitre.
M. Cotta : C’est le troisième parti de France.
Lionel Jospin : Oui, c’est vrai. En même temps, j’entendais des auditeurs qui demandaient pourquoi tel parti qui n’a pas beaucoup plus de voix que le Front national peut-il avoir plusieurs dizaines de députés à l’Assemblée et pas le Front national ? On explique cela techniquement par le mode de scrutin qui est un mode de scrutin majoritaire mais il faut aller un peu plus loin. En réalité, c’est parce que ces autres partis même minoritaires comme le Parti communiste ou l’UDF dans la coalition RPR-UDF peuvent passer des alliances alors que le Front national ne peut pas passer d’alliance. C’est révélateur. Cela veut dire, en fait, que les idées de ce parti ne lui permettent pas de passer d’alliances et cela limite quand même sa capacité d’influence. Alors le problème de la représentation avec un autre mode de scrutin peut se poser par ailleurs, en tout cas, ce que nous avons décidé, nous l’avons montré à Dreux en retirant notre candidate, c’est que, par exemple, dans les triangulaires où nous risquions, par notre présence de faire passer le Front national nous nous retirons. Mais à chaque fois qu’un candidat de gauche, en tout cas socialiste, a un potentiel de gauche au deuxième tour qui dépasse les voix de la droite et les voix du FN, nous nous présentons devant nos citoyens avec l’espoir de gagner. Cela, me paraît légitime.
Date : Jeudi 29 mai 1997
Source : TF1/Edition du soir
TF1 : Vous avez envie de réagir à ce qu’a dit tout à l’heure J.-M. Le Pen. Vous aimeriez être dans le camp des « indulgences » ou dans le camp des têtes de Turcs ?
Lionel Jospin : Je ne risquerais guère de bénéficier de l’indulgence de M. Le Pen. Mon cœur est avec Catherine Trautmann et je trouve cette mise en scène assez vulgaire et déplaisante. Mais je crois qu’en tout état de cause, ni Catherine Trautmann, ni Alain Juppé d’ailleurs, ne méritent cette vindicte.
TF1 : A. Juppé ça n’est plus votre adversaire principal maintenant, c’est pratiquement Philippe Séguin. Est-ce que ça vous gêne ce changement d’adversaire entre deux tours ?
Lionel Jospin : Non, ce qui me gêne plutôt c’est de voir que, dans une élection aussi importante, la politique des coups se poursuit. Il y a eu la dissolution qui a tourné comme on le sait au premier tour. Il y a eu ensuite l’épisode de la démission du Premier ministre. Et maintenant, il y a cette opération Madelin-Séguin. Et ça me paraît étrange d’aborder des problèmes aussi importants que la constitution éventuelle d’un Gouvernement, le choix d’un Premier ministre par cette méthode. Et ça me paraît également étrange, à trois jours du deuxième tour d’une grande élection, dans un grand pays démocratique, qu’on en soit réduit à cette politique des coups.
TF1 : Ça complique votre tâche quand même car Alain Juppé était impopulaire, il était difficile pour la majorité de croire qu’il y aurait un nouvel élan avec un Premier ministre qui allait travailler pendant deux ans. Maintenant, là, elle peut laisser penser que derrière un nouvel attelage par exemple, ça va changer. C’est donc pour vous un argument de campagne plus délicat à manier non ?
Lionel Jospin : De toute façon, je n’ai pas mené campagne contre Alain Juppé personnellement
TF1 : Mais contre sa politique…
Lionel Jospin : C’est plutôt sa majorité qui, au bout du compte, a, d’une certaine façon, mené campagne contre lui. Je ne sais pas ce que cela produira, je ne crois pas que ça aura un grand effet, parce que… Entrons dans le contenu de cette théâtralisation, de cette mise en scène. Au fond, on met ensemble deux personnalités qui ne sont pas complémentaires, mais qui suit au contraire contradictoires. Et je dirais même presque incompatibles. On prend le plus antisocial et le plus anti-européen. On prend le plus ultra-libéral et le plus étatique. On prend en outre deux personnalités qui se trouvent, l’un et l’autre, aux marges du système RPR-UDF – l’un en marge du RPR plutôt, l’autre en marge de l’UDF –, et dans des marges opposées. Et on veut faire croire aux Français que cela pourrait faire une synthèse. Donc je crois qu’il y a là une opération qui tend à montrer que, contrairement à ce qui a été dit, notamment par le chef de l’État, le message des Français n’a pas été reçu. Je crois qu’on met en doute, encore, leur intelligence et leur lucidité.
TF1 : Et en même temps, ce sont des personnalités qui ont inspiré le discours et la campagne de Jacques Chirac en 1995, et c’est lui qui a gagné.
Lionel Jospin : Oui, mais justement, on reprend de façon un peu mécanique les effets de communication qui ont fonctionné en 1995, dans une campagne, sans réfléchir au fait que les Français ont vu les choix politiques qui étaient faits ensuite, depuis deux ans. Il y avait d’ailleurs dans le propos de M. Séguin, disant qu’il fallait revenir au promesses ou aux constructions de 1995, l’aveu le plus flagrant du fait qu’elles n’avaient été en aucun cas tenues et donc je trouve que c’est quand même une façon un peu étrange de traiter la République à l’occasion de ces élections. Et je crois que les Français, qui sont un vieux peuple intelligent – il se renouvelle aussi, mais il vient de loin, il a une grande expérience politique –, se rend compte qu’il y a quelque chose, dans cette affaire, qui est un peu de l’ordre du bricolage de circonstance.
TF1 : En même temps, vous-même, vous êtes à la tête d’une coalition et, d’une certaine façon, vous êtes obligé de faire le grand écart entre des radicaux socialistes et des communistes, ou même l’extrême gauche, qui va vous soutenir, alors que les programmes ne sont pas les mêmes pour les uns et les autres.
Lionel Jospin : Je crois que l’argument mérite réponse. La différence en l’occurrence c’est que ce rassemblement pluriel que nous voulons opérer est en marche depuis plusieurs années déjà. Cela fait plus de deux ans que nous discutons avec les radicaux, avec le Mouvement des citoyens, avec les Verts, avec les communistes. Ces débats ont eu lieu publiquement. Nous nous sommes invités chez les uns et chez les autres ; nous avons pu établir les plages de tout ce qui nous rassemble. Nous avons parfois constaté des différences et donc, c’est un débat public qui s’est mené, de confrontations – où nous nous sommes enrichis –, mené devant les Français pour qu’ils puissent juger. À cet égard nous les avons respectés dans la période qui a précédé la campagne et nous les avons aussi respectés dans la façon de faire campagne. Ce n’est pas une construction concoctée dans une cellule de communication, au dernier moment, face au vote, où on rapproche des éléments si dissemblables. D’ailleurs, y compris au sein de l’ex-majorité, des voix laissent entendre qu’il faudrait peut-être plus de cohérence, et c’est vrai. On peut faire un choix libéral ou on peut faire un choix – je ne sais pas d’ailleurs comment définir M. Séguin parce qu’il change souvent de position – comme celui-là. Marier les deux, c’est opposer deux contraires qui vont s’autodétruire à mon sens.
TF1 : Quand vous écriviez, ce matin, dans Ouest-France, que si les Français vous donnent le pouvoir, puis le président de la République, vous souhaitez une équipe plus ramassée. Vous voulez dire moins de ministres pour dépenser moins de deniers de l’État ou pour répartir complètement différemment les structures actuelles que l’on connaît ?
Lionel Jospin : Vous savez, pendant toutes ces semaines, on n’a pas arrêté de vouloir, et plus encore les derniers jours, peut-être en raison des résultats du premier tour, me mettre dans une situation d’une majorité nouvelle, en situation de responsabilité.
TF1 : Il est normal qu’on se pose la question.
Lionel Jospin : Oui, il est normal que l’on se pose la question, mais vous savez d’abord que je respecte les prérogatives de la Constitution, et donc personne – ni moi ni d’autre - n’a à s’auto désigner le moins du monde, et puis, plus profondément, je respecte le peuple. Le peuple a émis un message qui a un sens. Il a commencé à prendre une direction à l’occasion du premier tour, mais c’est une élection à deux tours, il va choisir dimanche. Au fond, je ne dois pas me projeter dans ce futur. Je dois parler des orientations qui sont les nôtres, de ce que nous souhaiterions faire, mais je ne dois pas me mettre en scène, donc si je l’ai fait un peu à Ouest-France.
TF1 : …Vous regrettez un petit peu ?
Lionel Jospin : Ne reprenons pas l’exercice. De toute façon l’idée d’un Gouvernement resserré c’est une idée à laquelle les socialistes sont attachés et que j’avais défendue en d’autres circonstances il y a plusieurs années, quand je n’étais pas du tout en scène, comme vous le savez.
TF1 : Est pour ce qui est des ministres à mi-temps ?
Lionel Jospin : Moi, je poursuis la campagne jusqu’au dernier jour sur les orientations et les propositions parce que sur quoi les Français, vont-ils finalement trancher au deuxième tour ? Comment vont-ils prendre leur décision ? Pas sur ces organisations de coups de théâtre plus ou moins réussis mais sur les problèmes du pays, sur les enjeux de la période et sur les propositions que nous continuons à faire. Nous avons quand même trois grandes orientations que nous préconisons et que je préconise. Premièrement, redonner de la vigueur, de l’essor à l’économie en redressant progressivement le pouvoir d’achat et en centrant la politique économique sur l’emploi. C’est deuxièmement, rénover la démocratie et là je réponds directement à votre question. Il y va du refus du mi-temps pour les ministres comme il en va du refus du cumul des mandats qui est une des propositions essentielles que nous faisons pour rénover la politique. Il faut que les responsables politiques, qu’ils soient dans un Gouvernement ou qu’ils soient présidents d’un conseil général ou maire d’une grande ville, se consacrent pour l’essentiel à leur mandat principal. C’est aussi la place des femmes ; c’est l’indépendance de la justice par rapport au pouvoir politique, c’est-à-dire un cordon ombilical clairement coupé. On voit à nouveau des affaires qui se développent et qui concernent des personnalités importantes proches de la coalition sortante. Et donc, là aussi, il faudra être clair sur l’indépendance de la justice. C’est la place des femmes et je suis fier de voir que beaucoup de nos candidates, y compris celles qui n’étaient pas connues, aient très bien réussi dans le premier tour et nous aurons d’ailleurs des dizaines d’élues la semaine prochaine et je dirais même quel que le soit le résultat. Et puis, la dernière grande orientation est quand même de partir des préoccupations de vie des Français parce qu’on sait que pour une majorité d’entre eux, les conditions de vie sont extrêmement difficiles. Là, ce sont les problèmes de la sécurité, les problèmes du logement, le problème de la ville, le problème de l’éducation des enfants, par exemple.
TF1 : Vous n’avez pas cité le mot immigration et j’y pensais en regardant le sujet sur l’Algérie. Si un jour arrive une masse considérable de réfugiés qui veulent fuir je ne sais quel régime en Algérie, alors ce problème va se poser de manière aigüe. Assez régulièrement, François Mitterrand faisait ressurgir le thème du droit de vote des immigrés aux élections municipales et vous, vous n’en avez pas parlé du tout. N’est-ce plus d’actualité ?
Lionel Jospin : Ce n’est pas une de nos propositions effectivement, en tout cas aujourd’hui et dans le cadre de la législature. D’autant que cela devrait justifier une révision constitutionnelle, même si cela se pratique dans d’autres pays d’Europe et pourrait à mon sens, dans les élections locales, se pratiquer en France aussi. J’apprécie beaucoup que vous ayez fait surgir cette question de l’Algérie à travers ce biais de l’immigration dans notre débat. On a parfois comme un sentiment de malaise à penser que même dans un pays comme le nôtre heureusement protégé par la démocratie, par la paix civile, eh bien si près de nous, de l’autre côté de la Méditerranée, on a cette population martyrisée, ensanglantée.
TF1 : Ils votent quatre jours après nous.
Lionel Jospin : Ils votent quatre jours après nous mais surtout, ils ne vont pas voter dans des conditions suffisamment démocratiques. Je me suis exprimé à plusieurs reprises, ces dernières années, pour dire au Gouvernement français qu’il devrait peser davantage en Algérie dans le sens de la démocratie. Si on reste dans un face à face entre un pouvoir militaire dur et les mouvements fanatiques islamiques, on peut craindre que l’explosion d’un drame qui, pour le moment, ensanglante l’Algérie, ait des conséquences pour nous. Ce serait sage du point de vue que vous évoquez, d’avoir une politique différente en Algérie.
TF1 : J’ai deux dernières questions politiques à vous poser : d’abord, la cohabitation. Une cohabitation de cinq ans, on n’a jamais vu ça en France. Deux ans, on a connu ça à deux reprises. Là, cinq ans ; Alain Juppé dit que ce n’est pas jouable, ça va être forcément conflictuel. Vous pensez que c’est jouable ?
Lionel Jospin : D’abord, on n’y est pas et je le précise.
TF1 : Imaginons que vous ayez le pouvoir, ça peut arriver ?
Lionel Jospin : Oui, ce ne sont pas les derniers instants, mais l’occasion pour moi de m’adresser à un public très large, qui nous écoute. Il faut aller voter, il faut faire reculer le taux d’abstention. Et il faut que des centaines de milliers d’hommes et de femmes qui se sont dit : il s’est passé quelque chose au premier tour, j’ai envie d’en être partie prenante, je veux y aller ; il faut vraiment qu’ils se mobilisent et qu’ils aillent voter. Et qu’ils aident à ce changement que je propose, vous le savez, au pays, que nous proposons au pays. C’est surtout cela que je veux dire. Quant à la cohabitation : si donc il y a une nouvelle majorité, moi je crois que, si chacun a le sens de sa responsabilité bien sûr – si on veut introduire de l’instabilité dans nos institutions, l’initiative ne viendrait pas de nous – mais si l’on croit à la stabilité de ces institutions, si on ne veut pas par exemple utiliser la dissolution un peu trop, de façon répétitive, je pense que cinq ans au contraire pourraient donner l’occasion d’un fonctionnement plus régulier des choses. Car la cohabitation, on se dit : il y a une présidentielle où on rejoue la partie dans un an et demi, ça provoque le conflit. Si on se dit : il y a une majorité pour cinq ans, eh bien il est du devoir du président de laisser cette majorité, appuyée sur le vote du peuple. Car c’est le peuple qui tranche. On lui a donné la parole, il la prend. On verra quel sera son verdict dimanche. S’il tranche dans le sens d’une majorité de changement, le président de la République devra laisser bien sûr ce Gouvernement gouverner. D’autant que, nous respecterons ses prérogatives.
TF1 : Ma dernière question est assez anecdotique : depuis une dizaine d’années, Albert Scémama organise toujours au sein de la rédaction de TF 1 et avec tous les journalistes, tous les techniciens, un concours de pronostics, avec le nombre de députés à droite, le nombre de députés à gauche, le nombre de députés Front national. Vous mettriez combien à gauche vous ?
Lionel Jospin : Je peux renverser : pour une fois, avoir le plaisir de vous questionner ?
TF1 : Je ne vous le dirai pas. Le soir du deuxième tour.
Lionel Jospin : Très bien, dimanche à 20 heures alors.
TF1 : Mais vous, vous ne vous avancez pas ?
Lionel Jospin : Non, c’est le peuple qui doit trancher. Mais je n’attends pas passivement non plus qu’il tranche. C’est pourquoi, dans les derniers jours, et encore avec vous, et tout à l’heure à Lille où je tiendrai un grand meeting, je veux le convaincre. Car en même temps, le peuple dit : c’est moi qui déciderait, les Françaises et les Français, mais ils ont besoin en face aussi, d’une volonté, d’une perspective, qu’on leur trace des orientations. Ça, c’est, je l’espère, je le crois profondément, notre rôle et aussi un peu le mien.
Date : Vendredi 30 mai 1997
Source : France Info/Edition du soir
France Info : C’est votre dernière intervention publique avant le deuxième tour de scrutin. Que s’est-il passé, selon vous, en dix jours pour que la campagne prenne forme et que le partage se dessine ?
Lionel Jospin : Il s’est d’abord passé un premier tour, c’est-à-dire un vote. Pendant toute la campagne, pendant quatre semaines, nous étions à la fois dans un dialogue… En tout cas, nous qui avons rencontré les Français par centaines de milliers, même plus, je crois – puisque nous avons diffusé nos propositions à 11 millions d’exemplaires, et puis, nous étions dans les informations que nous donnaient les sondages, les intentions de vote – il s’est passé un élément fondamental, c’est que les Françaises et les Français ont exprimé un premier vote – puisque l’élection est en deux tours – et à partir de là, on a commencé à voir une lumière réelle sur ce qu’étaient leurs sentiments et sur ce qu’ils pouvaient avoir envie de faire au second tour.
France Info : Vous avez même changé d’adversaire depuis lundi ; vous n’avez pas proposé de duel télévisé à Philippe Séguin, pourquoi ?
Lionel Jospin : D’abord, je n’ai pas été dans cette élection législative avec un adversaire qui serait une personne. J’ai eu l’impression que le Premier ministre sortant ou en tout cas démissionnaire, ou presque démissionnaire, a plutôt trouvé de l’adversité dans son propre camp. Nous, en réalité, nous avons d’abord critiqué une politique, celle qui depuis quatre ans est conduite par la droite et qui, à l’évidence échoue. Nous avons critiqué aussi des comportements politiques par rapport à l’État, par rapport aux affaires, par rapport à l’indépendance de la justice ; nous avons critiqué un certain style de pouvoir qui ne sait pas entendre, qui ne sait pas dialoguer, qui ne se préoccupe pas des problèmes de la vie quotidienne des gens qui sont pourtant très difficiles en France – pour de nombreuses personnes en tout cas – ; et nous avons critiqué une politique et avancé nos propositions surtout. Nous avons fait une campagne positive. Et donc le retrait d’Alain Juppé comme chef de campagne était plus un problème pour la droite en quelque sorte – pour le RPR et l’UDF – que pour nous, et l’improvisation d’un nouveau tandem, si vous voulez, nous est apparue un peu comme un nouveau coup politique après la dissolution, après la démission d’Alain Juppé et d’ailleurs, nous ne voyons pas bien comment on pourrait faire confiance à la construction comme ça, hâtive, trois jours avant l’élection, d’un tandem de deux hommes qui sont à l’opposé sur les questions : sur le rôle de l’État, sur l’Europe, sur le libéralisme. Donc c’est une équipe fabriquée de bric et de broc, et donc nous, nous continuons notre campagne positive.
France Info : Et selon vous, ces jours-ci, Jacques Chirac n’a rien fait, ni dit…
Lionel Jospin : Quant au débat, pardon, parce qu’il y a quand même une question précise et je m’efforce toujours d’y répondre.
France Info : Sur le débat, pourquoi ne pas en proposer un à Séguin, vous en aviez proposé un à Juppé avant le premier tour.
Lionel Jospin : Oui, au début de la campagne, quand on pouvait éclairer les Français sur les enjeux, sur nos propositions. Ce débat en tête à tête a été récusé. D’abord, ce débat, je ne l’avais pas proposé. À vrai dire, il avait été proposé par les médias. Ça n’a pas été reproposé. On ne sait pas qui, en réalité, dirige la campagne dans cette opération, est-ce que c’est M. Madelin, est-ce que c’est M. Séguin ? Et puis, on finit. Quand le faire ce débat ?
France Info : Alors selon vous, Jacques Chirac, ces jours-ci, n’a rien fait, ni dit qui rende une éventuelle cohabitation impraticable.
Lionel Jospin : Non, moi, ce qui me frappe surtout quand même, puisque l’on arrive à la fin et que, vous l’avez dit, c’est un peu ma dernière expression, c’est qu’au fond, la droite termine la campagne un peu comme elle l’a commencée, de façon très négative d’après ce que je peux entendre parce que je suis moi-même encore sur le terrain. Elle a démarré, vous vous souvenez, en disant : la campagne sera brutale et joyeuse. Je trouve, que la droite reste brutale dans sa façon de parler, y compris de nous, y compris des problèmes alors que nous, nous n’avons pas ce ton. Je ne l’ai jamais adopté pendant toute la campagne. À l’évidence, elle termine la campagne de façon peut-être un peu moins joyeuse. Mais surtout elle la termine dans la confusion politique. Et le fait que l’on puisse prétendre sauver un peu l’élection en fabriquant en hâte ce duo entre l’ultralibéral et l’antieuropéen, disons entre l’antisocial et l’étatiste, ça nous démontre à mon avis encore plus crûment que la droite n’a pas de projet politique.
France Info : Et le rôle du président dans tout cela, ces derniers jours : rien d’incompatible avec une éventuelle cohabitation.
Lionel Jospin : Vous avez vu que nous ne faisions pas de remarque sur le fait qu’il intervenait. Il l’a fait, nous lui avons répondu.
France Info : Vous croyez qu’une cohabitation puisse durer cinq ans ?
Lionel Jospin : D’abord, nous ne sommes pas en cohabitation. L’élection n’est pas faite, je veux encore, ici, dire que je souhaite que les électeurs et les électrices se mobilisent s’ils ont eu l’impression, comme je le crois, qu’un mouvement se dessinait au premier tour, qu’ils se fassent partie prenante, qu’ils l’accompagnent, qu’ils viennent plus nombreux lui donner son sens et sa force.
France Info : Et alors, dans cette hypothèse ? Ça peut durer cinq ans ?
Lionel Jospin : Je crois que c’est plus facile de faire une cohabitation sur cinq ans que de la faire sur un an et demi, deux ans parce que dans ce cas, chacun se dit : ah oui, mais il va y avoir une élection présidentielle juste derrière, donc je me prépare au combat. Là, la perspective est tellement loin qu’à moins d’avoir une attitude purement politicienne ou de chercher son propre intérêt partisan en oubliant celui du pays, à partir du moment où on a voulu des élections, parce qu’après tout, il n’était pas obligé de dissoudre, on a donné la parole au peuple, le peuple prend la parole et si sa parole c’est de dire : je demande à une nouvelle majorité de faire le changement dans un certain nombre de domaines, que j’ai évoqués pendant toute la campagne, qui sont nécessaires, je crois qu’il est de la responsabilité, du chef de l’État notamment, de respecter cette décision et pour une législature. On ne va quand même pas dissoudre des assemblées en permanence et réintroduire l’instabilité ministérielle de la IVe dans la Ve République. Donc, je crois qu’au contraire on devrait pouvoir gouverner dans la durée, sur les grandes orientations que je propose dans ce pacte du changement qui sont : redonner de la vigueur et de l’allant à l’économie pour lutter contre le chômage, qui sont de rénover la démocratie – indépendance de la justice, la transparence de l’État, le refus du cumul des mandats – et puis préoccupation pour les problèmes de la vie quotidienne des Français.
France Info : Vous avez dit hier soir, à Lille, que la France allait peut-être stupéfier l’Europe. Vous croyez que chez nos partenaires allemands l’éventualité d’une alternance, en France, ce soit une surprise agréable ?
Lionel Jospin : Je me suis efforcé de ne pas faire intervenir dans la campagne des témoignages de responsables politiques étrangers, quels qu’ils soient, parce que je considère que c’est aux Français de se déterminer et de se déterminer par rapport aux problèmes de la France, même si la France joue un rôle tout à fait décisif en Europe. Mais il me serait assez aisé de dire ou de montrer les messages que je reçois d’un certain nombre de personnalités, y compris des chefs de Gouvernement, en Europe, actuellement dont, il faut bien le dire, un nombre relativement important sont socialistes ou socio-démocrates.
France Info : Le partenaire principal, c’est l’Allemagne et c’est le chancelier Kohl.
Lionel Jospin : Si vous ramenez l’Europe des Quinze à un duel, ou un duo plus exactement, je pense que là c’est commettre une faute politique à l’égard de grands pays partenaires comme la Grande-Bretagne, quand même, surtout au moment où elle revient, semble-t-il, vers l’Europe, avoir l’air de dire qu’il n’y a que l’Allemagne et la France qui comptent ! L’Espagne qui est un grand pays, l’Italie et puis de nombreux autres pays qui sont des grandes nations et qui n’ont pas envie de voir l’Union européenne qu’on se prépare, paraît-il à élargir, se résumer à un duo. D’ailleurs en Allemagne, il y aura aussi des élections, et quant à M. Kohl, c’est un homme sage, européen et qui sait que, quel que soit le Gouvernement en France, les relations entre la France et l’Allemagne doivent être bonnes.
France Info : La Bourse s’inquiète en tout cas, elle a perdu 6 % cette semaine. Vous concevez cette inquiétude ?
Lionel Jospin : Je regarde la Bourse et je pense que cela se calmera. Je ne suis pas un spécialiste de la Bourse, je n’ai pas de portefeuille d’actions ni d’obligations, je n’en ai jamais eu. C’est que l’incertitude ne plaît pas à la Bourse. Quand l’incertitude sera levée, je pense que les choses se calmeront. En tout état de cause, vous savez très bien que, sur un certain nombre de points qui peuvent préoccuper un certain nombre de milieux financiers, nous avons dit que nous ne pouvions pas envisager d’augmenter les dépenses publiques, que les prélèvements obligatoires, avec le record auquel les a portés M. Juppé, avec l’aide de M. Madelin dans les trois mois où il a été ministre des Finances, ne peut pas être encore battu, si j’ose dire. Par ailleurs, vous savez très bien que même si nous posons des conditions pour la monnaie unique, dont je vois d’ailleurs qu’elles tendent à être reprises par beaucoup de responsables politiques, y compris de l’ex-majorité et par certains partenaires européens, nous restons fondamentalement pro européens.
France Info : Vous avez discuté un peu avec Robert Hue, ce matin n’a évoqué pour la première fois hier l’hypothèse d’un soutien sans participation de ministres communistes dans un gouvernement éventuel d’alternance. C’est un cas de figure que l’on doit prendre en compte ?
Lionel Jospin : Naturellement. Je crois que le Parti communiste détermine librement sa participation ou sa non-participation à un Gouvernement à partir du moment où, par ailleurs il fait partie d’une majorité nouvelle qui se créerait. Donc je respecte sa liberté de décision. Je crois qu’il doit d’ailleurs consulter ses militants, si la situation conduisait à cette hypothèse. Par ailleurs le Parti communiste – je l’ai reprécisé – ne peut pas imposer les conditions de la participation des autres forces politiques. Donc, en tout état de cause un Gouvernement serait constitué, mais c’est un problème de liberté de chacun. Moi ce qui me préoccuperait en tant que responsable politique – je n’ai pas de responsabilités particulières aujourd’hui, vous le savez bien – c’est la cohérence d’un gouvernement. Cette cohérence s’impose, donc elle serait assurée.
France Info : Quand vous lisez dans la presse la composition du futur Gouvernement de la France, que dites-vous ? Que les journalistes sont bien informés ?
Lionel Jospin : Non, je dis que les journalistes aiment jouer à ces jeux et que j’ai été suffisamment joueur dans ma propre vie – pas joueur de cartes ou joueur de casino – pour comprendre qu’on ait envie de jouer. Mais, à mon sens, ça n’est qu’un jeu.
France Info : Est-il concevable que dans un éventuel Gouvernement d’alternance, il puisse y avoir des ministres mis en examen ?
Lionel Jospin : Je crois avoir déjà répondu à cette question, sur une antenne, par la négative.
France Info : Si, en cours de route, d’aventure, un ministre venait à être mis en examen, est-ce que, comme à l’époque de M. Balladur, il devrait quitter le gouvernement ?
Lionel Jospin : Cet homme ou cette femme pourrait envisager de choisir ses ministres de façon à ce que ce risque soit aussi réduit que possible.
France Info : Il y a des pépins qui arrivent en cours de route quand même. Dans ce cas, il y aurait une jurisprudence qui continuerait de s’appliquer ?
Lionel Jospin : Si ça vaut pour le début, ça vaut pour la fin. Vous perdez du temps sur des questions, à mon avis, secondaires.
France Info : Très bien. Un gouvernement ramassé – par hypothèse – d’un quinzaine de ministres, aurait-il un fonctionnement de cabinet, c’est-à-dire que les quinze pourraient s’exprimer et débattre de tous les sujets ?
Lionel Jospin : Il est trop tôt pour parler d’un gouvernement. Nous devons rester dans le cadre de cette élection qui se termine – qui ne se terminera que dimanche. Si vous voulez encore m’interroger sur les enjeux de cette élection, je suis tout à fait prêt à la faire.
France Info : Vous avez fait, il y a deux ans, une campagne pour être un président-citoyen. Qu’est-ce que se serait un Premier ministre-citoyen ?
Lionel Jospin : Là encore, je ne veux pas me mettre dans des hypothèses…
France Info : … Ce n’est pas une hypothèse. Qu’est-ce que vous imaginez, vous, que devrait être un Premier ministre à Matignon ?
Lionel Jospin : Toute personnalité, et pas simplement un Premier ministre, un ministre doit avoir le sens de l’écoute, il doit vivre le plus près possible de ce que sont les citoyens, c’est-à-dire y compris dans sa façon d’être, dans ses modes de déplacement, se séparer le moins possible de ce que sont les autres Françaises et Français. Vraiment, je crois que les Français aspirent certainement à ce que des décisions politiques soient prises pour assurer l’indépendance de la justice, la transparence de l’État, l’impartialité dans les nominations, la réduction du cumul des mandats, mais ils sont aussi très attentifs, on le sait si on connaît les Français un peu – et je crois bien les connaître –, à des signes et à des gestes. Moi qui, par exemple, prends régulièrement l’avion de ligne aller-retour pour aller à Toulouse ou même en campagne, là, actuellement, je sais très bien que le fait que je fasse la queue comme tout le monde, que je fasse passer mon ticket en montrant ma carte d’identité, en faisant comme tout le monde, comme ferait un Premier ministre danois, par exemple. Je crois qu’ils apprécient cela et dès qu’ils voient le petit signe d’un privilège, ils n’aiment pas. C’est une anecdote mais peut-être peut-elle éclairer ma vision, mon sentiment.