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Berlin, le 3 juin, a permis à l'Alliance atlantique de sauter le pas d'une profonde rénovation. Bruxelles confirmera cette semaine cette impulsion décisive : les seize ministres de la défense, pour la première fois, et à l'initiative de la France, se réunissent, le 13 juin, à Bruxelles, en formation de conseil, la plus haute Instance décisionnelle prévue par le traité de Washington, qui ne réunissait, jusqu'à présent, que les ministres des affaires étrangères. Ils devront, en effet, commencer la mise en œuvre des orientations fixées à Berlin. Nous avons six mois devant nous pour passer de la théorie à la pratique.
D'ici quelques années, la France et l'Europe disposeront de tous les instruments nécessaires à une meilleure prise en charge des crises. Plus d'efficacité, plus d'Europe : voici un progrès pour la sécurité européenne. Comment ne pas s'en féliciter ?
À mes yeux, les décisions, volontaires et fortes, prises par la France le 5 décembre 1995, en annonçant sa volonté de participer pleinement au comité militaire, de permettre au ministre de la défense de se joindre aux réunions de ses collègues et de renforcer les relations avec les commandements de l'OTAN, ont grandement facilité la réalisation d'un consensus entre Européens et Américains.
Chacun reconnaît désormais la nécessité de faire de l'identité européenne de défense un élément central de la rénovation de l'Alliance atlantique, celle-ci se trouvant, du même coup, accélérée. Ce sujet a ainsi été immédiatement placé au centre des délibérations de l'OTAN. L'impulsion donnée par le président de la République et la compréhension active du président Clinton ont permis de surmonter les inerties et les conservatismes. Une véritable réforme de l'Alliance atlantique destinée à la consolider et à l'adapter au nouveau contexte européen est désormais possible.
Mon collègue des affaires étrangères a récemment donné les raisons politiques qui expliquent notre démarche (Le Monde daté 2-3 juin). Elle met l'accent sur la relation étroite entre notre démarche européenne et notre politique vis-à-vis de l'OTAN. L'affirmation d'une identité européenne de défense est l'un des éléments majeurs de la rénovation de l'OTAN. La possibilité de recourir à des moyens de l'Alliance atlantique et de ses pays membres conforte les capacités européennes de gestion de crise. La rénovation de l'OTAN conditionne son élargissement futur. L'étroite cohérence entre la formation de l'identité européenne de sécurité et de défense et la pérennité d'une organisation atlantique est la meilleure façon d'établir solidement une sécurité européenne stable. Loin d'être incompatibles, ces deux enjeux sont interdépendants.
Le lien est également fort entre cette démarche et les réformes engagées en France depuis le mois de février. Le nouveau modèle d'armée, la loi de programmation militaire adoptée il y a quelques jours, à l'Assemblée nationale, viennent à l'appui de nos solidarités et de nos engagements pour la sécurité de l'Europe : en témoignent l'accent mis sur des capacités de projection de puissance adaptées au nouvel environnement de la défense européenne, la priorité donnée au renseignement et à la prévention, avec les programmes spatiaux au service d'une capacité européenne nouvelle, la réalisation de moyens de commandement et d'action de nouvelle génération, interopérables avec nos alliés, et bien entendu, notre volonté de concertation dans le domaine nucléaire. Ces réformes donneront à notre instrument militaire souplesse et efficacité.
Quels sont concrètement les résultats de Berlin, du point de vue de la défense ?
Pour la première fois, apparaît la possibilité d'un meilleur partage des responsabilités. Les Européens pourront remplir eux-mêmes certaines missions d'une façon harmonisée avec le système de coopération militaire mis en place au sein de l'alliance. Ainsi, pourront-ils mener des opérations en utilisant les moyens de l'OTAN sous le contrôle politique et la direction stratégique de l'UEO. À cette fin, le communiqué de Berlin prévoit trois principes :
– l'identification préalable des moyens de l'OTAN qui seraient mis à la disposition des Européens ;
– la définition des arrangements nécessaires pour actionner une chaîne de commandement européenne, indispensable à la conduite des opérations placées sous la responsabilité de l'UEO ;
– la planification et l'entraînement des éléments ainsi pré-identifiés dès le temps de paix.
Ces décisions ne marquent en aucune façon un désengagement américain. Elles permettent, pour reprendre l'expression du secrétaire d'État des États-Unis, M. Christopher, « aux Européens de prendre encore plus de responsabilité dans l'alliance, tout en maintenant le lien vital » entre les États-Unis et l'Europe.
Beaucoup reste encore à faire cependant ! Il nous faut maintenant traduire les principes de Berlin dans la réalité des structures et des procédures de l'OTAN. D'où l'importance de la réunion du 13 juin.
Concrètement, il s'agira, dans les mois à venir, de s'assurer de la cohérence des trois directions tracées à Berlin :
– la mise en œuvre des GPIM (groupes de forces interarmées multinationales), un des moyens pratiques pour permettre aux Européens d'utiliser des capacités de l'alliance ; il faut, désormais, leur donner vie en précisant les modalités concrètes de leur mise en œuvre, en prévoyant très vite la planification et les exercices indispensables pour s'assurer de leur efficacité ;
– l'identification des moyens nécessaires aux Européens, la désignation des responsables militaires à « double casquette », c'est-à-dire assumant, à tous les niveaux de l'Alliance, une fonction européenne additionnelle et susceptibles de conduire les opérations placées sous la responsabilité de l'UEO ; il faut également faire l'état réel des capacités opérationnelles européennes, et des lacunes à combler ;
– l'adaptation des futures structures militaires de l'OTAN.
Un travail a été engagé depuis plus de six mois par le comité militaire de l'alliance, qui a pour objet de dessiner les contours des futures structures militaires de l'OTAN rénovée. Cette « étude à long terme » devra permettre d'alléger l'organisation militaire, ainsi que de l'adapter à ses nouvelles missions de gestion de crises, tout en faisant, à chaque pays membre, la place qui lui revient. Pour cela, l'alliance devra faire preuve d'imagination et d'audace, en secouant quelque peu les habitudes prises. Il s'agit donc bien d'une réforme globale : les mois à venir seront particulièrement chargés si nous voulons aboutir avant les réunions ministérielles de l'OTAN de décembre prochain.
Il conviendra de veiller à la convergence des propositions qui seront faites dans ces trois domaines, pour que les réunions de décembre permettent effectivement de définir une organisation militaire rénovée, apte à faire face aux défis de l'après-guerre froide.
L'affirmation d'une identité européenne de défense est l'un des éléments majeurs de la rénovation de l'OTAN.
Cette réforme globale demandera, c'est l'évidence, plusieurs mois, voire davantage, pour être mise en œuvre de haut en bas. L'enjeu est effectivement de taille. La France, bien sûr, y travaillera pleinement. La réunion du Conseil atlantique du mois de décembre sera la prochaine étape importante. C'est en fonction du succès des travaux accomplis, d'ici là, que la France pourra alors prendre les décisions qui s'imposeront, concernant sa pleine participation à un système d'alliance profondément rénové qui permettra à l'identité européenne de s'affirmer. Loin d'un retour au passé, c'est d'un nouveau départ qu'il s'agira. Ne nous trompons pas, c'est un événement majeur pour l'Europe et pour l'alliance, mais aussi pour notre capacité à faire face aux défis futurs. S'il est concrétisé, le choix de Berlin viendra élargir nos options. La France savait, jusqu'ici, monter des opérations de gestion des crises seule, ou le cas échéant, en coalition. En revanche, si elle affichait toujours, avec ses partenaires européens, son choix européen, force était de constater que les moyens manquaient pour que l'Union européenne de l'UEO puisse jouer tout le rôle qui lui revient en matière stratégique et militaire. Quant à l'organisation atlantique, la France ne pouvait l'aborder qu'avec une certaine distance, du fait même qu'elle ne permettait pas vraiment l'identification de l'Europe en son sein. Aujourd'hui, ces malentendus semblent dépassés.
Berlin fonde une alliance nouvelle. C'est un grand succès pour l'Europe que nous construisons, et pour les européens qui aspirent à nous rejoindre. C'est aussi un succès pour notre partenariat avec les États-Unis, dont le président a su reconnaître que l'affirmation d'une identité européenne dans l'alliance était le meilleur moyen d'assurer la pérennité de celle-ci. Les conditions nouvelles de la sécurité européenne ne laissaient aucune chance au statut que ma conviction est que Berlin a donné à la relation transatlantique le souffle nouveau qu'appelaient les bouleversements géostratégiques qu'a connus l'Europe ces dernières années.