Texte intégral
LE FIGARO.
- Vous êtes ministre depuis près de dix-neuf mois. Qu'avez-vous gagné et perdu en entrant au gouvernement ?
Dominique VOYNET.
– Le fait d'être au gouvernement et de n'avoir pas besoin, pour y rester, de sur jouer son rôle, de faire du chantage à l'éviction, d'être dans l'emphase ou la fuite an avant, est déjà un premier élément de satisfaction. Je crois que la démonstration est faite que les Verts sont capables, sur la base d'un contrat de gouvernement, de prendre leurs responsabilités, de les assumer et de faire comprendre aux Français ce qu’ils font. Cela se traduit de façon très concrète par un afflux d’adhésions, une diversification, de la composition sociologique des Verts et aussi par une prise de responsabilités à tous les niveaux, notamment à l’occasion d’élections régionales.
LE FIGARO.
- Au sein de cette majorité plurielle, vous sentez-vous à l’étroit ou à votre juste place ?
Dominique VOYNET.
- Cette majorité plurielle, d’une certaine façon, j’ai l’impression de l’avoir voulue avant et plus fort que les autres leaders. Maintenant, elle fonctionne. Petit à petit, même si ses divergences sont mises en évidence de façon un peu théâtrale, elle a su faire comprendre que la diversité des points de vue pouvait aussi donner la garantie que tous les aspects d’un problème seraient bien examinés avant que les décisions ne soient prises. Je crois que la majorité plurielle correspond bien, culturellement et politiquement, aux nouvelles attentes des citoyens.
LE FIGARO.
- Régulièrement, les Verts dénoncent la part trop belle fait au PS. A raison ?
Dominique VOYNET.
- C’est vrai que l’on peut être agacé, par exemple, de n’entendre parler que de l’attitude des socialistes en Rhône-Alpes. Car enfin qui a permis de balayer Million à la présidence de Rhône-Alpes ? C’est Etienne Tête, un Vert. Qui depuis des mois plaide pour une solution républicaine en Rhône-Alpes qui permettrait de garder le gain moral d’une attitude parfaitement digne et droite, ce sont les Verts.
Même chose pour les électeurs fantômes de Tiberi. Pendant la campagne présidentielle, j'ai amené le dossier au journal de TF1. Ça n'a intéressé personne. C'est un Vert qui a porté plainte. Après, il a été relayé par Lyne Cohen-Solal. Le travail de vigilance citoyenne sans connivence avec les puissances en place, mais aussi sans discours dévalorisant de la responsabilité politique, a souvent été mené par des écologistes…
LE FIGARO.
- Vous parlez avec enthousiasme de votre ministère, des impulsions nouvelles que vous avez voulu donner, des moyens que vous avez obtenus avec un budget en augmentation de 15 %. Mais vous avez dû aussi vous incliner, renoncer…
Dominique VOYNET.
- J'ai souhaité renforcer la capacité d'interpellation de ce ministère. Mon travail, c'est aussi de poser des questions. Que les autres ministères n'y répondent pas de façon toujours satisfaisante pour moi, que le premier ministre n'arbitre pas toujours en faveur des hypothèses que je lui soumets, ce n'est pas grave. Ce qui le serait c'est qu'il n'y ait pas de lieu pour poser ces questions et que personne n'ait le courage de les poser.
LE FIGARO.
- Vous trouvez que vous avez dû avaler beaucoup de couleuvres ?
Dominique VOYNET.
- Il y a une vision extraordinairement sexiste et politicienne dans le compte rendu de certaines activités. Quand le premier ministre décide dans une même réunion de confirmer l'arrêt de Superphénix et de redémarrer Phénix, on ne dit pas « Pierret avale une couleuvre » mais « Voynet a dû accepter le redémarrage de Phénix » !
Il y a cinq composantes dans la majorité. Les Verts n’avalent pas plus de couleuvres que les communistes ou les socialistes. Chaque parti, à un moment donné, doit composer avec le réel. Je n'ai pas l'impression d'être plus maltraitée que d'autres. Je suis habituée, depuis le début de mon engagement politique, à occuper plutôt le créneau du défrichage des idées, de l'interrogation et de la contestation des consensus mous. Ma satisfaction ne vient pas du fait de convaincre sur le court terme, elle vient du fait que souvent, ce qui apparaissait comme iconoclaste, infaisable ou ridicule, ne l'est plus quelques années plus tard. La fluidité sociale a été pensée par les écologistes il y a vingt ans. La réflexion sur la modernisation de la vie politique, le cumul des mandats, la parité, la démocratie participative, la diminution du temps de travail, nous l'avons commencée bien avant les autres. Il me parait évident que les Verts, peut-être paradoxalement grâce à leur petite taille, parce qu'ils n'étaient pas englués dans des contraintes liées à des situations de pouvoir local, ont joué déjà un rôle majeur dans la vie politique.
LE FIGARO.
- Les « sauvageons » de Chevènement, vous n’avez pas aimé. Vous craignez son influence sur la politique de sécurité du gouvernement ?
Dominique VOYNET.
- Il y a des constats qui relèvent de la responsabilité politique et de l'action du pouvoir public, et puis il y a eos commentaires qui relèvent du Café du Commerce. Je pense qu'on doit vraiment s'en tenir à la première catégorie en s'interdisant tout lyrisme, toute extrapolation, que ce soit pour valider des thèses angéliques ou des thèses catastrophiques. Je suis aussi convaincue que, quels que soient les choix retenus par le gouvernement, ils devront l'être en fonction du diagnostic porté sur la situation et non pas en fonction de telle ou telle considération politique ou électorale. L'opinion acceptera très bien des décisions fortes dans un sens comme dans l'autre, si elle a la conviction qu'elles sont fondées sur une approche concrète des phénomènes. Elle ne les tolérera pas si elle a l'impression que la gauche est à la remorque de la droite sur un discours sécuritaire.
Les responsables politiques ne peuvent s'en tenir à un discours globalisateur qui confondrait la jeunesse et la délinquance, la jeunesse et la toxicomanie, la jeunesse et la dangerosité sociale. Ils ne peuvent pas non plus tenir un discours qui exonérerait les jeunes de leurs responsabilités. L'écueil est double : ni impunité ni autoritarisme, ni tout-prévention ni tout-répression. Oui, il y a besoin de rétablir l'autorité, mais, pour être efficace, il faut que cette autorité soit perçue comme légitime par les jeunes. C'est vrai de l'autorité des parents, dos profs, des éducateurs, des juges, des policiers. Et pour que ce soit légitime il faut qu’il y ait dialogue. Une grande majorité de jeunes a besoin de renouer des liens avec des adultes et de retrouver des passerelles avec le monde tel qu'il est, avec un monde qui ne soit pas un monde virtuel, le monde dos jeux vidéo, le monde des Mc Do.
LE FIGARO.
- Jugez-vous que Jean-Pierre Chevènement traite les Verts et leur tête de liste cavalièrement ?
Dominique VOYNET.
- Jean-Pierre Chevènement est rentré en grande forme, on le retrouve tel qu'on le connait, parfois provocateur, parfois protecteur, voire condescendant. Mais il se trompe de cible. Qu'il ait décidé ou non de conduire une liste de gauche aux européennes ne devrait pas l'amener à de tels excès. D'autant que la décision du PCF de mener sa propre liste démontre que l'on peut être à la fois membre de la majorité plurielle à part entière et défendre ses idées chacun dans son propre camp.
LE FIGARO.
- Entre vous et Daniel Cohn-Bendit, les accrochages sont finis ?
Dominique VOYNET.
- C'est le jeu des médias que de nous opposer sans cesse. Il a de la personnalité. Il est plus branché par la dynamique de campagne que par la gestion des adhérents. Je lui demande de faire ce qu'il sait faire.
LE FIGARO.
- Qu'espérez-vous de ces européennes ?
Dominique VOYNET.
- Notre préoccupation n'est pas de dépasser le score des communistes mais d'être très présents à Strasbourg afin de peser sur les décisions à venir qui seront déterminantes pour la construction européenne.
LE FIGARO.
- Vous venez de recevoir votre homologue allemand, Jürgen Trittin. Vous l'enviez ?
Dominique VOYNET.
- Je n'envie pas Jürgen Trittin. Il est dans une passe difficile, celle où l'on est confronté au quotidien de la gestion d'un grand ministère, celle aussi où l'on apprend à travailler ensemble au sein d'une coalition. Concernant le nucléaire, il est trop tôt pour se réjouir : même si les militants du SPD sont majoritairement antinucléaires, comme d'ailleurs en France les électeurs de gauche, il lui revient aujourd'hui de penser la transition d'un mode de production énergétique, basé prioritairement sur le nucléaire, vers d'autres modes de production d'énergie. Cette tâche s'apparente aux douze travaux d'Hercule ! Nos deux (...) ont certes pas dans (...) vis-à-vis (...) mais le gouvernement (...) comme (...) Jospin, croit à la nécessité de maîtriser la consommation d’énergie et d’en diversifier la production.
LE FIGARO.
- Si vous quittiez le gouvernement, les Verts referaient trois pas en arrière ?
Dominique VOYNET.
- Si j'étais amenée à quitter le gouvernement, ce ne serait ni sur un caprice ni par calcul politicien mais en raison de la violation tant de l'accord Verts-PS que des principes qui fondent la majorité plurielle, la concertation et la négociation permanente. Ce ne serait donc pas un échec des Verts mais bien plutôt l'échec de la majorité tout entière. Mais cette hypothèse n’est pas d'actualité.