Déclaration de M. Xavier Emmanuelli, secrétaire d’État à l'action humanitaire d'urgence, sur la nécessité du renforcement de l'organisation de la médecine d'urgence, notamment entre les réseaux des Samu, Smur, Centres 15 et Sdis, et sur le rôle des Samu sociaux et des Anacor, Saint-Étienne le 13 juin 1996.

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Circonstance : 10ème Congrès national des Samu à Saint-Etienne le 13 juin 1996

Texte intégral

Mesdames, Messieurs, chers confrères, chers amis,

Je ne cacherai pas le plaisir que j'éprouve à me retrouver aujourd'hui parmi vous, parmi tous ceux dont j'ai croisé la route il y a plus de vingt ans et aux côtés de qui j'ai parcouru tout ce chemin qui va de la mise en place des premiers SAMU à l'émergence d'un véritable système, d'un véritable réseau, couvrant l'ensemble du territoire national, et susceptible d'offrir à la totalité de la population française une réponse médicale aussi rapide et adaptée que possible à sa demande de soins d'urgence.

Ce n'est pas ici qu'il convient d'insister sur l'originalité du système mis en place dans notre pays et dont je sais qu'il intéresse un nombre important de pays, à la fois pour la couverture extra-hospitalière des urgences au quotidien, et pour la prise en charge des situations de catastrophe.

Pourtant je ne peux résister à parler ici de l’« aventure » des SAMU qui a débuté, il y a plus de 20 ans, pour répondre à l'effet meurtrier de l'automobile. Tout d'abord sont apparues des unités mobiles hospitalières (UMH) qui fonctionnaient sur le principe d'une coordination de différents moyens de secours : les pompiers, la gendarmerie, police-secours et la médecine des secteurs hospitalier et libéral. L'État a officialisé cette interministérialité en décembre 1965, par un décret qui a institué le principe de soins de l'avant civils.

Avant la multiplication progressive des SMUR, la loi du 19 juillet 1972 a actualisé la notion de « service de l'aide médicale d'urgence ». Je tiens ici à saluer la mémoire de Monsieur Coirrier, de la direction générale de santé, pour sa clairvoyance, son opiniâtreté et son investissement dans ce domaine, qui ont permis de donner une place prépondérante au service public en l'inscrivant très justement dans les statuts de ces services et donnant à la médecine d'urgence ses véritables lettres de noblesse.

Redoutablement efficace, la médecine d'urgence demande aux praticiens une démarche nouvelle, très systématique, à l'instar d'une démarche d'ingénieur qui va instrumentaliser un raisonnement plutôt que celle, classique, du médecin qui cherche d'abord à soulager, à entourer et à accompagner un malade dans le cheminement d'une pathologie.

Il en résulte une contradiction éthique qu'il faut assumer : l'urgentiste est amené à considérer l'organisme comme un objet dénué de toute dimension signifiante pour pouvoir lui restituer, après les manœuvres de sauvetage, toute sa dimension de sujet, avec ses relation d'échanges, en un mot sa destinée humaine. Mais cette finalité disparaît au profit de l'aspect « machinerie » de l'organisme qui guide le comportement de l'urgentiste. Ce n'est pas seulement une coïncidence ni une dérive, mais une analogie de raisonnement entre le fonctionnement des machines qui font partie de notre vie quotidienne, et celle du corps qui est aussi, et peut-être d'abord une machine organique.

Au-delà de la technique, les médecins de l'urgence envisagent leur stratégie dans le même esprit, car ils utilisent des procédures successives qui permettent d'aboutir à la « catégorisation » des victimes selon le type d'urgence. Ce sont d'abord les urgences absolues dont le traitement ne souffre aucun retard. Viennent ensuite les urgences potentielles qui nécessitent une surveillance médicale continue. Puis les urgences différées qui peuvent être évacuées vers des lieux mieux équipés et moins précaires. Enfin on classe dans les urgences dépassées, les blessés pour lesquels aucun geste utile ne peut être accompli dans l'immédiat.

Pour la première fois dans son histoire, la médecine s'est ainsi dotée d'outils et de moyens d'interventions considérables. La médecine d'urgence peut, à ce titre, être considérée aussi comme une médecine de prévention de l'aggravation des pathologies des premières minutes suivant l'accident, car elle agit le plus tôt possible et le plus efficacement possible, avec tous ses effets à long terme. Les victimes « meurent » moins, les lésions, plus précocement traitées, cicatrisent plus vite ; le préjudice fonctionnel est moindre et donc le poids économique de ces pathologies, pour la collectivité, est aussi diminué.

La maîtrise de l'urgence individuelle a tout naturellement conduit à vouloir appliquer les techniques performantes aux situations impliquant des victimes en très grand nombre. Pour être efficace, la médecine de catastrophe doit disposer d'une organisation quasi militaire, de la stratégie jusqu'au contrôle des opérations. Hélas, comme l'urgence, elle connaît les dérives interprétatives liées à sa toute puissance et aussi à celle des médias. En particulier les médias télévisés qui façonnent, à l'occasion des crises, une opinion publique internationale conduisant à mêler des concepts pourtant difficilement compatibles : entre l'humanitaire, l'urgence, le politique, le militaire... les ONG... les principes éthiques sont, à cette occasion, trop aisément transgressés.

La situation d'urgence confère aux praticiens d'aujourd'hui une légitimité et un pouvoir dont leurs prédécesseurs n'ont jamais bénéficié. C'est ainsi que les principes du libre choix du médecin, du secret médical et de l'espace d'échange d'information entre patient et praticien sont forcément transgressés, au nom de l'efficacité.

Par ailleurs, la débauche de moyens, la brutalité et l'efficacité spectaculaire de l'intervention en milieu civil, fascinent profondément le grand public. La diffusion de cette culture par les médias, et en particulier par les images, induit une nouvelle prise de conscience de la pratique médicale et change considérablement le rôle du médecin dans l'opinion. Mais l'urgence a permis des avancées considérables, et la France peut s'enorgueillir de ses réalisations dans ce domaine.

Pour autant, du chemin reste à parcourir. Si depuis le début de l'année 1994, chaque département dispose d'un SAMU, les capacités de certains d'entre eux restent encore parfois trop limitées.

Ceci d'autant que la sollicitation dont ils font l'objet de la part de la population ne cesse de se développer à un rythme très soutenu, et que les missions confiées à l'aide médicale urgente sont susceptibles de s'étendre dans le cadre des réformes en cours affectant l'organisation des urgences.

Dans ce cadre, la période qui s'ouvre, devrait me semble-t-il être une période de renforcement des structures mises en place, renforcement des moyens directement affectés à l'ensemble SAMU/SMUR/Centres 15, renforcement surtout des capacités de coordination des SAMU.

Il s'agit tout d'abord de renforcer les capacités de coordination hospitalière et inter-hospitalière afin de mieux assumer cette fonction territoriale que constitue l'aide médicale urgente, exercée aux frontières de l'hôpital.

C'est une fonction ingrate pour la structure hospitalière parfois mal préparée à assumer ces tâches territoriales, au profit de patients qui selon le cas ne seront pas adressés à l'hôpital lui-même.

C'est une fonction dérangeante comme le sont tous les services d'urgence qui bousculent l'ordonnancement des hospitalisations programmées.

C'est une fonction difficile en ce sens qu'elle implique une coopération entre établissements dont on sait qu'elle ne procède pas naturellement de la culture des hommes et des institutions concernées.

La première étape de ce renforcement résultera de l'assimilation par l'hôpital de cette fonction territoriale encore nouvelle pour certains d'entre eux. La mise en place des agences régionales, en réunissant les conditions d'une véritable coopération inter-hospitalière constitue me semble-t-il une opportunité à saisir pour améliorer le système mis en place.

La coordination avec les services d'incendie et de secours dans les domaines de compétence partagée, la coordination avec les médecins de ville pour la prise en charge des urgences ne relevant pas du plateau technique de l'hôpital, est dans ce domaine une absolue nécessité.

Sur le premier point, celui de la coordination avec les services d'incendie et de secours, l'application de la circulaire intérieur/santé du 2 février dernier, relançant la concertation et les conventions départementales entre SAMU et SDIS prévues par la circulaire commune du 18 septembre 1992 sur les relations entre SDIS et SAMU pour la gestion quotidienne des secours, m'apparaît essentielle.

Il convient, autant que faire se peut, de favoriser dans ce domaine le rapprochement des 2 services dans le respect de leur spécificité et définir clairement, dans chaque département les conditions de leur collaboration dans le cadre des conventions SDIS/SAMU prévues. C'est là un point essentiel pour assurer la rationalité des interventions et l'égalité dans l'accès aux soins d'urgence. L'opinion publique ne pourrait que s'émouvoir de désordres éventuels dans ce domaine particulièrement sensible.

La mise en place du numéro 112 d'appel d'urgence unique européen, prévue pour la fin de l'année 1996, peut constituer, à terme, un élément, et peut être plus, un instrument de rapprochement entre les services concernés. Les choix qui seront opérés ici ou là, sont des choix importants qui vont déboucher sur une période transitoire au cours de laquelle la dynamique propre à ce numéro d'appel unique s'exprimera. Dans ce débat qui aujourd'hui concerne la totalité des départements, il me semble essentiel que les SAMU puissent, s'ils en ont les moyens humains et matériel, se situer de façon positive pour qu'au terme des décisions qui seront prises dans chaque département, un partage équilibré soit globalement fait entre les services concernés. Je serai particulièrement attentif à cet équilibre dont il m'apparaît actuellement que seul il permettra à terme le rapprochement souhaité dans des conditions permettant de ménager l'identité et la spécificité de chacun.

Sur le second point, celui de la coopération avec la médecine de ville, il s'agit là aussi d'un point très important. L'augmentation des appels et des affaires traitées par les centres 15, s'accompagne, et l'on ne peut que s'en féliciter, d'une banalisation des motifs des appels qui dans bien des cas ne nécessiteront pas la mobilisation des moyens lourds hospitaliers de même qu'ils ne nécessiteront pas le recours au plateau technique de l'hôpital. La régulation de ces appels par les médecins libéraux, le recours aux généralistes pour la prise en charge des urgences correspondantes, est là aussi, une absolue nécessité. Encore faut-il que les moyens d'une régulation libérale existent dans les centres 15, et que les visites demandées par ceux-ci puissent être réalisées par les médecins libéraux qui assurent le maillage du territoire départemental. Et cela n'est certainement pas toujours le cas.

Sur l'un et l'autre point les réflexions en cours - je pense aux récents rapports du professeur Barrier et du professeur STEG - pourraient déboucher sur la mise en place d'un financement stable de la régulation libérale des centres 15 et d'une prise en charge à un niveau de rémunération acceptable et garanti des visites d'urgence correspondantes assurées par les généralistes libéraux. Là encore, c'est un dossier en cours et je veillerai personnellement, dans la mesure de mes moyens, à ce qu'il soit conduit à bonne fin.

Les missions qui sont aujourd'hui celles des SAMU sont susceptibles, à terme proche, de s'étendre. Je voudrais dire quelques mots des évolutions réglementaires concernant les urgences et de leurs conséquences éventuelles sur les SAMU. La mise en place d'un système gradué de réponse aux urgences hospitalières, tel qu'il a été prévu par les 2 décrets du 9 mai 1995, avec la mise en place des SAU et des ANACOR, aura, me semble-t-il, des effets importants sur l'activité des SAMU. La mise en application de ces décrets, avec notamment la nécessité d'assurer de façon adaptée et immédiate l'aval hospitalier des urgences accueillies, va inéluctablement conduire au développement de l'activité d'orientation hospitalière et des transport sanitaires inter hospitaliers. Les SAMU, dont c'est déjà le rôle pour les urgences extra-hospitalières, seront plus que par le passé sollicité à ce titre. C'est là l'émergence d'une fonction, je dirai presque nouvelle, que l'ensemble SAMU/SMUR/centre 15 doit se préparer à assumer, et pour laquelle il devra nécessairement se renforcer.

Au-delà de ces aspects, les décrets du 9 mai mettent également l'accent sur la permanence d'une médicalisation « senior » des services d'accueil des urgences, et donc sur la nécessité d'une formation ou d'une expérience spécifique. Cette exigence au niveau intra-hospitalier se répercute bien naturellement au niveau extra-hospitalier. Il serait inconcevable que dans la chaîne des urgences, la qualification requise des personnels soit inégale selon le maillon considéré et que l'on se situe à l'intérieur ou à l'extérieur de l'hôpital. Les décrets en cours de préparation sur l'autorisation des SMUR et leurs conditions techniques de fonctionnement doivent donc, dans ce domaine de la permanence, de la médicalisation et de la qualification des personnels, présenter les mêmes exigences que pour l'accueil hospitalier des urgences. C'est donc là un des points fondamentaux retenu pour ces décrets, pour lesquels le calendrier devrait se caler sur celui de la révision des décrets du 9 mai 1995. Ce point est d'autant plus important qu'il s'agit là de l'élément le plus caractéristique qui fonde de façon spécifique le système d'aide médicale urgente mis en place dans notre pays. À défaut de cette médicalisation de qualité lors des sorties SMUR, la légitimité du système d'aide médicale urgente, patiemment mis en place au cours des 30 dernières années, pourrait facilement être remise en cause. C'est donc là un enjeu fondamental dont chacun d'entre vous doit avoir conscience.

Je voudrais cependant ajouter quelques éléments, notamment en ce qui concerne l'attention toute spéciale qu'il convient aujourd'hui de porter aux problèmes médico-psychologiques pouvant surgir à l'occasion de la prise en charge d'accidents massifs, qu'il soient la conséquence de catastrophes naturelles ou d'attentats terroristes. La mission, que j'ai confiée au professeur CROCQ sur ce sujet, l'a conduit à dégager cinq axes prioritaires :
    - définir une doctrine pour le soutien psychologique précoce et le soutien des blessés psychiques ;
    - agir immédiatement après l'agression ;
    - assurer la formation des personnels ;
    - prévoir l'application de ce dispositif sur tout le territoire national et élargir son action à l'étranger ;
    - entretenir les contacts nécessaires avec les différentes structures et institutions concernées.

Certains d'entre vous, je le sais, ont déjà eu l'occasion soit de traiter cet aspect lors d'accidents importants, soit de procéder à la mise en place de systèmes particulier permettant une telle prise en charge médico-psychologique. C'est là une mission complémentaire pour la mise en œuvre de laquelle les SAMU auront une nouvelle fois à assumer un rôle de coordination.

Avant de terminer mon intervention, je voudrais aborder la possibilité d'un rôle social pour les SAMU. Il faut être clair, aujourd'hui les SAMU ne sont pas prêts pour assumer cette fonction. Tant que les ANACOR ne seront pas en place, ne seront pas opérationnelles, les SAMU constitueront la mise à disposition d'un plateau technique performant sur les lieux de l'accident, c'est à dire une intervention de l'hôpital hors les murs. Depuis leur création, les SAMU ont exigé, dans leur travail et dans leur organisation, une extrême rigueur. C'est pour cela que ces services ont fait l'admiration de tous et que ce modèle est envié par beaucoup d'autres pays.

Il en va de même pour l'urgence sociale. Elle ne s'improvise pas. Elle exige une compréhension, un professionnalisme et le bon fonctionnement de réseaux sanitaires et sociaux de proximité.

Lorsque j'ai créé le SAMU social de Paris, ce n'est pas par hasard que j'ai inclus le mot SAMU dans sa dénomination. Il existe bien des similitudes entre ces deux services. Le SAMU social va au-devant, sur les lieux mêmes des détresses sociales. Il fonctionne grâce à une régulation, avec des équipes spécialisées, des véhicules et dispose de lieux d'accueil. J'ai utilisé mon expérience de l'urgence comme une méthode pour donner des réponses pertinentes, au plus près de l'usager.

Si j'ai choisi d'utiliser le terme de SAMU social, c'est aussi parce que je pense, qu'un jour peut-être il y aura une régulation unique, mais le moment n'est certainement pas encore venu. L'hôpital, depuis les réformes hospitalières de ces dernières années, a abandonné, dans une certaine mesure, sa mission traditionnelle d'Hôtel-Dieu au profit de celle de centre de réparation et de traitement. Pourtant je pense que le rôle social de l'hôpital est si fondamental qu'il doit être placé en tête de tout projet pour l'avenir même des établissements hospitaliers. Mais il faut tenir compte de notre culture pour que l'évolution des mentalités se fassent vers un rapprochement du sanitaire et du social, vers une véritable politique de santé publique, et hélas, cette évolution est lente... très lente.

Permettez-moi enfin d'ajouter quelques mots de conclusion. Le chemin parcouru par l'aide médicale urgente depuis 30 ans, depuis la naissance des premier SAMU est considérable, pour autant, il n'est guère question de lever le pied. Le renforcement de l'organisation et du réseau mis en place est aujourd'hui encore à l'ordre du jour. La meilleure assimilation par les hôpitaux de leur mission territoriale en matière d'urgence, le développement de la coopération inter-hospitalière en ce domaine, l'intégration des médecins généralistes libéraux dans la prise en charge des urgences ne relevant pas du plateau technique de l'hôpital, la rationalisation et la complémentarité des interventions des services publics concernés, en quelques mots la coordination de l'ensemble des partenaires de l'urgence, constitue aujourd'hui l'objectif fondamental. Le renforcement des SAMU procédera principalement de cette capacité de coordination. Je vous assure de mon soutien dans la poursuite de cet objectif et il sera veillé à la mise en place des moyens qui vous sont nécessaires. Toutefois, votre rôle, sur le terrain, dans votre département, dans vos établissements sera à mon sens bien plus important. Il faut donc souhaiter que l'esprit pionnier qui tout au long de la période écoulée a animé les hommes dans cette « Bataille pour le SAMU », continue à inspirer l'action quotidienne de chacun, permanencier, infirmier, ambulancier et médecin de l'aide médicale urgente.

Mesdames, Messieurs, chers confrères, chers amis, je vous remercie.