Lettres en forme de droit de réponse, de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national, publiées dans "Le Canard enchaîné" du 24 janvier 1996, et dans "Le Journal du dimanche" du 28 janvier 1996, sur la parution d'un jeu vidéo du Front national mettant en scène Fodé Sylla, président de SOS-Racisme, et sur la célébration des fêtes nationales par le Front national.

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Média : Le Canard Enchaîné - Le Journal du Dimanche

Texte intégral

Le Canard Enchaîné : 24 janvier 1996

Reçu cette lettre de Jean-Marie Le Pen, à propos du « Ça n'arrive qu'aux autres » de la semaine dernière :

« L'ensemble de ce très long article repose sur une information factuelle totalement inexacte. Contrairement à ce que vous écrivez, M. Fodé Sylla, Président de SOS Racisme, n'est nullement « représenté avec un os dans le nez, histoire que son faciès soit bien assimilé » dans le jeu vidéo « Jean-Marie ». Il n'est pas non plus représenté par une caricature similaire à celle qui illustre votre article, mais par une simple photographie, à l'instar des autres personnalités politiques françaises de première envergure dont l'action est susceptible de retarder la progression de Jean-Marie Le Pen vers l'Elysée, puisque tel est l'argument de ce jeu très banal, conçu par un jeune homme de 18 ans à destination de jeunes de sa classe d'âge.

Je ne doute pas que votre bonne foi ait été surprise, comme celle d'autres journalistes, puisque votre information inexacte repose sur une dépêche de l'AFP du 10 janvier à 18h26 qui reprenait comme des faits avérés une rumeur totalement infondée. Les membres de SOS Racisme ont d'ailleurs eux-mêmes reconnu « leur erreur » dans une dépêche de l'AFP du 12 janvier à 18 h 31.

Je ne doute pas que, comme vos confrères abusés par une information non recoupée, vous aurez à coeur de faire la mise au point qui s'impose.

La donnée de base de l'article étant controuvée, ses développements tombent d'eux-mêmes. Il ne saurait y avoir davantage de connotation raciste dans l'utilisation de la photographie de M. Sylla que dans celle des autres personnages de notre vie politique représentés selon le même procédé.

Le, remplacement du mot excessif « ennemi », qui est de pratique constante dans ce type de jeu et qui avait donc été employé dans une première version, par celui, plus approprié en l'occurrence d'« adversaire » ne saurait dont être assimilé à un troc de « bois d'ébène » comme vous le prétendez ; et surtout la démarche de ce jeu ne saurait en rien s'inscrire dans la longue tradition de l'imagerie coloniale ou post-coloniale qu'analyse votre article.

Il s'inscrit tout au contraire dans la tradition de libre critique humoristique que votre journal illustre souvent avec talent. Les rumeurs infondées dont vous avez fait état étaient destinées à tromper l'institution judiciaire. Elles y sont parvenues. Connaissant votre sens de liberté de pensée et votre amour de la vérité, je ne doute pas que vous rectifierez sans tarder les fausses nouvelles que certains ont réussi, l'espace d'un numéro, à vous faire diffuser. »


Le Journal du Dimanche : 28 janvier 1996

Une lettre de Jean-Marie Le Pen

Suite à l'éditorial d'Alain Genestar (le JDD du 12 novembre 1995), M. Jean-Marie Le Pen nous a adressé cette lettre que nous publions au titre de droit de réponse.

Mis en cause dans votre journal du 12 novembre dernier suite à notre manifestation pour demander que toute la lumière soit faite sur la profanation de Carpentras et que des excuses publiques soient faites au Front national, je crois utile d'apporter à vos lecteurs les précisions suivantes. Entre autres amabilités qu'il serait fastidieux de discuter par le menu, votre article emploie quelques formules diffamatoires ou injurieuses qui méritent une réponse précise, sans juger de la saisie éventuelle des tribunaux compétents : « grimaçant leader », « voleur de symboles », « voleur des malheurs des autres », « politiquement coupable d'un crime général » qui « joue les victimes », etc.

Pas plus que je n'ai « volé Jeanne d'Arc » hier, je ne « récupère le 11 novembre » aujourd'hui : un héritage n'est ni un détournement ni une OPA ; l'emploi polémique d'un vocabulaire abusif ne saurait dissimuler que les droits du fils respectueux de son lignage demeurent éminemment légitimes. Loin d'être un « voleur de symboles » j'invite tout au contraire et sans exclusive, la totalité de mes compatriotes à partager leurs valeurs et leurs leçons. Je regrette, croyez-le, que l'ensemble de la classe politique me laisse ainsi l'exclusivité de cet hommage à notre passé le plus noble. Mais il est vrai que Jeanne d'Arc monta sur le bûcher pour que la France redevînt française et que les glorieux morts de la Grande guerre se battirent jusqu'à leur dernier souffle pour qu'elle ne devînt point allemande : seuls peuvent donc se réclamer filialement de leur exemple ceux qui, comme moi, n'entendent point brader l'identité nationale à la bourse européenne ou mondialiste des valeurs marchandes.

Quant à « jouer les victimes », c'est une accusation que les bourreaux de tous les siècles ont jeté à la face de leurs victimes afin qu'elles soient aussi celles de l'opinion. A ce compte, Socrate jouait les victimes en n'avouant pas corrompre la jeunesse, et Calas, Sirven ou le Chevalier de la Barre ne furent que des victimes imaginaires de l'intolérance de leur siècle. Quant à Dreyfus, il aurait sans doute, pour votre journal, donné la preuve irréfragable de sa culpabilité en protestant comme il le fit de son innocence.

En attendant qu'un Platon, un Voltaire ou un Zola se lève pour défendre la vérité, sachez que je ne « cherche (pas) désormais à changer de visage » « pour être plus efficace et plus influent ». Le mien me plaît assez, quand il n'est pas déformé et rendu méconnaissable par la caricature la plus haineuse. Comme ceux qui ont la jaunisse voient le monde en jaune, certains voient partout le diable qu'en fait ils portent en eux. Qu'importe. Les Français en sont de moins en moins dupes qui m'accordent toujours plus nombreux leur confiance. Quand leurs yeux seront parfaitement dessillés, nul doute qu'ils jugeront avec une juste rigueur ceux qui, des années durant, les auront condamnés à être injustes envers nous.


NDLR : M. Le Pen ne partage pas notre point de vue. Nous ne partageons pas le sien. Au-delà de la législation sur le droit de réponse, il nous a semblé que cette lettre devait être portée à la connaissance de nos lecteurs. A eux de juger avec « une juste rigueur ». A. G.