Texte intégral
Le rapport de Pierre Zarka
Les évolutions politiques et l'activité des communistes
Le comité national du Parti communiste français s'est réuni hier. Il a entendu le rapport de Pierre Zarka, que nous publions ci-contre. La séance du matin était présidée par Paulette Fost, celle de l'après-midi par Pierre Matthieu. Sont intervenus dans la discussion François Auguste, Éric Macia, Martine Durlach, Yves Dimicoli, Denis Duvot, Bernard Deschamps, Marcel Zaidner, Sylvie Mayer, Martine Bulard, Jean-Claude Gomez, Jacques Perreux, Roland Favaro, Danielle Demarch, Marc Bellet, Julien Lauprêtre, Francis Wurtz. Nous rendrons compte de la discussion dans notre édition de samedi.
Nous venons de vivre des mois qui ont été d'une grande intensité pour notre peuple, pour le monde du travail et pour les communistes. Expériences nouvelles, contexte, politique nouveau et mise en œuvre d'une stratégie nouvelle. Après le mouvement social de novembre et de décembre, dont nous avons dit qu'il a constitué un tournant dans la vie politique française, le déroulement des forums, qui marquent nos efforts d'initiative et d'innovation, mérite que nous prenions le temps nécessaire pour mesurer où nous en sommes de la mise en œuvre de notre stratégie, les conséquences qui en découlent et que nous projetions vers quoi doivent s'orienter nos efforts à venir.
Les communistes ont besoin de prendre le temps de la réflexion et de la discussion.
I. – Où en sommes-nous ?
Au-delà des succès populaires que les forums ont rencontrés – Bercy en a témoigné –, de leurs retombées médiatiques, tentons d'analyser au plus près leur impact et les raisons de cet impact.
D'où venions-nous ? Nous avons dit, au 28e Congrès, que la question de la transformation de la société et de la construction de perspectives politiques neuves n'était pas pour plus tard mais était au centre de notre projet. Ce projet politique de transformation sociale, dont le mouvement populaire doit se doter pour trouver sa force et sa cohérence, suppose le débat sur l'avenir, sur la place et le rôle des forces politiques, la forme et la finalité de l'intervention collective. Il n'est pas le dernier étage de la perspective. Il en est le cœur, avons-nous écrit dans le manifeste. Au printemps de 1994 nous avons lancé l'idée du Pacte unitaire pour le progrès. Il faut bien le dire, cette idée, dans la mesure où les citoyens avaient pour référence l'expérience douloureuse de l'échec qu'ils venaient de subir, est restée longtemps abstraite et générale, rencontrant même la crainte de recommencer ce qui avait échoué.
1. L'impact des forums
Ainsi, pour nous, la question de la perspective ne se posait pas pour plus tard, au terme d'un long processus de luttes : elle se posait immédiatement, y compris pour permettre au mouvement social de trouver, au fut et à mesure de ses avancées, des points d'appui dans la vie politique pour porter ses exigences. Cela correspondait à des attentes, dans la mesure où les problèmes immédiats appelant la transformation de la société, il nous fallait répondre de manière éloquente, dans le même mouvement, aux questions de contenu et de conditions politiques de cette transformation. Six cents forums tenus et les efforts des communistes ont permis de faire l'expérience d'autres rapports à la politique.
Le premier élément à retenir du déroulement des forums est que la méthode a gagné en crédibilité. L'idée que les citoyens peuvent à la fois débattre entre eux et avec les forces politiques qui se réclament de la gauche et du progrès, avoir prise sur elles, ne relève plus du rêve mais commence à faire partie de l'expérience. Cette expérience s'est faite à travers des salles où les participants étaient actifs comme à travers l'écho que ces évènements ont eu, soit par nos soins, soit par la presse.
Le second élément, c'est que les participants, puisqu'ils venaient avec l'intention d'être actifs, ont été porteurs non seulement d'interpellations, mais d'exigences, exprimées notamment par le mouvement social.
La perception de la violence de la politique mise en œuvre, du fait que ce gouvernement n'est pas au service de l'intérêt général mais du monde des affaires, conduit un grand nombre d'hommes et de femmes à se demander si le débat politique peut leur permettre d'avoir prise sur le réel. Ces interrogations rendent plus aiguës les attentes vis-à-vis des forces qui se réclament du changement. La question du contenu de ce changement s'est ainsi précisée, dépassant le constat d'une situation dure et injuste. La monnaie unique, bien sûr, est venue en discussion, mais pas seulement : oser prendre l'argent nécessaire sur les revenus financiers ; considérer l'augmentation des salaires, non comme un coût, mais comme un moyen de relancer l'économie ; puiser dans l'accroissement de la productivité de quoi payer la réduction hebdomadaire de la durée du travail et créer des emplois, autant de questions essentielles pour défendre les droits des salariés et pour changer la société. Mais autant de points aussi qui sont au cœur des confrontations entre partis de gauche et avec les citoyens.
La question des conditions politiques a été également abordée. D'au moins deux manières, par l'expérience nouvelle pour les citoyens de participer à un débat avec des dirigeants de chaque force de gauche. Et par la volonté explicite de ne pas renouveler ce qui a échoué, ni en France après 1981, ni avec l'effondrement de l'URSS. Les rapports nouveaux que les citoyens pouvaient avoir avec les partis, non pas pour être tentés de faire sans eux ou d'éluder le problème, mais pour s'assurer que ces partis les entendent bien, ont été, dans les mêmes soirées, à la fois abordés et expérimentés.
Un parti communiste prenant l'initiative
Des regards nouveaux ont commencé à se tourner vers le Parti communiste. Il est apparu porteur des exigences du mouvement social et prenant l'initiative politique susceptible de faire bouger ce qui bloque à gauche. Il a permis de renouer avec un espoir lucide, et de faire la démonstration de son caractère ouvert. En liaison avec l'expérience, le contenu de la campagne de la présidentielle, nos prises de positions, l'ensemble de l'activité des communistes, ce regard nouveau commence pour la première fois depuis longtemps à se traduire électoralement. Les réélections des municipalités à direction communiste, à Montargis et à Dieppe, et notre élection à Sète en témoignent, ainsi que les quatre législatives partielles de 1996. Les candidats du PCF, avec 11,31 %, gagnent 3 % sur 1993 et 2,4 % sur 1988. Ces résultats montrent une capacité nouvelle des candidats communistes à rassembler les forces de progrès pour battre la droite et faire entendre les exigences de nouveau.
Je ne dis pas que nous avons réglé tous nos problèmes, mais nous nous sommes engagés sur la voie d'un parti politique qui entend les questions posées par la société et qui commence à apparaître porteur de réponses. L'idée de l'existence du pluralisme à gauche commence à être mieux perçue.
Explicitement, les dirigeants socialistes reconnaissent ce pluralisme, disent renoncer à toute hégémonie. Et, dans les faits, nous ne sommes plus à l'époque qui a suivi le second tour de l'élection présidentielle, où Lionel Jospin se présentait comme le leader de toute la gauche. Et cela, pas parce que nous nous serions égosillés à demander qu'on n'oublie pas le PCF, mais dans la mesure où nous avons fait la démonstration que nous jouions notre rôle en rendant possible le débat. C'est-à-dire en étant à la fois ouverts et porteurs d'idées nouvelles. De fait, cela veut dire que des hommes et des femmes commencent à percevoir positivement ce que nous avons de différent. Ainsi, après les forums, notre démarche énoncée à partir de l'idée du Pacte unitaire pour le progrès au printemps de 1994, ce que nous avions dit en octobre dernier et qui pouvait alors paraître encore vague et hypothétique, commence à prendre les aspects d'une réalité tangible.
Être attentifs au moindre "bougé"
Si, sans équivoque, le PS maintient le cap de la soumission aux marchés financiers, cela ne signifie pas qu'il reste immobile ou qu'il ne soit pas traversé par ce qui se passe dans la société. Ainsi Lionel Jospin a-t-il réaffirmé nettement, à Bercy, son attachement à la monnaie unique. Il n'en est pas moins significatif que lors d'un vote de militants un amendement rejetant Maastricht ait recueilli 42 % de suffrages et que le premier secrétaire du Parti socialiste ait reconnu auparavant que l'existence de l'Europe ne dépendait pas de la création de la monnaie unique. Le PS ne peut pas ignorer, en fait, les exigences ascendantes de justice sociale et nos interventions. Aussi tente-t-il de se caler sur elles. C'est vrai des salaires, dont il précise néanmoins que leur augmentation doit être maîtrisée, des 35 heures dont il est parfois affirmé que cela sera sans diminution de salaire, de la défense des services publics sans pour autant s'opposer aux directives de Bruxelles qui les menacent. Il évoque également la taxation des produits financiers mais n'en précise pas les modalités.
Conduit ainsi à tenir compte des attentes des gens vis-à-vis du débat et de l'espace nouveau que nous occupons, Lionel Jospin nous a lancé un défi lors du forum de Bercy : "Faites preuve d'une capacité d'augmentation et de démonstration qui justifie la politique que vous proposez", nous a-t-il dit en substance. Pour nous qui pensons que notre peuple a besoin d'un débat clair et précis, cela ne peut nous déplaire.
Ces évolutions méritent d'être relevées parce qu'elles témoignent des mouvements de l'opinion et du fait que notre stratégie permet des rencontres qui, lorsqu'elles prennent bien appui sur les attentes des gens et leur manière d'exposer les problèmes, vont bien au-delà de nos résultats électoraux. Ensuite, parce qu'elles montrent la sensibilité que peuvent avoir les forces de gauche à l'opinion. Plus fondamentalement, cela fait plusieurs années que nous sommes amenés à parler des perspectives de manière abstraite sans que l'expérience des gens ne nous apporte de grand crédit, ce qui nous conduisait régulièrement à ponctuer nos démonstrations de l'idée que les conditions n'étaient pas mûres, faisant l'effet d'une douche froide… Aujourd'hui, certes, aucun grand problème n'est réglé, mais nous n'en sommes plus à en parler d'une manière générale ; nous pouvons montrer que nous prenons le problème à bras-le-corps et que nous nous y attaquons. Et on peut vérifier que nous ne reproduisons pas ce qui, hier, a échoué et échouerait de nouveau.
La place que prennent les citoyens dans le débat modifie toutes ces données. C'est dans cette mesure que les forums nous ont mis partout en contact avec des hommes et des femmes avec qui, jusque-là, nous ne l'étions pas, et que nous occupons une place nouvelle dans la vie politique nationale.
2. En convergence avec le mouvement social
Je voudrais m'arrêter sur une question. Qu'est-ce qui a contribué à ce résultat ? Nous avons été à la rencontre du mouvement social, pas en nous limitant à lui apporter notre soutien, mais en faisant en sorte que le débat politique prenne en compte ces exigences et lui apporte des réponses.
Le niveau des exigences
À travers ses revendications, l'aspiration au changement de société a percé. Par exemple avec la remise en cause de la sécurité et de la cohésion sociale et nationale, liées à la protection sociale, est apparue cette interrogation : qu'est-ce que le peuple allait léguer à la génération suivante ? C'est bien l'avenir de la société qui a été mis en question.
Quelque chose s'est enclenché sur le terrain des idées. Par exemple, lorsque 77 % des Français considèrent que la relance de l'économie dépend de leur augmentation de salaires, cela témoigne de l'ampleur d'une perception nouvelle du rapport entre la consommation, le bien-être des hommes et l'efficacité de l'économie. L'opinion publique perçoit de mieux en mieux que les sacrifices qu'on veut lui imposer sont non seulement injustes et inutiles mais détériorent l'économie et la société française. Et cette compréhension accroît, en même temps, le niveau des exigences. Ainsi 24 % des salariés estiment avoir besoin de 1 500 à 2 000 francs supplémentaires par mois pour vivre, 17 % de 2 000 à 3 000 francs et 14 % de plus de 3 000 francs. De même, après des années et des années de consensus et de soumission à l'idée de fatalité, réapparaît l'idée de l'existence d'antagonismes au sein de la société. Pour 80 % des Français, le clivage principal passe entre ceux qui détiennent le pouvoir et ceux qui n'en ont pas. Et l'idée selon laquelle on subit le pouvoir des forces d'argent, des marchés financiers, le fait que le pouvoir est à leur service, grandit. Il en est de même de la monnaie unique et de l'actuelle conception de la construction européenne identifiées comme cause des difficultés auxquelles on se heurte.
La question de la démocratie également, telle que nous l'avions analysée, découlant à la fois de mutations de la société et des expériences négatives engendrées par des conceptions de la politique qui dépossèdent le mouvement populaire de la maîtrise des évènements, cette question franchit un cap nouveau.
Avec l'expérience d'un mois de grève dans le service public, de l'efficacité d'une pratique démocratique nouvelle lors des assemblées générales, commence à grandir la conscience que le monde du travail peut analyser, dégager des solutions. Cette évolution des idées, cette expérience nourrissent le "tous ensemble" qui grandit comme une perspective. En même temps, les citoyens mesurent qu'ils ne peuvent pas déboucher sur des solutions, privés de moyens politiques. Ils sont, nous l'avions déjà noté, à la recherche non plus de sauveurs ou d'alignements partisans, mais d'outils, de forces qu'ils peuvent utiliser pour servir leurs aspirations au changement. Lors du mouvement de novembre et de décembre, il est tout à fait significatif de constater combien l'élargissement, la participation ne se sont pas effectués hors du mouvement syndical mais avec celui-ci, dans la mesure où les salariés avaient conscience d'utiliser les syndicats et non le contraire. Comment n'aurions-nous pas été incités à impulser un tel mouvement dans le champ du politique, élargissant ainsi l'expérience et la volonté d'intervention du monde du travail ?
D'autant que si la poursuite et l'aggravation de la politique gouvernementale après le mouvement de novembre et de décembre provoquent de la colère, elle provoque également des interrogations sérieuses : "À quelles conditions réussirons-nous enfin à faire changer les choses ?"
Ne pas trouver la réponse satisfaisante nourrit du doute et même parfois du découragement. Cette question est donc au cœur de l'actualité. Elle pose en même temps la question des objectifs, du contenu et celles des moyens politiques, donc des partis politiques. Et cela aussi nous l'avons entendu.
Les forums ont permis de n'être enfermés ni dans le danger de recommencer ce qui a échoué, ni dans une attente passive de conditions politiques meilleures, dont on ne voit pas bien ce qui pourrait les créer. Ils ont permis, à l'inverse, de prendre à bras-le-corps ces deux grandes questions qui sont la clé de la transformation de la société : le contenu et les conditions politiques du changement.
3. La situation évolue
Les luttes, l'esprit de résistance, la combativité continuent de marquer le paysage social. En témoigne notamment l'action victorieuse des traminots de Marseille, celle qui se développe aux Télécoms, dans les industries d'armements ou encore l'ampleur de la manifestation des chômeurs. Le succès de la CGT aux élections professionnelles de la SNCF prouve également cette permanence et cette volonté de se doter des moyens d'affronter la suite. L'aspiration au changement continue de grandir. C'est d'ailleurs faire injure aux Français que de leur répondre qu'ils refusent la réforme, se réfugient dans l'immobilisme ou se replient sur leurs frontières. Au contraire, toute leur demande vient du fait qu'ils perçoivent que l'époque nous place devant un choix : soit il n'y a ni place ni espoir pour eux et il ne faudrait voir le monde qu'à travers la guerre économique, soit, même si cela est encore obscur, ils refusent de renoncer aux idées de progrès et de développement.
La droite sur la défensive
Des millions d'hommes et de femmes expriment de telles idées. La pensée unique est mise à mal et nombre d'intellectuels – dont certains avaient même été un temps animateurs de cette pensée unique – se sont déclarés solidaires et même partie prenante de ce mouvement social. Depuis, les regards sur la société des uns et des autres ne cessent de mettre en cause ses règles de fonctionnement et ses finalités.
Cette capacité nouvelle de convergence entre le mouvement social et cette recherche d'issue que nous impulsons contraint la droite et le pouvoir à se repositionner. Il ne s'agit pas pour eux d'abandonner leurs objectifs, mais de tenir compte de l'opinion pour pouvoir mieux mettre en œuvre leur politique. C'est dans ce cadre-là qu'ils maintiennent et même accélèrent le rythme de leurs décisions.
Ainsi, à chaque mesure avancée, le pouvoir fait correspondre une intense bataille d'idées pour les justifier.
Sa politique débouche sur des dégâts humains considérables : le chômage a augmenté pour le septième mois consécutif et frappe près de 12 % de la population active. La précarité, en particulier pour les jeunes, devient une norme. Il était fait état, voici quelques jours, de l'endettement de deux cent mille familles, avec tout ce que cela signifie de basculement potentiel dans la pauvreté.
Pour s'en tenir aux mesures prises cette semaine, les ordonnances de réforme de la protection sociale sont d'une brutalité inouïe. Elles parachèvent l'ensemble du dispositif de remise en cause de notre système. Celle portant sur la médecine de ville conduit à rationner les soins et à sanctionner, à cette fin, les médecins jugés trop "dépensiers". Dans le même esprit, celle concernant l'hôpital vise à mettre les établissements sous tutelle, à les contraindre à une gestion drastique de leurs moyens. Le journal économique "la Tribune" évoque lui-même, cette semaine, la substitution d'une logique financière à une logique sanitaire. Le gouvernement accélère également ses projets de privatisation et de démantèlement du service public : France Télécom est la dernière visée. À la clé, il y a des milliers de suppressions d'emplois et l'abandon aux appétits financiers des plus beaux fleurons de la technologie française. Ce matin, "l'Humanité" révèle ce que devrait être le prochain budget de la SNCF et ses conséquences sociales.
La droite cherche également à dégager ses responsabilités ; ce sont ces députés RPR et Jean Gandois qui dénoncent l'inefficacité des cadeaux faits aux entreprises pour l'emploi, d'autres qui alertent sur les abandons de souveraineté nationale. Et Jacques Chirac lui-même tente, après décembre, de renouer avec sa campagne électorale : il reprend son Tour de France, reparle de fracture sociale, de troisième voie et de priorité à l'homme et à l'emploi lors du G7 de Lille. Il cherche même à apparaître comme combattant une politique qu'il impulse, se faisant battre par les Allemands à Turin sur le thème de l'Europe sociale, empiétant sur le terrain du Parti socialiste. En s'investissant très activement dans ce domaine international – comme il le fait ces dernières semaines – et en reprenant à son compte le souci de la place de la France et la nécessité de faire entendre une voix différente des États-Unis, Jacques Chirac poursuit plusieurs objectifs :
– la volonté, cinq ans après la guerre du Golfe, que le capitalisme français retrouve une position forte au Proche-Orient ;
– ce faisant, la tentative de masquer les abandons nationaux consentis dans l'actuel processus de construction européenne ;
– la volonté de se protéger de la colère provoquée par la politique sociale et économique de son gouvernement et, ainsi, de ne pas lier son sort à celui de son premier ministre. On peut d'ailleurs noter la différence entre le discours du président en matière de politique internationale et les déclarations de la grande majorité de ses ministres qui affirment le caractère non maîtrisable de la mondialisation.
Ce comportement traduit à la fois la difficulté d'assumer les décisions gouvernementales prises, mais aussi la possibilité d'exploiter l'absence de perception d'une autre politique et de ses moyens.
Le Pen n'échappe pas à ce mouvement profond qui traverse la société. Il continue, bien sûr, d'exploiter la crise, le chômage, les injustices, le désarroi qu'elle porte, mais un sondage indique que, durant le mouvement social, 10 % seulement des Français ont accordé du crédit à ses interventions. Il n'a pu se retenir de fustiger les grévistes et de rappeler son caractère profondément antipopulaire. Aujourd'hui il ne maîtrise pas son électorat, et l'avoue lorsqu'il déclare : "Nos électeurs ne supportent plus d'attitude, même de neutralité, à l'égard de l'établissement." Les élections partielles l'ont confirmé en soulignant le caractère hétéroclite et volatile de son électorat ; quels que soient ses mots d'ordre au second tour, ses électeurs votent comme ils l'entendent. Quand sa base électorale est de droite, elle reste à droite. Quand elle est d'origine populaire, malmenée par la crise, elle se retourne contre le gouvernement ou s'abstient. Cette difficulté n'amène pas les dirigeants du Front national à renoncer. En scandant "ni droite ni gauche", comme en créant des syndicats affiliés, non seulement dans les milieux de la police mais aussi à la RATP, ils tentent de construire un pont avec une part de la population excédée par la crise et qui n'a pas d'attache idéologique avec la droite extrême. En même temps, cette difficulté montre que nous ne sommes pas en présence d'un phénomène inéluctable. Notre capacité à répondre aux attentes et à mener bataille contre les idées et le comportement raciste et antisocial du Front national peuvent déboucher sur la réduction de son influence.
Nous pouvons affronter les obstacles
En fait, la plupart des forces politiques – à l'exception des communistes – sont confrontées à une contradiction : la majorité de leurs électorats respectifs aspirent à des changements auxquels leurs politiques tournent le dos. Il existe aujourd'hui une forte distorsion entre le paysage idéologique et le cadre politique existant, a fortiori lorsque l'on prend en compte la réalité des abstentionnistes et des non-inscrits. Il s'agit là d'une donnée essentielle de la vie politique française. Cela ne débouche sur aucun automatisme positif mais libère un champ de rencontres important. Bien sûr, au-delà de la bataille politique et de la question des perspectives politiques, les obstacles existent.
L'éclatement de la société est profond. Il nourrit des divisions et des oppositions au sein du peuple. Ainsi, le caractère massif du chômage, la crainte de perdre son emploi, la précarité et l'absence de statuts, l'éparpillement des emplois à travers une multitude de PME sont des freins au rassemblement. La violence, la drogue, qui se sont installées dans certains quartiers, traduisent également l'impasse dans laquelle sont, en particulier, nombre de jeunes qui n'ont plus ni repères ni valeurs et nourrissent de la rancœur à l'égard de la société.
Cependant, cette dégradation n'a rien d'inéluctable. En novembre et en décembre, le gouvernement a essayé d'opposer ceux qui avaient du travail et ceux qui n'en avaient pas, ou encore les différentes catégories de travailleurs entre eux, et il a essuyé un cinglant échec. De même, dans plusieurs quartiers commence à s'organiser la résistance à la violence.
Pour se rassembler et agir, les hommes ont besoin de mieux comprendre à quoi ils sont confrontés. Quelle est la part des marchés financiers et celle des technologies ? Le travail est-il un coût ou le moyen de développement de la société ? Comment répondre au phénomène d'internalisation des savoirs, de la production, des économies ? Où prendre l'argent nécessaire pour satisfaire les revendications et comment bien assimiler que le fonctionnement de la société en dépend ? Cela nécessite que nous menions une grande bataille d'idées. Elle a déjà produit des résultats. Si les acquis sociaux avaient été assimilés, comme l'avait espéré le pouvoir, à des privilèges, jamais il n'y aurait eu le mouvement de novembre et de décembre.
Au compte des interrogations, des questions demeurent sur le PCF. Sur la profondeur de ses changements, sur la validité de son projet, sur sa capacité à porter pour une part déterminante l'avenir de la société, de son évolution. La sympathie croissante qui existe vis-à-vis de son attachement à la justice sociale, de l'image de ses militants, d'un esprit plus grand d'ouverture, ne suffit pas à répondre à ces questions.
Nous l'avons vu, la question du rassemblement commence à se poser en termes nouveaux. Nous entrons dans une phase nouvelle de possibilités. Les ingrédients existent pour que des millions d'hommes, de femmes comment à participer à l'élaboration de solutions transformatrices nouvelles, à les faire grandir comme des exigences susceptibles de s'imposer aux forces politiques. Disant cela, je ne dis pas que tout va changer tout de suite et que nous serions au bout du chemin. Je ne dis pas plus que le mouvement populaire pourrait agir spontanément sans forces politiques. Mais pour être tout à fait clairs, nous ne nous considérons pas comme une force politique comme les autres. Reconnaître que nous n'avons pas la science infuse n'empêche pas de considérer que nous faisons partie du mouvement populaire et que nous avons cette vocation et cette volonté tout à fait originales de lui donner les clés et les moyens politiques de se faire entendre des autres forces. Ce qui n'exclut pas notre propre écoute. Les communistes viennent de faire la démonstration de leur capacité à percevoir les grandes questions de leur temps, à rendre accessible le combat contre le capitalisme et plus concrète la perspective de changer la société, et à opérer pour cela la mutation qui leur est nécessaire pour être mieux communistes.
Ainsi, faire bouger les choses, amener les états-majors politiques à prendre en compte ces mouvements comment à ne plus être de l'ordre du rêve. Il apparaît possible d'intensifier et d'élargir ce mouvement pour que le peuple en recueille, au fur et à mesure, les fruits sans attendre quelque échéance électorale que ce soit. Et, en même temps, c'est le seul moyen pour que ces échéances lui permettent de concrétiser des changements de rapports de forces, de majorité politique. C'est à travers ce déploiement que l'on peut certainement aider des hommes et des femmes à passer d'une sympathie réelle à notre égard à la perception de l'importance du vote communiste.
II. – Comment amplifier le mouvement ?
Au fond, pour nous, la question est de mettre à profit cette convergence nouvelle qui émerge du mouvement social, au sens large du terme, pris dans toute sa diversité, et toute l'activité du Parti. Nous sommes en situation de voir du monde, beaucoup de monde. Il s'agit donc de dégager toutes les forces qui permettent de lever les obstacles et de rendre ces rencontres fructueuses, à la fois par notre apport et par celui des autres. Il s'agit de créer les meilleures conditions pour que, dans les entreprises et les quartiers, les gens s'impliquent.
Je l'ai souligné, il existe un décalage profond entre le paysage idéologique et le cadre politique de ce pays. Il nous faut mesurer, et bien faire partager, combien cette réalité libère de disponibilités à notre égard. Combien elle peut concourir à donner une ampleur inédite au rassemblement que nous souhaitons. Nos résultats électoraux, certes décisifs, ne constituent pas les limites du champ des rencontres possibles. Ainsi, nous sommes 77 % à penser que l'augmentation des salaires détermine la relance de l'économie ; ou bien encore 60 % d'entre nous ont la conviction que les intérêts des salariés sont éloignés de ceux des marchés financiers. Ces deux réalités représentent une contrainte pour ceux qui ne veulent pas augmenter les salaires ou pour ceux qui défendent la domination des marchés financiers, mais elle représente pour nous une base de départ, un formidable potentiel de rassemblement pour des actions et des constructions politiques progressistes.
Les rencontres effectuées lors du mouvement social ou des forums, avec des hommes et des femmes qui ne se vivaient pas jusqu'alors particulièrement proches des communistes, la diversité des intellectuels participant aux soirées des Espaces Marx ou accordant des entretiens à "l'Humanité", ou bien encore la constitution de l'association des Amis de l'Humanité, comme le succès de "Regards", témoignent du caractère délibérément plus ouvert et audacieux avec lequel nous pouvons aller partout à la rencontre de très nombreux hommes et femmes.
Voilà pourquoi la question du moment est bien que les communistes aillent voir les gens.
1. Quatre axes d'activité
Premièrement, comme nous nous y étions engagés, nous allons informer les citoyens du résultat des forums. Nous allons faire connaître les opinions exprimées par les milliers d'hommes et de femmes qui y ont participé et les positions des différentes formations politiques de gauche, de progrès, écologistes. Et nous allons soumettre à la réflexion la conclusion que nous en tirons : "Notre peuple doit intervenir pour que la construction politique neuve qu'il attend et qui est au cœur de cette démarche puisse aboutir."
Deuxièmement, je l'ai dit, la droite redouble ses mauvais coups. Nous allons donc, à la place qui est la nôtre, contribuer à ce que l'action contre cette politique gagne en ampleur et nous y participerons avec nos propositions. Notamment celles que Robert a formulées le 21 février dernier. Je rappelle qu'il s'agit de mesures d'urgence, cohérentes, réalistes et immédiatement applicables. Nous poursuivons l'objectif de créer les conditions les meilleures pour s'opposer aux choix désastreux du pouvoir et lui arracher tout ce qui peut l'être afin de soulager les souffrances les plus vives.
On sait la place que tiennent les questions de l'Europe et de son avenir dans le débat politique. Nous allons donc naturellement poursuivre notre campagne de signatures pour que les Français soient consultés sur le passage ou non à la monnaie unique. À ce jour, nous avons déjà recueilli plus de cent cinquante mille signatures, il nous faut bien apprécier la montée de l'exigence de consultation populaire, comme en témoigne la prise de position – plus ou moins ambiguë – de plusieurs personnalités politiques qui ne peuvent s'opposer au principe. En outre, le fait que le gouvernement anglais ait décidé d'assortir l'éventuel passage de la Grande-Bretagne à la monnaie unique à la tenue d'un référendum ne peut que constituer un encouragement. Cette semaine, dans la plupart des villes et des préfectures, les premières pétitions seront remises au gouvernement. Pour ce qui concerne la région parisienne, une délégation sera reçue à l'Élysée le 15 avril.
D'autre part, chacun connait l'écho rencontré en Europe par le récent mouvement social en France. Il existe au niveau européen un besoin fort de solidarité et de convergence. Pour y répondre, nous avons décidé de faire du 11 mai, à Paris, une grande journée de convergence des forces progressistes de dix pays d'Europe. En début d'après-midi, à l'initiative du MJCF, aura lieu une marche européenne de la jeunesse pour l'emploi et le progrès social réunira, avec notre parti, treize partis de gauche. Ce meeting constituera un évènement sans précédent dans la dernière période. Il formulera un message d'espoir et constituera la démonstration qu'une Europe les forces de progrès peuvent s'unir pour faire avancer des solutions neuves dans la diversité qui les caractérise.
Troisièmement, nous avons la volonté de mettre nos propositions en débat, de les mettre à la disposition de celles et de ceux qui veulent s'en saisir dans l'action. Dans le même temps, nous voulons les approfondir en prenant en compte les réflexions très diverses qu'exprime l'ensemble du mouvement social. Nous allons donc prendre des initiatives en ce sens. Simples rencontres ou constitution par exemple d'ateliers de réflexion, il faudra bien sûr inventer les formes qui n'existent pas aujourd'hui pour faire vivre ce débat en permettant à chacun de ceux qui le souhaitent de s'y impliquer en toute liberté.
Quatrièmement, nous voulons donner un prolongement à ce qu'ont été les forums. Nous avons la possibilité de poursuivre le dialogue qui s'est engagé à cette occasion avec différentes forces politiques, mais aussi – dans le respect total de leur identité et de leur liberté – avec des associations, des syndicats et des personnalités. Robert Hue précisait ainsi le sens de ce quatrième axe d'activité lors de sa conférence de presse : "Pour que puisse se réaliser la construction politique nouvelle dont nous avons parlé à Bercy, il est indispensable à notre sens que cette discussion et ce travail en commun des citoyens et des forces politiques deviennent plus permanents. En conservant la richesse du pluralisme, de la grande diversité de celles et de ceux qui y ont participé. En conservant la multiplicité des différents niveaux – local, départemental, national – où elle s'est produite et doit se prolonger. Les lieux pour que cela puisse se faire n'existent pas actuellement, il faut les inventer.
Le moment me paraît arrivé où cela est devenu possible. Nous pensons par exemple que là où ont lieu les forums, celles et ceux qui y ont participé, d'autres qui souhaitent les rejoindre, pourraient décider ensemble et organiser ensemble de tels espaces de dialogue, de réflexion et sans doute aussi d'initiatives décidées en commun.
2. Comment mettre en chantier l'ensemble de cette activité ?
Il convient maintenant pour avancer de généraliser le mouvement commencé. Pour lui donner toute son ampleur, il est vital de le nourrir au plus près des gens – de leurs souffrances et de leurs exigences.
C'est le seul chemin pour que cette aspiration de changement de société gagne en force et en lucidité et qu'elle trouve toujours mieux les moyens de son expression politique la plus efficace.
Cela appelle une permanence forte de l'apport communiste et suppose une mobilisation élargie de chaque organisation du Parti. Pour y parvenir, il est indispensable que chaque communiste soit porteur de l'ambition de notre projet comme de la cohérence de notre politique et des possibilités de rassemblement.
Des millions d'hommes et de femmes n'en veulent plus. J'ai évoqué tout à l'heure la violence de ce qu'ils subissent, les conséquences humaines terribles qui en découlent et la déchirure du tissu social que cela engendre. Par millions, ils ont le sentiment d'une société invivable, qui se délite, en fin de course. Cependant, ils ne renoncent pas, ils sont en colère et ils aspirent à autre chose.
La cohérence de notre politique
Pouvoir être porteurs des intérêts et des aspirations de ces hommes et de ces femmes c'est montrer continuellement que nous sommes porteurs de leur exigence de changement.
Le pays s'affaiblit parce que, aujourd'hui, les coups portés ne peuvent plus s'assimiler seulement à des aggravations de situation, ils sapent littéralement les fondements mêmes de notre société. Il ne s'agit plus seulement de la détérioration des services publics, mais de leur disparition et de la fin d'une certaine cohésion sociale et territoriale ; il ne s'agit plus seulement d'attaques contre la protection sociale mais de la disparition de tout ce que la société offre de garanties de sécurité d'intégration aux individus. Ce sont les possibilités d'assurer une certaine unité de la société qui disparaissent. Et la marche à la monnaie unique, la notion de défense européenne, la perspective de la suprématie des règles de Maastricht ou celle d'une construction politique supranationale sur les lois françaises viennent parachever la mise en cause de la souveraineté et de l'identité nationale.
La démonstration se fait cruellement que le capitalisme se comporte comme un prédateur impitoyable avec les hommes. Il mine ce que sont les fondements de toute civilisation. Le manifeste adopté au 28e congrès sur le fait qu'une civilisation vit de la production de ses richesses matérielles et culturelles, c'est-à-dire du travail. Il s'agit là d'une idée de grande portée politique. Or, aujourd'hui, les profits issus de la spéculation – 1,180 milliards de francs – sont presque équivalents aux profits issus du travail – 1,650 milliards de francs -, et les premiers croissent plus vite que les seconds. C'est-à-dire qu'il y a désormais divorce entre le développement des possibilités humaines et cette volonté exacerbée de faire de l'argent la finalité de la société.
Or, l'économie c'est d'abord du travail, donc des emplois et de la santé, de la qualification, donc de la formation, de la circulation de marchandises, donc du pouvoir d'achat.
Prétendre faire des économies sur le dos des hommes, cultiver le dogme de la baisse du coût du travail, c'est se détourner de la source de production de richesses et du développement de la société.
Au contraire, identifier ainsi le développement de la société à l'existence et au sort du monde du travail devient un levier décisif pour comprendre d'où vient le mal.
Nous avons donc besoin de bien nous mettre au niveau des questions posées : qu'il s'agisse de la fermeture d'une entreprise, de la protection sociale, des salaires ou de l'école, en vérité, il s'agit à chaque fois de la conséquence impitoyable d'une société rongée par la domination de la finance qui nie l'existence de l'homme. Cela aboutit à ce que quand une question se pose en termes aigus et urgents, c'est la question du changement de société qui se pose en termes aigus et urgents. Pour ne prendre qu'un exemple, la réalisation concrète de l'augmentation d'au moins 1 000 francs des salaires inférieurs à 15 000 francs suppose qu'on utilise autrement à peu près le tiers des profits des entreprises, actuellement non réinvestis dans l'économie. Arracher un tel succès suppose de rassembler suffisamment d'hommes et de femmes qui soient capables tout à la fois de désigner où prendre l'argent, de dire avec force que l'accroissement de la consommation que cela entraînerait est bon pour l'économie, et d'obtenir des forces qui se réclament de la défense des salariés ou des forces politiques de gauche et de progrès qu'elles portent cette exigence. D'ailleurs la ligne de défense de Juppé face au mouvement social ou au mouvement étudiant montre bien quel est le niveau de l'enjeu. Il revient régulièrement sur deux idées : "la société doit bouger et personne ne propose autre chose".
C'est bien pourquoi pour être efficace on ne peut pas dissocier les différents éléments qui composent notre politique : ce qui ressort de l'action, des propositions, de la démarche des forums, ou du projet de transformation sociale.
Ne pas opposer ce qui va de pair
La brutalité de la crise est telle que tout communiste cherche normalement à voir comment contribuer à faire face à l'urgence. La lutte contre les licenciements et pour l'emploi fait partie de ces urgences.
Nous voulons dégager les moyens d'être efficaces avec l'objectif d'arracher des résultats. Veillons à ne pas opposer l'action urgente et indispensable au débat sur la transformation de la société. Pour obtenir des résultats, il ne suffit pas de vilipender le chômage. Robert Hue a, au nom du Parti, par exemple, soumis l'idée de créer des fonds de coopération entre banques, institutions financières et entreprises. C'est une proposition urgente mais n'est-ce pas aussi un axe de transformation de la société ? Les deux sont indissociables. Et j'ai tendance à penser que de ne pas se saisir de cette proposition nous rendrait vulnérables, à la fois pour sauver une entreprise mais aussi pour rassembler sur une autre utilisation de l'argent et pour faire percevoir que le Parti communiste est porteur, dans le même mouvement, de réponses urgentes et d'avenir pour la société. C'est le moyen que la crise cesse d'être un argument de pression et de chantage qui pèse sur le mouvement social, comme elle le fait depuis 1974, et de favoriser l'engagement dans l'action.
Pour obtenir satisfaction immédiate, ceux qui s'approprieraient une telle proposition auront besoin d'obtenir des forces sociales et politiques qui se réclament du progrès qu'elles portent cette exigence. Savoir le leur demander devient vite une question urgente. Mais le faire, n'est-ce pas en même temps s'attaquer à la construction d'un autre type d'union des partis de gauche sous l'impulsion des travailleurs en vue de la transformation de la société ?
Ne passons-nous pas parfois beaucoup de temps à dissocier, voire à opposer des choses qui, qu'on le veuille ou non, vont de pair dans la vie ?
Toute l'expérience de novembre et de décembre montre qu'action et débat ne peuvent aller l'un sans l'autre. Plus le débat est sur le fond des questions, moins il apparaît étroitement partisan, récupérateur, et plus il est facteur d'élargissement, de rassemblement au grand profit de l'action : il la nourrit. C'est l'élévation du débat qui a débouché sur des rapprochements nouveaux entre salariés du public, du privé, étudiants, chômeurs et sans-droits, dépassant les divisions que la crise pouvait générer. Il est également à la source de convergences entre forces sociales et entre forces politiques.
Cela m'amène à aborder la question du nécessaire dépassement d'un autre dilemme : celui qui existerait entre ouverture et affirmation de l'identité communiste. Nous avons besoin de concevoir à partir de nos rapports à la société des idées et des actions, de les soumettre aux citoyens pour qu'ils se les approprient. Ils ne se les approprieront pas si elles sont assénées, comme des vérités indiscutables pensées en dehors d'eux. Ils ne se les approprieront que s'ils perçoivent bien que pour nous il ne s'agit pas de les déposséder de leur identité ou de leur pouvoir de jugement et de décision, mais au contraire de leur rendre possible l'exercice d'un tel pouvoir. Voilà pourquoi la seule bataille politique qui amène des résultats mêle indissociablement apport original et ouverture.
Plus nous voulons rassembler, plus nous avons besoin d'être démonstratifs, d'argumenter, d'apporter des idées originales, c'est-à-dire d'être communistes. Et plus nous avons besoin d'élever le niveau du débat, plus le moyen d'abord de nous assurer de la validité de nos idées et de démontrer le potentiel qu'elles représentent est de les confronter de manière ouverte et large.
3. Un parti communiste indispensable parce que utile
Nourrir la réflexion, mettre à profit ce qui bouge pour tisser des liens, favoriser l'émergence d'une construction politique nouvelle, cela implique que le Parti communiste français joue son rôle spécifique. Celui que personne ne peut tenir à sa place. Toute l'histoire de notre pays le montre. À chaque fois que le PCF a répondu aux exigences du moment, le mouvement populaire a obtenu de grandes victoires et il a accordé au PCF une forte audience, car il a pensé qu'il y allait de son propre intérêt. Or aujourd'hui, nous entrons de ce point de vue dans une période nouvelle où le rôle du Parti commence à être mieux reconnu et où la question de notre audience électorale peut devenir l'objectif d'hommes et de femmes en plus grand nombre. C'est possible à condition que nous leur posions cette question ainsi. C'est dans les mêmes termes que peut se poser et avancer le besoin du renforcement du Parti et de ses moyens financiers avec la souscription.
Quels sont les moyens dont nous disposons pour assurer la permanence et le développement de ces indispensables apports communistes ?
Mesurons par exemple que la diffusion de "l'Humanité Dimanche" permet d'établir, d'étendre un réseau permanent d'idées. D'idées mais aussi d'échanges : cette diffusion repose sur le caractère militant. Elle peut permettre de vrais points de rencontre qui deviennent autant d'espaces de débats où se forgent des idées. Celles-ci peuvent stimuler la recherche de solutions ou la volonté de participer à des actions.
Cette démarche appelle et permet une autre conception de l'activité des communistes et de la vie de la cellule : plus riche, parce que ses adhérents ont des liens tissés par les idées et la rencontre qui rendent possible une réflexion communiste indépendante ; plus souple parce que, ainsi, le point de rencontre devenant un moment important, chacun peut y participer selon ce qu'il ressent ; plus ouvert sur des hommes et des femmes qui, bien au-delà de ceux qu'on appelle nos sympathisants, savent à la longue où et quand ils peuvent nous solliciter.
Dans le même esprit, nous avons vu combien le fait que chaque communiste soit à même d'exprimer les enjeux fondamentaux, et de les relier aux questions les plus immédiates de la vie, constitue une question décisive de l'activité. Dans ce cadre, il est sans doute nécessaire de relancer l'effort pour gagner à la lecture de "l'Humanité" quotidienne et de "l'Humanité Dimanche" chacun de nos dirigeants de cellule et, plus généralement, l'ensemble des militants les plus actifs.
En matière d'initiatives, apprécions bien dans un tel contexte la portée que peuvent avoir les rencontres publiques. Organisées au plus près des gens, de leur quartier, de leurs entreprises, elles peuvent permettre dans les conditions les plus favorables que s'expriment toutes les questions, toutes les interrogations concernant le Parti communiste et sa politique. Les attentes de nombreuses personnes sont telles que ces rencontres peuvent se développer partout. Rien m'empêche les cellules qui en ont déjà tenu de les multiplier, afin de faire de ce type de relations régulièrement un mode de contact plus constant entre les gens et les communistes.
Nous avons dans la prochaine période la possibilité de donner un souffle particulier aux fêtes fédérales et à la Fête de l'Humanité.
Quelle peut-être leur dimension après le mouvement social et les forums ? Leur déroulement comme leur préparation peuvent avoir un rayonnement nouveau si nous leur permettons de bénéficier de ce qui a bougé depuis septembre dernier. L'accroissement de notre crédibilité doit pouvoir rendre plus probant le fait qu'elles constituent pour les gens un moyen de se faire entendre en même temps qu'un extraordinaire lieu d'échanges.
Avec les forums, le mouvement social commence à réinvestir le champ politique. En généralisant ce processus, il s'agit aujourd'hui de lui donner une dynamique plus forte. Pour y parvenir, les communistes ont un rôle décisif à jouer.
Point de presse
Pierre Zarka : un nouveau mode de vie politique
Après avoir présenté son rapport au Comité national du PCF, Pierre Zarka tenait, hier à midi, un point de presse, en compagnie de Pierre Blotin.
"Une étape importante a été franchie dans la vie politique française avec la tenue des forums que nous avons organisés depuis la mi-janvier", indique le dirigeant du PCF. Pour lui, "il y a eu convergence nouvelle entre des aspirations, des exigences du mouvement social et l'activité des communistes".
Relevant que ce mouvement a été "porteur d'exigences de justice sociale mais aussi d'aspirations à changer la société", il estime que cela a "nourri des attentes à l'égard des forces politiques". Le fait que le pouvoir poursuit sa politique néfaste amène à se poser la question : "Que faut-il faire de plus pour se faire entendre ?" Autre enseignement du mouvement social pour Pierre Zarka, "une formidable volonté de participation, qui ne se réduit pas au droit à la parole, mais exprime une volonté de se retrouver pour analyser et construire ensemble". Pour lui, ce qui a fait l'impact des forums réside précisément dans le fait que le PCF a su entendre ces exigences, "cette aspiration à ce que la vie politique se passe de manière démocratique".
Il y a peu de temps, "lorsque nous parlions de Pacte unitaire pour le progrès, nous rencontrions beaucoup d'interrogations", reconnaît-il, estimant que "plusieurs aspects sont désormais plus clairs". La méthode, tout d'abord : "Notre comportement favorise la participation active des citoyens, ni passifs ni porteurs de l'illusion que l'on pourrait se passer des partis politiques". Cette méthode a, selon lui, marqué le déroulement des forums, avec "l'interpellation des forces politiques, et des débats extrêmement précis". Clarté également sur les conditions politiques du changement, avec l'expérience nouvelle de l'intervention des citoyens et la volonté de ne pas répéter à l'avenir ce qui a conduit à l'échec. Pierre Zarka relève également les "regards nouveaux" portés sur le PCF, sur son utilité : parce qu'il est "porteur d'idées qui prennent la crise à bras-le-corps" ; parce qu'il a "su prendre l'initiative politique qui contribue à débloquer la situation à gauche" ; parce que commence à être perçus "sa différence, son identité, son caractère ouvert, avec l'expérience que les différences n'empêchent pas le débat". Nouveaux regards traduits aussi dans les résultats de candidats communistes lors d'élections partielles récentes.
Et maintenant que faire ? Pour répondre à cette question, le directeur de "l'Humanité" estime qu'il faut "bien prendre en compte la convergence nouvelle entre ce qu'exprime le monde du travail et le PCF". Évoquant le "large espace" qui existe pour l'activité des communistes, il souligne la volonté de "lever tous les obstacles" qui gênent une intervention "large, diversifiée, pluraliste". Énumérant les quatre axes d'activités proposés dans son rapport, il précise que les communistes entendent déployer leur activité "dans la transparence et dans le respect de l'identité de chacun". "Son rôle d'élaboration, les initiatives du PCF font que son identité constitue un apport indispensable à l'ensemble du mouvement social", dit-il.
Y aura-t-il des actions communes ? "Tout peut s'envisager, sur des questions précises et concrètes : cela dépend des intéressés eux-mêmes."
Quels prolongements avec les autres forces de gauche ? "Notre idée est de les inviter à continuer le débat, avec nous et avec les citoyens. Il s'agit d'un retour à la définition fondamentale de la politique : les affaires de la cité, traitées par les citoyens eux-mêmes." Le débat du Comité national ? Il commence à peine.
"Quand nous avons lancé nos initiatives, se sont exprimés à la fois des espoirs, des attentes et des doutes, nourris par le sentiment que la situation actuelle ne peut pas durer et par la mémoire de l'échec passé. Actuellement, nous tirons plutôt des enseignements positifs. Il ne s'agit pas de recommencer les forums, mais de les approfondir, de façon décentralisée, de les mettre entre les mains de tous. Pour en faire un mode de vie politique largement partagé."
Y a-t-il des évolutions chez Lionel Jospin ? Évoquant le léger "bougé" relevé dans son rapport, Pierre Zarka estime qu'il "montre que nous ne perdons pas notre temps, et qu'un débat encore plus large, plus clair, peut permettre, de dépasser des divergences qui restent sérieuses et fondamentales".
Compte-rendu de Lin Guillou