Déclaration de M. Lionel Jospin, premier secrétaire du PS, sur le rôle du Parlement européen et du groupe socialiste européen dans le cadre de la monnaie unique et de l'élargissement de l'Union européenne, Strasbourg le 13 février 1996.

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Circonstance : Intervention de M. Lionel Jospin devant le groupe parlementaire du Parti des socialistes européens, Strasbourg le 13 février 1996

Texte intégral

Madame la Présidente, ma chère Pauline,

Merci de ces mots chaleureux.

Je suis heureux, dans cette élection présidentielle, d'avoir remporté une victoire personnelle mais j'aurais pu, j'aurais préféré naturellement remporter la victoire. En tout cas, je suis personnellement très heureux - à ton invitation - de me retrouver devant le Groupe Socialiste européen, de retrouver des lieux familiers, quelques visages que j'ai connus quand j'étais moi-même parlementaire européen, et surtout heureux et nostalgique de me retrouver dans une salle qui porte le nom Willy BRANDT, qui fut pour moi à la fois un exemple et un ami et parlant de Willy BRANDT, j'ai également envie d'associer à sa mémoire celle de François MITTERRAND qui nous a quittés au début de cette année 1996, parce que tous les deux ont apporté à l'histoire récente du Socialisme et à l'Histoire européenne, un apport inestimable.

Je suis venu à Strasbourg et j'ai pu faire un certain nombre de rencontres avec le Président du PE qui est de nos amis, avec le Président de la Commission, avec deux Commissaires européennes, Madame WIJFT-MATTHIES et Edith CRESSON et je suis heureux, après avoir eu un déjeuner de travail avec la délégation française, d'être accueilli par le Groupe socialiste européen. Le Groupe socialiste européen joue dans ce PE un rôle considérable dû à la fois à son nombre, à la diversité des expériences, des cultures et des histoires qu'il porte, mais aussi à sa capacité -par le débat démocratique- de définir des positions cohérentes et qui marquent ce PE.

Je sais aussi que ce Groupe ne vit pas dans le huis-clos du PE et que, quand des tragédies secouent des pays amis et des partis frères, -je pense au terrorisme qui a frappé en Espagne, je pense au terrorisme qui a frappé à Londres-, nous en éprouvons un chagrin, une compassion que nous partageons. Je sais que cela peut provoquer des débats en notre sein, que des questions tournant autour de l'identité culturelle, du respect de la personnalité d'un certain nombre de régions sont posées dans le mouvement socialiste depuis longtemps et en même temps, nous savons tous que ces questions ne peuvent pas être posées dans les mêmes termes et aboutir aux mêmes conclusions lorsqu'elles sont posées dans des régimes de dictature et lorsqu'elles sont posées dans des régimes de démocratie, où les formes de la lutte politique doivent être différentes.

Je voudrais exprimer ma solidarité à l'égard des camarades d'Espagne, des camarades de Grande-Bretagne et d'Irlande et je voudrais dire d'ailleurs que j'aurai l'occasion bientôt, invité par le Maire de Barcelone P. MARAGALL et par F. GONZALES, participer à un grand meeting de fin de campagne, dans le cadre de la bataille que mènent nos amis du PSOE.

Je suis frappé par l'importance de ce groupe européen et je pense, en plus, que cette cohérence dont je parlais tout à l'heure, peut être renforcée par le fonctionnement de plus en plus intéressant sur le plan politique du PSE, et notamment par les réunions de leaders du PSE auxquelles je participe maintenant depuis quelques semaines, c'est-à-dire depuis que j'ai repris la responsabilité de Premier Secrétaire du PS après l'élection présidentielle. Cette cohérence est d'autant plus précieuse que, je le disais tout à l'heure, nous sommes des partis héritiers de grands peuples, de grandes Histoire, de cultures nationales ouvrières extrêmement différentes et qu'en même temps, nous sommes capables parce que nous nous référons à des valeurs communes, de faire passer des positions qui prennent en compte cette diversité.

Je pense notamment à ces positions que vous avez fait avancer sur la directive TVSF, sur lesquelles vous vous exprimerez demain et où chacun a senti que son identité et sa culture pouvaient être mises en cause, si nous ne veillions pas à ces préoccupations et à ces valeurs communes. Et de ce point de vue, je m'inscris en tant que leader, dans une tradition d'écoute et d'échanges, de respect mutuel qui doit caractériser l'ensemble du mouvement socialiste et qui à mon sens, doit inspirer le PS à travers ses représentants. C'est cette capacité d'écoute que nous avons exprimée, je crois, à l'occasion du vaste débat international qu'a provoqué la reprise des essais nucléaires par la France Naturellement nous étions contre cette reprise des essais nucléaires par la France et j'avais annoncé dans la campagne présidentielle que, si j'étais élu Président de la République, je ne reprendrais pas les essais nucléaires, arrêtés par François MITTERRAND. Mais si nous ne nous sommes pas trouvés isolés en France, même malgré la campagne du Gouvernement, c'est parce que d'une certaine façon nous étions à l'unisson d'un mouvement d'opinion internationale, à la constitution duquel le Groupe socialiste européen et l'internationale Socialiste ont beaucoup contribué.

Je suis heureux aussi d'être ici parce que je pense que dans la période où se trouve l'Europe, le PE doit jouer un rôle croissant. Si nous pensons que l'Europe actuelle pèche par un défaut de démocratie, alors le PE peut être un des moyens importants de cette reconquête démocratique des institutions européennes. Nous sommes à la veille de 3 années cruciales pour l'union européenne : la CIG de 1996 et les différents sujets qu'elle aura à traiter la préparation du rendez-vous de la monnaie unique, la préparation de l'élargissement de l'UE, notamment aux pays venant de l'Europe centrale et de l'est, puis la discussion sur les perspectives financières de l'UE.

C'est dans ce moment même que nous avons décidé, que j'ai proposé au PS, une discussion, un grand débat sur le thème de la mondialisation, de l'Europe et de la France pour préciser ce qui relève de ces nouvelles évolutions du monde, ce qui doit refonder notre engagement européen et ce qui doit subsister non seulement de l'état-nation, non seulement des champs de l'action dans la politique économique, mais je dirais aussi de l'identité nationale, confrontée à l'Europe, affrontée au monde si nous voulons prendre en compte aussi cette question nationale, nous qui sommes internationalistes par culture et ne pas laisser cette question aux nationalistes et aux démagogues, en particulier de l'extrême-droite. Nous avons engagé ce débat parce que ces questions de la mondialisation, de ses contraintes, de ce que veut l'Europe, du choix de son modèle, de ce que peut représenter encore chacun de nos états-nations préoccupent les Français et nos militants.

Nous l'avons choisi parce que cela nous permettra de recadrer notre politique européenne et aussi de commencer à préciser les grands axes de notre politique économique, si nous devions revenir aux responsabilités. Nous allons pousser ce débat à fond au sein du PS et il est en cours au moment où je vous parle. Mais, je voudrais vous dire que sur la base des premières discussions qui ont lieu et si certains d'entre vous pouvaient s'interroger, je suis convaincu que l'ensemble du PS, du Parti Socialiste français va reconfirmer à travers cette discussion libre, la force, la puissance de son engagement européen. L’état d'esprit qui me semble être le nôtre à ce stade et là encore, sans préjuger des textes que nous allons élaborer et que nos militants auront à discuter, peut s'inspirer sans doute des quelques idées suivantes :

– MAASTRICHT est derrière nous. Nous n'avons pas l'intention d'occuper l'opinion publique par un nouveau débat sur Maastricht. Ce qui nous préoccupe dès maintenant, c'est l'après-Maastricht, c'est Maastricht après et pas maintenant. Le rendez-vous de la monnaie unique ne doit pas être éludé ou repoussé. C'est une décision politique que les peuples, ou plus exactement que les Gouvernements au nom des peuples, auront à prendre en 1999 et ils regarderont à ce moment-là les conditions, y compris les conditions de critères dans lesquels cette décision aura à être prise. Mais la politique européenne, sous peine d'être en péril, ne peut se réduire à l'Union Monétaire. L'Union Monétaire pose de façon plus aigüe la nécessité d'une coordination des politiques économiques dans les autres champs de la politique économique : budgétaire, fiscaux, d'investissement, de recherche, d'environnement et pose la question d'une coordination accrue de ces politiques économiques dans le sens de la croissance et de l'emploi. Comme vous, nous pensons que dimension sociale doit être réaffirmée et sera essentielle dans les prochaines années.

– Nous sommes aussi favorables à une volonté de clarification démocratique et institutionnelle et, dans cet esprit, nous pensons que la CIG de cette année ne doit pas être entendue a minima comme, jusqu'à maintenant, j'ai pensé que l'aborderaient le Président et le Gouvernement français. Il s'agit de clarifier le Traité, de préciser qui fait quoi, entre l'Union et les États membres, de rapprocher les députés de leurs électeurs, de renforcer l'efficacité de l'Union, notamment par l'introduction du vote à la majorité dans des secteurs comme le fiscal, le social, l'environnement qui éviteront que l'Europe galope sur le terrain de la libéralisation et marche d'une voie lente dans les autres domaines qui pour nous, Socialistes, sont pourtant essentiels. Nous voulons naturellement renforcer l'union politique, bâtir la politique étrangère commune puis la politique de sécurité. Mais je ne peux développer, dans le cadre d'une intervention brève, ces points devant vous.

– Sur l'élargissement, nous pensons qu’il faudra fixer des critères précis dans chaque domaine pour que les candidats à l'Union européenne sachent les choses clairement et puissent en fonction de cela, fixer les rythmes raisonnables de leur adhésion à l'UE et sur l'agriculture, nous devrons veiller au respect de l'acquis communautaire.

Sur tous ces problèmes, mes chers camarades, chers amis, l'apport des sociaux-démocrates que nous sommes, que vous êtes dans cette instance du PE, sera décisif. Nous n'avons pas encore tout-à-fait mesuré le fait que 8 Gouvernements sur 15 sont dirigés par des chefs de gouvernement sociaux-démocrates, socialistes, que 11 d'entre-eux ont, dans leur majorité, des partis socialistes ou sociaux-démocrates, que -et je ne veux pas là porter atteinte à la neutralité bien sûr de la commission- mais que nous avons aussi dans cette commission, des personnalités, hommes et femmes, de talent qui sont aussi sensibles aux préoccupations qui sont les nôtres, quelle que soit bien sûr l'éthique qui est la leur, et qui est une éthique au service de l'ensemble de la Communauté Européenne.

La construction européenne, si on y réfléchit bien, s'est faite d'une certaine façon historiquement par un compromis entre les Chrétiens-Démocrates, aile ouverte du conservatisme lorsqu'ils n'étaient pas dominés par l'idéologie libérale et les sociaux-démocrates. Et je me suis parfois demandé, ces dernières années, et les gouvernements auxquels j'ai appartenu ont pu en France en prendre leur part de responsabilité si nous Sociaux-Démocrates, avions continué à affirmer suffisamment nettement les positions qui permettaient de poser les termes de ce compromis et je pense personnellement, que dans de ce moment où l'Europe s'interroge, où elle a à faire des choix équilibrés, l'Union Monétaire mais aussi la prise en compte des problèmes de l'emploi, des problèmes des inégalités, sociale croissantes l'importance attachée au maintien de nos services public, quelle qu'en soit la définition, qui est variable selon nos pays mais qui tous visent à servir l'intérêt général, je pense que nous devons -peut-être avec plus de netteté-réaffirmer nos positions de socialistes et de Sociaux-Démocrates pour que ce compromis, d'une certaine façon, continue à fonctionner et que nous ne soyons pas dominés par l'idéologie libérale.

Tout à l'heure, je disais au Président SANTER et je le redisais devant les journalistes, que j'ai entendu ce qu'on nous a dit depuis DAVOS. Les gouvernements seront maintenant sous la tutelle des marchés qui seront les gendarmes de leur action. Ils devront tenir compte des marchés au moins autant si ce n'est plus que de leurs opinions publiques. Et bien moi, je souhaiterais qu'au discours de DAVOS, réponde un discours de BRUXELLES ou de STRASBOURG et ce discours nous pouvons nous, Socialistes, Travaillistes, Sociaux-Démocrates y contribuer beaucoup. Et nous le ferons bien sûr dans l'esprit de compromis qui est nécessaire. Pour cela, la confrontation des points de vues entre socialistes est naturellement nécessaire, de même que la coordination de nos propositions aussi bien dans le cadre du Groupe socialiste européen que dans le cadre du PSE.

Nous le savons bien et je voudrais, si vous l'acceptez, terminer là-dessus, nous savons bien que l'Europe, ce n'est pas simplement des institutions, des décisions, des mécanismes, des réalisations. C'est aussi un équilibre politique. Et, à chaque fois que l'un de nos partis est engagé dans une bataille démocratique, nous savons que cet équilibre est susceptible de se modifier ; si l'un des nôtres perd, nous perdons quelque chose ; si l'un des nôtres gagne, nous gagnons quelque chose.

Alors si vous le voulez bien, je me dis que nous, Socialistes français dans l'opposition depuis 1993, totalement dans l'opposition depuis 1995, nous pouvons peut-être essayer d'apporter une autre contribution à une Europe plus orientée à gauche, -prenant en compte la question de l'emploi et les problèmes sociaux- qui serait, de notre part d'essayer de gagner les élections législatives de 1998. D'autres partis sont confrontés à cette échéance et nous fendons dans l'avenir de tel ou tel, tu le sais ma chère Pauline, de grandes espérances ; et bien, nous aussi, nous allons nous battre dans cette direction.

Je voudrais vous dire et je terminerai là-dessus, que c'est loin d'être fait et, malgré les difficultés du Gouvernement conservateur à gagner la confiance du pays, malgré le retournement incroyable qui a été opéré en France entre les engagements de campagne du candidat élu et l'application réelle, les choix réels de la politique suivie par le Gouvernement, gagner en 1998 pour la Gauche et pour les Socialistes sera très difficile. Jamais, jusqu'ici nous n'avons gagné une élection législative sous la Ve République sans que l'un des nôtres ait gagné d'abord l'élection présidentielle. Mais après tout, les lois sont faites, en tout cas celle-là, pour être bousculées. Je ne veux pas m'exprimer de façon irrévérencieuse à l'égard des lois dans ce lieu de législateurs. Naturellement, ces lois sont faites pour être bousculées alors nous ferons le maximum pour cela, nous le ferons bien sûr autour de nos objectifs nationaux et nous le ferons aussi, mes chers amis, soyez-en sûrs, dans un esprit européen.