Interview de M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, dans "Le Journal du Dimanche" le 21 février 1999, sur l'ouverture du capital d'Air France.

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Média : Le Journal du Dimanche

Texte intégral

JDD
- Comment expliquez-vous ce succès alors que l’image d’Air France a encore souffert de mouvements sociaux très durs avant le Mondial ?

Dominique Strauss-Kahn
- Avec 2,4 millions d’actionnaires, il s’agit avant tout d’un succès populaire exceptionnel qui témoigne de son redressement à tous ceux qui doutaient d’Air France. Les Français croient massivement en cette grande compagnie nationale. J’y vois, avec Jean-Claude Gayssot, un double signal. D’abord sur l’avenir de l’entreprise, qui résulte notamment des efforts commerciaux déployés ces dernières années par ses personnels et ses dirigeants. J’y vois aussi pour le gouvernement un signe de confiance renouvelée de nos concitoyens dans la situation économique de notre pays.
Malgré les conflits passés que vous évoquez Air France a su mettre en œuvre les conditions d’une confiance restaurée et d’un nouveau dialogue social. En témoigne le succès de l’échange salaires contre actions auprès des pilotes : près de 79 % d’entre eux ont choisi de réduire leur salaire pour devenir des actionnaires durable de leur entreprise. Au total, les salariés détiendront près de 15 % du capital, plaçant Air France en tête des grandes entreprises françaises pour l’actionnariat salarié. J’ai choisi de donner une priorité absolue aux petits ordres des épargnants, jusqu’à 10 actions.

JDD
Pourquoi estimez-vous important que l’État conserve la majorité (53 %) alors que toutes les compagnies du monde sont privatisées ?

Dominique Strauss-Kahn
J’ai entendu les mêmes remarques concernant France Télécom. Un an après l’ouverture de son capital, cette entreprise publique connaît des succès incontestables. Je prédis à Air France, dans les mêmes conditions de capital, un destin similaire.
Plus généralement, la politique que nous menons dans le secteur industriel public ne répond pas à une démarche idéologique. Il ne s’agit jamais de privatiser pour privatiser, comme c’était le cas pour nos prédécesseurs, ce qui les a d’ailleurs conduits le plus souvent à des impasses. C’est une approche sur mesure, fondée sur une analyse stratégique, dictée par l’intérêt général, celui de l’entreprise et celui de ses salariés. C’est dans ce cadre que nous avons redonné une perspective industrielle à Thomson, à l’Aérospatiale et aujourd’hui à Air France. Le secteur public était un problème, il est redevenu un atout.

JDD
L’État n’a-t-il pas bradé Air France en évaluant sa valeur globale à 20,5 milliards seulement, soit le montant qui a été versé par le contribuable en 1994 pour remettre à flot la compagnie ?

Dominique Strauss-Kahn
La comparaison avec 1994 n’est pas pertinente : Air France était alors en très grande difficulté. Ce débat sur le prix est traditionnel à chaque ouverture du capital de sociétés publiques. C’est méconnaître le processus de décision qui garantit les intérêts du contribuable. Le prix de l’action a fait l’objet d’une évaluation par une commission indépendante : la Commission des participations et des transferts. S’agissant d’Air France, je note d’ailleurs que les analyses sont diverses : la presse anglo-saxonne a considéré au contraire que le prix était plutôt élevé.