Interview de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, dans "L'Information agricole" de juin 1997, sur le syndicalisme et la culture du changement et du contrat, l'Europe et notamment l'Europe agricole.

Prononcé le 1er juin 1997

Intervenant(s) : 

Média : L'Information agricole

Texte intégral

L’information agricole : Quand vous écrivez : « La France est schizophrène », que voulez-vous signifier par-là ?

Nicole Notat : La schizophrénie se caractérise par une discordance de la pensée, de la vie émotionnelle et du rapport au monde extérieur. Quand la réalité d’un pays ressemble fort à la représentation qu’en adoptent les décideurs, quand s'établit une distance entre un pays réel et le discours qu'on y tient voilà bien une manifestation schizophrène... Ce décalage porte un grave préjudice à la vie économique et soda le de notre pays qui souffre d'une organisation insuffisante des rapports et des pouvoirs entre l'État et les partenaires sociaux et, plus globalement, les forces de la société civile. Les forces intermédiaires ont donc un rôle très important à jouer.

L’information agricole : Comme les syndicats par exemple ?

Nicole Notat : Oui, bien entendu mais pas seulement eux. Les collectivités locales au premier rang desquelles les communes présentent aussi des laboratoires d'idées et d'expériences formidables. En plus leurs résultats sont mesurables. La proximité y est exploitée à fond : la décision mobilise un quartier, des associations, des interlocuteurs concrets présents et motivés parce qu'impliqués.

L’information agricole : Et la mission du syndicalisme ?

Nicole Notat : Bien sûr le syndicalisme est une force motrice fondamentale de la société civile. Plutôt que de le cantonner dans un rôle réducteur de défense d'intérêts particuliers, je préfère lui assigner une mission plus vaste d'enracinement et de représentation des réalités profession­nelles et sociales de la société, d'aboutissement des revendications et enfin, d'entraînement des forces sociales dans un sens fédérateur de solidarités.

Le syndicalisme doit être une locomotive et non un wagon de queue, un élément fédérateur et non le reflet d'intérêts fragmentaires. Alors le syndicat peut tenir sa place de véritable contre-pouvoir dans la société tout entière.

L’information agricole : Le syndicalisme dispose-t-il des moyens aujourd’hui pour fonctionner comme un moteur de la société ?

Nicole Notat : Bien sûr, s’il se les donne, s'il les cherche.

Vous savez, tout est une question de volonté. Sans objectifs clairs, sans projet rassembleur, on aboutit inévitablement à un isolement et on récolte l'inefficacité. D'où les reproches des adhérents et la non satisfaction de soi. C'est pour ça qu'à la CFDT nous jouons le jeu de l'ouverture aux autres secteurs et valorisons l'atout du syndicalisme confédéré.

À vouloir laisser se développer les représentations verticales catégorielles, on risque le corporatisme. Mieux vaut mettre en parallèle des points de vue différents pour les faire évoluer, les relier les uns aux autres et ainsi entraîner un maximum de personnes dans un même mouvement.

L'évolution de la société c'est l'affaire de tous, indépendamment de la profession, de l'âge, du niveau social.

L’information agricole : Vous prônez une évolution vers la « culture du contrat », c’est un discours plutôt novateur pour un secrétaire général de syndicat de salarié.

Nicole Notat : Vous croyez vraiment ? La révolution n'est plus d'actualité, elle est même l'ennemi du changement. Notre culture du changement est une culture de la négociation, une culture qui ne nie pas le conflit. C'est à mon sens la meilleure voie pour entrer dans la culture du contrat.

Notre rôle de syndicaliste est ici fondamental. Nous avons le devoir de critiquer l’intolérable. Comme le statu quo est, par nature, son ennemi, il nous faut orienter la société vers le changement. Et je suis convaincue que tout changement peut être bon à prendre.

L’information agricole : L’Europe est votre credo et vous combattez pour elle. En quoi l’Union européenne peut-elle modifier notre rôle et notre place sur la scène mondiale ?

Nicole Notat : Avec une politique agricole commune, l’Europe agricole correspond à une réalité. Rien de comparable n’existe spécifiquement pour nous les salariés. L'Europe jouit d'un potentiel social qu'elle ne parvient pas encore à faire fructifier. Le « modèle social » que j'appelle de tous mes vœux, il nous faut le mettre en place et rappeler aux politiques que la cohésion sociale reste une composante vitale de la construction européenne. L'union n'en sera que grandie et ainsi renforcée, elle pourra mieux occuper la place qui doit être la sienne sur la scène mondiale.

Dans la démarche syndicale qui est la nôtre, l'Europe n'est pas un obstacle mais un viatique.

L’information agricole : Vous sentez-vous syndicaliste par vocation, par conviction ou par raison ?

Nicole Notat : Les trois à la fois. J'ai toujours manifesté une grande sensibilité à ce qui ne marche pas bien et je me sens proche des gens, je cherche à les comprendre, les connaître et découvrir une explication à leurs difficultés. À partir de là s'amorce la réflexion en vue de proposer des solutions réalistes et concrètes.

L’information agricole : Rares sont les femmes à accéder à un niveau de responsabilité semblable au vôtre, quoiqu’en agriculture, cette affirmation souffre quelques exceptions.

Nicole Notat : J’allais justement vous le rappeler : une jeune syndicaliste et un ministre que les chahuts n'ont pas épargnée ! Il me semble que l’agriculture enregistre là un bon palmarès ! Sans oublier toutes ces agricultrices actives engagées dans la vie syndicale, mises à l'honneur aujourd'hui...

Mais je vois où vous voulez en venir et je vous rassure : non, je n'ai pas souffert d'être femme dans mon itinéraire. Même si parfois, je suis confrontée à des situations blessantes ou embarrassantes. Être homme ou femme ne change rien dans l'exercice des fonctions publiques. Ce qui change c'est le comportement à votre égard des interlocuteurs. Inévitablement et malheureusement, leur appréciation varie selon que vous êtes une femme ou un homme.