Texte intégral
Les Échos : 12 mars 1996
Les Échos : Quatre responsables de la FNSEA, dont vos deux principaux adjoints, Gérard Lapie et Michel Teyssedou, ont annoncé qu'ils quittaient le conseil d'administration. Quelle est votre réaction ?
Luc Guyau : Je ne souhaite pas commenter publiquement cette décision avant la discussion interne qui doit se dérouler aujourd'hui, premier jour de notre congrès.
Les Échos : Les dissensions entre les tenants d'une agriculture dite « sociale » et ceux d'une agriculture compétitive existe depuis plusieurs années au sein de la FNSEA. Les intérêts de plus en plus divergents des agriculteurs ne rendent-ils pas difficile toute action syndicale unitaire ?
Luc Guyau : Il est vrai que les agriculteurs sont, aujourd'hui, avec la nouvelle donne créée par la réforme de la PAC et les accords du GATT, plus concurrents les uns des autres qu'ils ne l'étaient auparavant. Et pourtant, les différentes familles de productions souhaitent toujours être partie prenante de la FNSEA. La viticulture, qui n'y était jusqu'à présent pas intégrée, a ainsi entamé il y a plusieurs mois une démarche pour s'en rapprocher. La FNSEA doit impérativement continuer de rassembler toutes les productions et toutes les régions agricoles – céréaliers et éleveurs, agriculteurs de plaine et de montagne ; c'est sa force. Dans les domaines fiscal, social, d'aménagement du territoire ou d'environnement, nous devons mener une action commune. Le pire danger serait de croire que l'on peut régler les problèmes production par production. Le poids de la FNSEA est réel. Mais que pèsent, seuls les céréaliers français face au marché mondial ? Cela dit, à l'intérieur de la FNSEA, les arbitrages sont permanents, et, croyez-moi, je sais ce que pluralisme veut dire. Je n'ai pas entendu que des félicitations à la sortie de la conférence agricole annuelle !
Les Échos : Les relations entre la FNSEA et le pouvoir actuel reposent largement sur le principe de cogestion. Le fait que la Confédération paysanne, syndicat minoritaire représentatif, n'ait pas été conviée à la conférence annuelle vous semble-t-il normal ?
Luc Guyau : Le cadre de conférence annuelle prévoit des discussions entre le Conseil de l'agriculture française, dont la FNSEA fait partie, et le gouvernement. La Confédération paysanne ne peut pas, d'un côté, condamner la cogestion et, de l'autre vouloir y participer. Elle siège en revanche au Conseil supérieur d'orientation et s'y exprime tout à fait librement.
Le principe de la cogestion est une obligation ; il correspond pour ainsi dire à notre statut. Et puis, il faut être cohérent : dans ce pays, tout le monde appelle de ses voeux un syndicalisme puissant qui regrouperait plus de 60% d'adhérents, un syndicalisme à l'allemande ; eh bien, la FNSEA incarne précisément ce modèle !
Les Échos : Vous représentez-vous à la tête de la FNSEA ? Avec quelles priorités ?
Luc Guyau : Si je suis réélu au conseil d'administration, je compte en effet me présenter à la présidence de la FNSEA. Avec quelques grands objectifs : d'une part, l'amélioration du statut, de la fiscalité et des procédures de transmission des entreprises agricoles ; d'autre part, la lutte pour le maintien de nos parts de marché à l'international. Car nous voulons continuer à jouer un rôle dans l'équilibre alimentaire mondial. Nous devons aussi être vigilants sur les modalités d'intégration des pays d'Europe de l'Est à l'Union européenne. Et nous attendons par ailleurs des initiatives du gouvernement sur les dossiers des fruits et légumes et de la viande bovine deux filières qui traversent une crise très sérieuse.
Les Échos : Quelles ont été pour vous les étapes les plus marquantes de ces cinquante dernières années de syndicalisme agricole ?
Luc Guyau : La première grande étape fut celle du défi relevé par les paysans français au sortir de la guerre, pour passer de la pénurie à l'autosuffisance. Avec le serment de l'unité paysanne, le syndicalisme mettait fin à des années de divisions politiques et religieuses. La deuxième grande période, entre 1955 et 1970, a été marquée par la modernisation de l'agriculture et la mise en place de l'Europe agricole. Entre le modèle soviétique et le libéralisme à l'américaine, il s'agissait pour l'agriculture européenne de trouver une troisième voie. Avec le choc pétrolier en 1973 s'est ouverte une autre époque, celle de l'adaptation de la production à la demande et celle de la régulation par Bruxelles des volumes. La mise en place des quotas laitiers en fut l'illustration la plus frappante. Avec un impératif : produire pour un marché. Depuis quatre ou cinq ans, je pense que nous sommes entrés dans une nouvelle ère : les missions des agriculteurs ne sont plus seulement d'ordre alimentaire et industriel, mais concernent aussi l'environnement, les services, le tourisme rural… Ces fonctions ne sont pas nouvelles, mais elles sont « nouvellement reconnues ».
Les Échos : Dans ce nouveau contexte, comment, selon vous, doit évoluer le syndicalisme agricole ?
Luc Guyau : Les actions syndicales musclées qui étaient monnaie courante il y a quinze ou vingt ans ne sont plus envisageables aujourd'hui. Les agriculteurs doivent avoir une démarche positive en direction du public. Ils doivent de plus en plus travailler avec leurs concitoyens. Cela passe tout autant par des efforts en faveur de la qualité de nos produits que par une politique de dialogue, de communication, voire d'alliance avec les autres acteurs de notre société.
France Inter : mercredi 13 mars 1996
J.-L. Hees : Vous êtes le président de la FNSEA depuis quatre ans. Que vous reprochent les contestataires ?
Luc Guyau : Nous avons eu un débat totalement démocratique, où chacun a pu s'exprimer. A l'issue de ce débat, le rapport d'orientation qui a été présenté a été accepté à l'unanimité moins une abstention. Les résolutions à l'unanimité et un nouveau conseil d'administration de 68 membres représentants toutes les sensibilités, toutes les régions, toutes les productions a été élu. En sortira, dans quinze jours, un nouveau bureau. Je suis candidat à ma succession.
Le débat a eu lieu à l'intérieur et je regrette qu'il y ait des membres qui n'aient pas voulu rester dans cette équipe.
J.-L. Hees : Que conteste vos adjoints dans le fonctionnement de la FNSEA ?
Luc Guyau : Je crois ne pas avoir besoin de le redire car ils se sont suffisamment exprimés dans la presse ces jours-ci, en dehors du débat interne. Il semblerait qu'ils ne se retrouvent pas tout à faire dans la ligne directrice de la FNSEA, une ligne directrice qui est avant tout l'émanation du travail de tous les agriculteurs de France dans le cadre du conseil d'administration et du bureau. On n'a donc pas très bien compris le débat, eux non plus du reste. Ces quatre personnes ont voulu faire de la provocation e surtout s'engager personnellement. Aujourd'hui ils ont décidé de quitter l'organisation en tant que membres administrateurs puisqu'ils ne se sont pas représentés, ils n'ont pas été exclus, ils n'ont pas démissionné. Ils ne se sont pax représentés. Aujourd'hui je suis à la tête de la FNSEA très confortée, solidaire et avec un conseil d'administration élu démocratiquement et qui représente toutes les régions. La preuve : les quatre qui sont partis ont été remplacés dans le cadre de ces élections par les quatre présidents de leur propre département au poste d'administrateur.
J.-L. Hees : J'ai l'impression qu'il y avait disons une sorte de « combat » entre les gens qui, à l'intérieur de votre fédération, disaient qu'il fallait aller plus vers une agriculture sociale et ceux qui prônent le libéralisme plus fort, qui privilégient une agriculture industrielle.
Luc Guyau : C'est le commentaire qui en a été fait mais le congrès a été clair : il n'y a pas de débat entre le libéralisme et le social. L'agriculture, et ça ne plaît peut-être pas à tout le monde mais depuis cinquante ans, a réussi cet exploit de faire vivre la partie du marché des productions, mais aussi de l'occupation du territoire de façon sereine et stable dans l'ensemble du pays avec des exploitations qui ont plusieurs fonctions dont celles-ci. Ce débat n'a donc rien à voir avec les orientations de la FNSEA, même si dans celles-ci, les arbitrages, depuis cinquante ans et pour longtemps encore, devront continuer à exister comme ils existent depuis déjà longtemps. Et la réflexion engagée depuis de nombreuses années, y compris avec ceux qui ont quitté la FNSEA sur ces sujets-là, a toujours été la suivante : comment faire pour être plus solidaires entre nous ? Nous avons des exemples dans le cadre de la réforme de la PAC : 600 millions de francs actuels ont été transportés des départements les plus riches vers les plus pauvres.