Interviews de M. Louis Viannet, secrétaire général de la CGT, à RTL le 12 et dans "L'Hebdo de l'actualité sociale" le 30 mars 1996 et déclaration parue dans "L'Humanité" du 20 mars 1996, sur les services publics et la construction européenne.

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Média : RTL - L'Humanité - L'Hebdo de l'actualité sociale

Texte intégral

RTL : mardi 12 mars 1996

M. Cotta : Vous avez décidé, hier, de lancer une double journée d'action le 20 et le 29 mars, à la veille de la conférence inter-gouvernementale de Turin. Vous voulez donner un nouvel élan au mouvement revendicatif. Et dans quel état est-il ce mouvement revendicatif après décembre ? Un peu sonné ?

L. Viannet : Non, pas un peu sonné mais la prise de conscience est en train de se faire qu'en définitive, dans tous les secteurs – secteur public, secteur privé – ce sont les mêmes problèmes, on perçoit les mêmes difficultés et il y a nécessité à ce que le syndicalisme joue son rôle dynamisant pour relancer avec force cette idée : il ne faut pas se laisser faire. Et le mouvement de novembre-décembre a montré que lorsqu'on s'y met tous, on s'y met fort, il y a la possibilité de faire modifier les choix.

M. Cotta : Vous mobilisez le 20 mars contre la suppression d'emplois dans les industries d'armement, donc c'est sur le public que vous mettez d'abord l'accent.

L. Viannet : Oh, le champ est très large. En fait, ça n'est pas seulement des journées d'action que nous lançons, c'est une vaste campagne revendicative autour du thème du plein emploi solidaire absolument indispensable avec, en appui, une lutte que nous voulons développer sur les salaires parce que la situation, maintenant, n'est plus tolérable et tout le monde reconnaît qu'il n'y a pas assez de pouvoir d'achat dans le pays et surtout une bataille très forte sur la réduction de la durée du travail pour se donner une marge de création d'emplois.

M. Cotta : Si on reste dans le domaine public, vous accusez, dans votre liminaire d'hier, lors de votre conférence de presse, le Gouvernement de double langage. Vous dites : il est partisan du service public mais il applique la déréglementation. Est-ce que vous n'êtes pas un peu injuste ? On sait quand même que le Gouvernement français ne cesse de parler du service public à la française.

L. Viannet : Vous avez raison, il ne cesse pas d'en parler. Mais en définitive, en même temps qu'il parle, il publie la loi de déréglementation des télécommunications, il laisse poindre la menace de mettre fin au monopole de distribution à Gaz de France et le rapport Martinand, qui vient de sortir, concernant la SNCF, montre bien que, sur le fond, le Gouvernement reste sur cette ligne qui aboutira à mettre le service public en concurrence, donc à affaiblir ses capacités.

M. Cotta : Est-ce qu'on peut dire que le Gouvernement met le service en concurrence ? Il est en concurrence. À la SNCF, par exemple, il est en concurrence avec d'autres.

L. Viannet : Oui, il est en concurrence et dans la mesure où il est en concurrence, il est forcément défavorisé puisque la règle des grands financiers, c'est de rechercher les secteurs les plus rentables et de laisser au service public les activités coûteuses et les moins rentables. Mais là, ce sont les usagers qui en font les frais et c'est surtout la capacité de répondre aux besoins individuels et collectifs de la société qui se trouve en cause.

M. Cotta : Alors, vous pensez que c'est à la SNCF et chez les télécoms que la situation est la plus grave ?

L. Viannet : Oh, je pense que l'ensemble des services publics se trouve sous la menace des injonctions européennes pour aller dans le sens de la déréglementation et de la privatisation, parce que c'est quand même ça qui se joue sur le fond. Mais je le répète, l'effort de mobilisation que nous lançons concerne également avec de force le secteur privé parce que j'ai sous les yeux les suppressions d'emplois qui sont prévues à Péchiney, à Renault, Danone, Thomson, Aérospatiale, et ça c'est une véritable hémorragie. Alors on ne peut pas continuer d'affirmer, comme le fait le Gouvernement, que sa politique a pour objectif de donner la priorité à l'emploi et persister dans toute une série de mesures qui aboutissent à quoi ? à faire grandir le chômage encore.

M. Cotta : Vous avez dit, hier : l'énorme majorité des avantages financiers accordés aux entreprises sert à autre chose qu'à améliorer la situation de l'emploi. C'est-à-dire que vous pensez que c'est l'échec de la politique du donnant-donnant ?

L. Viannet : Ça n'est pas moi qui le dit, c'est l'INSEE. Le rapport établi par l'INSEE vient de montrer que 4 % seulement des employeurs se servent des aides pour embaucher. Alors moi je dis, les autres, ils s'en servent pour quoi faire, si ce n'est pour améliorer la trésorerie des entreprises ? Ce que nous répétons depuis des années. Et la preuve reste à faire que la politique d'allégement des charges, telle qu'elle a été pratiquée par le Gouvernement, aboutit à créer des emplois. Le président de la République vient de faire une déclaration intéressante. Il a dit : les droits acquis n'ont pas que du mauvais. Eh bien moi je dis que non seulement ils n'ont pas que du mauvais, mais ils représentent le socle de ce qu'il reste de cohésion sociale dans ce pays. Sauf que ça, c'est bien beau de le dire dans une déclaration, mais il ne faut pas que ça s'accompagne d'une politique qui, quotidiennement, cherche à remettre en cause les droits acquis.

M. Cotta : Qu'est-ce que vous allez dire au patronat ? Vous le rencontrez vendredi avec les autres syndicats. Au programme, le premier point, c'est la réduction du temps de travail sans réduction de salaire.

L. Viannet : Ce que je souhaite, c'est que, comme peuvent le laisser penser certaines déclarations, tous les syndicats se retrouvent autour de cette exigence parce que je ne prétends pas que la réduction de la durée du travail soit la seule mesure nécessaire pour relancer une dynamique de création d'emplois, mais elle est indispensable et nous posons avec force le problème des 35 heures par semaine sans réduction de salaire.

M. Cotta : Non, vous allez même plus loin puisque vous dites 35 heures, c'est le socle de référence pour tout le monde, mais on peut, dans certaines branches, négocier jusqu'à 30. Est-ce que vous ne chargez pas un peu la barque ?

L. Viannet : Non, non, non, nous ne chargeons pas la barque. Il suffit de regarder premièrement l'augmentation de la productivité qu'a connue ce pays, deuxièmement, le niveau des profits de la plupart des grandes entreprises et les bilans qui sont quelquefois présentés en baisse ne font que traduire l'énormité des sommes accumulées en prévision des plans de suppressions d'emplois pour 1996.

M. Cotta : Oui, mais ça n'est pas partout qu'il y a des profits. Donc vous pourriez dire : dans les branches où on peut, on négocie, les autres non.

L. Viannet : 1 200 milliards de profits en 1994. Nous n'avons pas les chiffres globaux pour 1995. Je crois que oui, la crise est dure pour tout Je monde mais quand même, il y a des gens qui se remplissent les poches.

M. Cotta : Vous avez chiffré le nombre d'emplois qui seraient créés si on passe aux 35 heures ?

L. Viannet : Tout dépend des conditions dans lesquelles on passe. Mais si véritablement on prend de front l'ensemble des problèmes qui se posent, c'est-à-dire si on va à la réduction de la durée du travail, si on s'attaque au problème scandaleux que constitue la persistance des heures supplémentaires alors que nous allons à nouveau dépasser très largement les trois millions de chômeurs, c'est des centaines de milliers d'emplois qu'on peut créer vite.

M. Cotta : Vous avez reçu, avez-vous révélé, une lettre de la CFDT qui vous propose une rencontre. Vous ne lui en voulez pas après le mouvement de décembre à N. Notat ?

L. Viannet : Nous avons des différences d'appréciation, c'est évident. La politique et la stratégie de la CGT est très claire. Nous avons besoin du plus grand rassemblement possible pour peser sur les décisions du patronat et les choix du Gouvernement, et la perception de cette nécessité nous conduit à travailler avec acharnement pour réaliser l'unité d'action la plus large avec la CFDT, avec FO, avec la CFTC, la CGC, les enseignants, avec toutes les organisations syndicales.


L'Humanité : 20 mars 1996

France-Télécom : un sale coup pour la France

En annonçant le changement de statut de France Télécom, dans le prolongement du projet de loi de déréglementation, le gouvernement tente un véritable passage en force pour satisfaire les appétits des grands de la finance qui piaffent d'impatience devant les perspectives de profits qu'ouvre la privatisation même partielle, dans un premier temps, d'une activité aussi rentable que celle des Télécommunications.

L'accumulation de contre-vérités qui jalonnent les déclarations officielles confirme qu'un mauvais dossier est toujours difficile à plaider. Il en est ainsi des discours sur le maintien de l'opérateur public, de l'attachement au service public, alors que déréglementation et changement de statut vont progressivement réduire le service public à la portion congrue sur les créneaux les moins rentables, tandis que les activités juteuses seraient, non pas soumises mais tout simplement livrées à la concurrence.

Dans le même temps, les grands mastodontes privés spéculent déjà sur les profils à venir.

Affirmer que la concurrence stimule le marché, en oubliant tous les succès remportés par le monopole public, c'est tromper volontairement l'opinion.

Ce que porte le projet gouvernemental :

– la hausse de tarifs pour les simples usagers, la fin de la péréquation tarifaire nécessaire pour l'égalité d'accès ;
– de lourdes conséquences pour l'aménagement du territoire, pour l'emploi, les droits et garanties des personnels.

Le changement de statut envisagé porte en germe toutes ces lourdes conséquences, tandis que la liquidation du monopole public, prévue dans la loi de déréglementation, va, très vite, asphyxier le service public à l'avantage des grandes multinationales.

L'heure est grave et la mobilisation indispensable.

Solidaire des propositions d'action unie, déjà faites par la Fédération CGT des PTT, la CGT prend toutes dispositions pour élargir la mobilisation à l'ensemble des usagers et favoriser la convergence de la lutte indispensable pour imposer le retrait du projet.

C'est un combat d'importance qui est maintenant engagé, dans lequel la CGT saura, à tous les niveaux, tenir toute sa place.


L'Hebdo de l'actualité sociale : 30 mars 1996

L'Hebdo : Pour le moment, encore une fois, le social reste sur la touche. Qu'attendez-vous de cette conférence ?

L. Viannet : Cette conférence s'ouvre alors qu'en Europe les signes d'une mauvaise santé s'accumulent et que les risques de crise sont réels. On ne doit jamais oublier que l'on compte maintenant 20 millions de chômeurs et 55 millions de personnes en dessous du seuil de pauvreté. Et il n'y aura pas de perspectives d'améliorations tant que subsisteront les données sur lesquelles se fonde cette construction. Quel que soit le pays, l'emploi n'est prioritaire que dans les mots. Dans les faits, c'est la recherche de la rentabilité par tous les moyens qui domine : la dérégulation, la déréglementation, la privatisation des secteurs publics sur fond de domination absolue des marchés financiers. Aussi, comment s'étonner que « le social », c'est-à-dire la prise en compte des intérêts des salariés, des retraités et des chômeurs, soit aux abonnés absents. Par quelle miraculeuse vertu les employeurs pourraient-ils proposer au niveau européen ce qu'ils combattent ou refusent au plan national ?

Ce qui intéresse avant tout les grandes banques, les groupes industriels ou financiers, c'est de pouvoir jouer à fond la concurrence. Entre pays, entre régions et vraiment, ils ne s'en privent pas.

Au fur et à mesure que se précisent des échéances fortes, telles que la perspective de choix pour la monnaie ou l'élargissement de la construction européenne aux pays d'Europe centrale et orientale, se posent des questions essentielles sur la place et le sens de cette construction européenne. Va-t-elle devenir un instrument de mondialisation de l'économie sous l'égide des grandes féodalités financières, sur fond de libéralisme débridé, ou parviendra-t-on, luttes populaires à l'appui, à en faire un instrument de construction d'une communauté basée sur des coopérations, la mise en œuvre de projets communs mutuellement avantageux, des solidarités qui intègrent le respect des identités et des valeurs nationales pour mieux conjuguer construction européenne et prise en compte des intérêts nationaux ? Les enjeux sont donc considérables.

L'Hebdo : Avec l'élargissement aux Peco ne risque-t-on pas un nouveau dumping social, comme ce fut le cas avec l'entrée de l'Espagne, du Portugal et de la Grèce ?

L. Viannet : L'enjeu d'un tel choix va bien au-delà des problèmes de dumping social. En réalité, il s'agit de savoir si on en reste à une construction européenne telle qu'elle a été conçue en 1957, alors que prédominait la politique des blocs, ou si l'on s'engage dans une construction européenne qui contribuera à assurer la paix.

La recherche de la monnaie unique ne va pas dans ce sens. Sans doute faut-il viser à une meilleure stabilité monétaire et se protéger de ce qu'on appelle les dévaluations compétitives, mais, dès lors que cette monnaie unique doit, dans l'esprit des dirigeants allemands, ressembler au mark comme une goutte d'eau, rien ne va plus. Les conditions imposées aux différents pays pour y parvenir sont à ce point draconiennes que l'on cherche à nous convaincre de la nécessité d'en passer par une première étape où se retrouveraient cinq ou six pays seulement dans un « noyau dur ». Alors, les risques d'une déstabilisation générale en Europe peuvent devenir énormes pour les monnaies, pour les retombées sociales et pour l'unité nationale des États. Dans certains pays, certaines régions plus riches que d'autres pourraient être, en effet, sollicitées pour rechercher une intégration plus rapide dans ce « noyau dur », avec les risques de confrontations, voire d'éclatements qui pourraient en résulter. Enfin, plus grave encore, une construction européenne débouchant sur un « noyau dur », dont les décisions, de gré ou de fait, s'imposeraient à tout le monde, pourrait entraîner des conséquences lourdes. Construire une Europe élargie basée sur la coopération, des projets communs, des échanges et des accords mutuellement avantageux, c'est refuser la domination arbitraire du marché, le dogme de la mise en concurrence des salariés. C'est imposer le respect des diversités et des choix démocratiques des différents peuples. Cela implique de revenir sur l'acte unique lui-même, faute de quoi on ouvre un boulevard à tous les populismes, les nationalismes et les racismes qui fleurissent déjà sur le terreau des inégalités actuelles.

L'Hebdo : Concrètement, si on prend les grands réseaux, peut-on établir ce type de coopérations tout en conservant un « service public à la française » ?

L. Viannet : La CGT est opposée à une Europe où les grands imposeraient leur loi à tous. Partir des besoins des peuples, forcément différents d'un pays à l'autre, c'est admettre l'idée que personne n'a de modèle à imposer aux autres. C'est notre conception. Aucune injonction ne doit venir perturber les décisions démocratiquement élaborées dans les différents pays.

Les services publics en France sont différents de ceux de l'Allemagne, de l'Italie ou de la Grande Bretagne, ils occupent une place stratégique dans l'équilibre national. Il n'est plus possible d'accepter des discours sur les « services publics à la française » pendant que tombent des directives qui accélèrent la déréglementation de l'énergie, de La Poste, de l'audiovisuel, des télécom, des transports et que l'on décide de mettre à mort les derniers monopoles publics qui seraient, paraît-il, des obstacles à une saine concurrence. On veut nous faire accepter la disparition des monopoles publics alors que des monopoles privés sont en train de se constituer et n'attendent que les textes de loi pour mettre la main sur les grands réseaux de transport et de communication.

L'Hebdo : Le privé est-il toujours synonyme d'inefficacité ?

L. Viannet : Ça ne se pose pas en termes d'efficacité, mais en termes de conception. Les services publics sont là pour répondre aux besoins et doivent mettre les usagers à égalité d'accès quelle que soit leur situation, pratiquer la péréquation tarifaire pour permettre que les activités rentables aident au financement des activités coûteuses. C'est tout cela que la notion de « service universel » fait disparaître au profit d'un service minima. Resteraient à la charge du service public des activités minima dont on admet a priori qu'elles ne seront pas rentables mais au contraire qu'elles coûteront de l'argent. Les activités juteuses sont laissées aux groupes privés. Très vite le service public ne sera même plus en situation d'assumer ces missions là. Pratiquement, les monopoles privés mettront la main sur l'ensemble des activités. Le gouvernement doit donc s'opposer à la dérive actuelle, imposer le respect de la souve­raineté nationale en matière de service public. Exiger que l'Union fasse le bilan des dégâts déjà causés par la déréglementation en Europe.

L'Hebdo : Votre idée du service public est souvent taxée d'archaïque ...

L. Viannet : ... Et si c'était l'inverse ? Si c'était en jouant à fond la carte d'un secteur public, qui a fait la preuve de son efficacité, qu'on contribuait le plus à assurer un développement européen, qui permettrait de résister à la pression des multinationales américaines et japonaises sur les créneaux les plus performants. Un service public pour le développement des différentes nations en tablant sur la démocratie et les potentialités, les ressources des femmes et des hommes.

L'Hebdo : À condition de doter l'Union d'un vrai volet social ?

L. Viannet : Certainement. Pour le moment, l'Europe sociale c'est l'arlésienne. Le moment est venu de mettre en évidence l'antinomie entre le besoin de droits pour les salariés et une construction européenne conçue pour lever toutes les contraintes. Exiger que le droit national prime le droit communautaire est légitime. Cela ne nous empêche pas de voir, chaque jour, notre droit national amputé par le gouvernement français.

Plus nous parviendrons à imposer des garanties au niveau européen plus nous serons forts pour défendre et étendre les acquis nationaux. Il y a une complémentarité entre les deux parce que réciproquement, plus sera forte la pression des salariés dans chacun des pays pour défendre et élargir leurs droits, plus nous pourrons imposer des garanties de niveau élevé au plan européen.

La réponse n'est pas dans l'introduction d'une « charte » ou « d'actes » qui sont évoqués pour mémoire dans les traités. Ce n'est que poudre aux yeux. Dans les mots, la charte sociale existe depuis 1989, qu'a-t-elle donné ? Rien. En revanche, il y a besoin d'une démarche de rupture avec la problématique de droits minima soumis à la régulation du marché. Car il est illusoire d'espérer construire un droit européen en lieu et place de droits nationaux qui seraient écrasés et bafoués.

Il s'agit donc d'édifier un système de droits fondamentaux qui ne viendront pas supplanter les droits nationaux mais qui viendront s'y ajouter chaque fois que le besoin s'en fera sentir. Sans effet s'ils sont inférieurs mais jouant leur rôle s'ils sont meilleurs. On voit bien que tout cela exige une construction européenne d'un autre contenu démocratique, d'une réelle transparence, condition sans laquelle il ne peut y avoir qu'indifférence des peuples et, à terme, risque de rejet profond.

L'Hebdo : Ces ambitions confèrent de grandes responsabilités aux syndicats. Sont-ils en capacité de faire face ?

L. Viannet : En fait, les syndicats ont à rechercher une efficacité pour leurs interventions aussi bien au plan national qu'européen. Aux deux niveaux le besoin de rechercher des convergences revendicatives importantes se ressent. La mise en place des comités de groupes européens peut y contribuer. Car dans son pays, chacun constate que les groupes industriels ont une stratégie que l'on retrouve partout. Nous nous félicitons des contacts que nous avons avec les différents syndicats européens, mais nous sommes préoccupés par les difficultés de la Confédération européenne des syndicats (CES) à trouver des formes d'initiatives qui lui permettent de peser à la hauteur de ce qu'elle représente. C'est une grande question qui mérite que l'on en débatte dans les mois et les années à venir.

L'Hebdo : Cette carence est-elle le produit de problèmes d'organisation, de divergences politiques internes ?

L. Viannet : Non. Je ne pense pas que la CES puisse croire que les solutions aux problèmes posés au monde du travail, au plan européen dépendent du simple jeu de la concertation et de la négociation avec le patronat. Par ce qu'elle représente, par la force qu'elle est en mesure de mettre en mouvement, s'il y a accord de toutes les organisations qui la composent, la CES a vocation à devenir un interlocuteur social d'une efficacité redoutable.

L'Hebdo : Pour donner de l'ampleur aux ripostes des salariés quels sont, dans la CES, les alliés potentiels de la CGT ?

L. Viannet : L'allié le plus sûr dans cette recherche, c'est le poids des réalités. Il joue pour tous et dans tous les pays. Toutes les forces syndicales sont confrontées à des problèmes lourds sur l'emploi, les conditions de travail et de vie. La situation exige une intervention très énergique du syndicalisme européen. Dans chacun des pays, les gouvernements regardent les autres en considérant que c'est à eux de créer les conditions de la relance d'une croissance. Mais chacun à l'intérieur de son pays reste accroché à la réduction des dépenses publiques, à la baisse des coûts salariaux. C'est cela qu'il faut faire bouger.

À des niveaux divers, la CGT a de très bons contacts avec pratiquement toutes les organisations européennes, Dans les prochains mois, la CES va débattre de l'entrée, dans ses rangs, de notre confédération. Je ne préjuge pas de la décision. Nous voulons y entrer avec l'objectif d'apporter notre pierre à la recherche de convergences revendicatives, à la réussite d'initiatives.

À ce sujet, je regrette que le rassemblement de Turin ne soit pas allé à son aboutissement. Mais il faudra bien en venir à une nouvelle initiative de mobilisation des salariés au niveau européen.