Interview de M. Luc Guyau, président de la FNSEA, à RTL le 19 janvier 1999, sur la crise de la filière porcine et la négociation concernant la réforme de la PAC.

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RTL : L’Europe face à sa sécurité, mais également l’Europe face à la réforme de la politique agricole commune. Il semble qu’une majorité des ministres de l’agriculture, soit désormais favorable à une baisse des prix garantis par Bruxelles. Un des points clés de l’agenda 2000. Les ministres ont évoqué aujourd’hui la réforme du secteur du lait, réforme jugée inutile et très coûteuse par la France.

Le ministre de l’agriculture, qui espère que Bruxelles va faire plus pour aider les producteurs de porcs très durement touchés par la crise, doit d’ailleurs recevoir à Paris, les responsables de ce secteur, en crise. Donc invité du « 60 minutes » : Luc Guyau, président de la FNSEA, les syndicats agricoles. Bonsoir Luc Guyau. L’actualité, donc c’est la colère des producteurs de porcs. Vous devez, je viens de le dire, rencontrer ce soir, Jean Glavany. Vous savez que le ministère, le ministre de l’agriculture, estime que l’importation n’est pas le cœur du problème, mais qu’il s’agit de maîtriser la production. Que les grosses porcheries doivent être moins nombreuses et moins aidées. Dans ces conditions, estimez-vous que le dialogue est possible ce soir avec le ministre ?

Luc Guyau : Et bien, la première chose, c’est que j’ai vu le ministre, la semaine dernière, pour lui dire qu’il fallait absolument qu’il y ait des mesures précises qui soient prises en matière porcine, d’une part à Bruxelles, et j’espère quelques nouvelles à nous donner sur ce qu’il a demandé à Bruxelles, mais, pour l’instant, l’Union européenne fait la sourde oreille. Et puis qu’au niveau national, il y ait de vraies méthodes de maîtrise de la production qui soient prises. Cela fait déjà de nombreux mois que nous le demandons. Et la maîtrise, je tiens à le dire, ça ne veut pas dire simplement contingentement de la production, mais des mécanismes régulateurs.

RTL : Quelle nature de propositions attendez-vous ?

Luc Guyau : Les propositions que nous souhaitons au niveau européen, c’est la maîtrise de production en jouant sur, lorsque l’on sent les crises venir, sur le retrait de porcelets du marché, la diminution du poids de carcasses, ou l’abattage de truies. Mais, dans un premier temps, il est important, qu’au niveau de l’ensemble de l’Europe, on respecte les règles environnementales. Et à commencer par la France, bien sûr, en Espagne, certes. Mais, en France aujourd’hui, il y a un nombre d’exploitations qui ne sont pas en règle avec les normes environnementales et de déclarations de leurs exploitations. J’ai déjà demandé, depuis de nombreuses semaines, au ministre de prendre des décisions là-dessus. Alors, quand le ministre dit « ce sont des gros », il y a des gros, il y a des plus petits. Pour l’instant, nous en sommes à l’obligation de respecter les règles, et c’est aux pouvoirs publics de les faire respecter.

RTL : Mais, vous-même à l’instant, Luc Guyau, vous déclarez qu’il faut mettre hors circuit, ce que vous appelez les truies illégales, des animaux hors circuit, qu’il est difficile d’évaluer. Reste qu’il s’agit de fraudes, puisque certains éleveurs auraient deux à trois fois plus de bêtes qu’autorisé ?

Luc Guyau : Alors je ne sais pas si on peut appeler ça de la fraude. Vous savez, c’est un peu comme sur l’autoroute : lorsque l’autorisation de rouler est à 130 à l’heure, et qu’il y en a qui roule à 160, à certains moments, lorsqu’il y a des accidents, l’État a la responsabilité de faire respecter la vitesse et de sanctionner. Nous sommes dans cette situation-là, et c’est la première mesure de maîtrise qui doit être prise. Alors, je ne demande pas l’abattage systématiquement et d’un seul coup de toutes les truies illégales. Mais qu’on commence, dans un premier temps, par ceux qui dépassent le plus fortement, et que, progressivement en fonction du marché, on réduise. C’est une question de justice vis-à-vis des autres producteurs. C’est aussi une question de transparence vis-à-vis de l’opinion publique. Voilà ce que nous demandons depuis plusieurs mois.

RTL : Luc Guyau, pour vous, c’est une crise de surproduction ou une crise d’importation ?

Luc Guyau : C’est une crise de surproduction française et européenne en particulier. N’oublions pas que nous sommes dans une situation que nous n’avions jamais connue, parce que les maladies qu’il y a eu dans les Pays-Bas, la peste porcine a fait diminuer les cheptels porcins aux Pays-Bas de façon très, très importante, depuis deux ans. Qui a été compensée par de la mise en production en France, en Allemagne, en Espagne ou dans d’autres pays. Mais les Hollandais sont revenus sur le marché. Ajouté à cela, aussi, la diminution de demandes de l’Union soviétique, la crise en Asie, avec les achats moins importants venant du Japon. Tout ça s’est conjugué. C’est pourquoi il nous faut prendre des mesures pour cette crise, mais aussi pour les crises à venir, pour pouvoir maîtriser un peu mieux la production.

RTL : Luc Guyau, un mot sur le groupe de travail que vous souhaitez voir créer par Bruxelles.

Luc Guyau : Nous souhaitons plus qu’un groupe de travail : nous souhaitons maintenant que la Commission européenne prenne vraiment les choses à bras le corps. Cela fait maintenant plus de deux mois que nous avons envoyé un courrier, quand je dis « nous », c’est le président du COPA, avec ses autres collègues aux commissaires, mais aussi à tous les ministres, pour leur donner la position unanime des agriculteurs représentés au COPA, sur des mécanismes de maîtrise. Nous attendons toujours de la part de la commission, du conseil des ministres, des décisions réelles. Le temps presse, parce que chaque mois qui passe, amplifie le phénomène de crise, pour les agriculteurs, et un bon nombre de familles seront sur le carreau demain. Et comme nous voulons sauver les agriculteurs avant de sauver les cochons, d’une part, mais aussi de faire en sorte que le type d’exploitation que nous défendons, des exploitations petites et moyennes, responsabilité personnelle, puissent de défendre, il est important de prendre des mesures tout de suite. Autrement, ce seront simplement des agriculteurs qui seront complètement intégrés. C’est d’ailleurs des travailleurs à façon. Ce n’est pas le choix de l’agriculture que nous avons fait.

RTL : Mais précisément, monsieur Guyau, votre ministre Glavany l’a indiqué lui-même : une politique agricole plus commune est nécessaire afin de tenir compte de l’opinion publique qui a du mal à comprendre, et je le cite, converge chaque année de plus en plus d’argent à des agriculteurs toujours moins nombreux et qui polluent nos rivières et nos sols. C’est les propos de monsieur Glavany.

Luc Guyau : Oui, je suis d’accord avec lui, quand.il fait cette déclaration. Mais c’est à lui d’obtenir la décision au niveau du commissaire européen. Et, si ses partenaires et lui-même, et les commissaires ne veulent pas l’entendre, il faut qu’il tape encore plus fort sur la table. J’espère que, ce soir, il nous annoncera de bonnes nouvelles par rapport à cette orientation-là. Mais, pour l’instant, je reste sceptique. J’attends ce soir et nous verrons demain, en conseil d’administration, les attitudes que nous devrons prendre par rapport à ces prises de position.