Interview de M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement, à RTL le 17 février 1999, sur la réforme du mode d'élection des sénateurs et le débat sur la parité et l'égal accès aux responsabilités et mandats électifs pour les femmes et les hommes.

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RTL : L’opposition s’insurge : elle dit qu’avec votre réforme annoncée du mode d’élection des sénateurs, vous voulez tout simplement la faire taire au prétexte qu’elle a la majorité au Sénat ?

Daniel Vaillant : Ça me paraît un argument fallacieux. Pourquoi faire taire ? Non. C’est tenir compte d’un mauvais mode de scrutin qui n’est plus, aujourd’hui, adapté à la démographie, du fait que le Sénat surreprésente les zones très rurales au détriment des zones urbaines. Donc, c’est un mode de scrutin que nous proposons, nous le gouvernement, qui est très équilibré puisqu’il vise à faire que le nombre de sénateurs soit en fonction du nombre d’habitants. Et par ailleurs, je vous concède que ceux qui, hier, ont fait les déclarations qu’ils ont faites, constatent qu’il y a effectivement un problème puisqu’ils proposent eux-mêmes de modifier le mode de scrutin. Ce qui prouve que le gouvernement n’est absolument pas dans une agression vis-à-vis de l’opposition ou du Sénat. C’est rendre service au Sénat lui-même, au bicamérisme, qui est le fait d’avoir une Assemblée et un Sénat, et donc à la démocratie, que de vouloir moderniser, réformer le mode de scrutin de manière équilibrée et raisonnable. C’est le projet du gouvernement.

RTL : Mais, vous-même, hier, vous avez dit, sur la parité : il faudrait que le Sénat soit un peu plus sage. On les traite de « ringards » ces malheureux sénateurs.

Daniel Vaillant : Pas moi, je n’aurais pas l’outrecuidance, en tant que ministre des relations avec le Parlement, de traiter le Sénat de ringard. Et d’abord, il y a, au Sénat, une majorité et une opposition qui existent. Il y a des sénateurs socialistes, des sénateurs communistes, des sénateurs radicaux qui ne sont pas sur les positions de la majorité sénatoriale. Non, à propos de l’égalité, je vous rappelle que vous dites tous « parité » et qu’il s’agit de l’égalité puisque le président de la République, lui-même, a souhaité que, dans le texte du gouvernement présenté à l’Assemblée nationale, ce soit le mot « égalité » et « égal accès » aux responsabilités et aux mandats électifs pour les femmes et les hommes. L’Assemblée nationale, cette nuit, à la quasi-unanimité, a repris le texte de l’Assemblée nationale, y compris l’opposition. Donc vous voyez bien que ce texte, visant à réviser la Constitution pour permettre un égal accès entre les femmes et les hommes, ce n’est pas un problème droite-gauche puisque, à l’Assemblée nationale, c’est à la quasi-unanimité que ce texte a été adopté. Il reviendra au Sénat le 4 mars, je l’ai inscrit là-bas. Et j’ai dit hier : je ne doute pas. Et je sais déjà que des sénateurs de droite pensent que le Sénat doit bouger et tenir compte du débat, dans le pays, d’une grande majorité de Français parce que c’est aussi ça le suffrage universel.

RTL : Tout de même, pour en revenir au débat démocratique, à quoi servirait-il, en France, d’avoir deux chambres qui seraient élues à peu près sur les mêmes modes de scrutin, avec la même représentativité par rapport à la population ?

Daniel Vaillant : Je vous rappelle que les députés sont élus avec un mode de scrutin uninominal à deux tours, dans des circonscriptions, et que les sénateurs ont un autre mode de recrutement : dans les zones très rurales, un scrutin uninominal avec des grands électeurs et dans les zones urbaines, à la proportionnelle. Nous voulons qu’à partir de trois sénateurs, il y ait proportionnelle pour une meilleure représentation dans le pays et que le Sénat soit plus représentatif, plus équilibré. Et ça n’est pas un problème d’alternance qui est posé à court terme parce que, de toute façon, la modification du mode de scrutin ne changera pas considérablement les rapports de force. Mais il va les équilibrer.

RTL : M. Goasguen disait qu’aux États-Unis, quand M. Clinton se heurte au Sénat et aux sénateurs, il ne modifie pas le mode de scrutin des sénateurs. En Allemagne, M. Schröder va avoir un Sénat contre sa majorité, mais il ne modifie pas le mode de scrutin des sénateurs non plus.

Daniel Vaillant : Mais le mode de scrutin, je viens de vous le dire, ne va pas changer. La majorité sénatoriale restera à droite. Disons qu’il y aura un rééquilibrage, pas considérable d’après ce que j’ai pu regarder. Simplement, ce sont les sénateurs de droite eux-mêmes qui reconnaissent qu’ils ne peuvent pas rester dans le statu quo parce que c’est injuste et les Français commencent à s’en apercevoir.

RTL : Quand l’opposition dit : « Dans le fond, Lionel Jospin est un peu autoritaire, il ne voudrait voir qu’une seule tête, celle de la gauche », c’est un mauvais procès ?

Daniel Vaillant : Totalement ! Vous savez très bien que nous sommes de vrais démocrates et la démocratie, c’est aussi la capacité d’alternance. Actuellement, au Sénat, quel que soit le courant politique dans le pays, ça ne bouge pas parce que les zones rurales sont hyper représentées et que la désignation des grands électeurs fait que ça ne peut pas bouger. Il est normal que la démocratie s’ouvre et que le Sénat soit plus représentatif de la société française. Il n’en sera que plus crédible et plus utile. Car le Sénat est utile. Je crois qu’il faut ces deux chambres. Et ça ne me dérange pas du tout que le Sénat soit une chambre à droite alors que l’Assemblée nationale a une majorité plurielle de gauche.

RTL : À l’Assemblée nationale, les députés parlent également de l’adoption d’une loi qui ouvrirait EDF à la concurrence. Vous avez accepté, au gouvernement, un certain nombre d’amendements communistes qui limitent l’ouverture à cette concurrence, comme ça, vous êtes sûr que les communistes ne voteront pas contre ?

Daniel Vaillant : Non, déjà le texte proposé par le gouvernement qui vise à transposer une directive européenne qui n’est pas d’hier, est un texte protecteur, à juste titre, pour le service public d’EDF en France et en même temps qui permet qu’EDF puisse aussi exporter le courant à l’extérieur. Il y a un certain nombre d’amendements venus ou des rangs socialistes, des communistes, en fait de la gauche plurielle, qui ont pu être intégrés, ce qui n’empêche pas d’être conforme avec la directive, mais qui en fait une lecture protectrice pour EDF, pour les salariés d’EDF et aussi pour les salariés des entreprises privées d’électricité. Alors, le problème qui est posé aux uns et aux autres – et c’est comme ça aussi, la responsabilité et la participation au gouvernement – c’est de ne pas choisir la politique du pire. Or, si la loi visant à transposer la directive EDF en France – électricité – n’est pas adoptée, c’est la directive qui s’appliquera. Et je crois que les communistes l’ont compris.

RTL : Mais, est-ce que vous jugez que la commission européenne, qui est issue d’une époque où le libéralisme triomphait en Europe, met trop en péril la notion de service public ?

Daniel Vaillant : Je pense personnellement que, à la fois, on le verra dans le domaine européen et au Parlement européen, la commission a quelquefois un temps de retard par rapport aux évolutions qui se produisent. Et c’est vrai que la notion de croissance, d’emploi, priorité numéro un, et de service public est aujourd’hui présente dans les pays qui participent à la construction européenne. De toute façon, il faut respecter les décisions qui sont prises, y compris avant qu’il y ait des évolutions.

RTL : Vous avez envie de dire à la commission de Bruxelles : là, dites donc, regardez un peu autour de vous, c’est la gauche qui est devenue majoritaire en Europe ?

Daniel Vaillant : Aujourd’hui, je leur dis que la France notamment, réalise de bonnes choses, notamment depuis deux ans. Je constate que la France n’était pas, au 1er juin 1997, qualifiée pour l’euro. Elle l’a été, grâce et y compris à l’action du gouvernement de gauche, que les déficits sont réduits dans ce pays, ce qui est une bonne chose. Et je pense que de ce point de vue, le gouvernement français et d’autres gouvernements sociaux-démocrates ou socialistes, donnent l’exemple. Et je ne crois pas que la commission puisse beaucoup critiquer. Et d’ailleurs elle ne le fait pas vraiment, la politique conduite dans notre pays qui a l’air quand même de réussir. Et je vois que les cotes de confiance au gouvernement sont confirmées, ce qui me réjouit.