Texte intégral
Date : 21 mai 1996
Source : Assemblée nationale
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les députés,
La question de l'enseignement supérieur, la question universitaire en particulier, est plus qu'aucune autre une question française.
Nous ne sommes pas le seul pays du monde où une évolution rapide a changé les conditions d'existence de l'Université, même si, c'est vrai, cela s'est produit chez nous plus vite qu'ailleurs.
Nous ne sommes pas le seul pays du monde, loin s'en faut, où les étudiants ont su, au long des décennies, se montrer des citoyens intempestifs pour les pouvoirs en place.
Mais nous sommes, je crois, le seul où la rencontre, la conjonction de ce changement et de cette réactivité a fait regarder la question universitaire comme presque impossible à traiter.
Il faut y voir entre autres le lointain héritage de la stupeur qui saisit la France devant le mouvement étudiant de 1968, regardé au début comme un monôme et qui manqua emporter le régime.
Il faut ajouter à ce traumatisme historique les innombrables mouvements et manifestations de toute nature qui ont constamment suivi toute proposition d'évolution.
Je veux rappeler que, pendant la seule dernière année universitaire, nous avons connu trois séries de manifestations qui concernaient un projet, celui du CIP, une circulaire relative aux IUT et un rapport sur l'avenir de l'enseignement supérieur, le rapport Laurent.
Lorsqu'un corps social se met à manifester contre un rapport aux cris de « Retirez le rapport ! », c'est que la réaction immunitaire, après tout naturelle à tout organisme, même social, s'est affolée jusqu'à se transformer en allergie à l'idée même de tout changement.
Au fond, on pourrait résumer la situation de la manière suivante : les étudiants ont peur du changement, les pouvoirs ont peur des étudiants et le changement devient donc impossible.
On connaît désormais le cycle français : appels à la réforme au moment des échéances électorales, promesses unanimes des candidats, annonce ou préannonce de cette réforme, manifestations, retrait de la réforme, attente de la prochaine échéance électorale.
Tout cela pourrait apparaître, Mesdames, Messieurs les députés, comme relevant de notre folklore national, et un chansonnier moyennement talentueux arriverait sans peine à déclencher sur ce sujet l'hilarité générale tant on semble trouver là l'illustration idéale de la vieille formule bergsonienne du déclenchement du rire chaque fois que du mécanique est plaqué sur du vivant.
Mais il me semble que notre responsabilité, à nous, ce sont les victimes. Et les victimes sont nombreuses. C'est d'elles que je veux maintenant dire un mot.
La première victime de cette impasse, c'est l'Université française et ceux qui la servent.
Une enquête d'opinion sur notre université donnerait, j'en suis sûr, des résultats attristants. Mouvement après mouvement, ce qui surnagerait de l'image que nos concitoyens se forment de l'Université, c'est la masse, l'échec, les conditions de travail insupportables et l'inadaptation à notre temps. Bref, ce serait une Université où tout découragerait d'aller, sinon parce que l'on ne pourrait pas faire autrement. La vérité oblige à dire que c'est d'ailleurs ainsi que les choses se passent pour de nombreux Français : les enfants des milieux les plus favorisés de la société française choisissant majoritairement, chaque fois que cela est possible, d'éviter l'Université.
Nous assistons ainsi à une dévaluation implicite de l'Université française. Cette dévaluation, dans l'impuissance collective, est durement ressentie par les esprits éminents qui forment le corps des enseignants et des chercheurs, par l'ensemble des personnels sur qui reposent nos établissements. Beaucoup se laissent glisser jusqu'au découragement et au fatalisme propres à ceux qui pensent qu'il n'y a plus rien à faire.
Or, il faut le dire avec force, cette réputation et la dévaluation qui s'ensuit sont injustes et imméritées. Il suffit d'aller sur le terrain pour vérifier que l'Université, dans son ensemble, a mis en place des stratégies de formation, qu'elle a relevé, mieux que quiconque n'aurait pu l'imaginer, le défi du nombre, qu'elle continue à délivrer des diplômes qui n'ont pas baissé en exigence - ils ouvrent toujours la porte à l'emploi - qu'elle a réussi à accueillir et à organiser une recherche de haut niveau, qu'elle commence à déployer des réseaux efficaces et puissants de relations internationales : chaque fois que je me rends à l'étranger ou que l'un de mes homologues me rend visite, je mesure l'effort qui a été récemment entrepris - il date souvent de ces deux ou trois dernières années - et qui a permis la signature de conventions, d'homologations réciproques de diplômes, la mise en place de laboratoires ou d'équipes croisés.
Bref, l'Université est un corps vivant, mais dont la vitalité est ignorée à l'extérieur et dont les véritables capacités sont laissées dans l'ombre.
Le rétablissement de la confiance en l'Université française, ce n'est pas seulement justice à l'égard de ceux qui la font vivre et qui doivent voir leur effort reconnu, c'est en réalité la condition même de sa survie et de son épanouissement.
Le rétablissement de cette confiance est capital aussi pour les autres victimes, qui sont plusieurs dizaines de milliers : les étudiants si nombreux à qui ne sont pas offertes des chances réelles de réussir à l'Université et qui ont le sentiment qu'ils y perdent leur temps, faute de connaître les règles du jeu.
Entendons-nous bien : je n'ai pas l'intention de tenir devant vous le discours démagogique selon lequel l'Université idéale serait celle où l'on connaîtrait 100 % de réussite. Rien ne vaut sans effort, ayons le courage de le dire. Et les diplômes n'auront de valeur - ayons le courage de le dire aussi - que s'ils maintiennent un niveau certain d'exigence académique.
Mais c'est la vérité pure et simple que de dire que nombre d'étudiants ne peuvent pas défendre leurs chances. Le plus souvent, c'est leur décision d'orientation qui a été mal prise.
La voie de formation qu'ils ont choisie est si éloignée de leur spécialité au lycée qu'ils n’ont pas les acquis nécessaires. Il arrive très souvent aussi que les jeunes soient décontenancés par la distance qui existe entre les méthodes de travail au lycée et celles de l'Université. Ils ont le sentiment d'être abandonnés à eux-mêmes, sans aide et sans conseil, avec un encadrement insuffisant. Parfois, l'architecture même des études ne sert pas la réussite de ceux qui le mériteraient, interdisant les réorientations, présentant des profils trop précocement spécialisés.
C'est ce constat que le gouvernement a fait. Trop d'efforts sont gâchés, trop de victimes sont sans recours, trop de mérites sont gaspillés en raison de cette incapacité chronique à voir évoluer nos institutions universitaires, qui est devenue notre caractéristique nationale.
Devant ce constat, seules deux voies se présentent. Ou bien on considère comme une donnée que rien n'est possible, et on laisse les choses aller avec la certitude que plus le navire se dégrade, plus son naufrage est certain, plus vite il sera brisé et mieux cela sera. C'est le constat pessimiste que dressent ceux qui croient qu'il faudrait radicalement changer notre modèle universitaire français, en adopter un autre, rangeant au grenier des idéaux démodés la promesse républicaine selon laquelle il convient de tendre vers l'égalité des chances pour tous les jeunes de France, d'où qu'ils viennent et où qu'ils vivent.
Ou bien on décide - c'est mon cas - que cet idéal n'était pas de saison, qu'il n'avait rien à voir avec la mode, que c'est un peu de la France et beaucoup de nos raisons de vivre ensemble qui sont en jeu dans son affirmation, et l'on convient alors que, pour difficile que soit la réforme, pour irréalisable qu'on l'ait crue, notre devoir est de la conduire. On analyse alors les démarches innombrables qui ont présidé aux épisodes précédents, avec l'intention de tirer les enseignements de ces essais et d'arrêter une ligne de conduite nouvelle. C'est ce que le gouvernement a fait.
Notre conviction est qu'il existe, contre tous les pessimismes, contre tous les scepticismes, contre tous les conservatismes, une méthode permettant de conduire la réforme. Cette méthode dépend d'une condition fondamentale : il faut chercher non à construire la réforme pour qu'elle appartienne au gouvernement, non à conduire la réforme d'un clan contre un autre, d'une France contre une autre, mais à définir et à bâtir la réforme avec tous ceux qui sont de bonne foi, sans que personne ne doive abdiquer rien de son expérience ou de sa conviction.
Cette méthode repose sur deux principes : la transparence et la participation. Je crois que beaucoup des réformes précédentes ont échoué parce qu'elles ont été préparées, comme c'est l'habitude en France, dans le secret ; entre experts, dans les couloirs du ministère. Or, dans un monde à très haut niveau d'information et à très haut niveau de formation, la confiscation du pouvoir par le haut, par des centres secrets de décision est devenue impossible. La véritable expertise, ce sera désormais l'expérience !
C'est pourquoi l'association de la base la plus large possible, la participation des acteurs au processus de décision, comme le général de Gaulle en avait eu l'intuition, est la condition même du succès.
Cela impose le respect d'un calendrier stable, fixé à l'avance, d'un calendrier qui ne se laisse troubler ni par les stratégies de retardement des uns ni par l'impatience des autres. Cela impose le maintien de la ligne et du rythme que l'on a arrêtés avec ses partenaires, ce qui est, c'est vrai, un peu plus difficile en démocratie médiatique. Mais c'est ce qui a été fait.
Le Premier ministre m'a confié la responsabilité de l'enseignement supérieur il y a un an, jour pour jour.
Il y a un an, jour pour jour, le Premier ministre a appelé à cet impératif de réforme de notre organisation universitaire, de ses premiers cycles et de son orientation, en particulier dans son discours de politique générale, après que le Président de la République en eut fait l'un des thèmes principaux de sa campagne électorale.
La même semaine, j'ai rencontré les présidents d'université pour leur annoncer ma détermination. J'ai lancé les États généraux le 21 octobre. Et s'il est vrai que les mouvements de novembre et de décembre ont quelque peu retardé la première phase, cela n'a pas pour autant remis en cause le calendrier général. Aux mois de janvier, de février et de mars, nous avons, en plus des cent auditions, demandé à toutes les organisations où s’expriment les sensibilités différentes de la communauté universitaire quelle était leur lecture des difficultés accumulées.
Nous n'avons pas enfermé la réflexion sur des sujets délimités tant notre conviction était que tous les éléments de la crise universitaire sont profondément liés entre eux et qu’il n'y a pas de réponse crédible sans une mise à plat générale du système, non pas avec la volonté de conduire un de ces grands chambardements qui finissent régulièrement par un échec, mais avec la détermination d'identifier précisément tous les blocages afin de les faire disparaître et de rendre, pour entrer dans le siècle nouveau, confiance et harmonie à notre enseignement supérieur.
Si je devais résumer en une phrase le but de la réforme que nous préparons par ces rencontres et par ce débat, je dirais ceci : l'Université a changé de dimension en quelques années. Elle a été d'une certaine manière plébiscitée par les jeunes Français mais elle est victime d'une crise de confiance. La défiance règne autour de sa capacité à transmettre le savoir, de son rayonnement, de ses rapports avec les étudiants, de sa capacité à faire reconnaître la valeur de ses diplômes et à ouvrir pour les jeunes les portes de la vie active. Le but de la réforme, c'est le rétablissement de la confiance : confiance de la nation à l'égard de l'Université, dans son volet enseignement que dans son volet recherche ; confiance de l'Université en elle-même ; certitude que chacun des étudiants pourra, s'il prouve ses capacités et s'il fait l'effort nécessaire, défendre sa chance ; assurance que la France aura, grâce à son enseignement supérieur, une jeunesse préparée à la compétition internationale.
Cette réflexion générale a pu être résumée en dix questions. Permettez-moi de noter au passage que ces dix questions - qui résultent de centaines d'heures d'audition - n'ont été récusées ou contestées par personne. C'est un premier pas encourageant que, dans un sujet aussi conflictuel, tout le monde reconnaisse au moins la justesse et l'objectivité du cahier des charges. Il est difficile d'espérer que l'on s'accorde sur les réponses, mais c'est un pas encourageant que l'on puisse s'accorder au moins sur les questions.
Ces dix questions, je vais les reprendre devant vous en donnant, pour chacune d'entre elles, avant d'écouter dans sa diversité la représentation nationale, l'essentiel de la problématique.
La première cause de trouble, c'est l'importance et la nature de l'échec universitaire. Importance et nature, car il y a échec et échec. Pour conserver des diplômes à valeur reconnue, il est normal d'être exigeant dans la définition du niveau à atteindre. Les jeunes le comprennent parfaitement. Ce qui est cause de trouble, c'est l'échec injuste et le temps perdu. Après tout, les hypokhâgnes et les khâgnes, classes préparatoires littéraires, préparent à un concours auquel sont recalés plus de 90 % de ceux qui s'y présentent. Et pourtant, pour beaucoup d'entre nous, c'est un formidable souvenir et un moment de formation que nous n'échangerions contre aucun autre.
L'enjeu est donc double : garantir que la transmission des connaissances ne laisse personne sur le bord de la route et que, à défaut d'être assuré du succès - ce qui serait démagogique - chacun soit assuré de sa chance. Vous voyez les conséquences de cette affirmation. La plus importante - et j'ai été très heureux hier d'entendre qu'elle avait été reprise par une des principales organisations étudiantes - c'est que l'Université ne doit pas se contenter de distribuer des connaissances : elle doit initier aux méthodes qui permettent de les acquérir. C'est capital pour la définition même de notre université.
L'Université, ce n'est pas l'enseignement secondaire, c'est, idéalement, à parts égales, une démarche de recherche de haut niveau et une démarche d'enseignement. Les étudiants ne sont pas des élèves. Ce gérondif - « étudiant » - appartient à la voix active. L'élève est élevé par des enseignants, mais l'étudiant est responsable de ses propres études. De même, en anglais, l'élève est un « pupille » ; l'étudiant - c'est le même mot et la même forme -, se forge lui-même son propre savoir.
Il s'opère, entre l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur, un basculement d'un savoir que l'on reçoit à un savoir que l'on se forge, basculement qui ne peut se faire sans accompagnement ni initiation. Autrement dit, pour lutter contre l'échec injuste, la charnière enseignement entre secondaire et enseignement supérieur doit faire l'objet d'une réflexion nouvelle.
De la même manière, après ce premier impératif de méthodologie, il faut transformer autant qu'on le pourra le contenu des études pour que l'échec inutile soit éliminé au profit d'une période permettant de trouver un bagage utilisable.
Cela impose une réflexion sur la manière même dont sont conçus nos premiers cycles, sur l'architecture des connaissances qu'ils valident et proposent, et sur la progressivité de la spécialisation. Si nous travaillons bien, nous pouvons nous fixer l'objectif suivant : même si un étudiant ne parvient pas à obtenir son examen, il peut ne pas perdre son temps en premier cycle et construire, à partir des connaissances qu'il aura acquises, un véritable enrichissement.
Réforme des études, réforme des diplômes, tel est donc l'enjeu de la première question.
Nous avons volontairement posé la deuxième question sous l'angle de l'orientation. Je sais que c'est ici que viendront les débats sur la sélection. Mais il me paraissait malhonnête et dangereux de faire flamber un débat aussi sensible sans indiquer notre position. Disons donc un mot de la sélection.
Il me semble qu'il s'agit là d'une de ces guerres de principes propres à enflammer périodiquement la sensibilité nationale mais dont on s'aperçoit que, comme l'horizon, plus on s'en approche en approfondissant la réflexion, plus son objet se dérobe.
Quelles sont les positions de départ ? Pour les uns, c'est le nombre qui est la cause de tous les maux de notre enseignement supérieur. Pour ceux-là, le slogan selon lequel 80 % d'une classe d'âge doit être amené au niveau du bac - entendu par l'opinion comme « rien de possible sans études supérieures » - a fait déborder le vase. Pour ce courant d'opinion, il faut revenir à la raison, et, puisque le bac n'a plus de signification, il faut avoir le courage de fermer la porte d'entrée à l'Université pour donner plus d'oxygène, si j'ose dire, à ceux qui seront admis.
Pour les autres, au contraire, le refus de toute sélection est un principe républicain et social, et tout manquement à ce principe ne pourrait que rallumer la guerre scolaire.
Je ne peux pas me dérober à ce débat mais je veux dire où je me situe, en ce qui concerne les principes, et à quel point ce débat me paraît vain.
Je ne crois pas possible de dire à un jeune : « Tu as réussi au baccalauréat et maintenant tu souhaites aller plus loin, mais nous, institution, t'interdisons de tenter ta chance. »
L'interdiction de tenter sa chance, l'interdiction de faire ses preuves, c'est l'une des injustices, c'est même, je crois, l'une des violences auxquelles les jeunes sont le plus sensibles. De surcroît, dans la compétition internationale, le niveau de formation d'une nation sera l'un des critères principaux du succès.
Pour l'une comme pour l'autre de ces deux considérations, je ne suis pas, vous l'avez compris, partisan de la politique malthusienne.
Mais je considère surtout que ce débat est vain. D'abord parce que, il faut le rappeler, la sélection existe, non pas comme principe, mais comme réalité. Au moins 30 % des jeunes Français choisissent librement de faire leurs études dans une filière sélective : classes préparatoires aux grandes écoles, médecine, BTS, IUT, universités spécialisées, etc. Quant aux autres, ils ont à affronter, les deux premières années, des taux d'échec parfois supérieurs à 60 %. Je ne crois pas que nous puissions nous proposer comme principe d'augmenter ces taux d'échec. Si l'on voulait cependant créer une barrière nouvelle à l'entrée de l'université - ce n'est pas ma volonté - cela aurait deux conséquences: d'abord, en romprait avec le principe français du baccalauréat, premier titre universitaire, accordé sous la présidence de professeurs d'université; du même coup, c'est l'unité de l'enseignement secondaire qui serait remise en cause, avec la spécialisation inévitable de lycées chics permettant l'entrée dans des universités chics, et la relégation des lycées « chocs » ou éloignés, qui prépareraient à l'entrée dans des universités de deuxième zone.
Car si chaque université fixait librement les conditions d'entrée des étudiants, une différence apparaîtrait immédiatement entre universités de première zone et universités de deuxième zone.
Permettez au président du conseil général des Pyrénées-Atlantiques de le dire, mais j'imagine que des élus de Seine-Saint-Denis ou de Corrèze pourraient faire la même remarque : toute la politique d'aménagement du territoire universitaire se trouverait vidée de son sens.
Je rappellerai à l'appui de ma démonstration ce qu'on a constaté avec les grandes écoles de commerce. L'établissement d'une hiérarchie affichée entre établissements a relégué en deuxième division, quelles que soient leur bonne volonté et la compétence de leurs équipes, nombre d'écoles de commerce de villes moyennes dont beaucoup sont aujourd’hui déconsidérées, découragées et peut-être ruinées.
La sélection, ce n'est pas seulement la sélection, c'est aussi le classement des universités entre plusieurs groupes à plusieurs vitesses, en contradiction formelle avec les principes d'organisation, et même avec les principes constitutionnels de la République française.
Et ce risque serait pris au moment même où le comité national d'évaluation montre que notre politique d'aménagement du territoire universitaire est en train de réussir. Nous avons su créer dans les villes moyennes aussi bien que dans les grandes métropoles régionales des universités dont la qualité est en progression constante et que la qualité des générations d'étudiants a garanties dans leur réputation, au point que certaines de ces universités peuvent se prévaloir, en matière d’enseignement et de recherche, de succès qui valent ceux de leurs grandes aînées historiques des grands centres urbains.
J'ajouterai un dernier élément de réflexion. Dans la conjoncture actuelle, ces jeunes à qui l’on interdirait d'aller plus loin, où les enverrait-on ? Je crains, et je suis sûr que vous le craignez comme moi, que la réponse ne soit : à l'ANPE. Serait-ce vraiment un gain pour eux et pour la nation ?
Ayant conduit cette réflexion, nous sommes convenus, avec le Président de la République et le Premier ministre, que la question devait être posée non sous le seul angle du nombre des étudiants, mais sous l'angle du nombre des étudiants engagés dans des études où ils n'ont aucune chance de réussir. Et, s'il faut aller encore plus loin, non sous l'angle du nombre de ceux qui choisissent de forcer le destin et de faire leurs preuves, mais sous l'angle du nombre très élevé de ceux qui n'auraient jamais fait le choix qui a été le leur s'ils avaient été régulièrement informés du véritable contenu des études qui les attendaient.
Pour nous, un bachelier informé et conscient, qui sait où il va, qui connaît la dimension de l'effort qui lui sera demandé et qui est prêt à fournir cet effort, celui-là est à sa place à l'université.
La question est donc bien celle de l'orientation.
Il va sans dire que, pour nous, une véritable politique d'orientation se développe d'abord en amont, au lycée, et peut-être dès le collège.
Vous savez que, pour la première fois cette année, tous les lycéens de terminale ont reçu un dossier d'information qui étudiait sans complaisance leurs chances de réussite en fonction de leur parcours lycéen. C'est un premier pas. Notre but est de donner à chaque lycéen toutes les informations et toute la formation nécessaire à un choix conscient, débarrassé des pressions des mouvements irrationnels qui précipitent, sous l'effet de la mode, les étudiants tantôt en sociologie, tantôt en éducation physique, pour l'infortune du plus grand nombre, et qui laissent croire aux bacheliers professionnels ; qu'ils ont les mêmes chances dans les formations les plus abstraites que leurs camarades des séries générales.
La liberté consciente et informée : tel est notre deuxième objectif.
Troisième objectif, qui correspond, chacun s'en souvient, à un engagement du Président de la République : le statut de l'étudiant.
Je veux dire devant la représentation nationale que je n'entends pas le mot de statut au sens de protection assurée contre tous les aléas de la vie ; il y aurait là comme une incongruité et comme une injustice. Pourquoi les étudiants qui ont la chance de poursuivre leurs études recevraient-ils de surcroît des avantages que l'on refuse aux autres jeunes ?
Mais j'entends le mot de statut au sens plein : une reconnaissance, une confiance, la création des conditions les plus propres à la réussite des études comme à l'exercice des responsabilités citoyennes. Car la nation et l'université ont besoin de rapports stables et confiants avec les étudiants ; et les étudiants ont besoin du même contrat de confiance.
Naturellement, cette réflexion sur la condition étudiante comporte des aspects sociaux.
Les aides de l'État ont pour vocation d'aider à supporter le coût de la formation, très lourd pour ceux qui n'ont pas la chance d'appartenir à des milieux aisés. Or ces aides sont aujourd'hui injustement distribuées, je suis heureux que tout le monde s'accorde à le reconnaître. Pour parler brutalement, l'effort de la nation est concentré sur deux catégories d'étudiants : sur ceux qui sont issus des milieux les plus pauvres, et c'est normal, mais aussi, par le biais des avantages fiscaux, sur ceux qui sont issus des milieux les plus riches. Aider également les plus pauvres et les plus riches et ne pas aider ceux qui se situent entre les deux, ce n'est pas la justice !
De surcroît, ces aides sont complexes, peu transparentes, d'accès parfois embrouillé. Une réforme s'impose donc. Elle est, comme toujours dans le domaine social, difficile à conduire. La voix des bénéficiaires nouveaux est discrète, la voix de ceux qui perdent leurs privilèges se fait entendre avec force. Mais, dans la transparence et le souci de la justice, je crois que nous pouvons définir un cadre nouveau, équitable et accessible pour les aides sociales aux étudiants.
Cette question, malgré la très grande difficulté que je souligne, n'épuise pas la réflexion sur le statut. Et si je devais indiquer ce qui est le plus crucial, à mes yeux, c'est sans doute la vie étudiante, la participation des étudiants à la vie de l'université, à la vie civique, à la vie en commun sur les campus, la rencontre entre étudiants et enseignants-chercheurs que je mettrais au premier plan. La vie étudiante, avec ses aspects pédagogiques de prévention .et de santé, les pouvoirs reconnus aux étudiants dans la gestion des œuvres universitaires ou la réflexion sur la pédagogie, sont un vaste domaine où la vie mutualiste et associative ainsi que la ·démocratie de représentation doivent trouver toute leur place.
On voit que, sous la dénomination unique de statut, ce sont tous les aspects de la vie étudiante qui demandent à être pris en compte.
La quatrième question est celle de l'équilibre entre filières universitaires. La France est l'héritière d'une grande tradition intellectuelle, mais il y a des faiblesses dans cet héritage. Nous avons, au fil du temps, survalorisé l'abstrait, le conceptuel par rapport au concret.
Il reste en nous un peu du vieux préjugé qui voulait que l'on déroge, que l'on perde son rang si l'on s'intéressait à la vie pratique. Cet esprit de caste n'a pas complètement disparu. L'université en est victime avec ses filières abstraites et générales pléthoriques, avec la place trop faible qu'elle accorde au domaine du concret, aux connaissances appliquées, au domaine technologique.
Si l'on compare l'université française aux autres universités du monde, cette différence saute aux yeux. La nation en souffre car trop d'activités, industrielles, tertiaires, appliquées, échappent à l'enseignement de haut niveau et à la recherche.
Les étudiants en sont victimes puisque notre université ne valorise que les dons les plus abstraits au lieu de donner toute leur chance, à côté de l'esprit de géométrie et de l'esprit de finesse, à l'esprit technique et à la résolution concrète des problèmes. On apercevra sans peine la liaison intime entre ce déséquilibre et les problèmes d'orientation et d'échec rencontrés par certaines catégories d'étudiants.
Doter l’université française d'un véritable pilier technologique prenant en compte les formations de premier cycle existantes - BTS et IUT - et valorisant ces secteurs clés de l'activité de notre temps, construisant un appareil de recherche, montrant aux jeunes qui sentent en eux ce type d'aptitude que leur chemin n’est pas bouché, qu'ils peuvent, s'ils choisissent cette voie, espérer le même type de promotion sociale que leurs camarades plus à l'aise dans l'abstraction, est un grand enjeu de société, un grand enjeu économique et social et une œuvre de longue haleine.
J'ai choisi, comme vous l'avez vu, de dissocier le problème de la création d'une voie technologique de celui de la formation professionnelle, qui fait l'objet de la cinquième interrogation.
Car il me semble que c'est une autre conséquence de cet esprit de caste que je viens de dénoncer que de considérer que professionnel et technique vont nécessairement de pair, comme ce qui reste quand on ne peut pas « suivre » dans le général.
Ma conviction est que la mission de professionnalisation, le souci de l'entrée dans la vie active, de la transition vers l'emploi, est désormais l'une des missions majeures de l'université. Et cette mission de professionnalisation concerne de la même façon, pour ne pas dire plus encore, les étudiants des voies générales que les étudiants des voies technologiques. Chacun devine la révolution que cela suppose ; elle a commencé ici et là, dans les IUP, avec les DESS, mais elle n'a pas encore atteint l'ampleur qui devra être la sienne. Il n'est pas jusqu'aux stages qui ne doivent être repensés, mieux gérés, mieux définis, et de nouveaux rapports avec l'entreprise doivent être mis en place pour le mieux-être des étudiants, qui doivent, à tout moment de leur cursus universitaire, pouvoir être préparés à la vie active par l'université nouvelle.
Sixième question, plus difficile à saisir pour le grand public, essentielle pourtant à mon avis : celle de la recherche.
L'université n'est perçue dans l'opinion, même dans l'opinion éclairée, que comme un organisme d'enseignement supérieur. C'est à ce critère qu'on la juge. Et on est écouté avec scepticisme, y compris parmi les décideurs, lorsque l'on parle de recherche universitaire. Il faut pourtant répéter avec force qu'il n'y a pas de transmission du savoir au niveau universitaire sans un effort parallèle de mise à jour, de renouvellement et, parfois, de création du savoir. C'est une vérité d'évidence pour tous les pays du monde, et les tentatives historiques de distinguer complètement enseignement supérieur et recherche se sont soldées par de graves échecs.
Toutes les universités du monde sont un lieu de recherche. La situation française a été rendue plus complexe par le choix historique que nous avons fait, il y a plusieurs décennies, de créer de grands organismes publics spécifiquement dédiés à la recherche.
Le CNRS, l'INSERM, l'INRA, l'INRIA, le CEA, etc., ont attiré naturellement l'attention sur leur œuvre ; du coup, c'est la recherche universitaire qui est mal connue et souvent méjugée.
Il est très important que cette recherche soit l'objet de notre réflexion, notamment, Monsieur le secrétaire d'État à la recherche, pour tout ce qui tient à son orientation, à son évaluation et à sa reconnaissance.
La septième question, liée en partie à la précédente, est celle des personnels. Je reviendrai brièvement sur ce que je disais il y a un instant.
L'université est pour l'opinion un lieu d'enseignement ; elle est pour les universitaires un lieu de recherche. Beaucoup de nos concitoyens, même parmi les plus avertis, seraient profondément surpris d'apprendre que la carrière des universitaires se juge, voire se juge quasi exclusivement, sur des critères de recherche.
Ce sont les publications qui sont prises en compte pat les organismes nationaux chargés de la gestion des carrières. Aucun critère lié à l'engagement dans l'enseignement, à la présence auprès des étudiants, aux tâches d'encadrement des études, à l'animation des universités, à leur présidence même, au décanat ou à la direction d'UFR, à la représentation de l'université à l'extérieur, aucun de ces critères, dis-je, n'est mentionné. Comment s'étonner que les universitaires, soucieux, comme c'est légitime, de reconnaissance et de promotion, arbitrent en faveur de leurs travaux de recherche, et parfois contre les charges si lourdes de l'enseignement ? La gestion des carrières, les éléments qu'il convient de prendre en compte, l'évaluation des autres missions universitaires - je rappelle que les enseignants sont couramment évalués par leurs pairs et par les étudiants aux États-Unis, et que cette pratique commence à se généraliser en France - le profil des carrières, sont au centre du changement culturel qui donnera naissance à l'université nouvelle.
De même, on ne peut pas ne pas être saisi par la diversité des corps des personnels IATOS qui, parfois, exerçant les mêmes métiers, exerçant les mêmes fonctions et assumant les mêmes missions, ne sont pas reconnus de la même façon et sont soumis à des modes de gestion différents.
La gestion des personnels IATOS et l'harmonisation des corps font aussi partie de la septième question.
J'en arrive à la huitième question, qui concerne le rayonnement international de l'université et donc la place de l'international dans la formation des étudiants.
Dire que l'université a toujours eu une vocation universelle et que l'universel est désormais la dimension même de notre monde, c'est formuler un truisme.
Comment mieux intégrer cette dimension internationale à la gestion de notre université ? Comment faire entrer cette dimension, ne serait-ce que par la maîtrise des langues, dans les cursus de formation des étudiants ? Telle est la huitième question.
J'oserai à peine poser, tant elles s'imposent à vous, les neuvième et dixième questions. Elles donneront lieu à des débats nombreux et portent sur la gestion des universités et des liens entre celles-ci et leurs partenaires, qu'il s'agisse de l'État, qui joue un rôle majeur de régulation dès qu'il y va de l'égalité des chances, ou des collectivités locales, légitimement soucieuses de ne pas être prises seulement pour des payeurs et désireuses que leur voix soit mieux entendue lors de l'élaboration des plans qui permettent, par exemple, de créer une véritable carte universitaire et de recherche.
Ces questions sont évidemment centrales. Elles impliquent une réflexion sur les conseils, sur leur nombre et sur le type de décisions qu'ils doivent prendre.
Elles renvoient également au souhait, émis par un certain nombre d'acteurs de l'université, que, comme cela se passe avec les conseils d'orientation des universités nouvelles, les partenaires de l'université puissent faire entendre leur voix. Hier, les étudiants ont exprimé leur désir que les pouvoirs des conseils internes 'à l'université ne soient pas réduits, ni même amoindris.
Ces questions renvoient également au problème de la répartition des moyens entre l'État et les universités : selon quels critères ces moyens doivent-ils être distribués ? Cette distribution doit-elle entrer dans un cadre pluriannuel - je pense en l'occurrence aux contrats et aux stipulations que les contrats doivent comporter ? Faut-il que les emplois soient prévus dans les contrats ou un arbitrage annuel doit-il s'exercer ?
Ces questions sont familières a beaucoup d'entre vous, mais je me devais de les évoquer à cette tribune car elles feront l'objet d'une réflexion très approfondie.
J'en ai parfaitement conscience, il est plus facile d'énoncer toutes ces questions que de leur apporter des réponses. Mais c'est un progrès que d'avoir pu les énoncer dans un climat d'accord général, et je pense que les réponses seront acceptées dans la mesure où chacun aura pu participer à leur conception.
Dans toutes les universités de notre pays, des débats et des séances de travail ont permis aux acteurs de se faire entendre, d'une manière satisfaisante pour ce qui concerne les universitaires et les personnels, d'une manière encore trop insuffisante pour ce qui concerne les étudiants. Mais, dans les universités françaises, le manque de participation des étudiants n'est pas une nouveauté. Je considère même que l'amélioration de la participation des étudiants sera un objectif prioritaire de la réforme.
Toutes ces semaines de débat auront permis une maturation.
Ce que j'entends quand je parle avec les étudiants, ce que j'ai entendu hier en m'entretenant avec les représentants de l'UNEF-ID, me laisse à penser que les problèmes ont mûri et que beaucoup d'esprits sont aujourd'hui prêts à accepter des réformes qui étaient, hier, rejetées dans leur principe.
C'est aujourd'hui le Parlement qui est associé à cette réflexion, comme cela est normal. Rien n'aurait été plus choquant que, dans le débat, chacun trouve sa place à l'exception du Parlement où doit se faire entendre, dans sa diversité, la voix de tous les Français. C'est un moment important des états généraux que celui où la représentation nationale exprime, avec toutes ses nuances, son sentiment s'agissant d'une réforme qui engage l'avenir de la nation autant que l'avenir personnel des étudiants.
L'enjeu est grand, pour l'Assemblée aujourd'hui, et pour le Sénat dans quelques jours.
Rien n'est plus facile, nous le savons tous, que de glisser de la confiance à la défiance. Mais rien n'est plus difficile que de conduire le mouvement inverse, celui de la restauration de la confiance. Il arrive cependant que les esprits mûrissent. Nous sommes parvenus, me semble-t-il, à cette maturation.
Au-dessus des préférences d'opinion et des couleurs partisanes, priment les grands intérêts généraux de la nation. C'est sur ces intérêts que le moment est venu de nous retrouver, non pas - ne soyons pas naïfs - sur un accord général, mais au moins sur une préoccupation commune, sur une réflexion de bonne foi. Je suis heureux que les députés de tous les groupes aient été si nombreux à s'y associer car cela me semble de bon augure pour les décisions que nous avons à prendre.
Date : 4 juin 1996
Source : Sénat
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les sénateurs,
C'est au Sénat que s'achève la phase préparatoire des États généraux de l'université. Rien n'est plus conforme à nos institutions que de voir le Sénat, assemblée du long terme, intervenir en clé de voûte d'un grand débat national.
C'est pourquoi, d'emblée, je remercie les sénateurs de leur participation à ce débat. Je veux également remercier M. Monory d'avoir tenu à le présider personnellement, lui dont je n'oublie pas qu'il eut, deux années durant, la charge de ce si difficile dossier.
Dossier difficile, en effet : s'il est une seule certitude touchant à l'éducation en général et à l'université en particulier, c'est celle-là. Gouvernement après gouvernement, majorité après majorité, alternance après alternance, la France a découvert qu'elle ne savait pas répondre aux questions de son enseignement supérieur. Élection après élection, sitôt proclamés le désir ardent et l'impérieuse nécessité de réforme universitaire, la politique universitaire retrouvait une ornière creusée par plusieurs décennies d'échecs politiques successifs. Sitôt présenté le projet de réforme, ou son idée seulement - parfois son fantasme suffisait - un mouvement étudiant se formait pour le contester ; le projet de réforme était retiré, et les problèmes de l'université retrouvaient leur calendrier habituel, celui des calendes grecques !
Je n'ai pas l'intention d'être animé, à cette tribune, d'un esprit partisan. Il est vrai qu'il y a eu des périodes plus fastes sur le plan budgétaire. Il faut en rendre hommage à ceux qui ont su conduire cet effort, et, pour ma part, je ne discuterai pas cet hommage qu'il convient de leur rendre.
Des moyens ont été accordés, mais les problèmes des étudiants et de l'université n'ont pas trouvé de réponse susceptible de rassurer les intéressés et la nation dans son ensemble. Au contraire, la succession des crises a braqué le projecteur sur un Himalaya de difficultés qui ont fini par donner l'impression qu'il y avait là, pour la société française, un lieu de résignation et d'incapacité politique.
Cette impression est désastreuse. Elle l'est pour ceux, universitaires et personnels, qui font vivre notre enseignement supérieur. Elle l'est aussi pour les étudiants, spécialement pour ceux qui font le choix de la formation universitaire et qui sont victimes de cette mauvaise image en même temps qu'ils souffrent des difficultés d'organisation et d'accueil constatées dans notre système d'enseignement supérieur.
C'est pourquoi il n’était pas imaginable de laisser cette question sans réponse. Dès que M. le Premier ministre, il y a un an exactement, m'a confié la responsabilité de l'enseignement supérieur et de la recherche, notamment, nous avons examiné ensemble le calendrier de l'action indispensable en ce domaine. C'est ainsi que, dans son discours de politique générale, M. Alain Juppé a indiqué que le gouvernement était déterminé à agir vite dans les domaines touchant à l'enseignement supérieur, en particulier l'orientation et le premier cycle universitaire.
Agir vite, c'était, et c'est toujours agir avec méthode, tant le danger de confondre vitesse et précipitation s'est déjà révélé pernicieux. Ce n'est pas seulement une question de rythme. C'est une conception de l'action qui s'impose chaque fois que l'on touche à des sujets de société, à ceux qui font la trame de la vie de nos compatriotes, à ceux qui ont pour enjeu leur destin, à ceux dans lesquels ils placent leurs espoirs, pour eux et pour leurs enfants.
Ma conviction est que, dans ces domaines, les politiques ne détiennent pas de chèque en blanc. Un peuple à haut niveau de formation et d'information ne se gouverne pas par blanc-seing. Le débat ne sert pas seulement à l'information des gouvernants, il sert d'abord à former la décision.
D'une manière certaine, les citoyens doivent être partie prenante à l'orientation et à la décision. Ils ne sont pas des sujets, même d'une monarchie éclairée ; ils ont leur mot à dire avant que la décision ne se noue. C'est même la condition pour qu’ils comprennent la portée et le sens, pour qu’ils l'acceptent, ou acceptent, en tout cas, de la considérer comme fondée. Je crois que c'est ce que le général de Gaulle avait à l'esprit lorsqu'il fit de la participation, à la fin de sa vie publique, la pierre angulaire de sa conception de la société.
La participation est un mode de gouvernement encore à explorer, tant il comporte de remises en cause, dont la moindre n'est pas celle du temps médiatique, ce temps de la précipitation et de l'obsolescence immédiate des faits et de leurs causes. En effet, la construction d'une conscience commune, le mûrissement d'une volonté commune demandent que l'on respecte le temps qui commande aux décisions profondes. Les politiques devraient méditer l'organisation du panthéon grec, qui voyait le dieu Cronos dévorer ses enfants.
Si nous voulons retrouver l'équilibre et l'harmonie de nos sociétés et réconcilier celles-ci avec la démocratie, il importe que nous apprenions à maîtriser le temps, en sachant deviner ses logiques secrètes aussi bien que les plus apparentes.
Vaclav Havel l'a dit d'une autre manière, évoquant l'impatience de ceux qui croient que l'action publique peut porter ses fruits du jour au lendemain : « Ils sont comme ces enfants qui, pour faire pousser les arbres plus vite, leur tirent sur les feuilles. »
Il convenait donc de prendre le temps nécessaire, au moins une année universitaire, pour conduire ce projet à son terme. C'est pourquoi j'annonçais dès la rentrée de l'enseignement supérieur, le 21 octobre dernier, à Cergy, le projet de cette année de réforme et le plan de ces États généraux en trois phases : la phase des questions, celle de l'élaboration des principes qui commanderaient à la réforme et, enfin, celle de l'entrée en vigueur, nécessairement progressive, des décisions, des textes, des changements à prévoir et à construire. Nous sommes au terme de la deuxième phase : celle des principes.
Comme chacun s'en souvient, les mois de novembre et de décembre ont été marqués, dans les universités comme dans le pays tout entier, par une période de tension peu propice à la réflexion organisée. C'est donc en janvier que j'ai commencé à recevoir toutes les organisations rassemblant les acteurs de l'université et de l'enseignement supérieur, quelle que, soit leur nature : syndicats d'universitaires ou d'étudiants, associations de parents d'élèves, conférences des présidents, des directeurs, mutuelles ou conseils nationaux de l'université.
Plus de cent rencontres approfondies ont ainsi été organisées, sans compter des dizaines de rencontres informelles avec les acteurs individuels.
Je n'ai bien entendu pas non plus négligé, comme c'était mon devoir, la consultation du Parlement, en particulier du Sénat ; elle s'est déroulée lors d'une réunion spéciale des commissions compétentes des assemblées.
Pendant cette période, la conférence des présidents d'université - instance légitime puisqu'elle est entièrement formée d'élus de l'ensemble des acteurs locaux - a été mon interlocuteur constant au long de débats souvent passionnés, dont je veux la remercier publiquement, comme je remercie les trois présidents successifs qui ont accepté la charge de l'animer.
À l'issue de cette première phase, il m'a semblé que les problèmes de l'université française pouvaient être résumés en dix questions principales. J'ai vérifié auprès de mes interlocuteurs que ces dix questions leur paraissaient pertinentes et qu'elles recouvraient toutes leurs interrogations. Nous avons publié ces questions en livre de poche : dix dossiers de réflexion pour dix questions, rappelant des faits établis, vérifiables par tous, ainsi que l'ensemble des interrogations de nos interlocuteurs. Ce livre de poche a été tiré à 500 000 exemplaires et distribué gratuitement dans les universités.
Le débat s'est ensuite organisé localement dans toutes les universités françaises. Les conseils se sont réunis, élargis le plus souvent à des forums de réflexion. On m'a dit que les étudiants de base n'avaient pas été assez nombreux à participer à ces forums. C'est sans doute vrai. Pour qui est-ce une surprise ? Surtout pas pour ceux qui, comme moi, considèrent que l'absence de participation des étudiants dans les universités d puis des décennies doit être considérée comme le véritable symptôme de la crise endémique que connaît l'université française.
Toutefois, j'ai été encouragé par les débats dans nombre d'universités et je n'ai pas été découragé par les difficultés rencontrées ailleurs. Les universitaires et les personnels IATOS - ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers de service - ont donné leur avis. C'est bien ! Les élus étudiants aussi. C'est donc un mouvement qui commence. Le jour viendra, si nous sommes assidus et de bonne foi, décidés à rechercher tous les moyens d'un engagement des étudiants dans l'université, où ces derniers vérifieront que leur avis est écouté sur des sujets qui les concernent au premier chef. Ce jour-là, la vie citoyenne sur les campus aura fait un pas décisif.
À ce jour, j'ai reçu, en réponse à cette consultation, la contribution écrite des trois quarts des universités françaises. Presque toutes les organisations nationales consultées m'ont adressé leurs réflexions. J'ai été invité - c'est une première - à participer aux bureaux nationaux de trois des principales organisations nationales d'étudiants, l'UNEF-ID, l'Union nationale des étudiants de France indépendante et démocratique, l'UNI, l'Union nationale interuniversitaire, et la FAGE, la Fédération des associations générales étudiantes, qui m'ont présenté leurs travaux. Un débat a été organisé à la fin du mois de mai à l’Assemblée nationale, un débat a lieu aujourd'hui au Sénat.
Il reviendra au gouvernement, dans quelques jours, de rassembler l'ensemble des attentes exprimées, de proposer les voies et les moyens, les principes qui organiseront cette réforme profonde et de longue haleine que les Français attendent.
Viendra, ensuite, le troisième acte : la mise en œuvre. Je n'ai pas besoin de vous dire que cela ne se fera pas en un jour. Il faudra un calendrier d'application et une organisation méthodique pour conduire cette réforme jusqu'au détail de la réalité de son application, jusqu’au changement concret et perceptible par tous, évalué dans ses conséquences, défini par des textes et pris en compte dans l'organisation locale.
Je voudrais maintenant, Monsieur le président, Mesdames, Messieurs les sénateurs, reprendre devant vous les dix questions qui sont en résonance les unes avec les autres et qui décrivent l'ampleur de la tâche à accomplir.
Les deux premières questions sont commandées par l'observation, si souvent soulignée, de l'augmentation géométrique du nombre des étudiants au cours des dernières années.
Nombreux sont ceux qui s'interrogent sur l'importance du nombre de nos étudiants. La plupart d'entre eux considèrent qu'il s'agit d'un phénomène irrépressible mais ils en regrettent l'ampleur, estimant qu'il est été préférable qu'un certain nombre de ceux qui sont présents dans les universités eussent fait un autre choix. Tel n'est pas, selon moi, le bon angle d'approche.
Toutes les sociétés développées ont mis leur enseignement supérieur en question. Toutes observent que la demande d'éducation et de formation supérieure croît, et nombre d'entre elles concluent que, dans le contexte de très grande compétitivité où nous nous trouvons, ce sont les peuples les mieux formés qui seront le mieux armés pour remporter la bataille.
La question n'est donc pas tant celle du nombre des étudiants présents à l'université que celle du choix qu'ils ont fait et qui, le plus souvent, les place en situation de grande difficulté.
Ces jours derniers, malgré un effort d'information très important en direction des lycéens de terminale avant leur inscription dans l'enseignement supérieur - effort qui a donné des résultats satisfaisants à peu près pour toutes les voies de formations proposées - nous observons un effet de mode qui porte des dizaines de milliers de lycéens à choisir la voie de la formation en éducation physique et sportive. La vérité oblige à dire que ni les débouchés ni la place dans les universités n'existent pour ces jeunes qui croient trouver là un accomplissement pour leur future carrière.
Il est très important que nous sachions apporter aux jeunes des réponses concrètes, leur montrer de manière efficace, suffisamment tôt, où sont les voies de succès pour eux, où est leur intérêt. Il est très important que nous sachions, s'il le faut, établir des règles du jeu clair de façon que ces années de formation ne soient pas, pour la plupart d'entre eux, une impasse.
La question du nombre d'étudiants commande donc les deux questions qui ouvrent ce débat, c'est-à-dire celle de la transmission du savoir et celle de l'orientation.
J'examinerai d'abord la transmission du savoir.
C'est l'échec d'un très grand nombre d'étudiants, notamment dans le premier cycle, qui explique l'inquiétude d'une partie des observateurs et de nombreux jeunes inscrits à l'université. Dans certaines filières, cet échec s’élève à 60 %, et on peut trouver jusqu'à moins de 20 % des étudiants qui obtiennent leur diplôme de premier cycle en deux ans. C'est là un sujet d'inquiétude réel pour nous tous.
Cette inquiétude touche en particulier aux questions de méthodologie. Elle commande l'élaboration d'un programme raisonné afin de montrer aux étudiants que l'édification du savoir n'est pas de même nature dans l'enseignement supérieur et dans le deuxième cycle. Il existe une différence profonde entre la démarche autonome qui doit être celle des étudiants et la démarche davantage assistée qui concerne les lycéens. Nous devons conduire les étudiants à cette adaptation. Aussi la charnière, l'articulation entre l'université et le lycée doit-elle faire l'objet de tous nos soins.
La question de la transmission du savoir va évidemment de pair avec celle de la conception même des diplômes de premier cycle. Quelle est leur vocation, quelle est leur architecture ? Quelles compétences souhaite-t-on que les étudiants acquièrent au cours de ces deux premières années ? Quelle est la relation entre les diplômes de premier cycle et les diplômes de deuxième et de troisième cycles ? Quelle est l'architecture de la certification dans l'université française ?
La deuxième question est celle de l'orientation. C'est là, bien sûr, que les débats sur la sélection ont pris place.
La sélection me semble un faux problème. L'idée selon laquelle nous aurions comme objectif d'interdire à un très grand nombre d'étudiants de tenter leur chance, alors qu'ils ont su faire la preuve au baccalauréat de leur capacité à atteindre la fin des études du lycée, est absurde.
Cette question ne peut pas être posée en termes d'exclusion. En revanche, elle doit l'être en termes d'éducation, de choix que le jeune doit faire pour s'inscrire à l'université. Cette politique d'orientation doit donc être conçue très en amont, au lycée, peut-être même au collège. Elle doit commander l'organisation du premier cycle, de manière qu'il y ait là un continuum permettant de répondre clairement aux questions que se posent les étudiants, et que ceux-ci puissent exercer leur liberté de manière responsable.
Cette politique d'orientation est naturellement la condition même de la réforme que nous avons à construire pour notre université. J'ai été très heureux de constater, à l'Assemblée nationale - je serais très heureux si c'était également le cas aujourd'hui au Sénat - que tous les groupes se sont exprimés dans le même sens, classant, d'une certaine manière, au nombre des débats du passé, ceux qui ont tellement agité la société universitaire française et l'opinion publique sur ces sujets.
C'est un très grand pas en avant que toutes les sensibilités aient pu se rencontrer pour observer, les unes que l'exclusion n'était plus à l'ordre du jour, qu'elle n'était pas possible et qu'elle n'était pas souhaitable, les autres qu'il convenait, en effet, de traiter ce problème d'éducation pour que les choix prononcés par l'étudiant soient en cohérence avec son intérêt propre.
La troisième question, très vaste, a trait au statut des étudiants à l'université.
Je veux rappeler devant vous - je l'ai dit à l'Assemblée nationale - que je ne prends pas le mot « statut » au sens de protection contre tous les risques de la vie. Il ne s'agit pas de placer les étudiants dans une situation de fonctionnaire avant l'heure. Ce serait d'ailleurs une très grande et très profonde injustice à l'égard de ceux qui, n'étant pas à l'université, se trouveraient eux-mêmes dans une situation d'exclusion par rapport à des avantages dont les étudiants bénéficieraient.
En revanche, se pose la question de l'équité et de l'efficacité des aides que nous apportons.
Une observation simple de la distribution de ces aides permet de conclure qu'il existe deux catégories d'étudiants qui sont particulièrement aidés par la nation : d'une part, les étudiants issus des milieux les moins favorisés, les plus pauvres, d'autre part, les étudiants issus des milieux les plus favorisés, les plus riches. On aide autant les plus riches que les plus pauvres, ce qui constitue naturellement une injustice.
En théorie, on pourrait défendre l'idée - certains l'ont défendue par le passé, mais telle n'est pas ma position - qu'il faut aider également l’ensemble des étudiants, que l'État n'a pas à juger de leur position d'origine. Ce n'est pas, je le répète, mon avis, et même je ne crois pas qu'il s'agisse d’une position de bon sens. Mais, à la limite, on pourrait défendre cette idée.
Toutefois, aider de façon préférentielle les plus pauvres et les plus riches, et non pas ceux qui se trouvent entre les deux, entraîne une situation d'injustice.
Il convient de réfléchir non seulement à la question de l'équité des aides que l'on apporte, mais également au canal par lequel ces aides sont accordées, à leur transparence et à leur efficacité
Mais cette réflexion n'épuise pas celle qui concerne le statut de l'étudiant. En effet, la place, la reconnaissance due aux étudiants au sein de l'université et de la société française dépasse de beaucoup la simple question des aides sociales.
Il y a une réflexion à conduire sur la participation des étudiants, il y a une réflexion à conduire sur les aspects pédagogiques, il y a une réflexion à conduire, sur la vie des campus, sur la manière dont ils sont animés, enfin, il y a une réflexion à conduire sur l'accueil et le rôle qui sont réservés aux étudiants à leur sortie de l'université.
Je suis de ceux qui croient que l'on peut imaginer une nouvelle distribution des rôles et une tout autre reconnaissance de l'étudiant au sein de la société française.
La quatrième question concerne l'équilibre entre les filières que l'université propose aux étudiants.
Un vieil héritage de l'histoire intellectuelle française nous a conduits à privilégier, au travers du temps, les voies de formation les plus intellectuelles et les plus abstraites, et nous avons considéré que le seul savoir intellectuel suffisait à épuiser l'ensemble des préoccupations de la société française. En raison de cette espèce d'esprit de caste, la France a négligé les sujets d'application pratique et la filière technologique. Elle n'a pas su construire des voies de formation susceptibles de montrer aux lycéens et aux familles qu'on pouvait autant valoriser les aptitudes au concret que les aptitudes à l'abstrait.
Aujourd'hui, il faut corriger ce défaut de notre système d'enseignement et essayer d'apporter une réponse nouvelle par la construction d'une voie technologie cohérente qui irait jusqu'au sommet des formations universitaires et qui pourrait présenter aux étudiants, de manière efficace, très tôt, la perspective d'une réalisation dans des domaines de connaissance et d'affirmation personnelle où, jusqu'alors, ils ne rencontraient pas le succès.
La cinquième question est celle de la voie professionnelle.
J'ai distingué la question de la filière technologique de celle de la voie professionnelle. C'est la première fois que cela est fait. Jusqu’à présent, en France, on disait communément « techniques professionnelles », comme si -c'est toujours ce vieil héritage d’un esprit de caste ! - l'impératif de professionnalisation ne s'adressait qu’à ceux qui ne pouvaient pas « suivre », comme l'on dit, dans les voies les plus abstraites.
Or l'observation de bon sens conduit, au contraire, à penser que l'exigence de formation professionnelle s'adresse à tous, et sans doute spécialement à ceux qui ont choisi les voies de formation les plus conceptuelles.
Je ne crois pas qu'il faille professionnaliser davantage en matière de mécanique appliquée que dans le domaine de la sociologie. C'est aux étudiants qui choisissent les filières les plus générales qu'il faut montrer et prouver, dès le début de leur entrée à l'université, qu'ils devront un jour rechercher la voie de la professionnalisation.
Cet impératif nouveau, qui n'était pas reconnu dans l'histoire de l'université parce qu'il semblait évident à tous que le diplôme valait emploi, doit aujourd'hui être mis au premier plan.
J'en viens à ma sixième question, la recherche universitaire.
Cette question, très importante, est souvent mal connue. Si l'on interrogeait la société française, au sens large - pour moi, la société française va de l'opinion publique à la direction du budget ! - sur les missions de l'université, bien évidemment, c'est la mission d'enseignement supérieur qu'elle placerait au premier plan. La mission de recherche est très largement ignorée par les décideurs.
Il convient de rappeler à cette tribune que, nulle part dans le monde, il n'y a d'université sans recherche et que tous les systèmes qui ont essayé de construire une université coupée de la recherche ont très largement échoué. Il n'y a pas de transmission du savoir sans création du savoir. Il n'y a pas de maintien d'un haut niveau de connaissances sans mise à jour de ces connaissances. C'est pourquoi la recherche universitaire doit être présentée - c'est la loi, mais c'est également la réalité -comme l'une des missions majeures de notre organisation universitaire.
Cependant, il existe un problème spécifiquement français : nous avons fait le choix, voilà des décennies, de construire de grands organismes dont la recherche est la vocation unique. Ces organismes, qui, me semble-t-il, ont réussi dans leur ensemble, ont monopolisé la mission de recherche dans l'esprit de l'opinion publique.
Il y a donc un problème de réglage, toujours difficile à résoudre, entre l'organisation et la direction de la recherche dans les grands organismes, et l'organisation et la direction de la recherche au sein des universités. C'est cette question de l'organisation de la recherche universitaire, de ses relations avec les grands organismes, que nous avons voulu traiter ici.
La septième question, que je présenterai de manière succincte tant elle me paraît évidente, concerne l'ouverture internationale des universités.
Il n'y a pas d'université sans ouverture internationale, comme il n'y a pas d'université sans recherche. Il n'y a pas de recherche sans ouverture internationale et, désormais, il n'y aura plus de formation supérieure sans ouverture internationale.
C'est sur cette notion, sur cette exigence qu'il convient de s'interroger. Comment définir les principes qui assureront à tous les étudiants et à tous les universitaires l'ouverture internationale indispensable au rayonnement de leur université en même temps qu'à leur formation personnelle ?
La huitième question, celle des personnels, est, elle aussi, très difficile à traiter.
Je voudrais revenir au quiproquo que j'ai évoqué à l'occasion de la sixième question et qui portait sur la mission d'enseignement supérieur et la mission de recherche.
L'opinion publique dans son ensemble, depuis les décideurs majeurs jusqu'aux citoyens, confie à l'université une mission d'enseignement supérieur. Profondément surpris seraient les citoyens, ainsi que les décideurs majeurs, s'ils savaient que les carrières universitaires ne sont organisées que selon un seul critère d'évaluation, celui de la recherche.
Voilà donc une société moderne qui assigne une mission majeure à l'université, la mission pédagogique, et qui organise les carrières de ceux qui sont chargés de cette mission selon un seul critère, celui des publications des recherches.
Il y a là, me semble-t-il, des sources de dysfonctionnements majeurs qui expliquent que les universitaires les mieux disposés mais qui ont le désir légitime de faire carrière, formulent des choix quant à l'organisation de leur métier qui les conduisent, en réalité, à s'intéresser moins à l'animation des universités ou aux charges d'enseignement qu'à leurs publications.
Il s'agit de problèmes qu'il convient de traiter enfin, en y apportant des réponses cohérentes et homogènes.
De la même manière, je rappelle que, pour la première fois cette année, le nombre des emplois créés dans les universités françaises pour les personnels IATOS, gui sont si précieux, s’est situé au même niveau que pour les personnels enseignants : ce nombre s'élève, de part et d'autre, à 2 000. C'est la première fois qu'est recherché l'équilibre entre ces deux types de personnels qui font vivre nos universités.
Cependant, parmi les personnels IATOS - qui remplissent pourtant les mêmes missions - coexistent toujours des corps différents de gestion, de recrutement et de carrières. Il est très difficile de les homogénéiser, et c'est ce qui explique les débats très nombreux et parfois très agressifs que suscite la question du temps de travail des personnels IATOS et de leur engagement dans les universités.
Tout cela résulte, en réalité, d'une très grande incompréhension, qui s'explique par le maquis des carrières et des corps régissant les personnels IATOS.
Les neuvième et dixième questions concernent la gestion des universités.
Quel type d'organisation ? Quelles relations avec les partenaires ? Quelles relations avec l'État ? Quelles normes de répartition et quelle programmation dans le temps des moyens des universités ou de l'effort de l'État ? Quel type de relation entre la programmation nationale et la programmation régionale ? Quelle organisation de la décision à l'intérieur des universités ? Quel type de conseils ? Quel type de présidence ?
Toutes ces questions ont été versées au débat. Elles sont, naturellement, en très étroite relation avec une interrogation majeure que le Sénat a si souvent reprise : quel aménagement du territoire universitaire ?
Vous savez que la question des contrats entre l'université et l'État a dominé la réflexion ces dernières années. Il ne vous surprendra donc pas que je me range au nombre de ceux qui considèrent que le contrat doit être la clé de voûte des relations entre la puissance publique et les établissements d'enseignement supérieur et qu'il doit y être envisagé l'attribution des moyens à travers des critères transparents pour que cette attribution ne soit pas discutée.
Telles sont les dix questions qui sont soulevées. Aurait-on pu les poser autrement ? Sans doute, mais les réalités traitées auraient été les mêmes.
Nous n'avons esquivé aucun des problèmes principaux apparus lors des consultations et il a été très encourageant pour moi de vérifier que les questions n'étaient, dans leur formulation, discutées par personne ; c'est suffisamment rare pour qu'on le note.
Je voudrais, avant d'écouter le Sénat, faire deux réflexions complémentaires pour répondre à des remarques entendues ici ou là.
La première concerne le but des États généraux, qui est quelquefois mal compris.
Certains imaginent qu'il s'agit d'une recherche du consensus à tout prix. Ce n'est pas le but que je me propose : si je jugeais que, sur tel ou tel des sujets que nous traitons, le consensus ne pouvait être atteint qu'en sacrifiant le changement nécessaire, je le dis au Sénat, je choisirais le changement contre le consensus. C'est le devoir des gouvernants de choisir lorsqu'il le faut. Nous ne sommes pas ces notaires emmanchés de lustrine chargés de noter aussi scrupuleusement que possible ce qu'exposent les interlocuteurs. Ma conviction est précisément que seul ce vaste effort de consultation, de concertation, de participation, de respect des acteurs peut rendre le changement possible.
Pardonnez-moi de reprendre les métaphores agricoles qui sont celles de mes origines : c'est parce que nous aurons suffisamment labouré, hersé, fertilisé, parce que nous aurons soigneusement semé, sarclé, désherbé, que nous pourrons espérer, comme dit Charles Le Quintrec, « de belles moissons bleues ». Car ces moissons ne demandent qu’à pousser !
Contrairement à ce que nous avons cru pendant trente ans, le changement est possible à l'université, c'est ma conviction.
De la gauche à la droite de l'échiquier universitaire en passant par le centre, les zones de rencontre se sont élargies, les esprits ont bougé. Ce que j'appelle la politique du triple respect - respect des acteurs, respect du temps nécessaire au travail en profondeur, respect des réalités - a porté ses fruits, comme l'ont montré les débats de la semaine dernière à l'Assemblée nationale et comme, je l'espère, le montreront aujourd'hui ceux du Sénat.
La recherche de la conciliation et, s'il le faut, de la réconciliation, ce n'est pas l'immobilisme, c'est la condition même du mouvement.
Ma seconde réflexion complémentaire concerne les moyens. Il ne serait pas honnête de ne pas traiter de cette question, car le problème de la dépense publique se pose désormais en termes identiques dans tous les pays du monde, quelle que soit leur majorité. Vous aurez ainsi observé que, dans deux grands pays latins voisins, l'Italie et l'Espagne, des élections générales ont été organisées en même temps, à quelques jours près, et qu'elles ont vu la victoire de deux majorités antagonistes : une majorité de gauche et de centre gauche en Italie, une majorité de droite et de centre droit en Espagne. Et quelle a été la première déclaration publique des chefs des deux gouvernements qui sont issus de ces élections, dont l'un est assez à droite et l'autre très à gauche, puisque les anciens communistes italiens ont obtenu neuf sièges sur vingt dans le gouvernement italien ? MM. Aznar et Prodi ont annoncé qu'ils allaient baisser la dépense publique dans leur pays ! Cette conjonction de deux démarches politiques en principe opposées mais dont la première ligne directrice se rejoint sur le même choix politique doit, me semble-t-il, nous conduire à nous poser des questions.
Nous sommes, d'un bord à l'autre de cet hémicycle, suffisamment familiers des débats politiques en Europe et dans les pays développés pour savoir qu'il n'est pas un seul pays développé dans le monde qui n'ait procédé aujourd'hui au même choix.
Cette exigence s'impose à la France et s'imposera à elle, quelles que soient les majorités qui, dans les années qui viennent, la gouverneront.
Cela ne m'empêchera pas de défendre l'idée qu'en temps de difficultés budgétaires plus qu'à toute autre époque il faut répondre à trois impératifs.
En premier lieu, lorsque l'argent est rare, il faut choisir ses priorités, il faut le dépenser pour l'essentiel. Or, comme vous l'avez souvent dit dans d'autres enceintes, Monsieur le président du Sénat, l'éducation, c'est de l'investissement ; c'est par l'éducation que l'on peut éviter des dérives ultérieures, celles qui coûteront très cher un jour ; c'est par l'éducation que se prépare la compétitivité de demain.
Ensuite, lorsque l’argent est rare, il faut savoir programmer l'effort dans le temps. C'est pourquoi je crois à la politique des contrats que la nation se donne à elle-même et des contrats que l'État négocie avec ses partenaires, en particulier les universités.
Enfin, lorsque l'argent est rare - et précisément à ce moment-là - il faut savoir entreprendre les réformes en profondeur permettant de donner au pays les fondamentaux sains qui feront ses succès.
C'est au moment des difficultés qu'il est le plus malaisé de réformer, c'est vrai, mais c'est au moment des difficultés qu'il est le plus urgent et le plus important de le faire. L'expérience montre même qu'il n'y a qu'à ce moment-là qu'on le fait.
Voilà, Mesdames, Messieurs les sénateurs, la démarche et son objet. Cette démarche est de bonne foi. Elle ne vise pas à préparer la victoire d'un camp sur un autre, d'un clan sur un autre, d'une idéologie sur une autre. Le temps des camps, des clans et des idéologies fermées sur elles-mêmes, ce temps, j'en ai la conviction - et je servirai cette conviction - est derrière nous.
Je sais que, si la réforme apparaissait comme marquée d'esprit partisan, elle échouerait. Or je crois que cette réforme est indispensable et qu'après six mois de préparation elle est devenue possible. Je sais qu'elle ne marquera pas un aboutissement. Elle sera le point de départ d'une étape nouvelle pour l'université et pour l'enseignement supérieur français.
Je suis heureux que le Sénat ait accepté de participer à chacun des actes qui l'ont préparée. J'ai la conviction qu'en le faisant, en mettant ce que nous avons de volonté au service de cette entreprise, nous préparons l'avenir, nous construisons une société généreuse et efficace, nous agissons en citoyens.