Texte intégral
Europe 1 : Un tel consensus, c’est rare en France ?
F. Léotard : Dans des circonstances de cette nature, il est bon qu’au-delà des clivages politiques traditionnels, au-delà même de nos affrontements, il y ait une espèce de communion face à la mort tout simplement, face à la haine. Et j’ai senti aujourd’hui cette communion, cette volonté d’agir ensemble contre la haine. Je crois qu’à chaque fois que la France sera confrontée à ce type de questions, on trouvera en elle les ressources pour répondre avec force et un profond sentiment d’union.
Europe 1 : Le président centriste qui a eu l’idée et l’initiative de ce rassemblement, disait qu’il était porteur de trois messages. Premier message pour F. Bayrou : nous avons des valeurs à défendre et des valeurs communes ?
F. Léotard : Oui, je pense que c’est exact. L’Europe, bien sûr, mais aussi ceux qui sont en Algérie et ceux qui sont attachés à ses valeurs, doivent défendre une certaine conception de l’homme, de sa dignité. Une dignité de la femme également, de son libre-arbitre. La liberté de circuler, de s’informer, de critiquer, de dire. La liberté aussi de croire ou de ne pas croire. C’est tout ça qui est en cause. Et je crois que la mort de ces moines montre aussi quelque chose de très beau. Ceux qui ont des convictions enfouies dans leur cœur, ne meurent pas pour rien. Je suis convaincu que cette mort n’est pas inutile même si elle est totalement horrible et odieuse. Elle n’est pas inutile.
Europe 1 : Le deuxième message est de tendre la main à tous qui sont victimes du fanatisme dans le monde.
F. Léotard : Je pense qu’effectivement, il n’y a pas que l’Algérie. Dans le monde entier, aujourd’hui, réapparaissent des formes d’intolérance incroyables et de haine. Et peut-être, le message du Trocadéro, ça serait : « vous n’êtes pas seuls, ça va mal dans tous les continents, dans tous les coins du monde, vous n’êtes pas seuls, vous qui nous écoutez. Il y a des femmes et des hommes épris de paix qui sont fraternels, qui vous tendent la main ».
Europe 1 : Dernier message adressé aux bourreaux pour leur dire qu’ils n’auront pas l’indifférence des Français.
F. Léotard : Sur ce thème, je souhaite qu’on applique à l’Algérie, les règles qu’on est en train d’appliquer à la Bosnie. C’est-à-dire que, peu à peu, les criminels de guerre soient considérés comme des criminels de guerre. C’est-à-dire que, petit à petit, la conscience internationale, avec ses règles, ne traite pas simplement des conflits comme celui de la Bosnie, ou bien sûr, jadis la deuxième guerre mondiale, mais s’applique à des situations de haine et d’horreur tels que connait aujourd’hui l’Algérie. Donc, l’idée d’un tribunal pénal international qui aurait à juger de ces crimes-là, ferait que tous les Zitouni de la terre se sentiraient en situation d’insécurité. C’est un vœu que je formule, il faudra y travailler.
Les Verts ne se sont pas associés au rassemblement du Trocadéro, ils disent qu’une manifestation ne vaut rien si elle n’est pas suivie de gestes concrets. Quels pourraient être les gestes concrets ?
F. Léotard : Il faut d’abord que la France soutienne les forces de paix dans le monde et notamment en Algérie. Qu’elle aide les démocrates algériens, ils sont nombreux. Qu’elle fasse en sorte que, sur son propre territoire, soit combattu l’intégrisme et il y a encore beaucoup à faire. Vous savez, des messages de haine sont diffusés en France aujourd’hui, il faut les combattre. Et puis enfin, que dans les enceintes internationales, nous n’ayons pas deux discours. Et qu’à chaque fois qu’en Iran, par exemple, des gens se lèvent pour alimenter le terrorisme en Libye, en Syrie éventuellement et ailleurs, nous soyons très attentifs à combattre ces attitudes et non pas à y être complaisants.
Europe 1 : Avez-vous un sentiment différent après ce rassemblement du Trocadéro ?
F. Léotard : Je suis chrétien et j’ai au fond de moi une très forte espérance dans l’homme et dans sa capacité à traverser des épreuves. Mais je pense aux dernières minutes de ces moines, à leur souffrance, à leur angoisse, je pense à leur rencontre avec Dieu, et que toute leur vie, ils ont cherché cela. Je suis convaincu que c’est l’aboutissement de leur désir et que ce sang n’a pas été versé en vain. Ces moines sont devenus un peu plus nos frères.