Article de Mme Margie Sudre, secrétaire d'État chargé de la francophonie et président du Conseil régional de La Réunion, dans "Administration" de janvier mars 1996, sur la langue française, atout pour les départements d'Outre-mer et leurs relations avec l'extérieur, intitulé "L'Outre-Mer ou la francophonie au naturel".

Prononcé le 1er mars 1996

Intervenant(s) : 
  • Margie Sudre - secrétaire d'État chargé de la francophonie et président du Conseil régional de La Réunion

Média : Administration

Texte intégral

La langue commune fonde de multiples solidarités essentielles.

En 1986, lorsque dans le gouvernement de Jacques Chirac, Premier ministre, est désigné pour la première fois un secrétaire d'État chargé de la francophonie, le poste est confié à Lucette Michaux-Chevry, élue de la Guadeloupe.

En mai 1995, c'est à la Présidente du Conseil régional de la Réunion que M. Jacques Chirac, devenu Président de la République, fait appel pour affirmer la priorité que constitue désormais la construction francophone dans le gouvernement d'Alain Juppé.

Coïncidence ? Pas vraiment.

Les habitants des Dom-Tom ont, je crois, une prédisposition évidente à comprendre la réalité et les enjeux de la francophonie, dans sa modernité et sa pleine acception : une francophonie non pas agressive ou défensive mais fondée sur la réciprocité des échanges culturels et au service des solidarités multiformes que permet l'usage d'une langue commune.

Les départements et territoires d'outre-mer sont les acteurs naturels de la francophonie pour des raisons historiques, culturelles, et tout simplement humaines.

Le métissage les caractérise, tout comme la communauté francophone. Pour elle et pour eux, la langue française appartient à l'héritage d'une histoire qui eut ses heures de gloire et ses épisodes tragiques, qu'il serait vain, aujourd'hui, de renier. Le français a su trouver chaque fois sa place dans la diversité des sociétés et des situations, devenant ici seule langue véhiculaire, là, l'inspirateur initial d'un créole qui a trouvé de puis une familière autonome, ailleurs encore langue de l'élite ou de la résistance à l'oppression, démontrant partout sa capacité à l'acculturation sans jamais perdre son âme, son originalité ou son charme.

Pour nous être légué le passé, ce métissage n'a rien de suranné. L'osmose des peuples et des cultures a fécondé une réalité originale, et puissamment moderne. Le manichéisme, qui organisait jusqu'il y a peu d'années notre vision du monde, est devenu brutalement obsolète. Le respect des identités culturelles devient l'une des clés de notre avenir. Il est difficile de mieux le comprendre qu'en vivant à la Martinique ou à la Réunion.

Mais une fois cette convergence singulière entre les pays francophones et l'Outre-Mer français constatée, quels enseignements concrets en tirer ? Sans doute d'abord convient-il de faire de la francophonie un atout pour nos départements d'outre-mer, à travers eux pour notre action extérieure. Conclusion immédiate, martelée depuis longtemps déjà – un rapport du Conseil économique et social de 1987 l'avait inscrite au titre de ses propositions – mais que ne s'est guère matérialisée jusqu'ici.

Ambition…

Une tendance, trop encore, commence cependant à se dessiner dans la mise en œuvre de notre coopération francophone. Motivée par les besoins d'une meilleure intégration dans l'environnement régional, les actions entreprises depuis quelques années, notamment dans les domaines de l'éducation et de l'audiovisuel, revêtement une ambition francophone de plus en plus marquée.

Ainsi, en 1995, a-t-on organisé à Pointe-à-Pitre des stages pour les professeurs étrangers des pays de la Caraïbe. En 1996, en collaboration avec l'Université Antilles-Guyane, il est prévu d'assister les autorités haïtiennes dans la formation des maîtres du secondaire.

À la Réunion, les actions conduites depuis 1986 dans le domaine de l'éducation en faveur des pays du Sud-Ouest de l'Océan Indien ont pris en 1994 une nouvelle dimension. C'est à cette date en effet que, après la fermeture du centre pour l'enseignement des langues au Burundi, nos activités didactiques destinées aux États d'Afrique centrale ont été redéployées au Centre International du Tampon. Celui-ci a accueilli en 1995 environ 350 étudiants originaires de pays anglophones.

Dans un autre domaine, l'université de l'Océan indien va permettre la mise en place de formations réparties sur l'ensemble de sites dans les États de la zone, en fonction des capacités et des spécialités d'excellence de chacun d'eux : une véritable Université ouverte, sans murs et sans frontières, qui offrira aux étudiants originaires de la région une palette de formations que chaque établissement, pris isolément, ne serait guère en mesure d'assurer.

À Saint-Pierre et Miquelon, un institut de langue française, le Franco forum, créé il y a quelques années, est devenu un outil essentiel de la coopération avec les provinces atlantiques du Canada. Une première commission mixte régionale, d'autre, devrait dans quelques mois pour relancer cette coopération.

S'agissant du Pacifique, la Nouvelle-Calédonie a signé le 29 janvier 1996 une convention avec le seul État francophone de la région, le Vanuatu.

C'est sans doute dans le domaine de l'audiovisuel que la coopération francophone a pris l'essor le plus remarquable. C'est ainsi que les programmes des médias locaux, en particulier ceux de RFO, sont retransmis dans les régions autour des DOM-TOM. Mauriciens et Malgaches bénéficient, par exemple, des programmes de RFO-Réunion. Le service public audiovisuel français d'outre-mer et les médias des pays voisins partagent également depuis peu leurs savoir-faire et échangent programmes, techniciens et journalistes. Avec le phénomène de régionalisation, les perspectives de coopération en matière de communication sont, bien entendu, considérables. La francophonie y a toute sa place comme en témoignent les projets de télévision de l'Océan indien et d'agence de presse de l'Océan indien actuellement en cours d'élaboration.

Passion de la diversité culturelle

La francophonie, facteur de rapprochement entre les DOM-TOM et les États qui forment leur environnement naturel, est ainsi un atout supplémentaire pour chacune des parties. Il revient à chacune de saisir cette chance, longtemps restée au rang des vœux pieux.

Rattachée à nouveau aux Affaires étrangères, la francophonie doit s'affirmer comme dimension spécifique de notre diplomatie. Les États de la communauté francophone sont présents sur les cinq continents, sur toutes les mers du monde. Des uns aux autres, il y a encore beaucoup d'actions concrètes à encourager ou à susciter : des échanges artistiques, culturels ou universitaires, des coopérations pratiques pour le secours en mer ou les catastrophes naturelles, des structures communes en matière météorologique… autant de projets qui souvent existent déjà, mais qui sont mis en œuvre de manière trop peu systématique. Il faut voir plus loin et plus large. L'environnement, la santé, la formation agricole constituent d'autres domaines dans lesquels les opérateurs de la francophonie, notamment l'Agence de Coopération Culturelle et Technique, principal opérateur de la francophonie multilatérale, développent des programmes qui ne peuvent qu'intéresser les collectivités d'outre-mer.

Les juristes sont parvenus à trouver des formules permettant d'associer les DOM aux organisations régionales comme l'Association des États Caraïbes ou la Commission de l'Océan Indien. Il serait dommage que nous ne puissions faire de même avec la programmation francophone, qui a des retombées directes sur l'activité des hommes. Cela implique, côté français, que les ministères déterminent avec les représentants de l'État sur place les projets à retenir. Une occasion pour l'administration de démontrer son aptitude à une concertation plus dense encore entre les ministères des affaires étrangères, de l'Outre-mer et de la coopération.

L'Outre-mer est une réalité méconnue des Français. De trop nombreux clichés, souvent méprisants, affectent la perception que les Français en ont. Pour ma part, je suis bien placée pour savoir que l'Outre-mer donne à notre pays sa vraie dimension géographique et humaine.

Toute proportions gardées, il en va de même pour la francophonie, que nos concitoyens considèrent parfois comme une préoccupation désuète.

Or l'expérience francophone recoupe bien des aspects de l'expérience Outre-mer. Humanisme et modernité, jeunesse et ouverture, passion de la diversité culturelle, tels sont les ressorts de la francophonie. Tel est aussi l'avenir de notre pays.