Interview de M. Alain Lamassoure, ministre délégué au budget et porte-parole du gouvernement, et M. François Hollande, porte-parole du PS, à TF1 le 30 juin 1996, sur la grève d'Air Inter, l'affaire Tibéri, le chômage, la crise de la vache folle et l'opposition au Front national.

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Média : Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Mme SINCLAIR : Bonsoir à tous.

Actualité très chargée et très sérieuse ce soir, avec le conflit à Air France Europe, c'est-à-dire l'ex-Air Inter, avec la suppression d'emplois en rafale et une conjoncture économique mauvaise sur toute l’Europe, et puis avec l’affaire qui fait hurler les uns et qui embarrasse les autres : l'affaire Tiberi.

J'ai demandé ce soir aux deux porte-parole des deux principaux pôles de la vie politique française, le Gouvernement et le Parti Socialiste, de venir à cette émission ce soir.

Bonsoir,

M. LAMASSOURE : Bonsoir.

Mme SINCLAIR : Alain Lamassoure, vous êtes le porte-parole du Gouvernement, vous êtes aussi ministre du budget, mais c'est en tant que porte-parole du Gouvernement que je vous demande d'être là ce soir.

Et vous, François Hollande, vous êtes le porte-parole du Parti Socialiste, au terme de sa convention qu'il a tenu ce week-end.

Avant de venir à toute cette actualité, je le disais, très chargée, je voudrais quand même qu'on dise quelques mots de l'événement qui était celui de la semaine, qui est l'événement de ce soir, puisque c'est ce soir la Finale de l'Euro 96 qui va opposer, hélas, hélas, les Tchèques et les Allemands ; quand je dis hélas, c'est-à-dire sans la France.

On va revoir des images qui ont été celles de la semaine : voilà le penalty de Pedros, le tir au but fatal, et la joie des Tchèques, et puis celle des Allemands de l'autre côté.

Alain Lamassoure, cette finale sans la France, cela vous attriste ? Vous avez vibré aux tirs au but ?

M. LAMASSOURE : Oui, c'était attristant. II faut remarquer que lors de ces deux derniers matches, l'équipe de France a été incapable de marquer un seul but et donc avec une bonne défense ...

Mme SINCLAIR : Vous êtes sévère.

M. LAMASSOURE : Oui, mais avec une bonne défense mais sans bonne attaque, on ne gagne pas.

Mme SINCLAIR : Et vous, François Hollande ?

M. HOLLANDE : Ce n'est déjà pas mal d'être venu en demi-finale, mais c'est vrai qu'il n'y avait pas beaucoup d'émotion et que je voudrais rassurer Pedros : je crois qu'il n'y ait pour rien ; on aurait dû marquer pendant le temps réglementaire. On ne l'a pas fait, donc on a perdu. C'était sur un coup de loterie, mais je veux dire à l'équipe de France qu'elle a le même rendez-vous que nous, à Gauche, c'est-à-dire 1998. II y a la coupe du monde en 1998 ...

Mme SINCLAIR : Vous politisez tout de suite...

M. HOLLANDE : Non, pas du tout, mais qu'il n'y a pas à désespérer d'une défaite.

Mme SINCLAIR : Vous allez regarder tous les deux la finale ce soir ou vous êtes trop chauvins pour cela ?

M. LAMASSOURE : Non, nous allons regarder, naturellement…

Mme SINCLAIR : Vous dites-nous, parce que vous répondez aussi pour François Hollande…

M. LAMASSOURE : Ce sera un très beau football et je pense que sur ce point nous sommes d'accord. L'équipe d'Allemagne est une équipe remarquable et les Tchèques, c'est un peu la surprise de cette finale. Ce sera de toutes manières un très beau football.

Mme SINCLAIR : Vous avez un favori ?

M. LAMASSOURE : Non.

Mme SINCLAIR : Et vous ? Quand la France n'est pas dans le coup, on a le droit de choisir son camp ...

M. HOLLANDE : Je suis pour la République Tchèque, ne serait-ce que parce qu'elle nous a battus sur un coup de dès et qu'on peut se dire que si la République Tchèque bat l’Allemagne, on aurait pu gagner…

Mme SINCLAIR : Qu'avez-vous pense des déclarations de Jean-Marie Le Pen sur l'équipe de France pas suffisamment française à son goût ?

M. LAMASSOURE : Elles sont à la fois odieuses et stupides. Je me souviens, quand j'étais enfant, dans les années 50, la grande équipe de football qui avait vécu la grande aventure de Suède comprenait des gens comme Raymond Kopa, Glovacki qui était d'origine polonaise, Ujlaki qui était d'origine hongroise ; le meilleur buteur de l'équipe qui n'existe plus aujourd'hui, le Racing Club de Paris, s'appelait Thadée Cisowski et c'était également un Hongrois. Et puis il y avait Roger Piantoni, d'origine italienne.

De tous temps, les immigres de première ou deuxième génération ont donné de très bons sportifs, tant mieux.

M. HOLLANDE : Je ne suis pas tout à fait de la même génération que Monsieur Lamassoure, et ma référence est plutôt Platini ou Tigana. Mais ce qu'a dit Jean-Marie Le Pen, ce n'est pas la définition du Français, ou d'un Français. II a donné une définition d'une race, c'est-à-dire qu'il faudrait pour être Français, aux yeux de Jean-Marie Le Pen, l’être depuis plusieurs générations et vraisemblablement être blanc, c'est-e-dire sans aucune tâche.

Je crois donc que c'est une toute autre conception de la Nation que nous pouvons avoir l’un et l'autre, c'est-à-dire, je suppose, une conception fondée sur le sol et pas forcément la race, et surtout pas sur la race.

M. LAMASSOURE : Avant de revenir éventuellement sur les problèmes du Front national, je voudrais dire sur cette affaire qu'il ne faudrait pas que l'arbre Le Pen cache la forêt française. Ce qui m'a frappé dans cette Coupe d'Europe de football, c'est le caractère extrêmement violent de la presse, notamment de la presse britannique, avec des accents de germanophobie, à la veille du match entre l'Angleterre et l'Allemagne, qui sont tout à fait étonnants et un peu inquiétants, venant du pays qui est à l’origine de la démocratie parlementaire moderne et qui a inventé le mot de « fair play ».

Ceci doit nous conduire à bien mesurer que certains sentiments que l'on croyait définitivement bannis de nos démocraties modernes continuent d'exister. À remarquer que la France, malgré quelques exemples comme Monsieur Le Pen, est un pays très tolérant, où des sentiments de ce genre n'existent pas, et à se dire qu'après tout ce n'est pas un hasard si la construction européenne s'est faite autour de l'axe franco-allemand. Ce n'est pas uniquement grâce à la qualité des grands dirigeants comme Conrad Adenauer et le Général de Gaulle, mais aussi parce que la réconciliation des peuples était réelle et profonde.

Mme SINCLAIR : C'est-à-dire que là les Anglais s'en sont pris à l'étranger, même s'il est européen, et Jean-Marie Le Pen s'en est pris à des Français.

M. LAMASSOURE : En effet, mais ce qui me frappe, c'est que l’opinion publique française en profondeur est en paix avec ses voisins et qu'il n'y a pas de sentiment de xénophobie.

Mme SINCLAIR : Cela pose quand même le problème fondamental, qui est moins les déclarations de Jean-Marie Le Pen que la stratégie de la classe politique : est-ce qu'elle doit s'unir électoralement face à Jean-Marie Le Pen ? C'est ce que propose par exemple quelqu'un comme Raymond Barre. Ou est-ce que c'est dangereux de se dire que toute la classe politique est dans le marine sac et Jean-Marie Le Pen est le- seul dire des choses différentes ?

M. HOLLANDE : Distinguons peut-être les déclarations et les actes.

Dans les déclarations, lorsque Jean-Marie Le Pen ou d'autres disent des choses qui sont choquantes, blessantes, infâmantes, c'est normal qu'une grande partie des partis politiques, qui se retrouvent au Parlement notamment, se mettent en hostilité par rapport à ces déclarations.

Sur les actes, je crois que nous avons les uns et les autres, chacun, faire un travail de reconquête de nos électorats, parce que ces électorats ont été profondément troublés par la montée de la crise et que je crois que l’extrémisme, que ce soit d'ailleurs l'extrémisme anglais ou l'extrémisme dans les pays de l'Est ou l'extrémisme même en Allemagne, survit et se développe sur deux terreaux : le terreau des affaires et le terreau des promesses non tenues. De ce point de vue-là, je crois que nous sommes effectivement dans l'actualité.

Mme SINCLAIR : Que faut-il faire ?

M. HOLLANDE : Je crois que ce qu'il faut faire, c'est travailler chacun de notre côté pour que nos électeurs, en l’occurrence pour nous les catégories les plus démunies, les plus défavorisées, les électeurs populaires, se retrouvent davantage qu'ils ne le sont dans les formations politiques de la Gauche. Je pense que pour la Droite il y a le même effort à faire, de façon à ce que le Front national ne trouve pas des occasions de prospérer sur le champ de la crise aujourd'hui.

Mme SINCLAIR : Alain Lamassoure, quand la Gauche et le Front national sont face à face, c'est là que la question se pose : est-ce que c'est tous derrière le parti qui n'est pas le Front national ou est-ce qu'il y a autre chose à dire ?

M. LAMASSOURE : C'est un cas de figure très rare. J'espère que le Parti socialiste va dénoncer le Front national lorsque le Front national appelle à voter pour le Parti Socialiste ou bien lorsque, comme on l'a vu dimanche dernier dans le Vaucluse, le maintien du candidat du Front national arrive en troisième position permet l’élection d'un sénateur socialiste.

II est clair que la seule chance pour les Socialistes de gagner les législatives en 1998, c'est un bon résultat électoral du Front national et que le Parti Socialiste va donc à la fois continuer de diaboliser le Front national et d'essayer de le renforcer.

Mme SINCLAIR : Et vous ?

M. LAMASSOURE : II est temps que le Parti Socialiste dissipe toute ambiguïté. En ce qui nous concerne, nous sommes ceux qui avons le moins d'intérêt à un bon résultat électoral du Front national. II n'y a plus aucune ambiguïté à Droite depuis très, très longtemps sur le sujet.

Mme SINCLAIR : Un mot de conclusion...

M. HOLLANDE : Ne faisons pas d'amalgame et ne disons pas de contre-vérités. Par exemple, sur la sénatoriale du Vaucluse, quand bien même le Front national n'aurait pas été présent, notre candidat avait plus de voix que le candidat de Droite et que le candidat du Front national.

M. LAMASSOURE : Si nous discutons de la municipale de Toulon...

M. HOLLANDE : Vous avez parlé de la sénatoriale du Vaucluse. II n'empêche : je crois qu'il faut surtout éviter ce petit jeu qui consiste dire « Attention, c'est vous qui allez profiter le plus du Front national ». Nous, nous attaquons le Front national chaque fois que cela est nécessaire et, même quand le Front national appelle, à notre corps défendant, à voter pour nous, cela n'empêche pas la condamnation que nous portons sur Jean-Marie Le Pen et ses amis.

Ce que nous ne faisons pas, en revanche, ce sont des mouvements de cris de sirènes pour attirer les anciens candidats du Front national, comme vous l'avez fait pour le maire de Nice.

Mme SINCLAIR : Nous allons passer à un autre sujet. Dans un instant, je vais vous poser des questions sur Air France, sur les suppressions d'emploi aux Arsenaux, chez Moulinex et ailleurs, et sur le chômage qui repart à la hausse.

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Mme SINCLAIR : 7/7 en compagnie des deux porte-parole : celui du Gouvernement, Alain Lamassoure, et celui du Parti Socialiste, François Hollande.

La conjoncture n’est pas bonne, le chômage est à la hausse et, pour couronner le tout, Air Inter est en crise. Viviane Junkfer et Joseph Penisson nous expliquent.

ZOOM : « Et vogue la galère ! Nouvelle aggravation du chômage en mai, croissance en baisse, plans sociaux en rafale, les mauvaises nouvelles s'accumulent ».

« Les prévisions sont plus que sombres, et pourtant le Premier ministre, lui, garde le moral : "Je maintiens le cap de la rigueur", dit-il une nouvelle fois à sa Majorité réunie pour la fin de la session parlementaire ».

« Les Socialistes, réunis pour leur Convention nationale sur la démocratie, dressent un sévère bilan de la politique économique du Gouvernement, faite, disent-ils, de déficits et de prélèvements records ».

Mme SINCLAIR : Avant de revenir à la politique, je voudrais qu'on commence par tous ces problèmes sociaux qui ont déboule dans l'actualité cette semaine, encore plus durement que les semaines précédentes.

Que dit le Gouvernement, Alain Lamassoure, aux 65 000 Français qui sont restés bloqués au sol face au conflit à Air France Europe, I'ex-Air Inter ?

M. LAMASSOURE : Nous nous sommes trouvés devant une attitude absolument scandaleuse de la part des syndicats d'Air Inter, qui ont déclenché, comme cela a été très bien dit dans le reportage, une grève sauvage. Normalement, dans un service public comme Air Inter, lorsqu'on veut faire grève, il y a 5 jours de préavis, ce qui permet à la direction de la Compagnie d'organiser des transports de remplacement. Là, la grève a été lancée 24 heures avant. On ne pouvait pas organiser des transports de remplacement. II y avait le risque que des passagers, et notamment des jeunes enfants non accompagnés, partent par un vol qui aurait été maintenu et ne puissent pas trouver après une correspondance. Donc la direction a été obligée d'annuler tous les vols, mesure exceptionnelle.

Il faut bien voir que ces grèves sont littéralement suicidaires. Air Inter est une compagnie qui a beaucoup de mal à passer d'un statut de monopole, ou elle prospérait, à un statut de concurrence. Elle perd 100 millions de francs par an et ce qui est en jeu, le but de ces grèves, c'est le maintien des salaires des commandants de bord, qui sont les plus élevés du monde, plus élevés qu'à Air France, et dont le PDG commun à Air France et à Air Inter demande simplement qu'il y ait un alignement sur les salaires d'Air France. C'est la condition de survie de l'entreprise.

Mme SINCLAIR : Le PDG commun, c'est Christian Blanc : a-t-il le soutien entier du Gouvernement ?

M. LAMASSOURE : Christian Blanc a le soutien du Gouvernement. II s'est lance il y a maintenant près de deux ans, dans un plan de redressement d'Air France, qui est très difficile, qui est très courageux et qui est en train de réussir et de sauver Air France qui a connu quelques mois de bénéfices commerciaux pour la première fois depuis très, très longtemps.

Mme SINCLAIR : Sauver Air France et Air Inter par l’absorption d'Air Inter par Air France ou par la caution en effet d'un pôle européen qui ferait les anciennes lignes européennes d'Air France plus les lignes d'Air Inter    ?

M. LAMASSOURE : II y a deux solutions. L'idée initiale de Christian Blanc, que nous approuvons, est de constituer une société Air France Europe qui reprendrait les lignes intérieures françaises d'Air Inter et les lignes européennes d'Air France, ce que vous expliquiez. Mais ce projet est fortement compromis par le maintien de la crise sociale à Air Inter et, à la limite, nous allons être obligés d'envisager, parce que ce sera la seule solution possible, la fusion des deux compagnies.

Mme SINCLAIR : François Hollande, est-ce que vous voyez les choses de la même manière ? Est-ce que vous trouvez que l’attitude de Christian Blanc est conforme à ce que vous souhaiteriez ? Et est-ce que vous avez la même vision de l'avenir des deux compagnies ?

M. HOLLANDE : La situation d'Air Inter, comme d'Air France, est difficile, je crois que personne ne peut le nier, en raison de la dérégulation du transport aérien, de la libéralisation qui s’est introduite dans ce secteur-là. Pour autant, même s'il faut faire des choix qui sont quelquefois délicats, il n'y a pas à mon avis d'explication claire de la décision du directeur d'Air Inter d'arrêter toute exploitation de lignes ce jour de grand départ en vacances.

Mme SINCLAIR : Ce que dit Alain Lamassoure ne vous paraît pas convaincant ?

M. HOLLANDE : Non, parce que je veux bien croire qu'il y avait certains problèmes, je veux bien croire que ce n'était pas simple d'annuler certains vols et pas d'autres…

M. LAMASSOURE : Comment voulez-vous organiser le trafic, en un jour ? C'est impossible.

M. HOLLANDE : Non, pas du tout. Une partie du personnel disait qu'il était possible de faire l'accueil, de faire 35 à 40 % des vols et je pense qu'a une mobilisation syndicale peut-être excessive a correspondu une décision patronale qui était choquante. Au bout du compte, le dialogue social a été interrompu ; je ne suis pas sûr que ce soit comme cela qu'on prépare l'avenir d'une grande compagnie aérienne.

Sur le fond, je pense que ce n'est pas à nous de dire quelle doit être l’absorption ou pas d'Air Inter par Air France. Visiblement, une grande partie des personnels, et pas simplement les pilotes, sont plutôt hostiles à l’absorption, ils ont même demandé des garanties là-dessus. Je crois qu'on n'échappera pas, sur ce dossier, à une grande négociation.

Enfin, il y a un élément sur lequel je veux insister : c'est quand même l’aspect aménagement du territoire. Air Inter a annoncé la suppression de lignes. Je ne suis pas toujours pour maintenir tout ce qui est déficitaire, mais quand on est un service public, quand on est une entreprise publique, il y a quand même des garanties qu'on doit accorder à certaines dessertes.

Mme SINCLAIR : C'est à l’État de savoir quel coût il peut envisager pour maintenir le service public.

M. HOLLANDE : Absolument.

Mme SINCLAIR : Est-ce que vous diriez, vous : « Si nous arrivions au pouvoir, nous ferions en sorte de donner à Air Inter les moyens de garder ses lignes » ? C'est un problème posé à l'État.

M. HOLLANDE : Vous avez raison. Ce n'est pas à la compagnie elle-même, ni même à ses salariés, à supporter le poids de contraintes qui sont liées à l'exercice d'une mission de service public. Donc dans ce cas-là, comme d'ailleurs dans le cas de la SNCF, il est normal que l'État joue la compensation.

M. LAMASSOURE : La concurrence aérienne est normale, elle est acceptée par tout le monde, elle découle d'ailleurs en l'espèce d'une directive européenne qui avait été acceptée par le Gouvernement socialiste ; les consommateurs vont en profiter, et toutes les villes de France vont profiter de ces dessertes nouvelles qu'apportera la concurrence.

Je voudrais simplement rappeler qu'en 1993 nous avons trouvé un groupe Air France avec 20 milliards de pertes et le contribuable français a été obligé de remettre 20 milliards de francs pour sauver Air France.

Mme SINCLAIR : Je vous propose d'avancer un peu... Le Parti Socialiste a remis à l'ordre du jour une idée qui lui était chère, mais qu'il n'avait pas réintroduite en 1988 en revenant au pouvoir, qui est l'autorisation administrative de licenciement, c'est-à-dire la possibilité du contrôle de l’administration sur les licenciements par les entreprises.

Question posée par la SOFRES : « Selon vous, si on rétablissait cette autorisation administrative, est-ce que cela aurait sur la situation de l’emploi des conséquences positives ? ». II y aurait moins de licenciements : 27 % le pensent. « Négatives ? » : les entreprises n'embaucheront plus de peur de ne pouvoir licencier : 39 %. Ou « cela n'aurait pas de conséquences ? » : 21 %. Sans opinion : 13 %.

Donc une minorité seulement pense que ce serait utile pour l'emploi et, même à Gauche, une légère majorité pense que les conséquences seraient plutôt négatives. Ce n'est pas un bon pour vous, ça…

M. HOLLANDE : Je ne sais pas, mais je ne suis pas sar d'ailleurs qu'on l'ait fait pour les sondages. On l'a fait parce qu'on pensait que c'était utile, et on le pense toujours. Et ce n'est pas l’avalanche de plans sociaux, tels qu'on les a connus ces derniers jours, qui va nous convaincre du contraire. Car en définitive, que veut-on ? Face à des plans de licenciement qui se succèdent, face à cette facilité patronale, qui n'est pas d'ailleurs générale mais qui est quand même relativement répandue, qui consiste à d'abord se séparer des effectifs juges excédentaires plutôt que de faire d'autres économies, par rapport à cette tendance, il était très important que l'État reprenne une initiative.

Je vais prendre juste l'exemple de Moulinex, parce que c'est un plan qui a beaucoup choqué par sa brutalité : 2 500 personnes dans des régions très identifiées et pas forcément en bonne santé économique. Que se passe-t-il ?

Mme SINCLAIR : Vous auriez donné l'autorisation ou pas ?

M. HOLLANDE : Au Parlement, tous les parlementaires concernés, de Droite comme de Gauche, disent : « Mais que fait le Gouvernement ? Que va faire le Gouvernement par rapport à un plan social comme celui-là ? » Monsieur Borotra, ministre de l'industrie répond : « Nous allons essayer d'éviter que ce plan prenne trop d'importance ou n'ait trop de conséquences négatives pour l'emploi ». Ce que nous aurions dit si nous étions aux responsabilités et qu'il y avait cette mesure, c'est que grâce à cette autorisation administrative nous allons non pas empêcher tout licenciement, mais nous allons favoriser une négociation pour permettre qu'il y ait le moins de licenciements possibles, y compris en recourant, grâce à la négociation, à la réduction du temps de travail.

Je crois donc que c'est une mesure qui marque un coup d'arrêt, ce n'est pas une illusion par rapport...

Mme SINCLAIR : Face à la décision du PDG de Moulinex, l’administration aurait dit non ?

M. HOLLANDE : Aurait dit non, bien sûr.

M. LAMASSOURE : Madame Nota a très bien répondu sur cette proposition de rétablir l'autorisation administrative de licenciement en disant : « C'est une vieille lune », et si ce genre de mesure permettait d'empêcher les licenciements, cela se saurait.

M. HOLLANDE : La lune continue d'exister…

M. LAMASSOURE : Vous auriez pu la rétablir en 1988, vous vous êtes bien gardes de le faire, et vous avez eu raison.

M. HOLLANDE : Vous voulez que je vous dise pourquoi ?

M. LAMASSOURE : L'expérience a montré qu'en réalité cette autorisation n'empêchait pas les licenciements, mais qu'en revanche elle empêche les embauches, parce que les entreprises qui se disent qu'elles ne pourront plus licencier si elles en ont absolument besoin un jour, limitent leurs embauches. C'est pour cela que le système a été remplacé par une loi, d'ailleurs à l’initiative de Madame Aubry, qui donne assez satisfaction, dans laquelle une entreprise qui est obligée de recourir à des licenciements à caractère économique s'adresse au tribunal éventuellement et dépose un projet de plan social. Si ce plan social est contesté, il peut être mis en cause devant le juge.

Dans le cas de Moulinex, c'était une condition de survie de l'entreprise. Nous allons regarder le plan social, nous allons voir quelles sont les aides qui peuvent être apportées pour faire en sorte qu'il y ait le moins de licenciements secs possibles. On ne peut pas l’empêcher et je dirai que l'économie fonctionne mieux comme cela. Sinon c'est aussi absurde que si on disait qu'on va lutter contre le chômage en interdisant le chômage.

M. HOLLANDE : Certains l'ont dit, mais pas nous. Ce que je veux dire là-dessus, sur l'argument principal : « Pourquoi ne l'avons-nous pas rétablie en 1988, puisque c'était Jacques Chirac qui l'avait supprimée, même si c'était lui qui l'avait créée en 1994 ? ». Nous ne l'avons pas rétablie parce que nous étions sensibles à l'argument que vous avez utilisé. Est-ce que par une autorisation administrative de licenciement, on ne va pas favoriser les embauches sur des contrats à durée déterminée, sur des formules précaires ? Est-ce que finalement, par peur de ne pas pouvoir licencier, les entreprises ne feront plus d'embauches ?

Qu'a-t-on constaté depuis ?

Mme SINCLAIR : Est-ce que ce n'est pas aussi parce que vous vous étiez aperçus que 90 % des licenciements étaient de toutes façons autorisés ?

M. HOLLANDE : Peut-être parce qu'on avait déjà sauvé 10 %, ce qui n'est pas si négligeable pour les intéressés. Mais qu'avons-nous constaté depuis 10 ans ? C'est que 70 % des embauches dans ce pays se font à contrat déterminé et sous des formules précaires. Donc l'argument patronal qui est de dire qu'on ne va pas recruter par des contrats à durée déterminée, même aujourd'hui, ne marche pas.

Mme SINCLAIR : A propos de Moulinex, mais on pourrait prendre un autre exemple, Philippe Seguin notait le décalage qu'il y a pour les Français entre le financier et le social, en disant qu'il y avait un paradoxe terrible que les Français ont du mal à comprendre : c'est qu'on licencie chez Moulinex et que l'action monte. Est-ce que ce paradoxe, qui peut s'expliquer techniquement, n'est pas insupportable aux gens ?

M. LAMASSOURE : Ce qu'il faut que les Français comprennent, ce sont les conséquences de la mondialisation. C'était d'ailleurs le sujet de la réunion des grands dirigeants du G7. La mondialisation, on en parle en France uniquement quand elle a des aspects négatifs, et là on voit Moulinex soumis à la concurrence nationale et internationale, qui réduit ses effectifs en France et qui va les accroître au Mexique.

Ce qu'il faut bien comprendre, c'est deux choses : 1) C'est une condition de survie de l'entreprise. À défaut, cela aurait fait une faillite et 7 000 licenciés ; là, on va sauver les 3/4 de l'effectif en France. En outre, si Moulinex veut repartir de l’avant, conquérir de nouveaux marchés, il faut qu'elle investisse à un endroit qui lui permettra d'attaquer le marché américain, qui est le marché principal : pour vendre des cafetières aux États-Unis, il faut investir au Mexique ; c'est ce que fait Moulinex.

Mme SINCLAIR : Vous avez raison, mais quittons l'exemple de Moulinex...

M. LAMASSOURE : 2) La mondialisation a permis à la France depuis plusieurs années d'avoir plus d'investissements étrangers, plus de créations d'emplois d'entreprises étrangères en France, qui s'installent chez nous et qui créent des emplois, que d'investissements français à l'étranger. II faut donc bien voir que dans cette mondialisation de l'économie, les entreprises sont tenues d'avoir une stratégie mondiale. Elles ont besoin de souplesse, elles ont besoin d'être bien gérées, ce qui leur permet d'avoir des capitaux ; elles ont besoin de souplesse.

Mme SINCLAIR : II y a un problème, parce que le Président de la République a dit lui-même qu'il voulait une mondialisation à visage humain. Donc c'est bien qu'elle est ressentie par des gens non pas seulement comme un atout, mais comme une menace.

M. LAMASSOURE : Bien entendu, mais il faut quand même laisser leur liberté d'action aux entreprises et avoir un système social, c'est pour cela que nous modernisons nos systèmes de protection sociale et de sécurité sociale, qui permet à tous ceux qui sont faibles, tous ceux qui sont défavorisés, tous ceux qui sont victimes de l'activité économique d'être pris en compte par la société. Mais surtout ne pas imposer à nos entreprises des règles, des contraintes qui les handicaperaient dans la concurrence mondiale.

M. HOLLANDE : Cela fait 10 ans, voire 15 ans, je mets beaucoup de gouvernements dans cette période-là, qu'on n'arrête pas de donner plus de liberté aux entreprises au nom de la mondialisation. D'un certain point de vue, nous avons obtenu des résultats remarquables : excédent du commerce extérieur, excédent de la balance des paiements courants. Nous avons aujourd'hui des entreprises extrêmement performantes. Tant mieux ! et en même temps nous ne cessons de constater les dégâts de cette mondialisation, telle que vous venez de la décrire, c'est-à-dire avec une liberté donnée toujours aux mêmes. II n'y a pas, à mon avis, se réjouir effectivement que ce soit les actionnaires, à chaque fois, qui encaissent les dividendes d'une mondialisation sous cette forme.

On peut, dans les conférences internationales, dire : « II faudrait peut-être mettre un peu de social » parce que cela fait un peu désordre de voir autant d'exclus du système dans lequel on est aujourd'hui et que l'on veut encore aggraver. Moi, je crois qu'aujourd'hui il faut fixer des balises, il faut fixer des cafés, et si on ne les fixe pas, ce mouvement de mondialisation sera à ce point rejeté, demain, que nos entreprises seront contestées à l'intérieur, alors qu'il y a eu une reconnaissance, tout de même du bienfait de ce qu'est l'acte de produire et que nous ne sommes pas sûrs de garder notre niveau de compétitivité et de performance si nous n'assurons pas un social qui soit autrement traite que le résidu de la liberté de donner toujours plus aux entreprises.

Mme SINCLAIR : Vous êtes tout de même d'accord avec le Président de la République quand il dit : « Cette mondialisation est inévitable ». Vous ne la remettez pas en cause ? Ce sont les corrections du système que vous souhaitez.

M. HOLLANDE : Dire qu'il y a un air que l'on respire, effectivement, je crois que l'on en est tous convaincus, et heureusement. Donc, cette mondialisation, nous ne sommes pas là pour en essayer d'en nier la fatalité. Ce que nous voulons, c'est de savoir quelle société nous construisons dans ce cadre d’une économie mondialisée.

M. LAMASSOURE : C'est un point sur lequel nous ne sommes pas forcement en désaccord. II ne faudrait pas que les Français retiennent de notre discussion, le sentiment que la mondialisation, c'est quelque chose de redoutable et négatif. C'est une chance formidable...

M. HOLLANDE : ... Sous la forme d'un capitalisme international, je crois que c'est un danger. Et c'est pour cela que si nous n'arrivons pas à corriger les excès de la mondialisation, cette mondialisation sera rejetée comme étant, finalement, dévoreuse d'emplois, dévoreuse de protection sociale, dévoreuse de services publics. Donc, cet enjeu-là est déterminant.

Mme SINCLAIR : Laissez Alain Lamassoure alter jusqu'au bout de son idée.

M. LAMASSOURE : C'est une chance formidable. II faut bien comprendre qu'aujourd'hui : quelle est la partie du Monde qui se développe ? C'est l'Asie. Les pays d'Asie augmentent leur production de 10 % par an. Puis, c'est le continent américain, le Nord et le Sud, qui augmente de 5 % par an. Plus que nous. Ce sont eux qui nous tirent vers le haut. Et si la France était repliée sur elle-même ou même repliée sur la seule Europe, il y aurait moins d'emplois, notre économie marcherait moins bien.

M. HOLLANDE : Personne, au fond, ne demande que l’Europe soit repliée sur elle-même.

M. LAMASSOURE : Non, mais nous sommes d'accord...

M. HOLLANDE : … Nous ne voulons pas, néanmoins, devenir les Taïwanais de la planète.

M. LAMASSOURE : Le problème est qu'aujourd'hui si nous avons des difficultés en France – ce n'est pas à cause de la mondialisation, nos entreprises sont compétitives, vous avez dit, vous-même, que jamais nous n'avons eu un excédent commercial aussi important- c'est que la demande des Français est trop faible. La consommation des Français est trop faible...

M. HOLLANDE : ... De cela, vous en ales responsable.

M. LAMASSOURE : Et elle est trop faible parce que les Français paient trop de charges, paient trop d'impôts. Et c'est pourquoi, notre objectif numéro 1 est de réduire la pression fiscale pour financer nos dettes...

M. HOLLANDE : Je relève cette autocritique.

M. LAMASSOURE : Et pour financer vos déficits. Nous pourrons en parler.

M. HOLLANDE : On va en parler, j'espère.

Mme SINCLAIR : AIIez-y tout de suite puisque vous y êtes. Vous répondez.

M. HOLLANDE : Monsieur Lamassoure met le terrain sur un sujet qu'a sa place je n'aurais pas abordé de front. Mais ce gouvernement est en train de réussir un triple record et il est vrai que c'est un record absolu :

Dans ce pays, nous n'avons jamais eu, jamais, autant de chômeurs qu'aujourd'hui.

Dans ce pays, les Français n'ont jamais autant payé d'impôts et de charges qu'aujourd'hui.

Dans ce pays, nous n'avons jamais eu de déficit de la sécurité sociale plus important qu'en 1995.

Voilà les résultats de votre politique. On pourra parler du bilan, on pourra parler du passé, on pourra parler de la comparaison entre les deux gestions, mais, aujourd'hui, la situation est celle-là.

Mme SINCLAIR : François Hollande, ce qui m'intéresse plus que les arguments que vous pouvez vous jeter l’un à l'autre à la figure, c'est le sentiment que les Français ont, c'est-à-dire qu'ils ont tout essayé et qu'il n'y a plus d'espoir. Les socialistes ont essayé ils ont échoué. La Majorité d'aujourd'hui essaie et elle échoué. Alors, qui...

M. HOLLANDE : … Justement, nous sommes là pour leur donner, l'un comme l'autre, je j’espère, des espoirs, peut-être différents quant à leur conclusion, mais des espoirs. Je pense qu'effectivement nous n'arriverons à remettre les Français plus au travail, dans remploi, que si nous avons une demande plus forte. Cela suppose deux choses :

Premièrement, une politique salariale plus active. Or, je constate que l'ajustement du Smic qui n'a été, comme je l'ai appelé, qu'un coup d'ongle et non pas un coup de pouce ne va pas forcement dans le sens souhaité.

Deuxièmement, il faut un baisse d'impôt et une baisse d'impôt sur la consommation. Ce qui fait défaut dans ce pays, c'est la consommation et le pouvoir d'achat. Or, tout ce qui est fait depuis plusieurs mois ou ce qui se prépare est une aggravation, et des conditions du pouvoir d'achat et donc de la croissance.

Mme SINCLAIR : Alain Lamassoure, vous aussi, je voudrais que vous répondiez sur le fond, avec le commentaire peut-être de ce sondage. Deuxième sondage de la SOFRES, les questions étaient très intéressantes ce soir :
Estimez qu'Alain Juppé, lorsqu'il dénonce l'héritage des gouvernements sociales, c'est un peu ce que vous faisiez tout à l'heure, a raison ?

Beaucoup de problèmes proviennent de la gestion de ces gouvernements socialistes : 32 %.

À tort, cela fait trois ans que la Gauche n'est plus au pouvoir, l'héritage des socialistes ne compte plus vraiment : 54 %.

Sans opinion : 14 %

Très nette majorité pour penser qu'Alain Juppé à tort. La question l’héritage ne paraît plus être la question de fond pour les Français.

Pour la dépasser peut-être, vous aussi, où est l'espoir ?

M. LAMASSOURE : Et pourtant ! Deux comparaisons sportives :

L'une, le Tour de France puisque c'est d'actualité. Vous avez constaté comme moi, Anne Sinclair, qu'il est beaucoup plus facile de descendre le Tourmalet que de le remonter. Cela se descend à 90 km/h, cela se remonte à 15 km/h. II y a eu une période de folie dans la politique économique française entre 1990 et 1993. II faut que les Français sachent que, dans les cinq années qui ont suivi la réunification allemande, les dépenses de l'État ont augmenté plus en France, de ce côté du Rhin, que de l'autre côté en Allemagne. Elles ont augmenté plus. Et que l’ensemble des déficits publics qui représentaient 1% de la richesse nationale en 1990 en représentait 6 % en 1996.

Prenons maintenant une comparaison automobile. Nous avons vu cet après-midi sur TF1 les belles images du Grand Prix de France de Formule 1. La voiture France, la voiture bleue, a un très bon moteur – nous parlions tout à l'heure de sa compétitivité Internationale – elle a un châssis trop lourd : le poids des dépenses publiques et le poids des impôts. Et c'est pourquoi nous sommes obligés de mettre l’accent sur la réduction des dépenses publiques de manière à alléger les charges de la voiture bleue, à alléger les impôts. Et, en même temps, la forme du châssis, si je puis dire, en continuant cette comparaison, n'est pas satisfaisante parce qu'elle date des années 70. Ce qui veut dire que la France a des institutions : la sécurité sociale, les entreprises publiques, l’éducation, qui n'ont pas été adaptées à temps et c'est l'objet de toutes les réformes que nous faisons.

Mme SINCLAIR : Un quart de mot politique : sur quoi compte le gouvernement pour redonner un peu d'élan à une politique qui n'apparaît pas comme populaire, c'est le moins qu'on puisse dire, puisque les sondages ne sont pas bons et à une Majorité qui elle-même rechigne un peu et qui, par certains de ses membres, souhaite que vous infléchissiez votre politique ?

M. LAMASSOURE : Montrer aux Français qu'ils peuvent avoir confiance en eux-mêmes. II y a six mois, en décembre, la France était complétement paralysée et les Français doutaient de leurs capacités à se reformer. Cela faisait quelques années qu'il n'y avait pas eu de réformes de fond. Les réformes sont en cours : celle de la sécurité sociale, celle de la défense. Nous allons aborder la réforme fiscale pour baisser les impôts. Le dialogue social a repris puisque nous avons un calendrier très chargé de rencontres avec tous les partenaires sociaux, sur l'emploi des jeunes, sur l'aménagement du temps de travail.

Mme SINCLAIR : François Hollande, pour vous aussi, trente secondes de question politique : comptez-vous sur votre propre talent ? Ou attendez-vous embusqués que la Majorité et le gouvernement se cassent le    nez ?

M. HOLLANDE : On a confiance dans notre talent, mais il est vrai que les performances du gouvernement pourraient laisser penser que même une opposition médiocre pourrait avoir quelque chance de l'emporter. Je crois qu'on ne peut, dans la situation actuelle, revenir au pouvoir que si on est prêt à une alternative. De ce point de vue, l'héritage que l'on recevra sera à prendre en compte et nous ne ferons pas ce petit jeu de constater qu'à chaque fois on ne peut pas faire ce qu'on a compris de faire parce que c'était plus difficile qu'on l'avait imaginé. Et, deuxièmement, je crois que nous essaierons de refaire, non pas ce que nous n'avons pas su faire lorsque nous étions, nous-mêmes, aux responsabilités, mais de faire ce que nous pensons devoir faire aujourd'hui. C'est-à-dire la réduction du temps de travail, pas simplement l'aménagement du temps de travail, la relance de la consommation. Bref, remettre l’essence qui n'est plus dans la petite voiture de Monsieur Lamassoure.

Mme SINCLAIR : Je remarque que vous parlez au futur et pas au conditionnel.

M. HOLLANDE : Parce que, dans la vie, il faut toujours avoir des objectifs ambitieux. Mais le conditionnel est là pour vous rappeler à la raison.
Mme SINCLAIR : Nous allons faire une pause de publicité. Derrière, on continuera à dérouler l'actualité de la semaine, notamment l'affaire Tiberi.

À tout de suite.

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Mme SINCLAIR : On poursuit l'actualité de la semaine avec l'affaire Tiberi, l’évasion de la famille Oufkir et la mise à l'écart de Radovan Karadzic en Bosnie. Viviane Junkfer, Joseph Penisson.

Bosnie : La pression internationale commence-t-elle enfin à obtenir gain de cause ? Radovan Karadzic a officiellement transféré ses pouvoirs ce matin à sa vice-présidente. II ne s'agit pas encore d'une démission et le leader des Serbes de Bosnie continuera sans doute tirer encore toutes les ficelles, mais un peu plus dans l'ombre.

Terrorisme : Les Américains à nouveau frappés par le terrorisme en Arabie-Saoudite.

Oufkir : II n'y a plus d'affaire Oufkir, selon Rabat. C'est la fin d'un très long calvaire pour cette famille qui n'en finissait pas de payer la trahison du Ore, le General Oufkir, ancien chef de la sécurité du Royaume, suicide d'une rafale dans le dos après avoir raté son attentat contre le roi en 1972.

HLM : perquisition spectaculaire du juge Halphen au domicile de Jean Tiberi. Le magistrat de Créteil agissait dans le cadre de l'enquête sur les HLM de Paris et la possibilité d'un financement occulte du RPR.

Mme SINCLAIR : Alain Lamassoure, cela fait mauvais effet tout ça, non ?

M. LAMASSOURE : Je trouve grave ce que nous venons de voir. D'abord, il y a une inexactitude : le juge Halphen n’a jamais été dessaisi de ce dossier.

Mme SINCLAIR : C'est juridiquement incorrect et politiquement exact parce que l’impression est celle-là.

M. LAMASSOURE : Attention, il s'agit de la justice, donc du droit. Donc, ce qui est important, c'est le juridique. De quoi s'agit-il ? Le juge Halphen a été chargé d'un dossier important, grave, qu'i, est en train d'instruire, qui est l'affaire de fausses factures émises par des entreprises du Val de Marne et le juge Halphen est base à Créteil, Val-de-Marne, en liaison avec l’Office d'HLM de Paris. Le juge Halphen a toute compétence pour faire toutes les enquêtes qu'il veut sur cette affaire-là, y compris aller à Paris, dans le cadre de cette enquête-là, au domicile du maire de Paris. En revanche, dans le courant de son enquête, il est tombé sur d'autres faits qui lui ont paru anormaux, peut-être délictueux, l'affaire du logement du fils de Monsieur Tiberi et, à ce moment-là, il en a naturellement prévenu le parquet.

Étant donné que ce logement est à Paris, le fils Tiberi n'y habite plus d'ailleurs, mais il habite également à Paris, tout naturellement, le Parquet a estimé que ce n'était pas à un juge de Créteil de poursuivre ces faits-là.

Mme SINCLAIR : Et le Parquet a classé, hier.

M. LAMASSOURE : Et donc il n'a pas été dessaisi. C'est un point très important. Le seul cas de dessaisissement qu'on ait connu dans les années récentes, un véritable dessaisissement, c'est la décision prise par Monsieur Nallet, en 1990, ministre socialiste, à l’égard du juge Jean-Pierre qui menait une enquête sur le financement du Parti socialiste.

Mme SINCLAIR : Alain Lamassoure, vous savez bien ce que, symboliquement et politiquement, comment cela peut résonner, ce que les gens perçoivent. Donc, c'est un peu là-dessus que je voudrais vous entendre ?

M. LAMASSOURE : Je vais vous dire ce que je perçois. Comment se fait-il qu’il y avait des journalistes pour assister à un élément de procédure judiciaire qui est une perquisition ?

M. HOLLANDE : II n'y avait pas les policiers, en tous les cas. II y avait les journalistes, il n'y avait pas les policiers.

M. LAMASSOURE : II y a eu un incident entre le juge et les policiers. Comment se fait-il que toute la presse est au courant et que l'on assiste à une polémique officielle entre les syndicats de magistrats qui soutiennent le juge, les syndicats de policiers qui soutiennent les policiers et qui somment, les uns et les autres, la justice de prendre telle ou telle décision.

Mme SINCLAIR : II y a des élus aussi, Monsieur Devedjian, RPR, qui a dit ce soir : « Le comportement du directeur de la PJ, Olivier Fol, donc, le directeur de la P.J., qui a refusé que les policiers accompagnent la perquisition chez Monsieur Tiberi, est complétement illégal ». Venant de la Police judiciaire, c'est un peu embêtant.

M. LAMASSOURE : Eh bien, là, je mets en garde tout le monde. II n'est de l'intérêt de personne, ni de l’Opposition, ni du Gouvernement, ni surtout de la justice, de livrer des actes de procédure judiciaire à la polémique politique et médiatique. II y a eu manifestement quelque chose d'anormal qui s'est passé entre le juge Halphen et les officiers de Police judiciaire qui, normalement, sont à ses ordres et doivent lui obéir. Si le juge n'est pas satisfait, il y a des procédures que prévoit le code de procédure pénal. Il s'adresse au Président de la Chambre d'accusation qui prend les décisions qui s'imposent. Et c'est comme ça qu'une justice sereine peut fonctionner.

Mme SINCLAIR : Je voudrais donner la parole à François Hollande puisque, ce matin, Lionel Jospin a dit, à la convention nationale du Parti socialiste, « c'est une affaire d'État ». Est-ce que cela vous semble le terme approprié ? Ou est-ce votre rôle d'opposant qui vous fait dire cela ?

M. HOLLANDE : Oui, c'est une    affaire    d'État.    D'ailleurs, Monsieur Devedjian et, dans une certaine mesure, Monsieur Lamassoure le reconnaissent. Ce que je veux dire, c'est qu'on voudrait parler d'autre chose que des affaires, il y a vraiment plein de sujets, on en a évoqué certains à cette émission, et on n'est pas là uniquement pour venir l'attaque d'une Majorité ou d'un Gouvernement en difficulté parce qu'il y a des affaires...

Mme SINCLAIR : ... Et puis vous le savez, ce n'est pas une situation lies confortable, vous l'avez vécue.

M. HOLLANDE : Mais il y a une affaire d'État aujourd'hui, pourquoi ? Pour deux raisons :

D'abord, il y a eu la décision du Parquet, donc de la Chancellerie, puisque le lien entre le Parquet et la Chancellerie, n'a pas été rompu, de classer le dossier de Monsieur Tiberi sur la question du logement accords à son fils dans le cadre de l'Office HLM. Pour nous, c'est grave déjà parce que le but d'un Office HLM, ce n'est pas, à nos yeux, de fournir un logement au fils du Président de cet Office, le but d'un Office HLM, c'est de fournir des logements à ceux qui en ont le plus besoin et non pas nécessairement au fils du Président.

Ensuite, le but d'un Office HLM, ce n'est pas de faire des travaux dans l'appartement du fils du Président, c'est plutôt de réhabiliter les logements insalubres. Donc, cela est la première affaire. Classement d'un dossier. On ne reparlera plus, il faut le savoir, de ce dossier-là du fils de Monsieur Tiberi et de son logement dans le cadre de l'Office HLM et des travaux qui s'y sont produits.

La deuxième affaire, et celle-là a été qualifiée d'affaire d'État par Lionel Jospin, c'est le fait très grave que la Police judiciaire qui est normalement soumise aux décisions, aux ordres, aux instructions de la Justice, n'a pas prêté son concours à une perquisition. Et, nous demandons absolument qu'il y ait des explications, qu'il y ait une enquête. Nous sommes extrêmement préoccupés par la déclaration du directeur de la Police judiciaire qui a considéré qu'il était normal qu'il ne prête pas son concours compte tenu de la nature de l’affaire et des comportements du juge. Et nous disons, la, qu'il y a une déviation très grave, à la fois, dans les procédures de justice et, maintenant, dans les procédures de police.

Mme SINCLAIR : N'y a-t-il pas une hypocrisie un peu oublieuse de la classe politique ? parce que, après tout, les socialistes ont essayé de bloquer l'affaire URBA, ils n'y sont peut-être parvenus mais ils ont essayé. La morale de tout ça n'est-ce pas de dire que, quand on est au pouvoir, on étouffe les affaires et que, quand on est dans l'opposition, on les dénonce ? Vous êtes dans ces rôles-là ? Vous avez vécu cela.

M. HOLLANDE : Nous sommes dans ces rôles-là. Si nous sommes demain dans la Majorité, d'abord, nous n'avons pas des comportements qui sont de nature à confier des logements à tel ou tel de nos proches ou des présidents des offices. Deuxièmement, ce qui est grave, c'est que Monsieur Toubon est maire-adjoint de Paris, c'est lui qui classe le dossier de Monsieur Tiberi, maire de Tiberi. Monsieur Debré est maire-adjoint de Paris, il est ministre de l'intérieur, c'est lui qui refuse le concours de la police. Donc, on a une confusion grave des genres et je dis très nettement ici que si nous revenons au Pouvoir, nous supprimerons le lien entre la Chancellerie et le Parquet et, deuxièmement, nous mettrons la Police judiciaire à la disposition de la justice.

Mme SINCLAIR : Alain Lamassoure.

M. LAMASSOURE : Supprimer le lien entre le Parquet et le Gouvernement, vous avez eu 14 ans pour le faire. À aucun moment, ceci n'a été envisagé par vous.

Je voudrais démentir catégoriquement ce que vous avez laissé insinuer, Madame, que, quand on est au Pouvoir, on essaie d'étouffer les affaires. J'ai fait partie du gouvernement d'Édouard Balladur, le gouvernement précédent, trois ministres ont été mis en examen et un a été incarcéré. Est-ce le fait d'un gouvernement qui étouffe les affaires ?

M. HOLLANDE : D'un gouvernement rattrape par les affaires, c'est autre chose.

M. LAMASSOURE : Rattrapé par les affaires. Au passage, je voudrais signaler le cas de Michel Roussin qui a été mis en examen, qui a démissionné du gouvernement et, ce jour-là, cela a fait la Une du 20 heures à TF1. Et puis 18 mois après, la justice s'est rendue compte qu'il n'y avait rigoureusement rien, il était victime de dénonciations calomnieuses d'un ancien chauffeur. II a bénéficié d'une ordonnance de non- lieu. Quasiment, personne n'en a parlé. Calomnié, calomnié, il en restera toujours quelque chose.

M. HOLLANDE : Là, la justice a fait son travail. Elle a pris une décision, on ne l'a empêchée de travailler.

M. LAMASSOURE : Les médias, l’opinion, l’Opposition n'ont pas fait leur travail.

Mme SINCLAIR : Rapidement, il faut conclure là-dessus.

M. LAMASSOURE : Je voudrais dire également que cette semaine, on aurait pu le voir dans le résumé de la semaine, il y a eu l’incarcération d'un sénateur de la Majorité des Bouches-du-Rhône, il y a eu la mise en examen d'un député de la Majorité du Var et la semaine précédente s'était terminée par une perquisition, qui a fait beaucoup moins de bruit, curieusement, que celle d'hier, au siège du Parti communiste sur le financement du Parti communiste.

Ceci pour bien montrer qu'il n'est absolument pas question d'étouffer quelque affaire que ce soit.

M. HOLLANDE : Ou vous en avez beaucoup. C'est la deuxième explication possible.

Mme SINCLAIR : Un mot, Alain Lamassoure.

M. LAMASSOURE : Je reviens, Anne Sinclair, sur la procédure. Celui qui a prononcé la parole, la meilleure, la plus vraie, la plus exacte sur ce sujet, c'est le numéro 2 du Parti socialiste, hier,    Monsieur Daniel Vaillant, qui a dit : « Nous ne pouvons pas prétendre à la fois voir la Justice faire bien son travail et nous immiscer dans les procédures judiciaires ». Je crois qu'il a eu totalement raison.

Mme SINCLAIR : On reste sur ce mot de la fin pour l’instant.

Je voudrais qu'on finisse de regarder l’ensemble de l'actualité de la semaine avec l’affaire de la vache folle qui inquiète toujours les Français et comment ? Les Français qui sont choqués aussi par les redécouvertes rendues publiques sur l'amiante et indignés par le scandale de l’ARC. Viviane Junkfer, Joseph Penisson.

ARC : l'étau judiciaire se resserre autour de Jacques Crozemarie.

Amiante : attention, dossier brûlant

Vaches folles : selon les scientifiques, les farines d'origine animale sont potentiellement dangereuses. En conséquence, le Gouvernement décide de suivre les recommandations du comité d'experts.

Mme SINCLAIR : Oui, où sont passés nos veaux, vaches, cochons, poulets ? On a très peu de temps, mais je voudrais vous interroger tous les deux sur ce qui reste de tout ça. Quelle est la morale de cette histoire ? Est-ce les consommateurs qui ont voulu manger des fraises Noël ? Et je lisais dans « Le Parisien » l'autre jour, « des berlingots d'œufs brouillés surgelés ». Cela m'a fait horreur ! Qui est fautif ? Sont-ce les consommateurs ? Ou sont-ce les industries alimentaires qui nous ont fait manger n'importe quoi ?

Alain Lamassoure.

M. LAMASSOURE : Je crois que c'est un peu vain maintenant de savoir qui est fautif ? De distribuer des bons points ou des mauvais points...

Mme SINCLAIR : …C'est la situation aujourd'hui de la santé publique.

M. LAMASSOURE : Ce qui est important, c'est de savoir qu'aujourd'hui les Français ne courent plus aucun risque. La France, depuis le début, c'était en 1989, a pris toutes les mesures pour se protéger contre cette maladie. Et la nouvelle de la semaine, c'est que le rapport du Professeur Dormont a confirmé que les farines d'origine bovine pouvaient être dangereuses à la consommation pour les ruminants eux-mêmes et, éventuellement, pour d'autres catégories d'animaux, mais a confirmé que nous pouvions être tranquilles sur la consommation de pores et de volailles parce qu'il n'y a pas de transmission de cette maladie à ces espèces-là – donc, nous pouvons continuer de les consommer – et a recommandé un ensemble de mesures de façon à garantir que, désormais, toutes les farines qui seront produites ne présenteront plus aucun risque pour aucune catégorie animale ou humaine.

D'autre part, nous avons pris des dispositions pour indemniser les agriculteurs. Nous avons obtenu à Florence que les Anglais renforcent considérablement leur programme d'abattage. Je pense que c'est une crise qui, maintenant, va pouvoir être considérée comme derrière nous.

Mme SINCLAIR : Est-ce que c'est une crise dernière nous ? Ou est-ce que c'est une crise de notre société qui est devenue un peu folle ?

M. HOLLANDE : Oui, c'est une crise de production. Je crois que l'agriculture est devenue industrielle et qu'elle a, dans ces conditions, changé les données naturelles. On l'a bien vu il y a quelques années, c'était le problème des hormones. On le voit maintenant avec les farines animales. Je pense que, aujourd'hui, notre intérêt commun, à la fois pour les producteurs et pour les responsables publics, c'est une règle du jeu qui suppose que la santé publique soit supérieure aux intérêts commerciaux.

Cela voudra dire – vous aviez raison – que, pour les consommateurs, être mieux protégés, avoir peut-être un étiquetage plus juste de l’origine des produits, avoir la certitude que le produit est de qualité, tout cela suppose aussi de le payer un peu plus cher.

Mme SINCLAIR : Je vous remercie tous les deux d'avoir participé à cette émission. Merci, Alain Lamassoure, merci, François Hollande.

La grille d'été se met en place sur TF1 sur l'ensemble de la semaine et comme d'autres émissions, 7 sur 7 cède sa place au programme d’été. Je vous retrouverai, si vous le voulez bien, selon la formule consacrée, à la rentrée.

Dans un instant, le Journal de 20 heures de Claire Chazal avec, pour invite, Vincent Lindon, pour le film, « Le jour du chien ».

Merci à tous. Bonsoir.