Article de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, dans "La Tribune" le 13 juin 1997 intitulé "Le problème de l'Europe est celui de la non-Europe", sur le Pacte de stabilité monétaire, les contraintes des critères de convergence pour la monnaie unique, et la nécessité de préserver la démocratie face au libéralisme.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : La Tribune

Texte intégral

Monnaie unique, pacte de stabilité, croissance, emploi : quelles sont les relations entre ces quatre éléments ? Sont-elles conflictuelles ou complémentaires ? Telle est l’une des questions qui mérite, selon nous, d’être posée dans le débat européen. De la même manière – comme l’affirme le bon sens populaire – que la guerre est une chose trop sérieuse pour être laissée aux seuls militaires, l’Europe est trop importante pour être laissée aux seuls économistes. Car que constate-t-on ? De fil en aiguille, l’Europe qui se met en place est de fait une Europe fondée sur des objectifs monétaires et budgétaires rigides destinés à rassurer les détenteurs de capitaux et à favoriser la « libre concurrence ». Mieux : comme on n’a guère discuté du bien-fondé de Maastricht, on ne parle guère du bien-fondé du pacte de stabilité.

On se contente trop souvent d’asséner l’idée selon laquelle les europhiles ne peuvent qu’être d’accord. Il faudrait ainsi croire en l’Europe comme une religion, à charge pour « l’église » d’ordonner la croyance en discernant le bien du mal, le bien-pensant de l’hérétique. Et pourtant, les choix de favoriser le libéralisme économique et la mise en œuvre prioritaire de la monnaie unique ne sont pas neutres. Ils conduisent à faire de l’Europe une zone monétaire unique présentée comme un préalable à l’approfondissement de l’Europe sur d’autres plans.

Second choix. Une fois le principe de la monnaie unique arrêté et les règles arbitraires de « bonne gestion » fixées (les fameux critères de convergence), viennent les procédures de surveillance, de contrôle et de sanction éventuelle des politiques économiques menées. C’est l’objet du pacte de stabilité, présenté parfois avec raison, comme du super-Maastricht. De fait, la position commune arrêtée par le Conseil européen, le 14 avril 1997, a bien rappelé que le déficit budgétaire ne devait pas dépasser 3 % du PIB et que l’objectif à moyen terme était l’équilibre ou l’excédent. De même, si le texte fait parfois allusion à la croissance et à l’emploi, ce n’est qu’en second choix, comme sous-produit. Ainsi, la stabilité des prix et plus largement, les programmes de stabilité sont une condition préalable, une base, pour « renforcer des conditions propices à une croissance soutenue de la production et de l’emploi ». En quelque sorte, la croissance et l’emploi ne sont pas garantis mais la stabilité des prix est incontournable. Et pour s’assurer qu’il n’y aura pas de « déviance », on arrête noir sur blanc les sanctions qui peuvent être lourdes financièrement pour les pays concernés. En quelque sorte, les gouvernements doutent d’eux-mêmes, ils se fixent des contraintes et listent par avance les punitions dont ils pourraient faire l’objet afin de se « rééduquer ». L’Europe du doute prend le pas sur l’Europe de l’espoir.

Après le pacte de stabilité vient maintenant l’idée selon laquelle il faut renforcer la coordination des politiques économiques, préalable à ce que l’on pourrait appeler un gouvernement économique. De là découleront des décisions et contraintes en matière de fiscalité, de prélèvements obligatoires, de niveau de protection sociale collective, ce que l’on peut appeler la normalisation monétaire. In fine, la seule marge de manœuvre dont disposeront les gouvernements risque de se réduire… à la flexibilité du marché du travail.

La petite fleur bleue de Jaurès. D’ores et déjà, moult réformes ou contre-réformes ont eu lieu en France et ailleurs pour se conformer au dogme. C’est notamment le cas pour le plan Juppé sur la sécurité sociale que l’on ne peut pas comprendre si on ne le relie pas au changement d’orientations d’octobre 1995. Mais alors, à quoi bon voter pour des élus qui ne pourraient plus faire de promesses parce qu’ils n’auraient plus les moyens de les réaliser ? Dans une telle configuration, la petite fleur bleue dont parlait Jaurès serait par avance fanée. Quant à la démocratie, elle s’en trouverait fortement amoindrie. Ce qui est en cause, ce sont tout autant les modalités que la méthode de la construction européenne. C’est pourquoi, il nous apparaît important de réviser les critères de convergence pour non seulement introduire de la souplesse, mais tenir compte de l’emploi, du degré de protection sociale, de l’évolution de la répartition de la valeur ajoutée, etc.

Le souci du moins d’État. À s’en tenir de manière drastique aux seuls critères monétaires et budgétaires, on prend le risque d’une politique dangereusement déflationniste. D’ores et déjà, en France, il faut réduire les dépenses publiques dans le cadre d’une politique économique qui freine l’activité et raréfie les rentrées fiscales. Comment s’étonner dès lors d’annonces de réformes de l’État dictées par le souci du moins d’État ? L’Europe ne vaut que si elle favorise la coopération, préserve l’articulation du collectif et de l’individuel, conduit à l’harmonisation par le haut.

Le problème de l’Europe est celui de la « non-Europe », du culte de la libre concurrence au détriment de la complémentarité. Il s’agit de construire l’Europe pour les peuples qui la composent, non pour les intervenants sur les marchés financiers qui, eux, cherchent avant tout à obtenir des garanties de stabilité financière. En quelque sorte, ils tendent à se constituer leurs propres avantages acquis. C’est aussi pourquoi il est nécessaire de débattre enfin, clairement et publiquement, de la nature des souverainetés à transférer, à quel type de structure lès raccrocher et selon quelle procédure démocratique. L’expérience en matière de service publics à trop souvent montré que la Commission européenne savait user du traité actuel pour imposer son triptyque privatisation-déréglementation-libéralisation. Après tout, les États-Unis ont bien mis en place une monnaie unique après avoir élaboré leur Constitution et en laissant des marges de manœuvre aux États, plus importantes que ne l’envisagent les experts européens. La France n’est pas l’Amérique, pas plus que la république n’est le marché.