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FMP Mutualité : Trois ans après la création du Samu social de Paris, quelles sont aujourd'hui les priorités pour améliorer la prise en charge sanitaire des exclus ?
Xavier Emmanuelli : Il faut rappeler que le Samu social a été créé pour résoudre les problèmes de l'urgence sociale, aller au-devant des personnes en détresse comme le Samu médical va chercher les victimes. Après le Samu social de Paris, d'autres dispositifs mobiles ont été créés. Aujourd'hui, il en existe plus d'une trentaine en France. À ces veilles sociales mobiles s'ajoutent des lits d'hébergement médicalisé, qui sont destinés à accueillir les personnes sans abri dont l'état demande un traitement spécifique et le repos nécessaire à la guérison, mais ne relèvent pas d'une hospitalisation. Enfin, je souhaite développer le nombre de centres de soins primaires ouverts aux personnes sans abri et dans l'errance. Dans ces centres, les personnes peuvent consulter un médecin, recevoir des soins infirmiers, parfois dentaires, et avoir un contact avec un travailleur social. Ces dispositions sont les précurseurs d'un véritable réseau de santé primaire et annoncent d'autres avancées dans le domaine sanitaire.
FMP Mutualité : Lesquelles, par exemple ?
Xavier Emmanuelli : Sans vous dévoiler aujourd'hui le contenu de la loi contre l'exclusion, puisque les arbitrages ne sont pas encore rendus, je peux vous préciser certaines grandes orientations qui pourraient être retenues en matière sanitaire : d'abord envisager une réforme de l'aide médicale, prolongement de la généralisation de l'assurance maladie. Un deuxième volet pourrait concerner l'organisation des soins, la mise en place des réseaux dans la politique de santé publique. Il traitera de certains fléaux sociaux, de la tuberculose ou du saturnisme. Enfin, il conviendra de mettre sur pied un système de médecine préventive pour les demandeurs d'emploi, les stagiaires en formation professionnelle et tout le monde du travail précaire.
Il est nécessaire également de s'intéresser à la souffrance psychique des exclus les plus démunis, des jeunes en errance, en particulier. Leurs problèmes psychopathologiques doivent être mieux pris en compte qu'ils ne le sont actuellement par le secteur psychiatrique, tant au niveau des diagnostics que des traitements. Je souhaite que les psychiatres se remettent en question.
FMP Mutualité : Faudra-t-il redéfinir, selon vous, les missions de l'hôpital, afin de donner un rôle social ?
Xavier Emmanuelli : Oui, en principe. Mais, dans la réalité, la pente naturelle de l'hôpital est plutôt de s'occuper uniquement de ce qui relève de son plateau technique. Que faudrait-il faire pour « ouvrir » les établissements hospitaliers aux exclus ? Tout d'abord faciliter les consultations sans rendez-vous ; ensuite, doter l'hôpital d'un véritable dispositif social et non plus, comme c'est le cas aujourd'hui, se contenter de deux heures de vacation d'une assistante sociale.
Il est aussi indispensable d'installer des dispositifs en amont de l'hospitalisation : des dispensaires, dans une formule renouvelée qui permette aux personnes les plus démunies d'accéder aux soins médicaux, dentaires et infirmiers. Ces centres de soins primaires, tels que je les évoquais tout à l'heure, doivent avoir une vocation médico-sociale : distribution de soins, certes, mais aussi dépistage, orientation des malades, suivi des maladies chroniques, éducation sanitaire, prévention, accompagnement social. Les médecins de ville doivent être largement associés au fonctionnement de ces centres, qui doivent, en outre, trouver à l'hôpital un prolongement, notamment grâce à l'installation d'une antenne sociale… Certaines boutiques de solidarité pourraient servir d'appui à ce projet, comme j'envisage de le faire, par exemple, en partenariat avec la ville de Paris et la RATP. Il y aura douze boutiques de ce type dans la capitale à la fin de l'année. Toutes ces mesures s'inscrivent dans le cadre de l'instauration d'un véritable réseau de l'urgence sociale, incluant le Samu social et les structures d'hébergement.
FMP Mutualité : Avez-vous le sentiment que l'exclusion se développe ?
Xavier Emmanuelli : Il est très difficile de répondre à cette question. Certes, il existe des indicateurs, tels que les statistiques de l'INSEE, qui montrent l'accroissement du nombre de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté, ou l'étude de l'ex-CERC (centre d'étude des revenus et des coûts) de 1994 qui évalue à près de 12 millions ceux qui sont exposés au risque d'exclusion économique et sociale. Mais en réalité, nous avons beaucoup de mal à évaluer ce phénomène. C'est pourquoi, je préconise l'installation d'un observatoire permanent de la précarité, qui devrait permettre de mieux connaître la réalité de cette population et, en particulier, celle concernant les personnes sans-abri.
FMP Mutualité : Depuis 1990, les pouvoirs publics ont pris une série de mesures en faveur du logement : droit au logement, institution de fonds de solidarité pour le logement, application du tiers payant au versement des allocations de logement Et pourtant, la situation n'a cessé de se dégrader. À votre avis, que faudrait-il faire pour inverser cette tendance et pourquoi ?
Xavier Emmanuelli : La dégradation du problème de logement provient de la coexistence de deux tendances : l'aggravation de la situation économique et sociale des personnes et la forte réduction du nombre de logements à bon marché.
Les mesures adoptées depuis 1990 sont bonnes, en particulier la loi Besson sur le logement des plus démunis, qui a notamment institué les plans départementaux d'action et le fonds de solidarité pour le logement. L'idée maîtresse de cette loi, c'est le droit au logement. Mais on peut, on doit le rendre plus effectif.
FMP Mutualité : Par quels moyens ?
Xavier Emmanuelli : D'une part, en permettant l'accès au logement de ceux qui en sont dépourvus et, d'autre part, en aidant les personnes les plus fragiles, en situation de précarité, à se maintenir dans leur logement. Pour favoriser l'accès, il faut développer l'offre de logement sociaux, réformer l'attribution des HLM, encourager les efforts des communes dans le domaine social. Quant au maintien des gens dans leur logement, il repose sur une amélioration des aides, notamment du FSL, mais aussi sur la prévention des expulsions. Attention, je ne dis pas qu'il faut les interdire. Mais il faut créer un système d'alerte précoce pour tenter de trouver une solution en cas de loyer impayé. Soit il s'agit, pour la personne concernée « d'un coup de tabac » passager et, dans ce cas, il faut éviter que cette carence ponctuelle n'ait des effets trop dramatiques. Soit la situation est plus grave, et il faut alors chercher une solution alternative. La pire des solutions, c'est de ne rien faire car, dans ce cas, les problèmes des gens ne font qu'empirer et il en coûtera ensuite beaucoup plus cher à la société pour les résoudre. La mise en place d'un système d'alerte et de prévention des expulsions offrirait, pat ailleurs, l'avantage de donner confiance aux bailleurs.
FMP Mutualité : Dans son dernier rapport, le haut comité pour le logement des personnes défavorisées constate que l'offre de logement accessibles aux plus démunis s'est réduite d'année en année. Faut-il comme il le propose, construire davantage de logements sociaux et de logements d'insertion pour répondre aux besoins ?
Xavier Emmanuelli : Il faut déjà assurer une plus grande transparence dans la distribution des logements HLM. Par exemple, si les préfectures utilisaient correctement le quota dont elles disposent, si les modalités d'attribution étaient définies avec un souci de clarté, on éviterait un certain nombre de blocages. Pour répondre à votre question, on peut effectivement construire davantage de logements sociaux. Mais, compte tenu du coût de la construction, les plus pauvres seront toujours incapables de payer les loyers. Il faudrait alors construire des logements très sociaux, avec les risques de « ghettoïsation » que l'on connaît. Le problème est complexe. Grâce au plan du ministre du logement, Pierre-André Périssol, de nombreux logements d'urgence ont été mis en chantier l'année dernière, et les acteurs, sur le terrain, ont constaté une réelle avancée dans ce domaine.
Il faut penser aujourd'hui le problème du logement de façon plus globale et mettre en perspective tous les dispositifs qui existent : logements sociaux et logements d'urgence. Il faut également imaginer des formules nouvelles, qui permettent de concilier l'autonomie des gens et la vie en collectivité. Par exemple, des expériences de type pensions de famille restent à développer.
Les personnes en grande difficulté ont autant besoin d'un lien social que d'un toit. N'oublions pas l'importance de l'accompagnement social, c'est-à-dire d'un accompagnement chargé de sens, personnalisé et réalisé par des professionnels.
FMP Mutualité : Ne faut-il pas, parallèlement, développer les aides financières ?
Xavier Emmanuelli : Ma philosophie, c'est que les gens ont plus besoin d'échange que d'assistance. Il n'y aura jamais assez d'argent pour assister ceux qui s'estiment lésés dans la vie. L'exclusion, c'est être privé non seulement des échanges économiques, mais aussi des échanges sociaux. Si vous ne rendez pas l'initiative aux personnes en difficulté, si vous ne leur insufflez pas le dynamisme, vous en faites des assistés et vous ne résolvez rien.