Texte intégral
L'agriculture et l'Europe ont une histoire commune depuis l'origine de la construction européenne. Pendant les années 60 et au début des années 70, dans un contexte de forte croissance, l'agriculture devait développer sa production pour nourrir la population, accroître sa productivité pour libérer la main-d'oeuvre nécessaire à l'industrie et aux services, assurer l'indépendance alimentaire de l'Europe. Tous ces défis ont été relevés. C'est ainsi que l'Europe est devenue la première puissance agricole mondiale, et la France le deuxième pays exportateur agroalimentaire après les Etats-Unis. Les conditions qui ont permis la mise en oeuvre et le succès de la première PAC ont aujourd'hui disparu ou se sont transformées. La pénurie est devenue surproduction dans bien des secteurs. La sécurité alimentaire a perdu, depuis bien longtemps, sa dimension quantitative pour prendre un sens qualitatif : nos concitoyens veulent une nourriture sûre, variée et de qualité. L'environnement économique européen et international s'est lui aussi profondément modifié. La contrainte budgétaire limite les marges de manoeuvre. L'organisation mondiale du commerce entraîne des règles du jeu plus contraignantes. Enfin, dans le contexte de chômage élevé que nous connaissons en Europe, l'exode rural dû à la disparition des exploitations a cessé depuis longtemps d'être un signe de modernité pour devenir un facteur aggravant de la situation de l'emploi. C'est d'ailleurs le point le plus critiquable de la PAC de 1992, qui a certes préservé, et même amélioré, les revenus agricoles mais dégradé fortement le nombre d'exploitations. Faut-il, sur la base de ce constat, se déliter la politique agricole commune au profit d'un grand marché agricole libéral, vaguement tempéré par des aides nationales ?
Certains de ceux qui s'émeuvent, voire s'indignent, que le budget de la PAC représente la moitié du budget communautaire devraient s'interroger.
Faut-il, pour construire l'Europe, planifier la disparition progressive de la seule politique vraiment commune qui existe, avec la pêche, si l'on fait exception de l'euro qui obéit à d'autres critères et à un pilotage d'une autre nature ? Ne faut-il pas, au contraire, avoir plus d'ambition et, au lieu de songer à en finir avec l'existant, promouvoir une meilleure coordination des politiques économiques, fiscales ou environnementales ?
La position française, défendue par le gouvernement, soutenue par le Président de la République, refuse que l'agriculture soit la variable d'ajustement des contraintes budgétaires de l'Europe. Non que le secteur agricole soit exempté d'efforts - nous y sommes prêts - mais parce que d'autres sujets doivent faire aussi partie de la négociation d'Agenda 2000, par exemple les fonds structurels ou encore le chèque britannique.
Sans accord sur un paquet global, il ne peut y avoir d'accord équilibré. D'ailleurs, cette position était une des conclusions du sommet de Vienne, en décembre 1998.
Dire qu'il faut préserver la politique agricole commune ne signifie pas qu'il ne faut pas la réformer. Il faut le faire pour de multiples raisons : existence d'excédents, nécessité de maîtriser le coût de l'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale, ouverture prochaine des négociations de l'OMC dans lesquelles l'Europe devra se présenter unie et en ordre de bataille.
La France est si peu opposée à la réforme qu'à ce stade elle est la seule à avoir amené des propositions nouvelles dans la négociation, avec notamment la proposition de réorientation des aides.
Défendue par le gouvernement, soutenu par le Président de la République, la position française refuse que l'agriculture soit la variable d'ajustement des contraintes budgétaires de l'Europe
Ce que je veux pour l'agriculture européenne, c'est une bonne réforme, c'est-à-dire une réforme :
- économe, qui n'engendre pas des aides directes supplémentaires importantes compensant des baisses de prix trop élevées. Il est étonnant qu'à l'heure de la maîtrise des dépenses publiques la Commission ne s'inscrive pas dans cette contrainte ;
- qui préserve les acquis communautaires en ne renationalisant pas le financement, même partiel, des aides de marché. Le cofinancement est une source d'inégalité entre les pays membres et de distorsions de concurrence. Un pays plus riche et/ou dont l'opinion publique acceptera plus de transferts en faveur de ses agriculteurs sera favorisé par rapport aux autres ;
- mais qui les réoriente dans un sens plus égalitaire au profit des exploitations, des productions et des régions qui ont le plus besoin du soutien public. C'est une nouvelle définition de l'Europe agricole que nous proposons, favorable à l'emploi, à l'aménagement du territoire et à l'environnement, favorisant les fonctions multiples de l'activité agricole. C'est tout le sens de notre proposition de réduction progressive des aides directes dans le temps, celles qui sont liées à la production, qui doit servir à une véritable réorientation de la PAC.
Nous ne proposons qu'une partie des économies ainsi réalisées serve à financer ce que l'on appelle le développement rural. La PAC de 1992 s'était traduite par la perte d'un nombre très important d'exploitations. C'est avec cette logique que je veux rompre radicalement, au nom d'une autre ambition pour l'agriculture européenne.