Interviews en février 1999 de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, notamment sur la PAC, son opposition à la création de porcheries en Bretagne et le saccage de son bureau par des agriculteurs.

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Intervenant(s) : 

Média : Europe 1 - France 2 - France Inter - Ouest France - Télévision

Texte intégral

France Inter – jeudi 11 février 1999


Stéphane Paoli : Dominique Voynet a l’air dans le même fil de la réflexion développée à l’instant par Dominique Bromberger : la France est-elle en train de sortir des années du consensus mou ? L’atténuation du clivage droite-gauche a souvent été invoquée pour expliquer l’émergence d’une pensée unique et la fin du débat. Mais, voici que d’autres clivages apparaissent avec, pour certains d’entre eux, le risque de la caricature : entre le public et le privé ; entre, parmi les fonctionnaires, « ceux qui bossent et ceux qui bullent », titre ce matin Libération ; entre une France revancharde, aigrie, une France d’hier – que dénonce Dominique Voynet à la une du Monde daté d’aujourd’hui – et une France réformiste. Cette fin de siècle et de millénaire voit-elle émerger chaque jour, sous des formes différentes, une nouvelle querelle des anciens et des modernes ?

C’est un vrai coup de gueule que vous poussez à la une du Monde ?

Dominique Voynet : Ce n’est pas un coup de gueule…

Stéphane Paoli : Ça l’imite bien, si ce n’en est pas un.

Dominique Voynet : C’est, en tout cas, une remarque qui me paraît justifiée aujourd’hui. Et d’ailleurs, l’idée m’en est venue en écoutant Dominique Bromberger, hier, qui parlait des Grünen en Allemagne et des Verts en France en disant : est-ce que, finalement, ce sont bien des partis de gouvernement ? Est-ce que les partis de gouvernement, ce sont ceux qui gèrent bien, plan-plan, sans se poser de questions ? Ou est-ce que ça peut aussi être les partis qui renouvellent le débat politique, qui posent, sinon toujours des questions nouvelles, au moins des questions avec une approche renouvelée ou avec le souci de prendre en compte les différents points de vue et les différents angles d’attaque ?

Dominique Bromberger : Je suis mis en cause…

Dominique Voynet : Non, vous n’êtes pas mis en cause. Mais, hier, vous avez pu vous exprimer sans que je vous réponde tout de suite. Donc, souffrez cher Monsieur…

Dominique Bromberger : Ce que j’ai essayé de dire hier, Madame la ministre, c’est qu’il y a certaines attitudes qui, dans le cadre du changement qui est parfaitement légitime, relèvent parfois, pour une partie de l’opinion, un peu de la provocation et qui risquent de provoquer un effet inverse.

Dominique Voynet : Mais est-ce que c’est celui qui montre le problème, qui le crée, Monsieur Bromberger ? Moi, je ne crois pas. Je vous donne un exemple concret. Depuis des années et des années en France, on dépense des milliards et des milliards pour réaliser des infrastructures extrêmement performantes que le monde entier nous envie : le réseau autoroutier français n’a pas d’équivalent. Mais le réseau autoroutier seul ne fait pas le développement d’un territoire. C’est aussi un des enjeux de la loi d’aménagement du territoire que j’ai défendue à l’Assemblée. L’autoroute, qui permet de desservir une région isolée, permet aussi aux jeunes d’aller se former ailleurs ou de trouver du travail ailleurs. Donc, montrer que l’infrastructure, c’est utile, mais que ça doit s’accompagner d’une stratégie de développement, eh bien c’est le boulot des Verts !

Stéphane Paoli : Venons-en à la question de fond, puisqu’au fond vous la posez un peu grâce à Dominique Bromberger : est-ce que vous considérez, aujourd’hui, que même les socialistes ne sont pas assez réformistes ? Est-ce qu’ils ont le ventre mou, les socialistes, pour vous ?

Dominique Voynet : Il peut arriver qu’ils l’aient, mais il peut aussi arriver aux Verts de renoncer devant un obstacle. Je crois que c’est une tentation qu’on a souvent en politique. Est-ce que les conditions sont réunies pour que ce que j’ai à dire soit entendu à l’extérieur ? Moi, j’ai choisi régulièrement de poser des questions ; les réponses ne sont pas toujours celles que je souhaite.

Stéphane Paoli : Vous y allez fort dans votre article : « La France aigrie. » Vous dites : « La France d’hier, une France revancharde. »

Dominique Voynet : Oui, parce qu’il me semble que chacun a une angoisse devant le monde qui change. Et de temps en temps, cette angoisse s’exprime par le : « surtout ne toucher à rien ! Surtout ne pas poser de questions ! Surtout, je ne veux pas voir ce qui va se passer. » Moi, je le dis aujourd’hui de façon très claire : la défense du monde rural, ça ne passe pas par une approche nostalgique défensive du monde rural. Ça passe par une capacité à analyser de façon très rationnelle, très lucide, les avantages, les handicaps, et voir ce qui est nécessaire pour permettre de donner toutes leurs chances à des zones rurales qui ne doivent pas se désertifier au rythme des inégalités et de la politique agricole, ou au rythme de la croissance non-maîtrisée des zones urbaines.

Stéphane Paoli : Mais, est-ce que vous êtes accompagnée quand vous dites ça ? Parce qu’au fond, je serais Lionel Jospin, je verrais ça à la une du Monde, je me dirais : à qui dit-elle ça ? Est-ce qu’il n’y en a pas un petit bout pour moi, là-dedans ?

Dominique Voynet : Chacun peut balayer devant sa porte, y compris les gens de mon parti. On a tous des difficultés et on a tous aussi des problèmes devant l’inadéquation des lieux du débat public. Je crois que les citoyens attendent aussi de participer davantage. Alors, pas forcément d’être consultés tous les jours sur tout, mais au moins de pouvoir trouver des lieux, des caisses de résonance de leurs préoccupations. Aujourd’hui, je ne suis pas sûre que ce soit le cas. Je vous donne un exemple : on a montré par un sondage, il y a quelques jours, qu’une majorité écrasante des Français ne souhaite pas la construction d’une nouvelle génération de centrales nucléaires, mais souhaite qu’on économise l’énergie, qu’on diversifie les sources d’énergie et qu’on affronte avec lucidité les problèmes des déchets. Eh bien, il y a eu un débat à l’Assemblée nationale sur les choix énergétiques de la France qui s’est résumé en un hymne au nucléaire sans aucune nuance. Alors qu’on devrait s’inquiéter, que l’on soit pour ou contre le nucléaire.

Stéphane Paoli : Puisque vous parlez des citoyens, quel sera le responsable politique qui va quand même un peu dire la vérité ? Les élections européennes, arrêtons la plaisanterie ! Personne ne parle de l’Europe. Tout le monde voit bien qu’il s’agit en fait de la préparation des élections présidentielles françaises. Qui dira ça ?

Dominique Voynet : Si tous les chefs de parti mènent leur liste et si on ne parle pas d’Europe, je crois que les citoyens s’en rendront compte effectivement.

Stéphane Paoli : Mais, ils s’en rendent déjà compte, vous le savez bien !

Dominique Voynet : C’est vous le journaliste. C’est vous qui observez la société avec l’œil attentif qu’on vous connaît. Mais, il me semble qu’il y a pourtant un vrai enjeu parce que, après le passage à l’euro, on s’attendait à ce que le moment soit propice à un débat sur la poursuite de la construction européenne : comment on l’élargit ? À l’Est, bien sûr ! Mais aussi peut-être avec le souci de regarder davantage notre façade méditerranéenne… Est-ce qu’on va enfin construire l’Europe des citoyens, de la circulation des étudiants, de l’échange des savoirs et pas seulement l’Europe de la circulation des capitaux ? Est-ce qu’on a un projet social pour l’Europe ? Est-ce qu’on est capable de se doter d’un corps commun en ce qui concerne la protection de l’environnement, la gestion des espaces et les activités liées à la qualité des milieux ?

Stéphane Paoli : Est-ce que vous allez les ranger dans cet espace-là ? Au moment où les Verts allemands – quoi qu’on en dise – ont tendance à reculer…

Dominique Voynet : Ils n’ont pas été très habiles. Parce qu’il faut être compris, quand on fait les choses. C’est une chose que l’on apprend quand on est au gouvernement : pas tout, tout de suite, mais en travaillant par étapes.

Stéphane Paoli : Est-ce que vous, vous allez avancer, quand eux reculent ?

Dominique Voynet : C’est difficile d’avancer contre nos partenaires. En revanche, je pense que le fait qu’il y ait, aujourd’hui, des ministres Verts dans quatre des gouvernements de l’Union européenne, c’est tout à fait propice à l’avancée d’idées que nous défendons. Ces idées avancent, elles sont culturellement majoritaires dans la société. Aujourd’hui, les mouvements de citoyens qui comptent, ce sont les parents d’élèves qui, à Paris, sont organisés pour lutter contre la pollution de l’air. C’est les citoyens qui se disent : est-ce qu’il est bien normal que je doive acheter de l’eau en bouteille – en Bretagne – parce que je n’arrive plus à boire de l’eau du robinet ? C’est les consommateurs qui se demandent : est-ce que je peux manger de la viande de bœuf en étant sûr de sa qualité, alors qu’on continue de détecter des cas de « vache folle » toutes les semaines ? C’est cela les mouvements de citoyens auxquels il faut répondre. Ce n’est pas seulement des gens qui s’interrogent pour savoir où ils doivent placer leurs économies et qui s’interrogent pour savoir qu’elles sont les dates d’ouverture ou de fermeture de la chasse aux migrateurs.

Stéphane Paoli : Cela veut dire que, l’étiquette de réformiste, vous la revendiquez hautement aujourd’hui ?

Dominique Voynet : Je revendique le droit de poser des questions et de m’interroger sur l’efficacité de ce que l’on fait. Encore un exemple : le retraitement nucléaire, ce n’est pas un dada, ce n’est pas une manie ; c’est vraiment un souci économique également. Il y a cinquante ans, le plutonium était une matière précieuse, chère au cœur des militaires. Aujourd’hui, c’est devenu un déchet. Alors, est-ce que l’usine à gaz du retraitement reste justifiée ? Est-ce que, isoler du plutonium à grands frais pour le re-mélanger à de l’uranium, c’est économiquement performant ? Est-ce qu’on n’aurait pas autant ou plus d’emplois à créer dans des stratégies plus futées, plus proches du réel ?

Stéphane Paoli : Est-ce que la question du legs aux générations futures a réellement été posée dans ce pays ?

Dominique Voynet : Ça, j’ai l’impression que tout le monde s’en fiche, de ce genre de choses ! Or, tous les jours, dans mon ministère, on assume les conséquences de l’indifférence, du mépris à l’égard (inaudible) d’hier.

Stéphane Paoli : À l’exemple du procès du sang contaminé, peut-être qu’un jour on mettra en cause Dominique Voynet pour avoir laissé faire…

Dominique Voynet : Pour avoir laissé produire de la dioxine par des usines d’incinération. Pourquoi pas ? Mais, aujourd’hui, tous les jours, on découvre des dossiers de reconquête de la qualité de sols pollués, d’élimination de stocks de déchets. Il y a encore deux jours à l’Assemblée nationale, il y a un député qui me dit : Madame Voynet, cela fait au moins un an que je vous ai sollicitée pour vous demander d’éliminer un stock de pneus contaminés au PCV dans mon département. Mais, c’est qu’il n’y a pas de solution, pas de solution technique satisfaisante. On ne peut pas les brûler, parce qu’ils sont contaminés. On ne peut pas les stocker, parce qu’ils pourraient brûler… Alors, quoi, quoi, Voynet ! Cela fait un an qu’on te demande de trouver une solution, et tu n’as toujours pas fait ! Cela fait cinquante ans qu’on laisse faire dans l’indifférence générale. Alors, quand on ne sait pas résoudre les problèmes, alors il faut au moins se donner les moyens de ne pas les produire.

Ouest-France – mercredi 17 février 1999

Ouest-France : Dans son état actuel, que pensez-vous du projet de réforme de la politique agricole commune ?

Dominique Voynet : Je ne suis pas rassurée. D’une certaine façon, je comprends même la colère des paysans. La meilleure façon de rémunérer l’agriculteur, c’est le juste prix de son produit. Une partie croissante des consommateurs y est d’ailleurs prête. On le voit bien avec l’explosion du bio qui est un moyen de retrouver de la marge et la confiance du consommateur. Alors, projeter une baisse généralisée des prix, s’aligner à la baisse sur les marchés mondiaux, c’est incompréhensible. Il n’y a aucune raison de brader un modèle agricole européen qui tient compte des enjeux de société.

Ouest-France : Vous êtes d’accord, là-dessus, avec votre collègue de l’agriculture ?

Dominique Voynet : Il n’y a aucun doute sur la volonté de la France de négocier une politique agricole européenne en ce sens-là. Je mets peut-être un peu plus l’accent que Jean Glavany sur la nécessité de réorienter une partie significative des aides de la PAC en fonction des critères d’environnement et d’emploi. Je n’ai pas d’illusions là-dessus quant au projet de réforme. Mais 10 à 20 % du budget agricole européen contribueraient à alimenter les contrats territoriaux d’exploitation et permettraient de réorienter l’agriculture vers de bonnes pratiques et vers une meilleure présence humaine sur le territoire.

Ouest-France : Vous venez de cosigner avec Jean Glavany un courrier à l’adresse des préfets bretons pour leur demander, à propos de la réglementation des élevages, de restaurer la crédibilité de l’État. L’État, a-t-il une part de responsabilité dans les dérives constatées dans cette région ?

Dominique Voynet : Dans l’affaire des truies illégales et du non-respect de la réglementation, il y a effectivement une responsabilité partagée entre ceux qui ont violé la loi et ceux qui ont laissé faire. L’important, aujourd’hui, c’est de trouver la voie pour en sortir. L’application de la circulaire sur la résorption des truies illégales, c’est le début d’une longue marche. L’élément nouveau, c’est que cela a l’appui de tous les syndicats agricoles. Mais, je ne suis pas le Père fouettard des paysans. Même les projets, de petites porcheries, chez moi, dans le Jura, sont rejetés par la population. Il est urgent que la profession du porc montre qu’elle a compris qu’elle est respectueuse de l’environnement, soucieuse de la qualité des produits et de l’emploi.

Ouest-France : Le lobby porcin breton vous accuse de casser l’emploi…

Dominique Voynet : Il faudrait faire un bilan complet. Comptabiliser aussi les emplois détruits dans les petites exploitations, dans le tourisme, la pêche, l’ostréiculture… Et puis, le modèle industriel ne survit que parce qu’il fait payer ses coûts à la collectivité. Des mamans payées au Smic qui achètent de l’eau en bouteille, ça me désole. Les intérêts de quelques pour cent de la population ne justifient pas la détérioration de la qualité de vie de tous les autres. L’écrasante majorité de la population agricole entend ce que je dis sans hurler.

Ouest-France : Vous projetez des taxes sur les engrais, les pesticides.

Dominique Voynet : Je n’ai pas l’intention de laisser aller la pollution des eaux par ces produits. La situation est inquiétante. Je ne voudrais pas que l’on me traîne plus tard devant la cour de justice. Alors, il faut prendre le taureau par les cornes. Il faut accompagner les efforts de la profession et appliquer le principe pollueur-payeur pour dissuader les comportements les plus irresponsables et ne pas pénaliser les autres. Mais, dans ce ministère, la tradition est de causer avant de casser. On discute avec tous les partenaires professionnels sur ce qui pourrait être une taxe sur l’azote excédentaire et un forfait, une vignette sur les bidons de pesticides. L’idée, c’est aussi que la fiscalité écologique permette de baisser la fiscalité sur le travail, pour faciliter la reconquête de l’emploi en agriculture. C’est ce qu’on a fait dans un autre domaine en créant une taxe sur les déchets et en baissant la TVA sur le tri sélectif.

Europe 1 – lundi 22 février 1999

Interview de Arlette Chabot


Europe 1 : Êtes-vous solidaire de Jean Glavany qui va défendre, à partir d’aujourd’hui, à Bruxelles, les intérêts des agriculteurs français ?

Dominique Voynet : Bien sûr, Jean Glavany va devoir négocier pendant plusieurs jours l’enveloppe financière permettant de financer l’agriculture française au cours des prochaines années. C’est une tâche énorme : au-delà de l’enveloppe financière, c’est la répartition des aides au sein de cette enveloppe qui est en question. Le souci de Jean Glavany est de dégager des moyens en faveur d’une agriculture paysanne, d’une agriculture plus riche en emplois, plus soucieuse de l’environnement, plus soucieuse de la qualité des produits. Cette agriculture-là est parfois incomprise dans d’autres pays d’Europe qui ont des exploitations bien plus grandes, qui ont d’autres pratiques et qui ne sont pas aussi soucieux que nous d’un aménagement équilibré du territoire.

Europe 1 : Aujourd’hui, vous faites l’union sacrée derrière les agriculteurs ? Vous êtes aussi d’accord, par exemple, avec le président de la République. Tout le monde défend les mêmes positions ? Jusqu’à présent, ce n’était pas le cas quand même. Le productivisme, cela existe aussi dans l’agriculture française.

Dominique Voynet : Le productivisme, c’est une maladie. Produire toujours davantage sans se poser la question de savoir si on produit à bon escient, et si l’on permet de faire vivre une agriculture riche de ses hommes et de ses femmes, c’est évidemment quelque chose de relativement néfaste. Mais, je crois que la mutation du monde agricole a commencé. Il faut qu’on l’accompagne, qu’on la facilite et qu’on n’écoute pas seulement ceux qui voudraient que rien ne change et qui sont les bénéficiaires quasi exclusifs des inégalités actuelles.

Europe 1 : Irez-vous jusqu’à nous dire, ce matin, que vous êtes aussi solidaires des agriculteurs qui manifestent à Bruxelles, et qui sont peut-être les mêmes que ceux qui ont envahi et dévasté vos bureaux au début du mois ?

Dominique Voynet : Je crois qu’aujourd’hui, à Bruxelles, bien des agriculteurs manifestent et représentent des agricultures très différentes. Il y aura à la fois des agriculteurs de montagne, soucieux de faire vivre leurs exploitations dans des zones très difficiles d’un point de vue géographique et climatique, avec très peu d’aides publiques aujourd’hui, et puis, de très gros agriculteurs, lourdement bénéficiaires de la PAC et qui ont envie de maintenir leurs privilèges.

Europe 1 : Vous ne soutenez pas ceux-là ?

Dominique Voynet : Disons que c’est difficile de montrer du doigt les bons et les mauvais. Une répartition plus équilibrée des aides qui permette aux plus petits de s’en sortir, c’est quelque chose qui me paraît absolument indispensable aujourd’hui alors que 40 000 paysans disparaissent chaque année.

Europe 1 : Ce n’était pas une provocation aussi de relancer l’idée de la taxe sur les pesticides ou les engrais au moment où, justement, s’ouvrent ces négociations à Bruxelles, et où les agriculteurs sont inquiets ?

Dominique Voynet : Je n’ai rien relancé du tout. Soyons clairs : le principe d’une taxation des activités polluantes dans l’industrie, dans l’agriculture, ou dans la vie domestique tout court, a été acquis, il y a plus d’un an, et depuis, des groupes de travail fonctionnent pour permettre de voir comment on va appliquer ce principe aux différents secteurs. Dans le domaine de l’agriculture, un groupe de travail se réunit très régulièrement à mon ministère. Il n’a pas encore complètement fini son travail, mais il a déjà dégagé des pistes, et c’est à propos de ces pistes que je suis allée plancher devant l’assemblée permanente des chambres d’agriculture la semaine dernière. C’était l’occasion de faire un point sur notre travail, pas autre chose.

Europe 1 : Vous êtes toujours sur la même ligne, ce matin ? Vous n’êtes pas l’ennemie des agriculteurs ?

Dominique Voynet : Cela me paraît évident. Cela devient presque pénible : en France, on est toujours sommé de donner des gages de bonne ruralité, de montrer patte blanche. On a tous des grands-parents paysans ; on a tous des expériences humaines extrêmement fortes en direction du monde rural. Je crois qu’il n’y a pas besoin de donner des gages. On est tous soucieux d’un équilibre entre le monde rural et le monde urbain. Simplement, on ne peut pas, au nom d’une défense mal comprise de la ruralité, laisser perdurer des inégalités très fortes et laisser perdurer des comportements irresponsables du point de vue de l’emploi ou de l’environnement.

Europe 1 : Daniel Cohn-Bendit rencontre, aujourd’hui, le président de l’Union nationale des fédérations des chasseurs, Pierre Daillan. C’est lui qui est chargée de faire la paix avec les chasseurs : on range les fusils ?

Dominique Voynet : Je crois que Pierre Daillan et Daniel Cohn-Bendit ont bien besoin, l’un et l’autre, de discuter parce qu’ils sont sans doute mal compris par leurs troupes respectives.

Europe 1 : C’est le moins qu’on puisse dire !

Dominique Voynet : Oui.

Europe 1 : C’est de votre faute, tout cela ?

Dominique Voynet : Ce qui me paraît important de dire, c’est que la discussion ne s’est jamais interrompue entre les protecteurs de l’environnement, les chasseurs et mon ministère. J’avais dit l’année dernière – au mois de juin – que la loi votée par les parlementaires ne résoudrait aucun problème et qu’elle nous contraindrait à faire évoluer nos positions avant même les élections européennes. Et, aujourd’hui, c’est bien le cas : la cour de justice est sur le point de condamner la France pour non-respect de la directive européenne. Chacun se rend compte que le compromis que j’avais proposé, il y a un an, est désormais la seule solution pour en sortir dignement. Il n’est pas question de renégocier des directives européennes que tous les pays d’Europe, sauf nous, appliquent dans de bonnes conditions. Il est question de voir comment notre comportement peut évoluer pour permettre à la fois de respecter la directive européenne et de dégager des marges permettant aux chasseurs de continuer à exercer leur passion.

Europe 1 : Alors comment on va faire ? Comment s’en sortir ? Il y a une loi qui a été votée par les parlementaires français.

Dominique Voynet : Fixer des dates d’ouverture et de fermeture par la loi me paraît incompréhensible. On ne fixe pas les dates des vendanges ou des moissons par la loi parce que, selon les années, selon l’état de conservation des espèces, on pourrait être amené à faire varier cette date de quelques jours. L’idée, c’est d’avoir les dates d’ouverture relativement strictes, mais avec des dérogations sur le domaine public maritime, et des dates de fermeture relativement strictes, mais avec des dérogations pour des espèces en bon état de conservation qui disposent des plans de gestion. Cela demande du temps, de la souplesse, du mou, de la négociation, du dialogue entre les chasseurs et les protecteurs de l’environnement. Ce dialogue a lieu.

Europe 1 : Il a lieu comment ?

Dominique Voynet : Depuis plusieurs semaines, il y a des groupes de travail qui fonctionnent là encore. Je crois qu’on est sur le point de trouver la bonne solution. Est-ce que les différents partenaires voudront bien jouer le jeu jusqu’au bout ? Je l’espère. J’espère que la proximité des élections européennes ne va pas durcir les positions.

Europe 1 : Justement, est-ce que ces problèmes seront réglés avant les élections européennes par une décision du gouvernement, par le Premier ministre ?

Dominique Voynet : Il le faut parce qu’il n’est pas sain, il n’est pas correct que la vie politique française soit surdimensionnée par un problème marginal. On ne va pas éternellement parler d’un des petits dossiers marginaux de la chasse, ce qui masque d’ailleurs l’ampleur qui est d’ailleurs à accomplir dans d’autres domaines.

Europe 1 : Avant les élections européennes, est-ce que vous espérez aussi faire voter une loi ou préparer vraiment une loi sur la transparence et la sécurité nucléaire ?

Dominique Voynet : Le principe d’une loi sur la transparence et la sûreté nucléaire a été annoncé lors de la déclaration de politique générale du Premier ministre en 1997. Depuis, nous avons réaffirmé cette nécessité lors d’un comité interministériel qui m’a demandé, ainsi qu’a Christian Pierret et Dominique Strauss-Kahn, de préparer ce projet de loi. Il est près et il va faire l’objet d’une concertation entre les différents ministères au cours des prochaines semaines. Je doute qu’il puisse être inscrit à l’ordre du jour du Parlement qui est très chargé, avant l’été, mais les grandes lignes devraient en être arrêtées en tout cas au cours de cette session parlementaire.

Europe 1 : En fait, les chasseurs ou le nucléaire, c’est pareil : il faut une volonté politique de la part du Premier ministre ?

Dominique Voynet : Ce qui est certain, c’est qu’il est difficile de prendre la mesure des attentes de la population sur ces terrains, puisque les chasseurs manifestent dans la rue, et puis l’écrasante majorité de la population, qui est pour une maîtrise de la chasse et pour un respect des contraintes liées à la survie des espèces, ne manifeste pas dans la rue. Mais je crois savoir qu’une majorité écrasante des Français est derrière moi – qu’il s’agisse de la chasse ou de la transparence et de la sureté nucléaire –. Les attentes de la société ont évolué et je pense que nous avons tout intérêt à écouter ces attentes, et pas seulement les lobbys qui parlent le plus fort aujourd’hui.

Europe 1 : Vous avez dit, il n’y a pas si longtemps, que vous êtes au fond victime d’une certaine France revancharde, aigrie. Mais, il y a tout de même des gens qui, au travers de leurs combats, défendent leur mode vie ou leur emploi. Vous les prenez en compte ?

Dominique Voynet : Disons que ce qu’on dit, sous l’emprise de la déception plus que de la colère, puisque j’étais déçue.

Europe 1 : C’est que vous avez dit effectivement au lendemain de la mise à sac de vos bureaux.

Dominique Voynet : Parce que c’est vrai que c’est toujours frappant de voir défiler des manifestants, qui interpellent Jacques Santer et la commission sur un dossier qui m’échappe largement, et qui refusent tout dialogue avec les agents de mon ministère victimes de ce déferlement de brutalité. Mais, à froid, je dirai, aujourd’hui, que je comprends très bien ceux qui défendent leur mode de vie. Il m’arrive moi-même très souvent de défendre une certaine qualité de vie à la française face à la logique de mondialisation et de révision à la baisse de toutes les protections individuelles ou collectives. Mais ce que je voudrais en tout cas, c’est qu’on soit capable de faire, c’est qu’on soit capable de discuter, et puis d’anticiper sur les évolutions de la société. Aujourd’hui, 80 % des Français vivent dans les villes et personne ne pense ce qui se passe là, personne ne construit – sinon dans une logique de réparation – l’urbanisme de demain, les villes de demain et les fluidités entre la ville et la campagne de demain.

Europe 1 : On vous accuse souvent d’agiter le chiffon rouge ou de faire de la provocation. Ce n’est pas le cas ce matin : jusqu’aux européennes, vous êtes sage ?

Dominique Voynet : Vous êtes déçue, alors ! J’aimerais que chacun assume sa part de responsabilité. Il n’y a pas, d’un côté, ceux qui parlent et qui font de la provocation, et puis, de l’autre côté, ceux qui expliqueraient que rien ne doit changer. On doit vraiment trouver de nouvelles modalités pour faire avancer la société. Aujourd’hui, je constate qu’elle est très largement figée.

France 2 le jeudi 25 février 1999


France 2 : On va parler d’une actualité assez douloureuse. Peut-on dire que les avalanches, qui se succèdent dans les Alpes et qui frappent tragiquement les hommes, sont uniquement un problème de fatalité ? Ou est-ce qu’il ne faudrait pas penser, peut-être, le problème, en termes d’aménagement du territoire ?

Dominique Voynet : On connaît bien le risque. Il y a 545 communes qui sont concernées par ce risque, dont à peu près les deux-tiers comportent une dimension humaine et le risque effectivement d’attenter à des vies. Nous sommes en train, depuis plusieurs années, d’élaborer des plans de prévention des risques, commune par commune ; de cartographier de façon précise ce risque ; et se doter de moyens, à la fois, d’orienter des décisions des maires, en matière de construction sur le territoire de leur commune ; mais, aussi, pour se donner les moyens de prévenir ces avalanches par des équipements adaptés, par le déclenchement de ces avalanches quand elles menacent la sécurité humaine ou la sécurité des biens ; et aussi, par la prévision très en amont du phénomène pour informer les populations et faciliter leur évacuation. Cela dit, le risque zéro n’existe pas. Donc nous faisons, à la fois, un travail de cartographie précise par ces plans de prévention des risques, pour lesquels, d’ailleurs, le budget a doublé l’année dernière, car on savait qu’il y avait une vraie nécessité d’accélérer ce travail. Je suis heureuse que le budget ait doublé sur cet aspect, donc du travail de mon ministère. Et puis, bien sûr, nous sommes en train, aussi, de travailler à la prise de responsabilité des usagers. Je ne crois pas, par exemple, qu’on puisse aujourd’hui répondre de façon caricaturale à la question de savoir si, oui ou non, il faut continuer à aller en montagne, mais qu’il faut informer les usagers ou les inciter à aller chercher l’information précise auprès des préfectures.

France 2 : Pensez-vous qu’une fois qu’on aura dépassé la période de secours actuelle, il faudra, peut-être éventuellement, repenser certaines zones à risques ou de définir certaines cartes ?

Dominique Voynet : On le fait de façon permanente, très évolutive. Il n’y a pas une cartographie qui nous met à l’abri de façon définitive. C’est vrai pour les inondations comme pour les avalanches. Les services de l’État procèdent de façon régulière à l’actualisation de ces cartes, en fonction des éléments nouveaux qui interviennent, en fonction, aussi, de l’exigence de sécurité du public qui est de plus en plus importante, ce qui nous paraît bien normal.

France 2 : Autre actualité de cette nuit : les agriculteurs. Je ne sais pas s’il faut dire : « vos amis », « vos ennemis », peu importe. Ils ont manifesté cette nuit. Est-ce que c’est, aussi, le signe qu’il y a réellement urgence à trouver une sorte de compromis ou une négociation, à Bruxelles ?

Dominique Voynet : La négociation de la politique agricole commune, et plus généralement de l’agenda 2000 est un temps tout à fait fondamental pour l’agriculture française, mais aussi pour les régions françaises qui bénéficient des fonds structurels, des fonds destinés au développement des politiques régionales. C’est un exercice très difficile. Et je me réjouis d’ailleurs de voir que sur un dossier aussi sensible et aussi difficile, la France parle d’une seule voix. Donc, je comprends l’attente des agriculteurs. Et je voudrais leur faire remarquer que, l’essentiel n’est pas de manifester contre Jean Glavany, qui est bien conscient de leurs difficultés, qui les défend, je crois avec beaucoup de brio et beaucoup de constance, à Bruxelles. Je crois indispensable effectivement, de maintenir forte la pression sur cette négociation, d’une façon qui permette de mettre en avant les vrais besoins des agriculteurs, c’est-à-dire : être nombreux ; produire des produits de qualité ; assumer le lien entre l’efficacité économique de leurs exploitations et la qualité de l’environnement et des produits. Je crois que c’est ça qu’attendent aujourd’hui les citoyens.

France 2 : En l’occurrence, à Bordeaux, ce n’était pas contre Jean Glavany, mais plutôt contre les Allemands et contre Bonn…

Dominique Voynet : Oui, mais c’est très efficace d’aller manifester à Bordeaux pour dire qu’on n’est pas content contre Bonn. Soyons clairs ! Je pense que la manifestation est une arme ambiguë. Elle est indispensable pour manifester la mobilisation, mais la formulation des mots d’ordre et des arguments est absolument nécessaire pour être compris du grand public.

France 2 : L’enquête sur les « sauvageons » qui sont venus saccager votre bureau en est où ?

Dominique Voynet : Je n’ai pas d’éléments précis sur l’enquête. Moi, j’ai tourné la page. Je crois indispensable de maintenir ce qui faisait, me semble-t-il, et ce qui fait encore la force de mon ministère : le souci de dialogue. Dialogue avec les agriculteurs, au sein du groupe de travail eau-agriculture ; avec les chasseurs, avec lesquels le dialogue n’a jamais été interrompu, contrairement à ce qui a été dit par les plus radicaux d’entre eux ; avec les industriels, qui sont venus à mon ministère, il y a encore deux jours, pour examiner les modalités par lesquelles on pourrait encore réduire l’impact de leur production sur les milieux.

France 2 : Vous n’êtes fâchée avec personne. Tout va bien. Et la réunion de Matignon, hier, sur les chasseurs, s’est passée…

Dominique Voynet : J’ai dit clairement ce que j’ai à dire. À savoir qu’il n’y a pas d’autre solution qu’une solution de compromis, respectant, bien sûr, la directive européenne en matière de chasse ; respectant, aussi, la position tout à fait responsable des associations de protection de la nature, qui ont l’impression, à cette heure, d’avoir été les seules à faire des compromis.

France 2 : Demain c’est le congrès des Verts. Avez-vous été surprise par le début de campagne de Daniel Cohn-Bendit, en tout cas les réactions très violentes et parfois haineuses vis-à-vis de ce candidat ?

Dominique Voynet : J’ai été choquée par ces réactions, et je ne suis pas vraiment surprise. Daniel Cohn-Bendit interpelle une partie de la société française qui n’a pas envie de changer, qui n’a pas envie de bouger, qui veut garder les avantages acquis, continuer à faire comme si le monde ne changeait pas, jour après jour. Il suscite donc des réactions que je n’accepte pas, que je ne comprends pas, et qui ne devraient pas accompagner la suite de cette campagne. Ça ne me paraît pas acceptable en démocratie. Pour en revenir au congrès des Verts européens, ce congrès se tient à Paris pour la deuxième fois de notre histoire. Il y a dix ans déjà, le congrès des Verts européens se tenait à Paris, à La Villette. Ce sera l’occasion de mesurer le chemin parcouru dans la plupart des pays européens. Les Verts sont, aujourd’hui, en situation de responsabilités. Il y a quatre ministres de l’environnement Verts en Europe. Il y a d’autres postes importants qui sont occupés par des ministres Verts, je pense par exemple à la ministre de la santé en Allemagne, Andrea Fischer, qui fait un travail tout à fait formidable et qui permet de faire bouger donc les rapports de force au sein de la société allemande. Ce travail tire la croissance du mouvement Vert en Europe. Mais, nous ne sommes pas présents que dans l’Union européenne. Nos partenaires de l’Est, du Sud de l’Europe seront présents, et ça permettra, je crois, d’avoir des échanges tout fait intéressants.