Texte intégral
Date : 10 mai 1997
Source : Présent
Le texte intégral de la « tribune » de Le Pen
Jean-Marie Le Pen a envoyé mercredi soir une « tribune libre » à tous les quotidiens, en temps utile pour qu’ils puissent la publier dans leur numéro paraissant le jour de l’Ascension. Nous n’avons cependant vu nulle part le texte intégral (ni même des extraits) de cette réponse de Le Pen au président Chirac. C’est une raison supplémentaire pour le donner ici, dès notre premier numéro paru après l’Ascension (jour où nous ne paraissons pas). Il est intitulé : « Le grand changement ».
Le Chef de l’État s’implique chaque jour davantage personnellement dans la bataille. Il ne s’agit donc plus d’une simple élection législative, mais bel et bien d’un plébiscite. Jacques Chirac devra donc en assumer toutes les conséquences. Une défaite de sa majorité, au regard du nombre de voix obtenues, l’obligera à quitter son poste, comme le fit avec sagesse en 1969 celui dont il a fait son modèle, bien à tort semble-t-il.
Jacques Chirac a publié un texte pauvre et mou. Les déclarations d’intention n’ont jamais constitué un programme politique. On attendait un discours gaullien, on a eu le sous-préfet aux champs !
Dans ce combat électoral, Chirac cherche à bâillonner le Front national, parce qu’il a peur, peur des « affaires », peur de la vérité, peur de devoir rendre des comptes. Il veut donc occulter le débat sur l’essentiel.
L’essentiel, c’est le chômage monstrueux provoqué par une politique euro-maastrichtienne qui conduit non seulement à la ruine de l’économie mais au-delà, à la disparition de la France par dissolution.
L’essentiel, c’est l’immigration, sujet tabou, qui ruine la France et la menace aussi de disparition par submersion.
L’essentiel, c’est la dénatalité qui mine la force, la vitalité et l’identité de la France et qu’aggrave une politique constamment anti-familiale.
L’essentiel, c’est l’insécurité qui pourrit la vie des Français et devant laquelle l’État ne cesse de reculer, faute de moralité, de courage et de fermeté.
L’essentiel, c’est le fiscalisme qui atteint des sommets jamais égalés. On vous promet des réductions d’impôts. En 1993, Balladur devait les diminuer de 40 milliards, il les a augmentés de 110 milliards. Juppé a fait de même et creusé le gouffre des déficits.
L’essentiel, c’est la corruption morale et politique parce que tous les partis de la Bande des Quatre y sont plongés jusqu’au cou, et que leur premier geste sera de voter une loi d’amnistie.
Mais l’essentiel, c’est aussi et surtout la souveraineté nationale, l’indépendance nationale, la défense nationale parce que ces notions sont liées à l’existence de la Nation et que la gauche et la droite sont d’accord pour dissoudre celle-ci dans une Europe fédérale et mondialiste.
Or, qu’est-ce qui est véritablement en jeu dans cette élection, si ce n’est la soumission à l’Euro, la disparition complète de notre indépendance politique, économique, sociale, fiscale, monétaire, culturelle au profit de Bruxelles ? Voilà en vérité ce que nous prépare.
Jacques Chirac, voilà ce qu’il ne dit pas, voilà pourquoi en aucune manière on ne peut lui faire confiance.
Notre programme est simple :
- sauver la France, sa souveraineté, son indépendance, son identité, sa sécurité en rompant avec l’Europe de Maastricht et le mondialisme ;
- donner du travail aux Français d’abord, par un protectionnisme intelligent, la réduction progressive de l’immigration et des impôts, en instaurant le salaire familial de libre choix ;
- renverser le courant de l’immigration en modifiant le code de la nationalité, en établissant la préférence française ;
- rendre leur argent aux Français en limitant les prélèvements obligatoires à 33 % et en opérant une vraie réforme fiscale ;
- rétablir la sécurité publique et la force de l’ordre républicain à l’égard de tous les criminels et délinquants, et d’abord les politiciens corrompus ;
- rendre la parole aux Français par le référendum.
Puisque vous le pouvez pendant encore quelques jours, parlez avant qu’il ne soit trop tard et donner au Front national au moins les 20 % de voix qui vont permettre le grand changement.
Merci pour la France !
Date : vendredi 9 mai 1997
Source : France Inter – Édition du matin
France Inter : Article de Jacques Chirac, lettre de Lionel Jospin, lettre attendue de Robert Hue et j’apprends que vous aussi vous avez pris la plume ?
Jean-Marie Le Pen : Laissez-moi d’abord vous remercier de cette invitation car sa rareté en fait son prix. Je crois que c’est la première fois depuis un an que je suis invité à votre antenne et ceci est une autre histoire certes, mais qui rejoint la démocratie, l’égalité des chances et même, en période électorale, l’égalité des candidats. En effet, dès que Monsieur Chirac s’est adressé à une partie de la presse régionale pour faire connaître sa pensée, j’ai immédiatement pris ma plume pour écrire aussi aux directeurs de la presse régionale. Mon initiative n’a pas eu autant d’échos que celle des duettistes de la campagne électorale. En tous les cas, je jugerai du sens de la démocratie des directeurs de la presse régionale en regardant si ma prose est passée comme celle de Monsieur Jospin ou celle de Monsieur Chirac.
France Inter : En attendant, vous pouvez peut-être nous dire ce que vous pensez sur le fond de ces deux articles ?
Jean-Marie Le Pen : Dès le début, j’ai annoncé, ce qui a été confirmé par l’évolution des choses et par un certain nombre d’aveux, que c’était Monsieur Chirac qui était en scène. Son Premier ministre l’a avoué ingénument. Il a dit : Jacques Chirac conduit la politique qu’il a déterminée ; utilisant même les termes de l’article 21 de la Constitution qui, justement, disent que c’est le Premier ministre qui détermine et conduit la politique de la nation. À partir du moment où le Premier ministre reconnaît qu’il n’a qu’un rôle de directeur de cabinet – ce que d’ailleurs avait noté Monsieur Pasqua, quelques jours auparavant – nous sommes en effet dans un autre débat que celui d’une législative.
France Inter : On se trompe de campagne d’après vous ?
Jean-Marie Le Pen : Absolument. Nous sommes dans une campagne de référendum-plébiscite. Ceci a une grande importance, parce qu’autant la campagne, si elle avait été menée par Monsieur Juppé, aurait pu être jugée au nombre de sièges obtenus, autant, à partir du moment où le Président est en scène, elle devra être jugée sur le nombre de voix obtenues et je pense – certains disent « troisième tour de la présidentielle » – que si le Président n’obtient pas la majorité absolue des suffrages, il lui restera à faire ce que le général de Gaulle avait fait en 1969, c’est-à-dire à remettre sa démission.
France Inter : Mais si on est au niveau d’une campagne présidentielle, cela va vous donner des regrets de ne pas vous être présenté vous-même, puisque vous avez dit que vous vous réserviez pour la présidentielle ?
Jean-Marie Le Pen : Pas du tout, je me suis justement mis immédiatement non pas au niveau d’un candidat de circonscription, mais au niveau d’un leader au plan national, et dans le cadre d’une éventuelle présidentielle car je pense que c’est de ça qu’il s’agit. J’ajoute que les enjeux sont tels que le peuple français doit comprendre que donner un blanc-seing, un chèque en blanc à Jacques Chirac pour faire ce qu’il dit, c’est-à-dire lui donner les mains totalement libres en matière européenne, c’est d’ores-et-déjà renoncer à la France. L’enjeu de ce scrutin, c’est la souveraineté de la France. C’est l’existence de la France. Eh bien je pense qu’il y aura une majorité de gens pour refuser à Jacques Chirac non seulement le chèque en blanc qu’il demande, mais encore le satisfecit pour une politique qui n’est qu’une longue suite d’échecs.
France Inter : Quelle est la pierre angulaire de votre programme ? C’est le protectionnisme ?
Jean-Marie Le Pen : Si vous me le permettez je vous l’expose en quelques termes clairs. Notre programme est simple : sauver la France, sa souveraineté, son indépendance, son identité, en rompant avec l’Europe de Maastricht et le mondialisme ; donner du travail aux Français, d’abord, par un protectionnisme intelligent, la réduction progressive de l’immigration et des impôts, le salaire familial et la garantie des retraites ; renverser le courant de l’immigration en modifiant le code de la nationalité ; rendre leur argent aux Français, en limitant à 33 % les prélèvements obligatoires, et rétablir la force de l’ordre républicain à l’égard des criminels et des délinquants et d’abord des politiciens corrompus. Vous voyez, ce sont quelques axes très clairs, mais je pense qu’ils touchent directement la sensibilité des Français et ceci s’ils s’aperçoivent – comme ils doivent s’en apercevoir – que le Front national, coincé entre l’étau politicien du duo Jospin-Juppé et l’étau médiatique qui nous interdit pratiquement l’accès à l’opinion publique, eh bien il leur restera d’avoir une attitude anticonformiste en votant pour le Front national.
France Inter : Mais ce qui compte aussi, ce ne sont pas seulement les affirmations, ou ce qu’on veut faire, c’est aussi la manière de le faire, le comment. Par exemple, vous donniez ce chiffre de 33 % maximum de prélèvements obligatoires. Comment arrivez-vous à la fois à augmenter les dépenses de Défense nationale, comme vous le souhaitez, de sécurité ? Comment arrivez-vous à payer les retraites, à payer ce salaire familial en réduisant de façon aussi drastique…
Jean-Marie Le Pen : C’est une autre politique. Ce n’est pas une politique comptable. Il ne s’agit pas d’en prendre ici pour en mettre là. C’est une autre conception de la politique. C’est une conception qui fait confiance à l’initiative des acteurs de l’économie aussi bien qu’aux salariés, aux ouvriers qu’aux chefs d’entreprises ou qu’aux cadres…
France Inter : Mais il faut bien trouver l’argent quelque part ?
Jean-Marie Le Pen : C’est une diminution d’un certain nombre d’engagements de l’État. Quels sont les engagements de l’État sur lesquels on peut faire une réduction ? D’abord le poids écrasant de l’immigration – 280 milliards par an –, ensuite le poids écrasant des subventions, dont la plupart sont d’origine politicienne et clientéliste. La réduction de l’action de l’État à ses fonctions régaliennes : nous n’aurions pas les trous vertigineux du Crédit lyonnais, de toute une série de banques nationalisées, les 600 milliards de dettes du secteur des entreprises publiques, si l’État s’était borné à faire ce qui était de son domaine. Il faut revenir à cela. L’axe que nous donnons est un axe d’avenir. Ce n’est pas gérer les déficits de Monsieur Juppé, de Monsieur Balladur et des socialistes et de ceux qui les ont précédés.
France Inter : Gouverner, c’est aussi gérer. Quand vous parlez de renvoyer chez eux les immigrés…
Jean-Marie Le Pen : Je n’ai pas dit cela ! Je vais vous expliquer ma méthode : il ne s’agit pas de les renvoyer, il s’agit de les laisser partir. Je ne sais pas si vous avez un cerisier chez vous : quand vous avez un cerisier, juste au moment où vous allez les cueillir, arrive une volée d’étourneaux ; ils viennent parce qu’il y a des cerises ; là, vous pouvez taper des mains, faire du bruit, vous agiter, ils ne partiront pas. Quand il n’y a plus de cerises, vous pouvez faire tout ce que vous voulez pour essayer de les faire rester, ils s’en iront. Quand on aura coupé les pompes aspirantes, quand on aura expliqué aux gens qui sont venus chez nous que nous n’avons pas les moyens de les entretenir ni de leur donner du travail, ils rentreront chez eux. Mais comme nous sommes prévoyants, comme nous sommes généreux parce que Français, nous leur donnerons les moyens de s’installer chez eux en supprimant bien sûr les subventions faites à leurs chefs de gouvernement – qui se retrouvent généralement d’ailleurs en Suisse – et qui leur permettront de s’installer chez eux et de faire bénéficier leurs pays non seulement de cette petite somme d’investissement, mais encore surtout de l’investissement technologique que nous leur aurons fourni par leur apprentissage du travail.
France Inter : Vous avez infléchi votre programme depuis la présidentielle sur ce plan, sur celui des impôts, puisque vous ne parlez plus de la suppression de l’impôt sur le revenu.
Jean-Marie Le Pen : Non, c’est que vous avez pris la peine cette fois-ci de nous lire plus attentivement. Il est vrai que la montée irrésistible du Front national, malgré les barrages antidémocratiques qui sont dressés contre lui, fait que les gens commencent à se demander tout de même ce qui pourrait bien justifier ces succès.
Date : 12 mai 1997
Source : La Nouvelle République du Centre Ouest
« NR » : En quoi la monnaie unique peut-elle rétablir l’Europe à une place dominante dans la mondialisation de l’économie ?
Jean-Marie Le Pen : La réponse est abrupte : en rien.
D’une part, de l’aveu même de la Commission, la monnaie unique n’est pas faite pour faire acquérir à l’Europe une place dominante, mais pour l’insérer dans la mondialisation, ce qui n’est pas la même chose. Il manque aux gouvernements européens la volonté politique d’accéder à une telle position.
D’autre part, les euro-fédéralistes et les partisans de la monnaie unique répètent de façon incantatoire que l’euro sera une monnaie forte, capable de remplacer, ou du moins de concurrencer, le dollar dans ses fonctions internationales. Ces brillants analystes, aveuglés par le but purement politique de l’Union économique et monétaire, confondent à dessein la force d’une monnaie et le niveau de son taux de change. Or, personne ne sait si l’euro sera faible ou fort, et aucun économiste sensé ne prendrait le risque de donner une définition de ce qu’est une monnaie forte. Quant à supplanter le dollar, il semble que les partisans de la monnaie unique sous-estiment gravement l’attraction du dollar, qui n’est pas seulement due à la puissance des États-Unis, mesurée en termes économiques et commerciaux, mais également à sa domination politique et militaire.
La véritable raison pour laquelle nos gouvernants tiennent tant à l’instauration de la monnaie unique, créatrice de chômage et de récession, c’est qu’elle est un instrument essentiel de la construction rapide d’une Europe fédérale, dont les peuples européens ne veulent pas. Elle nécessite, en effet, à court terme, une harmonisation totale des politiques économiques, sociales, budgétaires, fiscales et des revenus, et rend indispensable une augmentation drastique du budget européen, pour amortir les chocs asymétriques qui pourraient frapper les économies européennes. Il est urgent de dénoncer le traité de Maastricht et de renoncer immédiatement à la marche forcée et ruineuse vers l’utopie monétaire.
« NR » : Comment garantir la protection sociale face à la maîtrise difficile des dépenses de santé et à la réduction constante de la proportion des actifs ?
Jean-Marie Le Pen : Le problème dont souffre aujourd’hui notre système de protection sociale est avant tout un problème de recettes, de manque à gagner en cotisations sociales dû au chômage et à la pauvreté de millions de nos compatriotes. Même le gauchiste Marc Blondel l’a reconnu. Et pourtant, les vingt plans de « sauvetage » de la Sécurité sociale qui se sont succédé ont toujours obéi aux mêmes principes : réduire les dépenses au détriment de la santé des Français, accroître les recettes en aggravant les prélèvements obligatoires, au détriment de l’économie et de l’emploi.
Il est temps de cesser de culpabiliser les Français à propos de leur prétendue surconsommation de soins, et de s’attaquer aux véritables problèmes que sont le chômage, le vieillissement de la population et le financement aberrant du système par des taxes grevant presque exclusivement le travail.
Sur ces deux derniers points, le Front national propose de mettre en œuvre une véritable politique en faveur de la famille française et de la natalité, afin de rééquilibrer la structure par âge de notre population et de sauver à terme notre système de retraite par répartition, et d’engager une réforme fiscale de grande ampleur. Il faut, en effet, appuyer le financement de notre système sur d’autres recettes et, notamment, par l’instauration de droits de douanes sélectifs et d’une TVA sociale.
« NR » : Toutes les politiques de l’emploi conduites par les gouvernements de gauche ou de droite ont été vaines à lutter efficacement contre le chômage. Existe-t-il encore des solutions novatrices ?
Jean-Marie Le Pen : Le Front national a identifié quatre causes majeures du chômage :
- le fiscalisme aberrant, qui décourage le travail et l’initiative, asphyxie les entreprises ;
- la politique de déflation, qui déprime l’économie, fait pression à la baisse sur les salaires et pèse sur la consommation ;
- [manque le début de la phrase], qui met en concurrence nos produits avec les importations à bas prix ;
- l’immigration : les travailleurs étrangers occupent aujourd’hui 1,5 million d’emplois dans notre pays et le coût net de l’immigration s’élève à 80 milliards de francs par an.
Il propose en conséquence :
- une grande réforme fiscale permettant à nos entreprises de renouer avec la compétitivité et d’abaisser le coût du travail ;
- une politique de relance : augmentation du SMIC et des bas salaires, création du revenu parental de libre choix, abandon de la politique du franc fort et de la monnaie unique, suppression progressive de l’impôt sur le revenu ;
- une politique de protection sélective de notre économie contre la concurrence déloyale ou sauvage ;
- une politique d’inversion du courant de l’immigration.
« NR » : La sécurité pose un problème en ce qui concerne la petite et moyenne délinquance. Que proposez-vous, alors que l’encadrement prévu des dépenses publiques ne saurait autoriser d’accroître significativement les effectifs de police ?
Jean-Marie Le Pen : Les choix des gouvernements successifs, pour obéir à la rigueur budgétaire imposée par Maastricht, ont consisté à une remise en cause croissante des budgets affectés aux missions essentielles de l’État : sécurité intérieure, défense nationale, justice, tandis que les dépenses visant à compenser les effets désastreux, en matière d’emploi et de revenus, de cette même politique, explosaient.
Sans sous-estimer la nécessité d’équilibrer les dépenses publiques, le Front national milite en faveur d’un recentrage de l’État sur ses fonctions régaliennes et d’une augmentation significative des moyens matériels et humains de la police et de la justice.
Date : lundi 12 mai 1997
Source : France 2
France 2 : Selon les derniers sondages, le score du FN a tendance à s’effriter. Alors, est-ce que Jacques Chirac n’est pas en train de gagner son pari ?
Jean-Marie Le Pen : Je n’en sais rien et je ne crois pas du tout aux sondages. Je crois que la campagne, si elle était menée démocratiquement, ce qui n’est malheureusement pas le cas, laisserait les Français libres de choisir. Là, je crois qu’ils sont sous influence et les candidats ne peuvent pas s’exprimer proportionnellement à leur importance. Le Front national n’aura droit qu’à sept minutes dans toute la campagne officielle et, pratiquement, il a été tenu à l’écart des antennes depuis près de deux ans. Par exemple, chez vous, il y a neuf mois que je ne suis pas venu. Ni moi, ni personne du Front national.
France 2 : Vous-même, est-ce que vous n’êtes pas en train de perdre votre pari puisque vous aviez plus ou moins parié sur une élection présidentielle ? À première vue, il n’y en aura pas ?
Jean-Marie Le Pen : Écoutez, moi je pense que le Président de la République doit apprécier les résultats de l’élection en nombre d’électeurs et non pas en nombre de députés. Puisqu’il a réalisé un véritable coup d’État en quelque sorte, en prenant la place du chef de la majorité. Le chef de la majorité, c’est Monsieur Juppé. Or, le chef de la majorité présidentielle, c’est Chirac. Et Chirac a posé le problème en termes présidentiels. Par conséquent, il doit être jugé en termes présidentiels. S’il n’a pas la majorité absolue des suffrages des électeurs, selon moi, il doit se retirer, comme l’avait fait le général de Gaulle en 1969.
France 2 : Quels sont vos objectifs, et là je parle déjà du second tour, sur le nombre de députés ? Et qu’est-ce que vous ferez si vous pouvez vous maintenir ? Est-ce que vous maintiendrez tous vos candidats, au risque de faire élire les députés de gauche ?
Jean-Marie Le Pen : Notre objectif, c’est d’avoir le maximum de voix partout, c’est de faire progresser nos idées, c’est de faire progresser notre influence qui, pour l’instant, n’est pas prise en compte, mais qui le devrait. Je vous rappelle que j’ai fait quatre millions et demi de voix aux dernières élections présidentielles et que, malgré ce chiffre, nous sommes traités comme le chien de l’Évangile : nous avons les miettes qui tombent de la table. Les miettes médiatiques, bien entendu. Le reste, je laisse le gâteau aux autres.
France 2 : Au second tour, vous vous maintiendrez partout où vous pouvez vous maintenir ?
Jean-Marie Le Pen : C’est ce que nous avions fait la dernière fois.
France 2 : Au risque de faire élire des députés de gauche ?
Jean-Marie Le Pen : Nous pensons que la gauche et la droite, c’est de la même farine. Par conséquent, ils mènent la même politique et ils ont bien du mal, d’ailleurs, à essayer, aux yeux de l’opinion publique, de se différencier les uns des autres. Cela pourrait être Juppin ou Jospé, ce serait pareil.
France 2 : Parlons justement du programme : en matière d’immigration, hier, vous avez lancé l’idée d’un prêt personnel d’aide au retour. Est-ce bien réaliste, est-ce bien opportun ? Ce genre de formule, cela n’a jamais marché dans le passé.
Jean-Marie Le Pen : Oui, cela n’est pas exact. Il est bien évident qu’il faudrait que ce soit précédé par une réforme profonde du code de la nationalité, par la suppression des pompes aspirantes que constituent les avantages sociaux qui sont accordés aux étrangers qui entrent en France simplement quand ils se donnent la peine d’entrer. Mais je pense qu’une partie importante de l’aide que consent la France aux pays du tiers-monde pourrait être, au lieu d’être affectée aux États et – ce qui n’arrive jamais – aux populations, être affectée à un système de prêt personnel de façon à pouvoir fonder une petite entreprise commerciale ou artisanale de la part de ceux qui auraient reçu dans notre pays une certaine formation. Ce serait un moyen de les encourager à rentrer chez eux et ce serait, d’autre part, un moyen d’asseoir une influence économique française et même politique.
France 2 : La première préoccupation des Français, c’est l’emploi. Quelles sont vos solutions ? Qu’est-ce que vous proposez ?
Jean-Marie Le Pen : Il faut s’attaquer aux causes du chômage. Les vraies causes du chômage, c’est d’abord Maastricht, c’est d’abord la politique euromondialiste qui a supprimé les frontières, livré l’économie française pieds et poings liés à une concurrence qu’elle n’était pas en mesure de supporter ; c’est régler le problème de l’immigration qui constitue une charge considérable ; c’est enfin s’attaquer au fiscalisme en diminuant de façon très significative les impôts. Pour ma part, je pense que les impôts et les charges ne devraient pas dépasser 33 % de ce que gagnent les gens, de façon à ce qu’ils conservent la liberté d’user de l’argent qu’ils ont gagné, eux-mêmes, par leur travail.
France 2 : Soyons plus précis : quels impôts et surtout comment vous faites ? Parallèlement, il faut réduire les dépenses de l’État, supprimer des postes de fonctionnaires ?
Jean-Marie Le Pen : Bien sûr. Tout le monde admet qu’il faut absolument, pour que l’économie puisse redécoller, diminuer les impôts. Et nous, nous avons choisi de le faire de façon sélective parce que cet impôt est le plus démotivant : l’impôt sur le revenu.
France 2 : C’est ce qu’il y a de plus injuste : il n’y a que la moitié des Français qui payent l’impôt sur le revenu.
Jean-Marie Le Pen : Non, raison de plus, si je peux dire. Parce que c’est un impôt sur la locomotive. C’est un impôt sur ceux qui travaillent, sur ceux qui inventent, sur ceux qui créent de l’emploi. Par conséquent, c’est ceux-là qu’il faut encourager et non pas décourager comme c’était jusqu’à présent le cas et tout le monde y trouvera largement son compte. Je vous rappelle d’autre part que l’impôt sur le revenu n’est qu’une faible partie des impositions qui pèsent sur les Français, puisque c’est 300 milliards de francs.
France 2 : Parallèlement, on supprime des postes de fonctionnaires, on réduit les dépenses de l’État ?
Jean-Marie Le Pen : Je pense par exemple que si on supprimait l’impôt sur le revenu, on pourrait supprimer une partie des 200 000 fonctionnaires du ministère des Finances, on pourrait les réaffecter à la douane, par exemple, pour la protection de nos frontières et la protection des pans de notre économie qui subsistent encore – en particulier l’automobile qui, si jamais elle s’effondrait, serait une véritable catastrophe économique et sociale.
France 2 : Hier, vous étiez en meeting à Nice. Le slogan sur la tribune était : sortons-les. Vous avez parlé de corruption puante, de ragoût. Est-ce que ce n’est pas un amalgame dangereux ?
Jean-Marie Le Pen : Il y a plus de mille ministres, sénateurs, députés, maires de ville qui sont en examen. Et encore, ce n’est qu’une petite partie de l’iceberg. S’il y avait une investigation générale qui était ordonnée sur la passation des marchés publics, 90 % des hommes politiques seraient en prison. S’il y avait de la justice. Et un certain nombre d’entre eux mériteraient d’être pendus comme ils l’étaient sous la monarchie : treize ministres des Finances furent pendus ou bannis et je crois que cela serait un élément de justice élémentaire quand on sait qu’il y a cinq millions de gens en France qui n’ont pas 2 500 francs pour vivre, alors qu’il y a des trous considérables et qu’on sait qu’il y a eu des enrichissements extraordinaires.
France 2 : À quel moment vous pourrez, dire que les élections ont été une victoire pour vous ? Quel est votre objectif ?
Jean-Marie Le Pen : Quand nous aurons augmenté le nombre de nos élus – si nous en avons – et surtout le nombre de nos voix. Pour nous, le premier tour est capital. Après tout, au second tour, les Français feront ce qu’ils voudront : ceux qui aiment ce qui vient de se passer et qui sont contents n’ont qu’à voter pour ceux qui sont actuellement au pouvoir ou pour leurs adversaires socialistes ; s’ils sont mécontents, ils savent ce qu’il leur reste à faire : voter pour le Front national.