Interview de Mme Dominique Voynet, porte-parole des Verts, à France 2 le 3 avril et article du 30 avril paru dans "Vert contact" du 4 mai 1996 ("Deux chantiers pour l'alternative"), sur l'objectif d'unification de l'écologie politique et le dialogue avec le PCF et le PS dans la perspective des élections législatives de 1998.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Rassemblement de la Gauche à l'initiative du PCF à Bercy (Paris) le 2 avril 1996

Média : Emission Les Quatre Vérités - France 2 - Télévision - Vert contact

Texte intégral

Date : Mercredi 3 avril 1996
Source : France 2/Édition du matin

 G. Leclerc : Vous étiez, hier soir, à Bercy, pour le forum « Inventer un nouvel avenir » avec R. Hue et L. Jospin, J.-P. Chevènement et d’autres dont A. Krivine. Une grand-messe de ce genre sert-elle encore à quelque chose ?

D. Voynet : L’essentiel reste à faire, se mettre d’accord sur des priorités, sur des mesures qui permettront vraiment d’enclencher des changements, des ruptures, dans ce pays. Les actes symboliques d’hier soir, affichaient publiquement une disponibilité à faire le nécessaire pour enrayer la spirale de l’échec dans le camp des progressistes et des écologistes. C’était vraiment important.

G. Leclerc : Les écologistes, on avait l’idée que vous étiez toujours un peu ailleurs, pas vraiment à droite ni à gauche. C’était vraiment votre place hier d’être avec les leaders de la gauche ?

D. Voynet : La question n’a pas été posée et je ne me la suis pas posée en ces termes. Il est naturel d’être là pour afficher l’originalité du mouvement écologiste mais aussi sa disponibilité à travailler avec d’autres à une réelle alternative politique. J’ai entendu, hier soir, dans la bouche des leaders des autres partis de la gauche, une réelle disponibilité à cet égard.

G. Leclerc : Il pourrait y avoir des suites politiques, des alternances politiques, auxquelles vous pourriez participer ?

D. Voynet : Des suites en matière de débat et pas forcément de débats en haut. Je pense que tout le monde ressent le besoin de nouer des liens au niveau local, au niveau départemental, régional, avec l’idée de confronter les points de vue. Et aussi avec l’idée de poser les bases d’un accord pour des élections futures. Personne ne préjuge, en revanche, du résultat des discussions qui vont s’engager. Si elles ne sont pas fécondes, il n’y aura pas d’accord. Nous y sommes, les uns et les autres, prêts.

G. Leclerc : C. Lepage présente aujourd’hui sa loi sur l’air. On sait qu’elle prévoit notamment un taux de surveillance de la pollution, des plans pour la qualité de l’air et sur les déplacements urbains. Et, éventuellement, des possibilités de limitation de la circulation. Tout cela va-t-il dans le bon sens ?

D. Voynet : L’élément essentiel, c’est peut-être que ce projet de loi, incomplet, très peu exigeant finalement, témoigne quand même d’une prise de conscience de la nécessité de faire quelque chose. Mais, c’est bien là son seul intérêt. Car, et nous nous en doutions, il a fallu des semaines à C. Lepage pour obtenir des arbitrages en faveur de son projet de loi. Ce projet porte la marque des pressions constantes et apparemment efficaces que les lobbies de l’automobile et des travaux publics ont exercé sur les ambitions de C. Lepage. Elle souhaitait pouvoir mettre en place une vraie politique autoritaire de limitation de la circulation automobile en cas de pollution, elle souhaitait pouvoir renverser la fiscalité en faveur des carburants propres – GPL, carburant vert et essence sans plomb. Ce n’est pas le cas. Les diesels restent, aujourd’hui, très encouragés fiscalement, ce qui est dommage car c’est le carburant le plus polluant.

G. Leclerc : Dans un sondage paru hier, il ressortait que 85 % des Français étaient favorables à une interdiction de la circulation automobile quand il y avait de la pollution.

D. Voynet : On a d’un côté les citoyens, avec tous ceux qui souffrent de la pollution et au premier plan d’entre eux, les enfants, les vieillards. D’un autre côté, les intérêts économiques du lobby pétrolier et de l’automobile. Hélas, il semblerait que le gouvernement ait choisi. Je crois qu’on doit offrir à tous ces citoyens qui se disent aujourd’hui prêts à laisser leur automobile au garage en cas de pollution, les moyens d’alternative confortable. On doit réorienter les choix financiers en faveur du transport collectif et en faveur d’une utilisation plus importante de l’espace, en ville, par les autres usagers que ceux des véhicules à moteur.

G. Leclerc : Accord tôt ce matin sur l’affaire de la « vache folle », qui prévoit l’abattage, en six ans, de plus de 4,5 millions de bovins.

D. Voynet : Deux réflexions : 1. Dans ce dossier, au moins, il semblerait que l’intérêt des consommateurs ait été pris en compte à la différence de ce qui se fait, par exemple, pour la pollution de l’air en France ; 2. Ce qui se passe là, ce véritable « Tchernobyl » de l’agriculture, est une conséquence directe de la mondialisation sans aucun contrôle. Mondialisation que viennent de prôner pourtant les ministres de l’emploi réunis à Lille pour parler de chômage. Je pense vraiment qu’on est ici au bout d’un modèle qui est complètement étouffé par ses contradictions. Il n’est donc pas étonnant que des catastrophes majeures comme celle-ci arrivent alors qu’on a décidé de supprimer tous les contrôles et qu’on a finalement, pour des raisons de rentabilité immédiates, transformé de pauvres bêtes à cornes en carnivores.

G. Leclerc : Réunion du G7 sur l’emploi. Ça n’a pas débouché, et même pas du tout, sur ce qu’on attendait puisque J. Chirac avait prôné « une troisième voie ». Conclusion : cap sur le libéralisme avec un texte qui prône la déréglementation du marché du travail et l’adaptation à la mondialisation.

D. Voynet : Deux remarques là aussi : quand on parle de taux de change, de stabilité des monnaies, de politique monétaire, les ministres des sept se déplacent. Quand on parle d’emploi, ils n’ont pas fait l’effort de venir à Lille, à l’invitation de J. Chirac. Deuxième remarque : c’est évidemment, hélas, le modèle libéral qui est en train de s’imposer à l’échelle de la planète. En Europe, le risque existe aussi face aux affirmations sociales d’un J. Chirac. On trouve la détermination de l’Angleterre qui souhaite faire de l’Europe un seul espace marchand de libre-circulation des marchandises et des capitaux. C’est très dangereux et ça doit entraîner une riposte à la hauteur, par un travail en commun des syndicats européens, mais aussi par une mobilisation politique. La renégociation du traité de Maastricht doit absolument mettre au premier plan les préoccupations sociales, les préoccupations de protection de l’environnement, et les préoccupations citoyennes. On doit renforcer le rôle du Parlement européen.

 

Date : 4 mai 1996
Source : Vert Contact

Les forums initiés par le Parti communiste, les réunions publiques organisées par les Verts sans le sillage du mouvement social, et le colloque du Parti socialiste à la Mutualité ont manifesté la volonté des gauches et des écologistes de poursuivre le dialogue.

Pour notre part, nous nous sommes lancés dans deux chantiers. Nous œuvrons au rapprochement de toutes celles et ceux qui, comme nous, veulent construire une alternative écologiste. C’est pourquoi, les Verts proposent à leurs partenaires (AREV, CES, PERLES) l’organisation de forums locaux dont l’objectif est l’unification de l’écologie politique en un seul parti écologiste ouvert, solidaire et citoyen.

Par ailleurs, nous avons entamé des discussions plus approfondies avec les partenaires potentiels d’une coalition. Une première rencontre a eu lieu avec le Parti communiste, le 30 avril. Nous avons convenu « d’agir pour le rassemblement le plus large, dans le respect de l’identité de chacun ». Mais, si nous avons relevé des convergences, nous n’avons pas éludé les divergences (sur la construction européenne, les modalités de la réduction du temps de travail, la politique énergétique ou encore le modèle de développement) sur lesquelles la confrontation se poursuivra dans les semaines à venir. Dans le même esprit, nous rencontrerons prochainement le Parti socialiste.

Notre ambition, comme nous l’avions affirmé lors de l’assemblée fédérale du Mans, est de rechercher dans quelles conditions une véritable alternative majoritaire à l’actuel gouvernement pourrait se construire. Car chaque jour qui passe nous rapproche des échéances électorales et de la tentation de limiter les contacts à cette sorte particulière de gymnastique, arbitrée par les « grands partis », que constitue le partage de circonscription… Au détriment de la construction d’un projet alternatif capable d’entraîner l’adhésion d’une majorité de citoyens.

Nous œuvrerons donc sans relâche pour faire avancer les idées forces des Verts, dont la prise en compte par nos partenaires potentiels conditionnera tout accord.