Texte intégral
Le Journal du dimanche - 30 juin 1997
Le Journal du dimanche : Vilvorde a fermé ses portes. Comme prévu. Et pourtant certains comptaient sur Lionel Jospin. Propos de campagne ? N'est-ce pas là la première trahison des promesses électorales de la gauche ?
Christian Pierret : Le dossier était bouclé sous le Gouvernement précédent. Le coup était parti, avec brutalité, sans respect des partenaires sociaux. Comme Lionel Jospin l'a promis, il a été rouvert. Pendant la campagne électorale, c'est l'engagement fort que nous avons pris. Il est respecté. Le nouveau rapport de forces politique a contraint Renault à tenir compte de notre volonté de remettre l'ouvrage sur le métier : le conseil d'administration de Renault a confié à Mme Kaisergrüber, expert indépendant et incontestable, le soin de réaliser une étude sur la situation de l'usine de Vilvorde. Ce travail impartial confirme que la fermeture de l'usine, décidée avant les élections ne peut être remise en cause.
Malgré cela, ce que l’accession de la gauche au gouvernement a permis, c’est un plan social nouveau, beaucoup plus complet et, surtout, c’est une réindustrialisation du site, significative en nombre d’emplois et qui commencera sans délai.
Le Journal du dimanche : N’est-ce pas la preuve que le libéralisme est plus fort que tout ?
Christian Pierret : Si le libéralisme avait prévalu, comme par exemple en Angleterre ou aux États-Unis, l’usine serait fermée et les ouvriers jetés à la rue, sans autres forme de procès. Au contraire, une volonté politique ferme a infléchi le cours des événements, dans un sens qui sera plus favorable au personnel de l’entreprise. Personne ne sera laissé au bord de la route.
Le Journal du dimanche : Quelle différence, alors, entre Renault, l’entreprise publique, et Peugeot, la privée ?
Christian Pierret : L’État est un partenaire important qui a pu affirmer sa volonté politique et sociale, dans le respect des engagements donnés, même si nous n’avons pu intervenir que trop tardivement. En France, dans un groupe où l’État est un actionnaire important, les impératifs du dialogue social sont mieux pris en compte.
Le Journal du dimanche : Vous êtes secrétaire d’État à l’Industrie. À quoi servez-vous ?
Christian Pierret : Avec Dominique Strauss-Kahn, nous avons obtenu que le site de Vilvorde reste fondamentalement industriel : une implantation d’environ 400 emplois, dans l’orbite de Renault, sera réalisée sans délai sur le site, et d’autres propositions d’emplois seront offertes. Dès notre arrivée à Bercy, nous avons souhaité nous atteler à définir les conditions d’une redynamisation de l’industrie automobile européenne, pour qu’elle affronte dans les meilleures conditions la concurrence mondiale. Nous le ferons, naturellement, avec les partenaires sociaux. C’est cela que le Gouvernement redonnera sens à la politique.
L’Est républicain - 1er juillet 1997
L’Est républicain : Quelle est la marge de manœuvre du politique sur l'industriel dans les questions d'emploi ?
Christian Pierret : Ce qui est certain, c'est que pour se donner des marges de manœuvre nécessaires, il est indispensable de disposer de deux instruments : une politique industrielle forte d'une part, un partage du travail en faveur de l'emploi qui préserve la compétitivité des entreprises d'autre part. Sur le premier point, la dimension européenne des marchés nous confirme qu'il faut avoir une politique économique et sociale européenne forte et mieux coordonnée entre les États membres. À Amsterdam, Lionel Jospin l'a réclamée haut et fort. Il ne cessera de tenir ce langage à l'occasion des prochains sommets. Non pas seulement pour des questions de principe politique, mais parce que c'est le seul moyen de répondre efficacement aux problèmes posés à l’industrie et donc à l'emploi. Sur le second point, il faut mettre en œuvre une négociation globale entre les partenaires sociaux pour une réduction de la durée du travail au service de l'emploi. Le Gouvernement le fera dès la rentrée de septembre. Dans tous les cas et quelle que soit la situation économique de l'entreprise, la dignité des salariés doit être respectée. Chez Peugeot comme dans les autres entreprises, un renforcement du dialogue entre le patronat et les syndicats, à l'image de ce qui existe en Allemagne, est souhaitable.
L’Est républicain : N'est-ce pas une erreur que de fermer Vilvorde, à un moment où le chômage repart fortement à la hausse ?
Christian Pierret : L’action du gouvernement s'est manifestée en obtenant qu'un effort très important soit fait au-delà du plan social pour recréer des emplois sur le site industriel de Vilvorde. C'est parce que nous voulons rompre le cycle infernal entre chômage et baisse de la consommation que nous proposons des mesures de relance de la consommation populaire comme le quadruplement de l'allocation de rentrée scolaire, le programme d'embauche de 350 000 jeunes et la négociation sur la réduction du temps de travail qui doit intervenir dans les premiers jours de la rentrée.
L’Est républicain : Quels sont les devoirs que vous fixez au PDG du groupe automobile pour fermer son site de Vilvorde ?
Christian Pierret : L’État est minoritaire au capital et au conseil d'administration. Mais le nouveau rapport des forces politiques issu des élections du 1er juin a permis au Gouvernement d'imposer avec fermeté la réouverture du dossier. Le Gouvernement suivra de façon exigeante la mise en œuvre par Renault des avancées qu'il a obtenues : audace du nouveau plan social et réindustrialisation forte du site.
RTL - Jeudi 3 juillet 1997
RTL : Il y a eu un accord à Vilvorde cette nuit, pas de licenciement sec au total, les syndicats belges disent : ce n'est pas Jospin, c'est nous.
Christian Pierret : Je crois que le Gouvernement a eu raison de faire ce qu'il a fait et aujourd'hui, on voit qu'avec un plan social plus fortement modifié par rapport à ce qui était prévu, plus une réimplantation industrielle sur le site, nous avons fait bouger Renault.
RTL : L'industrie automobile française ne se porte pas bien : en France on a reculé de 35 ans pour ce qui est de la vente des voitures au mois de juin, on n'a pas vendu plus qu'en juin 1962 et cela surtout au détriment des constructeurs français. C'est un désastre industriel, est-il rattrapable ?
Christian Pierret : Oui, parce que les véhicules français sont de très bonne qualité, ils ont conquis, pour certains d'entre eux, des parts de marché formidables, notamment en Allemagne, marché très exigeant et il y a des perspectives d'avenir très fortes. Toutefois, on s'aperçoit qu'on ne rejoindra pas facilement le niveau d'avant 1993 qui était très bas. On s'aperçoit que le marché évolue considérablement, c'est un marché de renouvellement et non plus un marché de premier achat. Il y a des caractéristiques nouvelles, les gens renouvellent moins vite. C'est un marché dont les caractéristiques techniques évoluent : le véhicule a de plus en plus de technologie, il est de plus en plus sophistiqué, il est aussi de plus en plus cher. Et le problème de l'automobile française, c'est qu'elle est plutôt plus chère que l'automobile européenne comparable.
RTL : Beaucoup de gens disent : mais il y a trop de constructeurs automobiles en Europe, on construit trop de voitures par rapport aux capacités d'absorption du marché ; alors les Français là-dedans ?
Christian Pierret : C'est un marché d'exportation aujourd'hui. Les Français renouvellent leurs véhicules et les Français ont encore une petite marge de manœuvre sur le marché intérieur. Mais c'est beaucoup un marché d'exportation : 185 milliards d'export par an et c'est bon pour la France – 26 milliards de résultats nets à l'export. C'est donc un très gros marché et une industrie fondamentale pour la France.
RTL : Mais vous précisément, en tant que secrétaire d’État à l’Industrie, comment pouvez-vous aider les constructeurs ? Vous devez les aider à gérer le déclin en leur permettant de supprimer des emplois sans trop de casse ?
Christian Pierret : On ne doit pas faire ce qui vient d'être fait par M. Balladur et par M. Juppé, c'est-à-dire une prime qui monte les ventes pendant un certain temps et qui, ensuite, les redescend beaucoup plus bas. C'est très coûteux pour les finances publiques, ça crée des effets d'achat immédiats et après, pendant des mois et des mois et on voit la situation actuelle , on n'achète plus. Et en plus, ça nous laisse des dettes car je peux révéler ici à RTL, aujourd'hui, que le Gouvernement Juppé nous laisse 500 millions de primes Juppé non financées et sans inscription budgétaire dans le budget 1997. C'est à nous de trouver les moyens de satisfaire les engagements de M. Juppé.
RTL : Les constructeurs vous demandent notamment une baisse de la TVA sur la vente des voitures ?
Christian Pierret : Il faut voir l'état des finances publiques et je ne pense pas que l'on puisse manipuler les taux de TVA comme cela, au gré de la situation de tel ou tel secteur. Il faut avoir une vision longue de l'avenir de l'industrie automobile, il faut qu'elle se réforme, qu'elle procède à d'autres organisations de son travail, que l'on passe du fordisme à un autre mode de production. Tout cela va prendre du temps, l'État peut y contribuer par sa réflexion, il peut y contribuer aussi par la recherche. Vous savez qu'on dépense plus de sept milliards par an grâce à un programme qui s'appelle le Prédit pour la recherche en matière automobile. C'est donc un secteur technologique de pointe où l'État a son rôle d'orientation à jouer, de conseil, d'incitation mais certainement pas à la manière mauvaise au fond pour l'économie française – qu’ont prise M. Balladur et M. Juppé.
RTL : Ça veut dire aussi des suppressions d'emplois, des restructurations ?
Christian Pierret : Il y aura une évolution de l'emploi en fonction de la productivité. Elle doit être régulée, négociée et elle doit faire l'objet d'un dialogue social.
RTL : Au niveau européen, est-ce que vous voudriez remettre en cause l'accord avec les Japonais, qui va permettre à ces constructeurs de vendre des voitures sans limitation à partir du 1er janvier 2000 ?
Christian Pierret : Ça nous pose interrogation et s'il y a renouvellement à partir de 1999, il doit être beaucoup plus soumis à la contrainte sociale, à la contrainte emploi. Regardez ce que l'on va faire et le tout ouvert à tout vent n'est pas forcément la bonne solution.
RTL : Vous allez poser cette question au Sommet sur l'emploi à Luxembourg, à l'automne ?
Christian Pierret : Je pense que le Gouvernement français aura une attitude qui préservera les intérêts des travailleurs français, notamment dans l'automobile. Car l'automobile est présente dans toutes les régions françaises.
RTL : Et précisément, sur ce plan-là ?
Christian Pierret : Précisément sur ce plan-là, je pense qu'il y a à se défendre en effet contre des importations trop massives. Mais nous sommes dans un marché ouvert et nous sommes dans une situation mondiale où l'ouverture est aussi facteur de progrès. Donc, il faut réguler et éviter que l'implantation massive d'autres industries venues d'Extrême-Orient ne compromette l'équilibre social et l'équilibre économique de l'industrie automobile française.
RTL : Beaucoup de gens ne comprennent pas, alors qu'il y a une lutte pour l'emploi, les remises en cause du nucléaire ou bien du bâtiment à travers la remise en cause de certains grands travaux ?
Christian Pierret : Nous avons des préoccupations d'environnement et de sécurité mais nous avons aussi la préoccupation d'assurer l'approvisionnement en énergie de la France. Et le nucléaire, en ce qui concerne l'électricité, représente 80 %. Et donc le Gouvernement a réaffirmé que le nucléaire avait toute sa place dans la politique énergétique française.
RTL : L'industrie peut encore créer des emplois ? On est convaincu du contraire.
Christian Pierret : Oui, l'industrie représente aujourd'hui, entre l'industrie au sens strict et les services à l'industrie, 51 % du PIB. C'est donc massivement une pourvoyeuse d'emplois. Simplement, ces emplois changent de secteur, changent d'entreprise, il y a une évolution technique qui a des conséquences sur l'emploi. À nous de gérer cela dans le dialogue social et à nous de gérer cela pour que l'intérêt des gens qui travaillent dans l'industrie soit constamment préservé. Mais il y a une mobilité d'usine à usine, d'entreprise à entreprise, de secteur à secteur, cela n'est pas malsain. La vie, c'est aussi cette évolution.
RTL : On parle d'une taxation des entreprises, le Gouvernement a mis cette mesure à l'étude, c'est créateur d'emplois ?
Christian Pierret : Taxation des entreprises, rien n'est décidé pour l'instant. Et il faudra veiller...
RTL : Mais on y pense beaucoup quand même. Mme Trautmann a dit hier qu'il en était question ?
Christian Pierret : Non, il faudra veiller à ce que chacun fasse un effort à savoir les entreprises comme les particuliers. Dans l'état dans lequel les finances publiques nous ont été léguées, il faut demander en effet un effort à chacun des Français. Le problème, c'est qu'il faut le demander juste, cet effort. Et donc ne pas faire peser sur les petits et les plus modestes l'effort comme cela a été le cas au cours des quatre ou cinq dernières années.
RTL : Est-ce que l'intérêt de France Télécom et d'Air France permet d'attendre encore très longtemps avant de prendre une décision sur leur ouverture de capital ?
Christian Pierret : Le Gouvernement réfléchit et…
RTL : Mais il va réfléchir longtemps ?
Christian Pierret : Et il donnera sa réponse en temps utile. Ça fait trois semaines que nous sommes au gouvernement, donc laissez-nous quand même le temps de nous retourner et de prendre de bonnes décisions stratégiques pour ces entreprises qui sont extrêmement importantes.
RTL : Qu'est-ce qui est le plus important : la présence d'un ministre communiste au gouvernement ou bien accepter ce que demande de faire le PDG de France Télécom, c'est-à-dire d'ouvrir le capital ?
Christian Pierret : Le PDG de France Télécom est dans une logique qui, naturellement à ses yeux, préserve l'intérêt de France Télécom. Et la présence de ministres communistes au gouvernement montre la diversité de la majorité et sa force. Les deux sont importants et les deux ont leur conception des choses et les deux doivent converger dans l'intérêt national et l'intérêt de ces entreprises. Ce qui compte, c'est l'intérêt des gens de France Télécom, l'intérêt de l'internationalisation de France Télécom et de sa capacité à résister au marché mondial.
RTL : M. Strauss-Kahn et vous-même, vous n'avez jamais caché votre tentation d'ouvrir le capital, alors pourquoi autant de prudence aujourd'hui ?
Christian Pierret : Parce que nous voulons que France Télécom demeure une entreprise à majorité publique et que les engagements qui ont été pris à cet égard sont clairs : armer France Télécom sur le marché mondial, lui permettre d'atteindre une taille encore plus grande en recherche-développement, en capacité de conquérir des marchés et en même temps, préserver la culture industrielle française.
RTL : Et donc ouvrir le capital ?
Christian Pierret : C'est une éventualité qui n'est pas écartée.