Interviews de M. Louis Viannet, secrétaire général de la CGT, dans "L'Hebdo de l'actualité sociale" du 2 mai 1997 et dans "Le Journal du dimanche" du 4, sur la volonté de la CGT d'exprimer ses revendications pendant et après la campagne électorale des élections législatives 1997.

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Circonstance : Elections législatives les 25 mai et 1er juin 1997

Média : L'Hebdo de l'actualité sociale - Le Journal du Dimanche

Texte intégral

Date : 2 mai 1997
Source : L’Hebdo de l’actualité sociale

Élection législatives
Les salariés veulent peser sur les décisions

L’Hebdo de l’actualité sociale : Pour quelle part le social a-t-il joué dans la décision du président de dissoudre l’Assemblée nationale ?

Louis Viannet : Il est difficile de définir la part exacte, mais il est certain que le social a pesé lourd dans cette décision. En dépit d’une majorité écrasante à l’Assemblée nationale, le Gouvernement avait de plus en plus de mal à faire accepter les réformes qu’il voulait imposer à la Nation. Depuis novembre-décembre 1995, le gouvernement n’est pas parvenu à modifier en profondeur le climat dans le pays. Les luttes sociales se sont faites plus nombreuses, plus tenaces, plus unitaires et le soutien qu’elles ont rencontré dans l’opinion publique ne s’est jamais démenti. À mon avis, l’écart grandit entre les aspirations dominantes des salariés, des retraités, des chômeurs et la politique menée.

L’Hebdo de l’actualité sociale : Les luttes disent-elles plus que ce qu’elles donnent à voir ?

Louis Viannet : Il y a les luttes et le soutien de l'opinion publique. Il s'est manifesté, y compris en faveur de conflits comme les transports urbains ou le Crédit foncier, dont on aurait pu penser qu'ils pouvaient laisser indifférents ou hostiles. C’est l’inverse qui s'est produit.

De plus, en prenant vie, les réformes ont provoqué des oppositions grandissantes. C'est le cas, par exemple, de la lutte des internes et des perspectives d'élargissement qu'elle a ouvertes. De même que la contestation des lois Debré et le soutien aux « sans-papiers ». Au total, cela montre que la politique du gouvernement n'avait la majorité qu'à l'Assemblée nationale.

L’Hebdo de l’actualité sociale : Ces élections peuvent-elles générer une nouvelle politique sociale ?

Louis Viannet : Sûrement pas si la majorité actuelle est reconduite. Je note la rapidité avec laquelle Jean Gandois a soutenu cette dissolution. Il en a été un des premiers supporters. Depuis, sans relâche, le CNPF énonce ses exigences afin que les réformes aillent plus loin et plus vite. Ensuite, je relève la pression internationale  exprimée bien avant la dissolution mais qui s'est intensifiée  en faveur d’une politique qui apporterait plus de rigueur, plus de privatisations.

En un mot, un champ toujours plus libre pour les féodalités financières.

Enfin, il y a le Gouvernement lui-même qui, non seulement ne veut pas changer de politique, mais réclame une nouvelle légitimité pour avoir les mains libres et poursuivre la même orientation en l'aggravant.

Nombre de conseillers économiques demandent de s'attaquer à quatre réformes essentielles : le déficit de la Sécurité sociale, la retraite, la réforme de l'État, le marché du travail. En fait, tous les axes sur lesquels le Gouvernement a essayé d'avancer et où il a rencontré une résistance incontestable.

L’Hebdo de l’actualité sociale : La CGT prédit de mauvais jours aux salariés ?

Louis Viannet : La priorité affirmée du gouvernement de réduire les dépenses publiques est une menace très lourde vis-à-vis des fonctionnaires d'abord, mais au-delà, toutes les dépenses sociales sont visées. Tous les salariés sont concernés car ce qui aux yeux du patronat coûte, tout ce qui finalement est utile pour répondre aux besoins des hommes et des femmes, est remis en cause.

Autre question, l'allégement des charges patronales. Une chose est certaine, elle va se poursuivre. Sur une situation du chômage très dégradée  chômage de longue durée et chômage des jeunes  les mêmes causes vont produire les mêmes effets.

Par ailleurs, refuser d'augmenter le pouvoir d'achat c'est maintenir une chape de plomb sur le développement économique. Alors qu'au contraire, la consommation aurait besoin d'air pur. Refuser de mettre en débat la réduction de la durée du travail sans perte de salaire, c'est se priver d'un élément clé pour favoriser les créations d’emploi. Ne rien faire pour peser sur la spéculation financière, c'est laisser en l'état le niveau des investissements. Ce qui handicape la relance de l'activité. C'est évident, toutes les grandes questions qui ont provoqué des luttes ces derniers mois vont persister avec encore plus d'acuité.

L’Hebdo de l’actualité sociale : À propos de la réduction du temps de travail, Alain Juppé se réjouit des effets de la loi de Robien et lui promet de beaux jours.

Louis Viannet : Je me réfère à la récente déclaration de Gilles de Robien qui dit « certains libéraux n'avaient pas vu dans cette loi un nouvel outil en faveur de la productivité des entreprises, ils sont maintenant moins critiques. » On ne pouvait pas donner de définition plus pertinente des effets de la loi de Robien. C'est vérifié maintes fois, cette loi facilite des opérations de suppressions d'emplois ou permet à des entreprises de récupérer des allégements de charges supplémentaires à bon compte. Le nombre de créations d'emplois résultant de cette loi a du mal à atteindre les dix mille. Pour ne rien dire de son coût réel.

L’Hebdo de l’actualité sociale : Pour les leaders de droite, réduire les déficits publics est le seul moyen de sortir du marasme.

Louis Viannet : En décidant d'imposer la réduction des déficits par la seule pression sur le nombre des fonctionnaires, sur le fonctionnement des services publics et sur les dépenses sociales, le Gouvernement annonce une attaque en règle. Déjà, en matière de privatisations, le CNPF laisse entendre qu'il ne faudra pas s'arrêter à France Télécom. D'autres grands services publics comme EDF-GDF, voire la SNCF, vont être menacés.

Unanimement, les experts estiment que le Gouvernement va avoir besoin de plus en plus d'argent pour respecter les critères et les délais de la monnaie unique. Il y a donc risque d'une pression fiscale plus forte. La diminution des impôts directs qui ne bénéficie qu'à un foyer fiscal sur deux et aux plus aisés est une mesure inégalitaire. De plus, si elle doit se traduire par une charge plus lourde des impôts indirects, de la CSG, du RDS, elle va oppresser encore plus fort ceux qui ont déjà du mal à vivre aujourd'hui et peser fortement sur la perspective de redémarrage de l'économie.

L’Hebdo de l’actualité sociale : La période n’est donc pas au relâchement des actions revendicatives ?

Louis Viannet : Décréter une pause dans les lunes sous prétexte de campagne électorale et d'installation, d'un nouveau Gouvernement serait la pire des choses pour les salariés. Ils ne peuvent pas baisser la garde sur la défense de leurs revendications. Comme l'expérience récente nous le montre, persister dans les mêmes orientations en les aggravant ne peut conduire qu’à la multiplication de situations conflictuelles, à un développement des conflits sociaux.

L’Hebdo de l’actualité sociale : Les salariés n’attendront pas la mise en place d’un nouveau pouvoir politique ?

Louis Viannet : Si l’on s’en tient aux sondages, les salariés ne se font pas beaucoup d’illusions sur ce que peut produire le résultat des élections. En revanche, cette campagne électorale est, pour les salariés, une occasion de porter haut et fort leurs exigences revendicatives pour lesquelles ils luttent. Ils peuvent faire venir leurs aspirations sur le devant de l’actualité. Ainsi, ils aideront à placer ces questions sociales – fondamentales pour le devenir de la société française – dans le débat de ces élections. Car, compte tenu de la brièveté de cette campagne, le risque d’escamoter les grands problèmes sociaux existe bel et bien.

L’Hebdo de l’actualité sociale : La situation politique de la gauche ne risque-t-elle pas d’affecter l’unité des mouvements sociaux ?

Louis Viannet : Lors des dernières élections présidentielles, plus longue certes, les luttes sociales avaient conservé leur intensité. Il ne faut pas perdre de vue que les salariés se rassemblent sur des objectifs revendicatifs précis. C’est autour de ces aspirations qu’ils s’unissent, dans les arrêts de travail comme dans les manifestations. Par-delà les péripéties politiques ou les différentes positions des partis. Les demandes des salariés sont aujourd’hui si fortes qu’aucune promesse électorale n’est susceptible n’est susceptible de réduire l’attente du monde du travail. Cela dit, la volonté de changement peut se refléter dans les résultats électoraux.

L’Hebdo de l’actualité sociale : Est-ce une qualité nouvelle du monde du travail ?

Louis Viannet : C’est nouveau, mais c’est surtout le fruit de l’expérience. Hélas, les salariés ont eu plusieurs fois l’occasion de vérifier qu’il y avait un écart important entre les promesses électorales et les réalisations qui ont suivi.

L’Hebdo de l’actualité sociale : De fait, dans cette période, les luttes sociales ne sont-elles pas valorisées ?

Louis Viannet : Je crois surtout que cette situation manque clairement la capacité d’autonomie du mouvement social. Les salariés sont aujourd’hui décidés à se saisir de toutes les occasions pour exprimer leurs exigences. Sur la base de ce qu’ils vivent, de leurs expériences et des enseignements qu’ils en tirent. Ils ne sont pas décidés à déléguer – à quiconque – la défense de leurs intérêts. Ils veulent, eux-mêmes, peser sur les choix et les décisions, du gouvernement comme des directions d’entreprises. Au nom de quoi, les salariés devraient renoncer au seul moyen qu’ils ont d’influer sur la situation. D’autant que rien dans ce qui nous est annoncé aujourd’hui, par la majorité sortante, ne peut être source d’espoir. Si elle devait être reconduite, les salariés savent ce qui les attend.

L’Hebdo de l’actualité sociale : Pour les salariés, luttes sociales ou démarche politique ?

Louis Viannet : Ils peuvent faire les deux à la fois. C’est en affinant leur volonté de tout faire au service de leurs aspirations qu’ils peuvent peser sur les choix politiques avant l’élection. Ils peuvent aussi influer sur la politique mise en œuvre par une nouvelle majorité, si c’est le cas.

L’Hebdo de l’actualité sociale : C’est une ingérence dans la politique ?

Louis Viannet : Non. C’est la prise en compte d’une forte réalité. La situation du monde du travail est étroitement dépendante de la politique et des décisions prises.

Peser afin que ces choix et orientations politiques aillent un peu plus dans le sens de leurs intérêts et un peu moins dans le sens de ce qui les écrase, serait le meilleur service à rendre au pays et à l’ensemble des salariés, retraités, chômeurs, victimes de l’exclusion.

L’Hebdo de l’actualité sociale : Est-ce un élément de la démocratie ?

Louis Viannet : Tout à fait. La délégation de pouvoir n'est pas une finalité démocratique. La progression des abstentions dans les élections montre bien qu'il y a un doute de plus en plus fort sur la capacité de faire évoluer la situation par la seule délégation de pouvoir.

Et cette conception-là se rapproche précisément du syndicalisme que veut faire vivre la CGT. Celui qui ne déserte aucun terrain.

Ce comportement des salariés est d'ailleurs une des motivations qui ont conduit le Président de la République à dissoudre l'assemblée.

L’Hebdo de l’actualité sociale : Ne déserter aucun terrain, est-ce donner une consigne de vote ?

Louis Viannet : Absolument pas. Pour un syndicat, profiter de la campagne électorale pour promouvoir les problèmes, les exigences et les propositions qui ont nourri les conflits sociaux de la dernière période, c'est assumer sa responsabilité en toute indépendance, sans venir sur un terrain qui n'est pas le sien.


Date : 4 mai 1997
Source : Le Journal du dimanche

Le Journal du dimanche : Le 1er mai 1997 était votre sixième 1er mai en tant que patron de la CGT. Était-il différent ?

Louis Viannet : Oui, grâce au caractère unitaire qui a présidé à la manifestation parisienne. Ce fut un événement et l'occasion pour les salariés d'exprimer, en cette période électorale leurs exigences. Le monde du travail est bien placé pour faire le bilan d'une politique dont il subit les effets.

Le Journal du dimanche : Si la gauche revenait au pouvoir, pensez-vous qu'elle ferait mieux ?

Louis Viannet : Les mouvements sociaux qui se sont développés sans interruption depuis novembre 1995 sont porteurs d’une aspiration à une autre politique. Ils s'imposeront à une nouvelle majorité et ce, d'autant plus que celle-ci aura pris des engagements : augmentation du pouvoir d'achat, réduction du temps de travail sans perte de salaire, défense du service public. Le mouvement social sera particulièrement attentif à ce que les engagements pris soient tenus.

Le Journal du dimanche : Et si c’est la droite qui l'importe ?

Louis Viannet : Ce sera plus de libéralisme, plus d’austérité. Je suis obligé de constater la concordance des objectifs de la majorité avec ceux du CNPF. Ce n’est pas un hasard si M. Gandois a été le premier à se féliciter de la dissolution de l’assemblée et à réaffirmer les exigences du patronat, demandant à aller plus loin et plus vite dans les privatisations, dans la baisse du coût du travail. Autant d'exigences qui pèseraient une fois de plus sur les salariés et les chômeurs.

Le Journal du dimanche : Alain Juppé annonce qu'il y aura 5 000 fonctionnaires de moins par an, qu'en pensez-vous ?

Louis Viannet : Les Français paient des impôts pour avoir des écoles, un système de santé qui fonctionne, des administrations qui jouent leur rôle de régulation de la vie sociale. Or, la droite présente la fonction publique comme un élément de coût dans les dépenses de la nation. C'est une façon de masquer l'importance du rôle joué par l'ensemble des services publics.

Le Journal du dimanche : Si la droite l’emporte, les privatisations continueront. Vous y êtes opposés, mais ne sont-elles pas inéluctables pour affronter la concurrence ?

Louis Viannet : Je constate que France Télécom a apporté la preuve de sa capacité à se développer, à innover en matière technologique. D'ailleurs les grands prédateurs ne cherchent-ils pas à s'accaparer les formidables ressources de cette entreprise. C'est également vrai l’EDF comme pour la SNCF. Pour l'aéronautique comme pour l'industrie nucléaire. La plupart des grands marchés qui ont été remportés au niveau international l'ont été avec l'appui des grandes entreprises publiques. Le TGV, les centrales nucléaires, les télécom...

Le Journal du dimanche : En tant que CGT, quelle est votre position sur l’Europe ?

Louis Viannet : Nous sommes pour une construction européenne qui réponde aux besoins des individus et des collectivités de chacune des nations. Une manifestation des syndicats européenne sera organisée en ce sens le 10 juin, à Paris. La bataille de Vilvorde n’est pas terminée car une prise de conscience est en train de monter au niveau syndical européen pour imposer des changements d’orientations, des objectifs nouveaux. Les grands capitalistes veulent nous faire choisir entre plus de pauvreté et plus de chômage. Eh bien, aujourd’hui, nous avons les deux !