Texte intégral
Désarmement nucléaire
Q. : On ne peut pas dire que la série d'essais donne une image très positive de la France, au moment même où l'on commémore le bombardement de Nagasaki et d'Hiroshima.
R. : C'est parce que l'on oublie ce qu'a fait la France en faveur du désarmement ! Je rappellerai à ceux qui la critiquent que la France a procédé unilatéralement à une réduction de 15 % de ses têtes nucléaires entre 1991 et 1995, alors même que notre pays n'a jamais participé au surarmement nucléaire. Et je pourrais citer de nombreux exemples de la mobilisation constante de la France en faveur du désarmement.
Désarmement conventionnel et chimique
Q. : Lesquels ?
R. : Dans le domaine des armes conventionnelles, la France a pris toute sa part à la convention sur la réduction des forces conventionnelles en Europe. Une conférence se tiendra en mai 1996 pour examiner la mise en œuvre de cet accord, et devra permettre de parvenir à de nouveaux progrès.
En ce qui concerne les armes chimiques, la convention d'interdiction de ces armes en 1992 constitue une avancée majeure. La France est à ce jour le seul membre permanent du Conseil de sécurité à avoir ratifié cet accord, et je souhaite vivement qu'elle soit suivie dans les mois qui viennent par les autres pays concernés.
Mines antipersonnel (production française interdite et destruction des stocks existants)
Q. : Il y a également, dans le cadre du processus de désarmement, la question de ces armes particulièrement meurtrières que sont les mines antipersonnel. Que fait la France à ce sujet ?
R. : On évalue en effet à 10 000 personnes par an le nombre de tués et à 100 000 le nombre de mutilés à vie du fait de ces armes, peu coûteuses et particulièrement sournoises. Cette situation ne peut que susciter l'indignation.
La présence de ces mines, en dehors même des drames humains qu'elles causent, entrave pendant des années la reconstruction des pays en guerre, handicape l'agriculture, restreint les réseaux de transport.
La France est particulièrement mobilisée dans ce domaine. Elle a en 1993 décrété un moratoire unilatéral sur l'exportation de ces mines. Mais il faut aller plus loin, et c'est pourquoi je vous confirme que notre pays a décidé de s'interdire la production même de ces mines, et qu'elle va détruire le stock qu'il détient actuellement.
Une conférence internationale se déroule d'ailleurs en ce moment à Vienne sur les armes dites « traumatisantes » avec la participation de 52 États : la France invite donc tous les pays producteurs à limiter et à interdire la fabrication de ces armes.
Relations internationales (pacification - TNP)
Q. : Mais pensez-vous vraiment que tout cela arrivera à effacer l'impression déplorable laissée par la reprise des essais nucléaires français ? L'image de la France est désormais brouillée, et son discours de paix perd de sa force auprès de la communauté internationale.
R. : S'il faut un argument supplémentaire pour souligner la contribution éminente de la France à la pacification des relations internationales, il me suffira de citer l'adhésion de notre pays au traité de non-prolifération nucléaire, traité qui a été révisé et prorogé en 1995 lors de la conférence de New-York. La France appelle les États qui ne l'ont pas encore fait à adhérer à cette convention sans plus attendre.
CTBT (Complete Test Ban Treaty - Traité d'interdiction complète des essais nucléaires)
En outre, la France s'est engagée à faire aboutir avant l'automne 1996 la négociation sur l'interdiction complète des essais nucléaires dans le monde. Le futur traité, actuellement négocié à Genève, devra concerner toutes les puissances nucléaires sans exception.
Rwanda
Q. : Les essais nucléaires ne constituent pas le seul thème de controverse actuel en ce qui concerne la politique étrangère française. Vous avez été vivement pris à partie, sur la politique française au Rwanda : on a accusé la France de partialité dans le drame rwandais, voire de porter une part de responsabilité dans le déroulement des événements.
R. : Ces accusations sont tout à fait infondées ! Au contraire, la France souhaite que la situation dans l'Afrique du Grands Lacs soit l'occasion de développer une diplomatie préventive efficace et respectueuse de toutes les parties. En effet, depuis l'assassinat du président burundais, M Ndayayé, et la tragédie sans précédent qui a frappé le Rwanda, cette région est profondément déstabilisée. Plus de deux millions de Burundais et de Rwandais vivent à l'extérieur de leur pays d'origine, avec les drames humains que cela suppose et les difficultés pour les États d'accueil que cela entraîne. Un climat d'insécurité et de peur entretient tous les extrémismes, la suspicion règne entre les acteurs politiques, et le risque de nouveaux drames demeure.
Pacte de sécurité (Conférence sur la paix dans l'Afrique des Grands Lacs)
Q. : Il faut donc agir vite.
R. : C'est certain. Tout cela nous fait obligation de trouver rapidement une réponse politique globale, sous la forme d'une conférence régionale sur la paix et la sécurité dans l'Afrique des Grands Lacs, qui doit aboutir à un véritable « pacte de stabilité » pour cette partie du continent africain. La France se réjouit qu'un envoyé spécial du Secrétaire général ait été récemment nommé. La communauté internationale doit appuyer ces efforts de paix, et doit contribuer simultanément à consolider la stabilité par un appui économique et financier approprié.
Q. : Concrètement, quel sera le contenu de ce « pacte de stabilité » ? Il ne suffit pas de décréter la cessation des conflits pour que les tensions s'apaisent spontanément.
R. : Cette conférence doit être préparée sérieusement et avec la participation active des États intéressés. Trois éléments très concrets devront être discutés :
– d'abord, l'adoption de principes pour le retour des réfugiés et la réconciliation nationale, ainsi que l'engagement des États de ne tolérer sur leur territoire aucune activité hostile à leurs voisins ;
– ensuite, la conclusion d'accords bi ou multilatéraux entre les États concernés pour consacrer et traduire dans les faits ces principes et engagements ;
– enfin, l'organisation d'un mécanisme de suivi, sous l'égide du Conseil de sécurité. Ce troisième élément montre d'ailleurs tout l'intérêt que la France porte à l'ONU pour la gestion de ce type de crises.
ONU (apport à la paix, image dégradée)
Q. : Vous avez souligné, lors de votre discours à l'Assemblée générale des Nations unies, l'apport de l'ONU à la paix internationale depuis 1945 et l'intensification de son activité diplomatique multilatérale depuis quelques années. N'est-ce pas passer sous silence ses échecs récents ? Car enfin, on peut difficilement nier que l'image de l'Organisation s'est considérablement dégradée ces derniers temps : son inaction et ses insuffisances ont été dénoncées à de multiples reprises.
R. : C'est vrai. Nous avons assisté, impuissants, à des tragédies insoutenables, à des opérations honteuses « d'épuration ethnique », à des crimes contre l'humanité, que la communauté internationale n'a pas su empêcher, devant lesquels elle est restée inerte.
Action humanitaire (opération militaire)
Q. : Quelles conclusions faut-il en tirer, selon vous ?
R. : Tout cela montre le danger qu'il y a à confondre l'assistance humanitaire et l'engagement militaire, et le risque encouru lorsque le mandat du Conseil de sécurité manque de clarté, de cohérence. L'ONU doit donc avant tout se faire respecter lorsqu'elle intervient sur le terrain. Que l'on me comprenne bien : il n'est pas question de remettre ici en cause l'œuvre considérable de l'Organisation depuis la fin de la guerre froide : l'ONU a accompli une œuvre remarquable dans de nombreux pays, souvent dans des conditions difficiles et dans le cadre de conflits complexes, notamment en Namibie, au Cambodge, au Mozambique, en Haïti, ou encore au Salvador. En Somalie, l'ONU a sauvé des milliers de vies. Son intervention en ex-Yougoslavie a permis d'éviter la propagation du conflit à la Macédoine, et a assuré durant trois ans la survie des populations dans les zones de sécurité, notamment à Sarajevo.
FORPRONU (soldats humiliés)
Mais l'on ne soulignera jamais assez l'effet dévastateur produit par la vision de Casques bleus de la FORPRONU pris en otage, au printemps dernier, enchaînés, humiliés dans leur dignité d'hommes et de soldats. En Somalie, au Rwanda avant l'opération « Turquoise », en ex-Yougoslavie depuis le début du conflit, les soldats de l'ONU se sont trouvés dans des situations que l'ONU a acceptées alors que jamais les États membres ne les auraient tolérées pour eux-mêmes : comment s'étonner que l'image de l'Organisation en pâtisse ?
Q. : Cependant, la France est membre permanent du Conseil de sécurité. Elle joue depuis le début du conflit un rôle important. L'échec de l'ONU en ex-Yougoslavie n'est-il pas aussi l'échec de sa propre diplomatie ?
Force de réaction rapide (FRR)
R. : C'est en tirant les leçons de l'impuissance de la politique passée que la France a décidé d'agir enfin : la France a suggéré au printemps dernier un changement d'attitude et de politique, avec la création d'une Force de réaction rapide, puissamment armée.
OTAN (engagement en ex-Yougoslavie)
Nous avons engagé avec l'OTAN une action décisive pour la levée du siège de Sarajevo. Nous avons placé, enfin, la force au service du droit. Nous avons permis à l'ONU d'être de nouveau respectée par toutes les parties...
Tribunal pénal international (TPI)
Q. : En même temps, le plan de paix, c'est l'impunité garantie pour les responsables des atrocités commises pendant la guerre.
R. : Certainement pas ! Ceux qui ont choisi de bafouer le droit et qui ont commis les crimes que l'on sait en seront tenus individuellement responsables ! Le Tribunal pénal international, dont la France a proposé la création en 1992, doit exercer la plénitude de sa juridiction.
ONU (réformes)
Q. : Vous avez parlé, à propos de l'ex-Yougoslavie, de la nécessité pour l'ONU de se faire davantage respecter dans ses opérations sur le terrain et de la responsabilité du Conseil de sécurité en ce domaine. Mais est-ce bien suffisant pour restaurer l'image de l'Organisation, ne faut-il pas aller plus loin ?
R. : La France souhaite en effet que les Nations unies soient plus fortes et respectées, mais il faut aussi que l'ONU se réforme et s'adapte au monde nouveau issu de la Guerre froide. C'est là un impératif au moment de ce cinquantième anniversaire.
Q. : Justement, quelle est la position de la France sur les projets de réforme des institutions de l'ONU ?
R. : Je voudrais souligner en particulier trois aspects, qui me semblent essentiels pour améliorer l'efficacité de l'Organisation et l'adapter aux défis du prochain siècle : la réforme du Conseil de sécurité, la résolution des très graves difficultés financières des Nations unies, et l'amélioration de l'efficacité des opérations de maintien de la paix.
Conseil de sécurité (entrée de l'Allemagne, du Japon et de grands États)
Si l'on commence par la réforme du Conseil de sécurité, qui est un thème si important au moment où les responsabilités de cet organe s'accroissent au rythme de la multiplication des conflits dans le monde, la France souhaite parvenir à une amélioration durable de sa représentativité, par le biais d'une augmentation raisonnable du nombre de ses membres.
Q. : Cela passe-t-il par l'accueil de l'Allemagne et du Japon comme membres permanents ?
R. : Oui, la France soutient sans réserves l'entrée de ces deux pays dans le Conseil de sécurité, mais souhaite aussi élargir les membres permanents aux grands États du monde en développement. Il est souhaitable, simultanément, que le Conseil s'ouvre à de nouveaux membres non permanents. Il faudra dans le cadre de cette réforme concilier la recherche de la légitimité du Conseil de sécurité et le maintien de son efficacité.
ONU (financement)
Q. : Le financement de l'ONU constitue un autre impératif. L'Organisation, avec des arriérés de plus de 3,4 milliards de dollars dans le paiement des contributions, est au bord de la faillite.
R. : Oui. Il faut que cette question débouche dans les tous prochains mois. Il en va de la survie même de l'Organisation et de la pérennité de ses missions.
Q. : Le problème est pourtant simple à identifier : tout le monde sait bien que les États-Unis sont de loin les principaux débiteurs de l'Organisation.
R. : En effet. Il faut être honnête et dire les choses telles qu'elles sont. L'Organisation ne peut plus se consacrer sereinement à ces missions en raison de cette crise financière. Toute décision en ce domaine dépendra en fait de la réponse donnée à la demande des États-Unis de voir réduire leur quote-part au budget des opérations de maintien de la paix. Or, la France, je ne chercherai pas à le dissimuler, éprouve des doutes réels sur la légitimité de cette revendication. Quoi qu'il en soit, la France est prête, dans l'intérêt supérieur de l'ONU, à examiner cette question sans a priori. Elle y met cependant trois conditions impératives :
– premièrement, tout nouveau barème devra respecter fidèlement la capacité de paiement des pays ;
– deuxièmement, il faudra, pour repartir sur des bases saines, que tous les arriérés soient réglés ;
– troisièmement, des sanctions automatiques contre les mauvais payeurs doivent être mises en oeuvre pour éviter toute répétition de la crise actuelle. Mais les difficultés financières n'expliquent pas tout : il faut aussi – et c'est mon troisième point – améliorer l'efficacité des opérations de maintien de la paix.
ONU (nécessité d'une capacité d'intervention rapide)
Q. : On entend beaucoup de propositions à ce sujet tirant les leçons des expériences de ces dernières années. Quelles sont les mesures que la France entend pour sa part proposer ?
R. : Il y a de nombreux aspects que l'on pourrait développer. Parmi eux, je citerai la nécessité de mettre sur pied des capacités d'intervention rapide, permettant de faire face aux urgences. Je citerai aussi le besoin d'améliorer le commandement des opérations et l'intérêt qui consiste à développer la diplomatie préventive.
La France, vous le savez, tient prêts des modules d'intervention rapide ayant un effectif total de 2 000 hommes, ainsi que des éléments d'état-major, susceptibles d'être déployés en quatre jours et une cellule de planification déployable en 48 heures.
Dans le domaine de la diplomatie préventive, le secrétaire général des Nations unies peut recourir pleinement aux personnalités, aux experts et aux moyens matériels que nous avons mis à sa disposition, avec l'Allemagne et le Royaume-Uni.