Texte intégral
Conférence de presse du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charette, devant le club de presse « Nihon Kisha Club » (Tokyo, 18 juin 1996)
Merci à vous, Mesdames et Messieurs de consacrer un peu de temps à cette rencontre entre nous, qui est destiné à me permettre à la fois de présenter les grandes orientations de la politique étrangère française et à vous rendre compte de mon voyage à Tokyo.
C’est vrai, comme vous venez de le rappeler, Monsieur le secrétaire général, c’est tout à fait exact que nous sommes entrés dans une période nouvelle de la politique étrangère française liée au calendrier politique, c’est-à-dire à l’élection présidentielle. Le système politique français est ainsi fait que le Président de la République exerce une responsabilité tout à fait particulière dans le domaine de la politique étrangère en son champ propre de responsabilité. Dès lors, au lendemain d’une élection présidentielle, c’est le moment où se définit ce que sera la politique étrangère de la France pendant la durée du mandat à venir, c’est-à-dire pendant les 7 ans qui vont venir. Cette politique étrangère étant au fond assez éloignée des événements de politique intérieure qui par ailleurs peuvent surgir, cela donne à la politique étrangère française une certaine continuité, et une certaine force. Donc, dans cette période où la France définit sous l’autorité du Président de la République sa politique étrangère pendant les 7 ans qui viennent, ce qui est la marque de la démarche française est certainement l’intention que nous exprimons et que nous affichons d’intervenir de façon plus active dans la vie internationale. Le Président Reagan avait eu une formule pour expliquer cela, parlant de son propre pays, il avait dit : « America is back ». Eh bien, je vais utiliser la même formule et dire : « la France est de retour ». Mais en vous disant cela, ce n’est pas l’expression d’une vieille vanité française que parfois les pays étrangers nous reprochent. Ce n’est pas non plus le retour d’une certaine forme de nationalisme ou de chauvinisme qui ne nous effleure pas l’esprit. Plus que jamais, nous confirmons l’engagement français en Europe et la détermination de la France à être un élément majeur de la construction européenne. Plus que jamais aussi, nous sommes sensibles aux interdépendances qui se développent dans le monde d’aujourd’hui et qui conduisent les peuples et les nations à redoubler les liens qui existent entre les uns et les autres. Il ne s’agit pas de nationalisme : il s’agit de volontarisme. Nous sommes à un moment extrêmement important de notre histoire. Le monde était hier divisé en deux blocs : c’est maintenant fini. En même temps, un très grand nombre de pays, et notamment en Asie, deviennent des puissances économiques et apparaissent avec un rôle croissant, à la fois économique et politique. Nous voyons bien que l’ensemble des nations recherche souvent à tâtons quelle sera l’organisation du monde qui sera le mieux à même de répondre à deux aspirations permanentes de la vie internationale: l’aspiration à la paix et à la prospérité. De ce point de vue, notre objectif est au fond assez clair. Nous souhaitons contribuer à l’organisation d’une Europe puissante. Nous souhaitons que cette Europe prenne dans le monde toute la place qui lui revient. C’est dans cet esprit qu’il faut voir l’intérêt nouveau que nous prenons à l’ensemble asiatique et, en particulier, au Japon. Nous n’avons pas eu besoin de beaucoup de talents pour constater que le monde asiatique était en train de connaître une véritable révolution. Nous n’avions pas besoin d’être des devins pour comprendre que dans les vingt ans qui viennent, l’Asie allait concentrer la moitié du pouvoir économique t forcément une part très importante du pouvoir politique dans le monde de demain. Il ne fallait pas avoir l’œil très perçant pour constater que la place de la France dans cette partie du monde est aujourd’hui très insuffisante et très loin de ce qu’elle devrait être. Nous avons décidé de donner à notre politique étrangère une dimension asiatique. Dans son discours de Singapour, le Président de République a parlé de tout cela. Il en a parlé dans une formule simple : « l’Asie est la nouvelle frontière de la politique étrangère française ». Naturellement, le Japon est pour nous au sein de la priorité asiatique, la priorité des priorités. Il y a beaucoup de raisons à cela, mesdames et Messieurs. La première, c’est qu’il y a entre nos deux pays des proximités insoupçonnées. Vous êtres un pays avec une forte identité nationale, vous avez derrière vous une très longue histoire et une culture très raffinées, très intense. Votre civilisation pèse lourd dans le monde d’aujourd’hui, comme elle a pesé lourd dans le monde d’hier. Et je vous dirais franchement, nous aussi. Notre terre française est une terre de vieille civilisation, de grande culture, avec un long passé et une très forte identité nationale… comme vous ! Nous sommes deux pays de tradition. En même temps, vous êtes devenus en un demi-siècle une grande puissance économique. Nous aussi. La technologie française s’est imposée au cours de cette période, que ce soit, dans le domaine aéronautique, dans le domaine spatial, dans le domaine du chemin de fer, dans beaucoup d’autres domaines, notre technologie est, comme la vôtre, l’une des meilleures du monde. Vous êtres un grand pays exportateur, nous sommes le 4e exportateur du monde. Et donc, il me semble que deux pays comme le Japon et la France, pays de tradition et pays modernes, ayant choisi l’ouverture et le progrès, ont toutes les raisons de bien se comprendre et de travailler ensemble. Voilà pourquoi, mesdames et Messieurs, nous donnons comme tâche prioritaire à notre politique étrangère d’établir des liens extrêmement étroits, prioritaires et privilégiés avec le Japon. En 1995, nous avons eu un peu d’incompréhension mutuelle à propos des essais nucléaires français. C’est un dossier qui est clos. Pour nous, la page est tournée. Nous voudrions faire de l’année 1996, l’année de la relance des relations franco-japonaises avec l’ambition de les porter à un très haut niveau de densité et de qualité. Je suis venu au Japon à l’invitation de mon collègue et amis, M. Ikeda, afin de porter ce message, et de préparer dans cette perspective la visite d’État du Président de la République au moins de novembre prochain. Notre objectif est de développer ces relations d’abord au plan politique, c’est-à-dire d’établir ensemble des relations très étroites, d’organiser un dialogue permanent et constant à tous les niveaux, y compris au niveau les plus élevés, de façon à nous concerter, sachant que nos vues en matière de politique internationale sont très souvent proches, et permettent par conséquent d’imaginer des actions communes dans de nombreux domaines. De même, souhaitons-nous développer fortement les relations économiques entre la France et le Japon. Il y a eu déjà de nombreux progrès accomplis dans ce domaine, mais il reste beaucoup à faire pour donner à ces relations un niveau plus élevé. Enfin, je souhaite développer et intensifier les relations dans le domaine culturel, en raison de ce que j’invoquais tout à l’heure quant à l’ancienneté de nos deux civilisations. Tels sont les grands objectifs que la France propose au Japon, et que nous voudrions en 1996 organiser et établir à l’occasion de la visite du Président Chirac dans votre pays à la fin de l’année.
Q. : La France vient de faire un retour dans le cadre de l’OTAN, et je crois savoir que le Président de la République est en train de mener à bien des réformes militaires. Tout d’abord, il a aboli le système de service militaire et il est en train de réduire les effectifs militaires français. Dans ce contexte-là, j’aimerai savoir quelles sont, d’après vous, les opinions que vous avez pu recevoir des autres pays appartenant à l’OTAN, ou bien des autres pays de l’Union européenne.
R. : Monsieur, je ne suis pas sûr de bien mesurer votre question, mais je vais m’efforcer d’y répondre. La France a décidé de remettre en question l’ensemble de sa politique de défense pour l’adapter à la situation nouvelle créée par la disparition de l’Union soviétique, c’est-à-dire de ce qui était dans le passé la menace principale, dirigée contre nous et autour de laquelle était organisé notre concept de défense. Nous en avons tiré trois conséquences : la première est une réduction sensible des dépenses militaires françaises. J’observe que la plupart des pays avait déjà fait cet effort de reconversion dans les années passées, nous ne l’avions pas fait, nous étions en retard. La deuxième décision prise par le Président de la République qui va être soumise au Parlement est la suppression du service militaire et son remplacement par une armée de métier. Nous sommes le 18 juin 1996, c’est l’anniversaire du 18 juin 1940, date de l’appel du Général de Gaulle. Si je l’évoque, c’est pour vous dire que le premier qui a parlé de l’armée de métier en France, c’est le Général de Gaulle, avant la guerre. Donc, en l’imaginant en 1996, nous n’anticipons pas trop, me semble-t-il. Enfin, nous avons marqué notre disposition à reprendre notre place dans l’Alliance atlantique, pour autant que celle-ci soit profondément réformée, et qu’en particulier, elle fasse toute sa place à l’expression de l’identité européenne de défense. Voilà, ce sont trois changements fondamentaux qui font partie des grandes réformes que le gouvernement est décidé à mettre en œuvre pour que la France ait l’heure de son temps.
Q. : J’aimerais avoir votre sentiment en ce qui concerne les élections présidentielles qui se tiennent en ce moment en Russie... Entre-temps, entre le premier et le deuxième tour, aura lieu le sommet de Lyon. Il est prévu que M. Eltsine participe aux travaux du sommet. Et dans ce contexte, j’aimerais savoir de quelle manière le Président Eltsine sera reçu au moment du sommet, c’est-à-dire, j’aimerais savoir s’il y aura un pas en avant en ce qui concerne son accueil et son intégration dans les travaux du sommet.
R. : D’abord, Monsieur, c’est avec beaucoup de plaisir que nous voyons les Russes choisir eux-mêmes, pour la première fois dans leur histoire, leur chef d’État. Je crois que c’est pour tous les amis de la Russie, dont la France s’honore d’être, une très grande joie. Franchement c’est au peuple russe de choisir son futur chef d’État. Pour le reste, je ne porterai pas de jugement. Les Russes votent, choisissent et ils exercent un pouvoir qui leur appartient et nous n’avons pas à porter de jugement sur le choix du peuple russe. M. Eltsine sera accueilli à Lyon, au sommet des chefs d’État et de gouvernement. Je vous rassure : il sera accueilli très chaleureusement. Nous pensons, d’ailleurs, que, progressivement, la Russie devra participer pleinement aux travaux du G7 qui devront devenir, à mon avis, le plus tôt sera le mieux, le G8.
Q. : Étant donné que les négociations du CTBT sont en tours actuellement à Genève, j’aimerais tout d’abord savoir si nous allons aboutir à un résultat à la fin de ce mois. D’autre part, j’aimerais savoir s’il est absolument nécessaire que des pays comme l’Inde, le Pakistan ou Israël participent pleinement au CTBT, ou y a-t-il d’autres possibilités ?
R. : Cette négociation est une négociation capitale. Il s’agit du plus grand dossier que nous ayons à traiter sur le désarmement dans cette période. Réussir est nécessaire. Comme vous le savez, la France a joué un rôle important et très dynamique dans cette négociation. C’est la France qui a proposé, au mois d’aout dernier, de retenir comme base et comme objectif de la négociation ce que nous avons appelé l’option zéro, c’est-à-dire l’interdiction complète de tous les essais, quelle que soient leur taille. Vous voudrez bien observer au passage que la France est désormais le seul pays parmi les puissances nucléaires à avoir fermé son centre d’essais. Avec ou sans accord, vous constaterez que les Américains, les Russes, les Chinois disposeront de toute façon d’un centre d’essais disponible, alors que nous même, en signant le protocole de Rarotonga, nous avons pris la décision de fermer définitivement notre centre d’essais. Je réponds à votre question. D’abord, je crois que nous allons aboutir à un résultat positif dans cette négociation. Je suis donc optimiste. Ensuite, je crois évidemment indispensable que cet accord soit signé par le plus grand nombre de pays possibles, et évidemment par tous ceux qui sont directement concernés. Vous avez cité le cas de l’Inde, et d’autres pays, je n’imagine pas un accord qui ne serait pas signé par ces pays.
Q. : Tout à l’heure, en parlant de la visite prochaine du Président de la République, vous avez évoqué l’approfondissement des relations politiques, économiques et culturelles de nos deux pays. Pouvez-vous nous dire en quelques mots les projets concrets qu’il y a à l’avenir ?
R. : Monsieur, nous avons travaillé hier avec Monsieur Ikeda, sur un document dont le titre sera probablement « Vingt actions pour le 21e siècle ». C’est donc un document qui fixera des objectifs concrets pour le renforcement des relations franco-japonaises pour les quelques années à venir. Ce document est en cours d’élaboration, mais la décision de l’élaborer a été prise et il sera rendu public à l’occasion de la venue du Président de la République au Japon. Je crois que ça correspond exactement avec ce que vous venez de dire. En second lieu, vous savez que nous sommes en train de mettre en place un forum de dialogue franco-japonais, qui sera co-présidé par Monsieur Nakasone, pour la partie japonaise, et par M. Raymond Barre, pour la partie française. Ce forum comprendra autour de M. Barre et de M. Nakasone, six personnalités japonaises et six personnalités françaises, dont la mission sera de prendre des initiatives et de faire des recommandations pour l’intensification des relations franco-japonaises. Sa composition sera annoncée à l’occasion de l’entretien que M. Hashimoto et M. Chirac auront à Lyon en marge du G7. Sa première réunion est prévue – j’ai revu ce matin M. Nakasone longuement à ce sujet – à l’automne prochain, à une date que M. Barre et Monsieur Nakasone fixeront ensemble, puisqu’ils se rencontreront en France début juillet.
Q. : Le Washington Post d’hier disait qu’il y a eu un accord signé entre les États-Unis et la France en ce qui concerne une mise en disposition des données américaines relatives aux simulations des essais nucléaires à la France. Je voudrais savoir l’importance pour vous de cette signature, et quel est le rôle que vont jouer ces données de base qui seront fournies par les Américains pour l’arsenal nucléaire français ?
R. : La France accueille favorablement toute idée de coopération franco-américaine dans le domaine scientifique et technique.
Q. : Monsieur le ministre, à propos des relations scientifiques et technologiques, est-ce que l’on peut dans le cadre des trois données que vous avez indiquées les relations politiques, culturelles et économiques, envisager un jour des échanges sur le plan scientifique notamment, en ce qui concerne l’aérospatiale, les télécommunications et le nucléaire. Je pense particulièrement au spatial, Bien sûr, avec les programmes Ariane ici en France, et au Japon le programme H2 ?
R. : Oui vous avez raison, Monsieur, l’un de nos objectifs est de développer de façon forte et significative la coopération dans le domaine scientifique et technologique. Nous avons des possibilités presque infinies dans ce domaine tant il est vrai que l’avancée technologique française et le niveau technologique japonais sont très élevés et très proches. Nous avons proposé à la partie japonaise, qui est très disposée à cela, de donner une dimension nouvelle au travail commun que peuvent faire nos savants et nos techniciens. Cela peut avoir de grands débouchés possibles. Par exemple, Airbus travaille sur un projet d’avion gros porteur, avec des partenariats extérieurs. Quels seront-ils ? Est-ce que il y aura un partenariat japonais sur ce projet ? Pourquoi pas. Il y en a d’autres possibles, et celui-là est évidemment concevable. Bref, le champ est très grand et offre de nombreuses perspectives.
Q. : À l’occasion du sommet du G7, j’aimerais savoir si les autres pays industrialisés participants auront à donner des directives ou des conseils à Monsieur Boris Eltsine ?
R. : Non franchement, ce n’est pas l’objet de l’ordre du jour. Les conseils en matière électorale ne valent pas grand-chose. Chacun de ceux qui ont été candidats dans leur vie, savent qu’ils sont les seuls à pouvoir prendre leurs responsabilités.
Entretien du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charette, avec la chaîne de télévision japonaise « NHK » (Tokyo, 18 juin 1996)
Q. : Monsieur le ministre, je sais que la France assure déjà la quatrième présidence du G7. Depuis un certain temps, il y a des critiques qui disent que cette conférence au sommet a un peu perdu de son esprit de ses débuts, et qu’elle est prise dans le formalisme et la bureaucratie. Cette conférence au sommet a été proposée pour la première fois par votre ancien Président de la République, Monsieur Giscard d’Estaing. D’après vous, quelles ont été les idées conçues par Monsieur Giscard d’Estaing lorsqu’il voulait lancer cette conférence au sommet ? Et Monsieur le ministre, vous-même, pensez-vous que cette conférence au sommet a évolué dans le temps et qu’elle a un peu perdu de son esprit initial ?
R. : Oui, le premier sommet des chefs d’État et de gouvernement s’est réuni à l’initiative de M. Giscard d’Estaing, qui était Président de la République, en 1974. Il y a donc 22 ans. Il y a eu beaucoup de changements depuis lors. Il n’y avait pas sept pays membres, et maintenant peut-être bientôt huit, il y en avait cinq. Et progressivement le tour de table s’est élargi. Au départ, c’était une réunion intime, de chefs d’État qui se retrouvaient et voulaient parler ensemble, face-à-face, les yeux dans les yeux. Progressivement les choses ont un peu évolué, et de ce point de vue-là, pas positivement. Parce que tout ce qui est bureaucratie, tout ce qui est solennel, tout ce qui est formaliste est moins efficace. C’est pourquoi la France, cette fois-ci, à l’initiative du Président Chirac, a essayé de rétablir ce côté intime de la discussion entre les chefs d’État et de gouvernement, même si il y a forcément un grand accompagnement de presse, parce que vous les journalistes, les hommes de télévision vous voulez être là et vous avez raison de le vouloir car c’est un moment très important. Voir réunis ensemble les chefs d’État et de gouvernement des sept pays, les plus grands pays du monde, chaque année, c’est forcément un événement considérable.
Q. : Vous venez de dire, Monsieur le ministre, que vous voulez revenir à l’esprit initial et rendre à cette réunion une atmosphère plus intime entre les chefs d’État...
R. : Absolument.
Q. : Mais quelles sont les significations ou les effets positifs de l’intimité d’une rencontre comme celle-ci ?
R. : Dans les relations internationales, naturellement il y a beaucoup d’éléments qui ne dépendent pas des hommes, qui sont imposés par les faits. Parfois, joue dans la vie internationale le poids considérable des relations entre les hommes. Je vous donne un exemple : le fait que le Président Chirac aime passionnément le Japon, (qu’il connait très bien, il y vient tous les ans depuis des années), le fait que M. Chirac et M. Hashimoto, votre Premier ministre, se connaissent bien et sont amis, sont des éléments très importants pour les relations franco-japonaises. Et je crois que ça va nous permettre dans les années qui viennent de donner une nouvelle impulsion à ces relations. Vous voyez que cela prouve que les relations personnelles ont une grande importance dans la vie internationale. Voilà pourquoi il est très important que les chefs d’État et de gouvernement des plus grands pays du monde se retrouvent face-à-face, sans fonctionnaires, sans collaborateurs, dans un cadre intime ou ils peuvent développer leurs relations personnelles, les yeux dans les yeux. Il y a des problèmes qui traînent depuis des années qui trouvent une solution ainsi. C’est bon pour la paix, et c’est bon pour le développement.
Q. : À propos des membres de cette conférence, actuellement nous comptons sept pays, mais il y a la Russie et certain disent faut faire de cette conférence un groupe des huit et non plus un groupe des sept. Actuellement, la Russie participe à la réunion politique, mais non pas à la réunion économique. Qu’est-ce que la France, le gouvernement français, envisage à l’avenir concernant l’adhésion de la Russie, et quelles sont d’après vous les conditions qu’il faudrait que ce pays remplisse avant celle-ci ?
R. : Nous sommes pour l’instant sept pays : les États-Unis, le Japon, la Grande-Bretagne, la France, l’Italie, l’Allemagne et le Canada. Vous observez qu’il n’y a qu’un seul pays en Asie qui soit partie de ce sommet, c’est le Japon. Et la Russie? Je crois que c’était très important, absolument nécessaire que le Président russe vienne autour de la table quand on parle de questions politiques, c’est-à-dire des questions qui intéressent la paix dans le monde. Mais il faudra bien, un jour ou l’autre, que la Russie participe aussi au débat économique. Vous savez que la Russie est actuellement dans une période de très forte transformation. Nous venons de voir une élection présidentielle, c’est la première fois dans leur histoire que les Russes vont élire leur chef d’État au suffrage universel, c’est un événement considérable. De même, il y a une transformation de l’économie russe qui est en cours, qui provoque beaucoup de difficultés et de souffrances pour les populations russes. Et je crois qu’à terme, il faut admettre la présence de la Russie parmi les grands pays du monde. Vous savez que cette question va se poser un jour ou l’autre pour la Chine. C’est encore un peu tôt aujourd’hui, mais je crois que dans les années qui viennent, dans les six ans qui viennent, cette question va se poser, et il faudra la résoudre dans le même esprit. Ce club de chefs d’État et de gouvernement n’est pas un club de privilégiés. C’est le lieu où se retrouvent ceux qui ont les plus grandes responsabilités pour la paix du monde et le développement des peuples.
Q. : Bientôt la conférence au sommet va se tenir à Lyon, la France en tant que pays d’accueil, a-t-elle certaines idées sur les objectifs à atteindre ?
R. : Oui, absolument. D’abord nous avons choisi le sujet. En accord avec les autres pays membres. Le sujet de Lyon, c’est la globalisation. Tous les peuples du monde sont représentés à Lyon, participent au même mouvement de progrès économique. Il faut que nous tirions toutes les conséquences de cet événement qui est une véritable révolution dans l’histoire des hommes. Nous considérons que c’est un événement positif, et nous voulons rendre la globalisation populaire auprès des peuples du monde. Je crois qu’il est donc très important que les chefs d’État et de gouvernement en discutent et en débattent. Mais, il y a quelques conditions à remplir, et parmi l’une d’entre elles, il y a l’exigence de solidarité et de justice à l’égard des plus pauvres. C’est pourquoi nous avons aussi inscrit à l’ordre du jour la question du développement. Il serait, en effet, très injuste que les sept pays les plus riches du monde discutent entre eux, et n’aient pas un regard pour les peuples des pays les moins avancés dont la situation continue à se dégrader. Je voudrais vous en parler avec force, parce que le Japon et la France ont la même idée. Ce sont les deux pays qui font le plus pour l’aide au développement. Mais quand on regarde, globalement, ce que font les pays riches pour les pays les plus pauvres, nous voyons que cet effort se réduit. Cette réduction est intolérable; elle crée une injustice dans le monde qui est inacceptable. Et évidement, c’est très dangereux parce que lorsque les riches s’enrichissent en laissant les pauvres s’appauvrir, ça devient intolérable.
Q. : Concernant ces pays en voie de développement, même si il y a la globalisation au niveau mondial, il y a certainement des pays en cours de développement qui sont délaissés de ce mouvement. Et d’ailleurs, parmi ces pays en voie de développement, nous constatons un écart. La France a eu déjà des liens assez privilégiés avec le continent africain, et c’est justement dans ce continent que le problème de la pauvreté et du développement se pose, et ceci devient vraiment un problème au niveau mondial. Au cours de cette conférence au sommet, de quelle manière la France pense-t-elle faire appel aux autres chefs d’État et de gouvernement qui participent au sommet pour mieux travailler sur le problème de la pauvreté et du développement africain ?
R. : Tout d’abord, il faut mobiliser les pays riches pour que non seulement ils ne réduisent pas leur contribution et leur aide, mais qu’ils l’augmentent. Nous le faisons entre l’Union européenne et l’Afrique, nous le faisons entre l’Union européenne et les pays méditerranéens, pour aider ces pays à se développer et à bientôt pouvoir rejoindre le niveau de vie et le niveau d’activité des pays développés. Mais je pense qu’il faut faire encore autre chose. Il faut que les institutions internationales, qui ont une large part de la charge de cette aide au développement soient soutenues par la communauté internationale. Il faut, non pas les critiquer, comme peuvent le faire par exemple les États-Unis, mais il faut les soutenir. Et il faut aussi reconstituer les fonds dont ils ont besoin pour pouvoir aider ces pays sous-développé. Et enfin, il faut concentrer l’effort de la communauté internationale sur ce qu’on appelle les pays les moins avancés, c’est-à-dire en réalité les pays les plus pauvres où la situation de pauvreté s’aggrave, alors que les richesses chez nous s’accroissent.
Q. : Et concernant ces organisations internationales, il est vrai que nous commençons à parler beaucoup des pertes de fonds et des gaspillages dans ces organisations, et nous plaidons pour la restructuration de ces instances. Le Japon dit qu’il faudrait structurer et dégager plus de fonds, et affecter ces fonds à l’aide au développement. Dans ce sens, j’ai l’impression que la France et le Japon sont dans une position assez proche. Pensez-vous que nos deux pays peuvent s’accommoder sur ces deux questions ?
R. : J’ai longuement parlé de ces questions avec votre Premier ministre, M. Hashimoto, et avec votre ministre des affaires étrangères, M. Ikeda, qui est aussi mon ami. Et je crois que nous avons très exactement la même réflexion. Nous sommes d’accord pour apporter aux institutions internationales chargées de l’aide au développement les réformes nécessaires. Mais nous ne voulons pas que ces réformes soient destinées à contenir l’aide, nous voulons au contraire que ces réformes soient destinées à permettre une meilleure utilisation des fonds publics faut toujours être très attentif à l’utilisation des fonds publics. Si nous mettons de l’argent dans ces institutions, c’est pour que cet argent aille directement au bien-être des populations des pays en voie de développement. Il y a donc entre les deux pays un accord entier. Je peux vous dire que M. Hashimoto et M. Ikeda m’ont promis le soutien du Japon aux propositions françaises pour le G7.
Q. : Je vais quitter le sujet de la conférence au sommet, et je vais parler plus généralement de la situation internationale. Nous venons de voir le premier tour de l’élection présidentielle en Russie. M Eltsine devance, mais avec très peu d’écart Ziouganov. Que pensez-vous des résultats de ce premier tour ? De quelle manière le groupe des sept doit-il soutenir Boris Eltsine, s’il doit le soutenir ?
R. : D’abord c’est un très grand événement que cette élection présidentielle en Russie. C’est la première fois dans l’histoire, de toute l’histoire de la Russie que les Russes élisent leur chef d’État au suffrage universel. Et, j’ai été frappé de l’intérêt, de l’attention que le peuple russe a prise à cette élection. C’était pour lui une très grande première. Je crois qu’il faut d’abord soutenir cela et féliciter les Russes d’avoir fait un pas en avant dans la voie de la démocratie. Alors, les résultats des élections sont ce qu’ils sont. Ce n’est pas, ni vous ni moi, qui sommes appelés à décider du sort des Russes. Ce sont les Russes eux-mêmes. L’attitude du gouvernement français, et je pense aussi, de la communauté internationale, c’est de respecter les choix que font les Russes pour eux-mêmes. Ce premier tour a donné un résultat qui montre qu’il y a un débat en Russie, qu’il y a une discussion, que les Russes n’ont pas encore déterminé clairement leur choix. Ils ont indiqué quelque chose, une préférence pour M. Eltsine, mais ils n’ont pas encore décidé qui sera le premier Président russe élu au suffrage universel. Le mieux que nous puissions faire, c’est d’encourager le peuple russe dans cette démarche, et attendre sa décision.
Q. : Oui, c’est vrai. Nous devons respecter le choix du peuple russe. Mais la Russie est dans une situation très importante. Il faudrait que la réforme s’accélère et que ce pays puisse bien se situer dans le cadre de la communauté internationale et il faudrait que ce pays devienne stable sur le plan de la sécurité, de l’économie et de la politique. Dans ce contexte, est-ce que la France peut toujours soutenir la réforme des Russes ? Est-ce que vous avez toujours l’intention d’affirmer la nécessité de soutien de la réforme au cours du sommet qui va se dérouler et peut-être, dans d’autres occasions ?
R. : Nous devons soutenir la Russie qui traverse une phase très difficile. Les Russes, sous la direction de M. Boris Eltsine, ont fait des choix très importants. Ils ont choisi la démocratie, la liberté économique. Ces choix sont fondamentaux. Ce sont des choix que nous approuvons et nous les encourageons. En même temps, vous savez que le peuple russe traverse une période très difficile. Le pouvoir d’achat russe a baissé au cours de ces dernières années. Le peuple russe a accepté des sacrifices considérables. L’Union soviétique était puissante, la Russie d’aujourd’hui est diminuée. En d’autres termes, nous avons besoin de soutenir le peuple russe, grande nation, nation puissante. Il ne faut pas placer le peuple russe dans une situation d’infériorité, de diminution, de perte de prestige. Je crois que ce serait malheureux pour la Russie, pour le monde. Nous avons besoin d’une Russie équilibrée, démocratique, forte et prospère. C’est à cela que nous voulons apporter notre contribution.
Q. : Je veux vous poser une question très franche. Si jamais, à l’issue du second tour, M. Ziouganov est élu Président de la Russie, beaucoup de gens disent que la Russie ne va pas revenir en situation de régime ancien de l’Union soviétique. Mais, Monsieur le ministre, comment pensez-vous que la Russie va évoluer sous la présidence de M Ziouganov et quelles sont vos idées sur la Russie dirigée par M Ziouganov ?
R. : Je vais vous faire, moi aussi, une réponse très franche. La France, comme je le suis persuadé, le Japon, soutient la Russie dans sa marche vers la démocratie et vers le progrès économique. Quant au choix du Président russe, ça n’est ni de vous, ni de moi que cela dépend, mais du peuple russe. Si nous soutenons la Russie, nous ne sommes pas en campagne électorale. Ce sont les Russes qui choisissent leur candidat. Et puis, nous verrons, qui sera élu. La France cherchera à défendre les mêmes idées, quel que soit le candidat élu.
Q. : Une autre région où la situation n’est pas très stable est le Moyen-Orient. Donc, en Israël, M. Netanyahu vient d’être élu Premier ministre. De quelle manière la France à l’intention de contribuer davantage au processus de paix face à M. Netanyahu qui a plutôt une position assez ferme vis-à-vis des Arabes. Certains craignent qu’il n’y ait une stagnation du processus de paix au Moyen-Orient. Comment voyez-vous la perspective de ce processus de paix sous le gouvernement de M Netanyahu et quelle est la contribution que va apporter la France dans ce processus ?
R. : Vous savez qu’un processus de paix est en cours. Il comprend plusieurs éléments. D’abord, entre les Israéliens et les Palestiniens des engagements ont été pris par les Israéliens à l’égard des Palestiniens. Et de nouvelles négociations devaient être ouvertes. Il faut que ces engagements soient respectés et, naturellement, parmi ces engagements, il faut poursuivre les négociations. Une deuxième question intéresse le projet du processus de paix entre Israël, d’un côté, la Syrie et le Liban, de l’autre. La seule voie possible pour la paix repose sur un principe simple : la paix contre les territoires. C’est-à-dire, l’évacuation du Golan par Israël en contrepartie d’un traité de paix. Et l’évacuation du sud-Liban par Israël en contrepartie d’un traité de paix. J’espère que, dans les semaines qui viennent, ces principes qui ont été agréés par la communauté internationale, seront acceptés par l’ensemble des parties, et génèreront la reprise du processus de paix. La France, pour sa part, y apportera sa contribution sans changer de vue, et en défendant toujours les mêmes principes.
Q. : Concernant les relations franco-japonaises, c’est vrai que, suite aux essais nucléaires, il y a eu, a un moment donne, des tensions entre les deux pays et même un malaise au niveau de la population. Mais ces essais sont terminés. Et actuellement, Monsieur le ministre, comment appréciez-vous les relations franco-japonaises d’aujourd’hui ? Et s’il y a encore des problèmes qui demeurent, quels sont ces problèmes et les solutions possibles qu’on pourrait y apporter ?
R. : Non, je crois qu’il n’y a pas de problème entre la France et le Japon aujourd’hui. Nous avons de bonnes relations entre nos deux pays. Mais, je crois que nous pourrions donner à ces relations plus de force, plus d’intensité. La France a beaucoup de considérations pour votre pays. Vous êtes un pays aux premiers rangs du monde, par sa puissance économique et les réussites que vous avez connues depuis plus d’un demi-siècle. Vous représentez une très longue histoire et une très vieille civilisation. Et donc, vous êtes à la fois le représentant de la tradition et le représentant du progrès et du modernisme. Franchement, je crois que nous aussi, nous sommes à l’autre bout du continent euro-asiatique, nous sommes un pays très attaché à sa tradition, à sa culture, à sa civilisation. Et en même temps, nous avons pris notre place au premier rang de la technologie mondiale: le train à grande vitesse, l’Airbus, les fusées Ariane... La France est devenue un grand pays moderne. Et nous pensons que les deux pays, au fond, se ressemblent un peu aux deux extrémités du continent euro-asiatique. Il me semble que nous devrions consacrer beaucoup d’efforts à travailler davantage ensemble, à augmenter fortement nos relations économiques, à lever les obstacles qu’il peut y avoir dans ce domaine. Il y en a du côté japonais et aussi du côté français. Nous pouvons travailler à intensifier ces rapports. Je constate que nous avons souvent la même idée des relations internationales. Nous pouvons donc faire également beaucoup de progrès dans ce domaine. Bref, nous avons un projet, c’est de faire des relations entre la France et le Japon un modèle pour l’Europe et pour l’Asie. C’est dans cet esprit que je suis venu, à l’invitation de M. Ikeda, au Japon. C’est dans cet esprit que le Président Chirac viendra en visite d’État, à l’invitation des autorités japonaises, au Japon à la fin du mois de novembre prochain. Et j’aimerais que nous fassions ensemble de l’année 1996, l’année d’un nouveau départ des relations entre nos deux pays. Un nouveau départ pour longtemps.
Point de presse du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charrette, (Tokyo, 17 juin 1996)
Le but de cette visite était très clair. La France et le Japon ont de bonnes relations. Certes il y a eu un petit accroc il y a quelques mois, au moment des essais nucléaires français – mais de très brève durée, il faut bien le dire – et qui constitue un événement tout à fait mineur dans les relations franco-japonaises. Par contre, il faut regarder les choses d’un peu plus haut, me semble-t-il, et d’un peu plus loin. Il faut constater qu’il y a entre nos deux pays de bonnes relations, mais qu’elles méritent d’être intensifiées, approfondies, développées. En effet, on est frappé de constater qu’il n’y a pas eu de visite de chef d’État français au Japon depuis 1982. Si je vous donne cette indication, c’est pour montrer que finalement, des deux côtés sans doute, mais en particulier du côté français, on n’a pas accordé dans le passé assez d’importance à la relation franco-japonaise. Nous pensons au contraire que c’est désormais une relation qui est tout à fait stratégique dans la politique étrangère de la France. Le Président de la République a expliqué à Singapour pourquoi et à quel point désormais l’Asie était la nouvelle frontière de la politique étrangère française, et qu’elle le serait durablement. II va de soi que vous en verrez, et vous en avez déjà vu, certains éléments ou certains signes, et que vous continuerez d’en voir. Vous serez, j’espère, impressionnés par le volontarisme de la diplomatie française en Asie.
Naturellement, au sein de l’ensemble asiatique, le Japon a une place d’exception. Nous considérons que – ce n’est pas une grande découverte – le Japon occupe en Asie, par sa population, par son activité économique, par son PNB, par son poids politique, un rôle de tout premier plan, et donc nous voulons donner à la relation franco-japonaise une dimension exceptionnelle. J’ajouterai que les liens personnels du Président de la République avec le Japon, l’attrait personnel qu’il éprouve pour ce pays qu’il connaît particulièrement bien, incitent, encouragent, et facilitent. Pour toutes ces raisons nous voulons faire de l’année 1996 le point de départ d’une nouvelle relation entre la France et le Japon. Ainsi le Président de la République a-t-il rencontré le Premier ministre japonais à Bangkok, en marge du sommet euro-asiatique. J’ai rencontré M. Ikeda à deux reprises : d’abord à Bangkok, ensuite à Paris il y a quelques semaines, en marge de la session ministérielle de l’OCDE, et ça n’était pas une visite de courtoisie, mais une visite de travail. Nous avons eu une séance de travail d’une heure trois quarts ensemble, au cours de laquelle M. Ikeda m’a invité à venir ici préparer la visite du Président de la République qui aura lieu au mois de novembre prochain.
Car comme vous le savez, cette année sera ponctuée par une visite d’État du Président français au Japon, à une date qui sera formalisée, annoncée dans quelques jours, mais dont on sait déjà qu’elle se situe en novembre. Le Président de la République aura en marge du G7 une conversation avec M. Hashimoto, et à cette occasion ils fixeront et annonceront la date de cette visite d’État. Donc autant de signes, autant de symboles, autant de manifestations de l’importance que nous attachons à la relation franco-japonaise.
Je voudrais développer encore un peu la portée de ce dialogue franco-japonais. Notre projet, c’est d’établir une coopération politique forte. Le Japon est une grande puissance mondiale. Il fait partie du G7. C’est la deuxième puissance économique du monde, si je ne compte pas l’Europe comme entité, car si je la compte comme entité c’est l’Europe qui est deuxième, quand elle n’est pas la première. C’est donc un partenaire avec lequel nous avons parlé de l’ensemble des affaires du monde. Et quand je parle d’une coopération politique franco-japonaise, je veux dire que nous souhaitons établir un dialogue permanent, approfondi, non seulement sur les questions intéressant l’Asie, mais aussi l’ensemble des problèmes du monde.
Et puis nous souhaitons établir une coopération économique forte, et bien sûr c’est un sujet sur lequel nous avons beaucoup de débats. Mais je souhaiterais que cette coopération économique soit centrée autour de l’idée d’organiser le multilatéralisme dans le monde de façon à accompagner ce mouvement de globalisation, qui comme vous le savez sera le sujet central du G7 de Lyon.
S’agissant des relations franco-japonaises, nous avons déjà travaillé très longuement avec M. Ikeda, et je m’en suis entretenu aussi avec le Premier ministre japonais sur la façon de faire. Si nous voulons établir ensemble des relations approfondies, il faut avoir un projet. Ce projet sera matérialisé par un document qui s’appellera « Vingt actions pour l’an 2000 », en cours d’élaboration. C’est une idée japonaise avec désormais une forte contribution française, autrement dit nous travaillons maintenant ensemble à donner à ce texte sa forme définitive. Son titre même, « Vingt actions pour l’an 2000 », montre quelle est sa portée. Il s’agit de mettre par écrit ce que nous voulons faire dans les trois, quatre ou cinq années qui viennent, et il s’agit aussi, c’est pour ça que nous les avons appelées les « vingt actions », que ces mesures soient aussi concrètes que possible. Je voudrais qu’on tâche d’échapper à la langue de bois ou quelquefois s’égare le langage diplomatique, rarement mais quelquefois, et que nous donnions à ce texte du contenu et du corps, autrement dit, que ce soit un programme de travail que nous nous donnions à nous-mêmes, Français et Japonais, pour donner à notre relation un contenu pratique.
Vous savez que nous lançons le projet de forum de dialogue franco-japonais, co-présidé par M. Nakasone et M. Barre, entourés d’un petit nombre de personnalités – nous sommes convenus d’en rester de part et d’autre à six plus un – c’est-à-dire le président plus six autres personnalités. C’est très important l’économie naturellement, il ne s’agit pas de s’en détourner, mais il faut aussi avoir l’idée que ce forum de dialogue franco-japonais aura pour mission de faire des recommandations, de prendre des initiatives en vue d’établir entre les dirigeants de tous ordres, politiques, économiques, sociaux, culturels de nos deux pays, des rapports constants, intensifs, fréquents ; bref, rapprocher en pratique la société française et la société japonaise, pour qu’elles se connaissent, s’apprécient, qu’elles s’interpénètrent. Vous savez combien au Japon, et dans tous les pays asiatiques d’ailleurs, la relation personnelle est importante, et combien, par conséquent, c’est important pour nous d’établir ces liens, ce monde de portes ouvertes, ce monde de contacts faciles, de liens personnels. C’est la meilleure chance d’établir entre nos sociétés, nos politiques, nos économies, des liens très étroits. De même, nous allons relancer le dialogue politique en prévoyant des rencontres des ministres des affaires étrangères tous les ans, et sans doute aussi des sommets franco-japonais de chefs d’État et de gouvernement de façon régulière, c’est-à-dire sur une base annuelle, tantôt chez eux, tantôt chez nous.
Voilà, très rapidement, les perspectives de cette visite que je rends ici : préparer la visite du Président de la République, et faire en sorte qu’en 1996, à l’occasion de la visite d’État du Président français, nous donnions l’élan à une relation franco-japonaise qui doit fortement progresser en qualité, en densité, en intensité, parce que nous attachons, en effet, une très grande priorité à cette relation entre la France et le Japon.
Q. : Monsieur le ministre, vous avez parlé de réflexions communes entre le Japon et la France, voire d’actions communes. Vous avez également parlé du sommet de Lyon. Est-ce que vos réflexions communes vous conduiraient à examiner en commun un des sujets qui est à l’ordre du jour, outre la globalisation, qui est celui de l’aide au développement, l’aide aux pays en développement, sur lequel les Japonais ont des positions qui peuvent paraître assez proches de celles des Français ?
R. : Oui.
Q. : Est-ce que concrètement, vous allez établir un texte commun ?
R. : Sur la méthode de préparation des sommets du G7, vous savez comment ça se passe. Ce sont les « sherpas », c’est-à-dire en langage diplomatique, les collaborateurs des chefs d’État et de gouvernement, qui travaillent ensemble, de longs mois à l’avance d’ailleurs, et qui élaborent un projet de déclaration politique, un projet de déclaration économique... bref qui élaborent les textes qui vont ensuite être approuvés, ou modifiés, par les chefs d’État et de gouvernement. Donc, il ne s’agirait pas d’une initiative franco-japonaise contre d’autres.
Par contre, vous avez tout à fait raison d’insister sur la proximité franco-japonaise en matière de développement. Je crois en effet qu’il n’y a pas d’autres pays qui soient aussi proches l’un de l’autre sur un sujet tout à fait essentiel, que la France et le Japon. La France est le premier ou le deuxième donateur à l’égard des pays les moins avancés. Le Japon a une contribution également élevée. Nous sommes en tête, et l’un et l’autre nous y attachons de l’importance. Si le Président de la République a tenu à ce que ce sujet soit inscrit à l’ordre du jour du G7, ce n’est pas sous la pression générale. C’est parce qu’il le ressentait comme une très grande nécessité. Au moment où l’on parle de la globalisation, et que nous la regardons d’un regard positif, celle-ci doit être accompagnée des actes de justice qui nous paraissent nécessaires à l’égard des pays les moins avancés.
La globalisation, ça ne peut pas être un monde dans lequel les pays les moins avancés sont laissés au bord de la route et voient l’écart se creuser entre eux et les pays les plus riches. Mais la démarche française, en effet, qu’au sommet du G7 ces questions soient évoquées avec des idées précises que vous connaissez : reconstitution des capacités de financement des institutions qui ont la responsabilité de l’aide au développement, invitation faite aux pays les plus riches d’y contribuer de façon forte, réforme s’il le faut, et il le faut en effet, de ces institutions ; bref, concentration d’une volonté de la communauté internationale, et en l’occurrence les pays les plus riches, à l’égard de ceux qui sont les moins avancés.
De ce point de vue la France et le Japon sont parfaitement en ligne, nous en avons parlé tout à l’heure, aussi bien avec M. Hashimoto, et assez longuement avec M. Ikeda, pour constater que nous étions bien d’accord sur ce qu’il y avait lieu de faire. C’est l’un de ces sujets ou l’on constate que la France et le Japon ont des attitudes communes, des politiques convergentes, et qui montrent que nous avons le plus grand intérêt, vraiment, à travailler davantage, à avoir davantage de dialogue politique entre nous, parce que nous pouvons transformer ces convergences spontanées en actions concertées. Ce sera le cas, en effet, au G7, entre M. Hashimoto et M. Chirac.
Q. : Je vais m’éloigner un peu du Japon, mais pas tout à fait, mais...
R. : Pas trop.
Q. : Que pensez-vous du résultat des élections russes ? Puis je reviens au Japon, dans ce que vous avez déclaré à la presse japonaise avant de partir, vous évoquiez le fait que vous ne pensiez pas qu’en matière de sécurité il ne devait pas y avoir simplement un tête-à-tête entre les États-Unis et le Japon, mais que l’Europe pouvait jouer un rôle, et la France également.
R. : Je ne parlerai pas, Monsieur, au risque de vous décevoir, des élections russes, parce que j’attends d’avoir des indications précises, convaincantes, officielles. La France fera alors connaître ses positions.
Par contre vous me parlez de ce que j’ai dit. En effet, d’une manière générale, nous pensons que l’Europe et l’Asie ont à faire entre elles. Nous avons déjà commenté cette situation un peu paradoxale, dans laquelle il y a des relations entre les États-Unis et le monde asiatique, il y a des relations entre les États-Unis et l’Europe, et que le troisième côté du triangle est insuffisamment développé pour ne pas dire plutôt vide. Il y avait peu de relations organisées entre l’Asie et l’Europe. C’est ce que nous avons commencé de combler. De ce point de vue, il va de soi que l’Europe peut apporter une contribution à la réflexion, à la méthodologie, à l’approche des questions qui intéressent la sécurité en Asie, à sa façon à elle. Il ne faut pas s’attendre à un alignement sur quelque position que ce soit. Et c’est pour ça d’ailleurs que nous sommes très attentifs à ce dialogue qui nous permet en effet d’échanger nos appréciations et nos vues.
Nous sommes très intéressés, c’est très clair, au développement de notre relation économique euro-asiatique. Nous pensons que dans ce domaine il y a un retard considérable de l’Europe. Et en particulier, disons le mot, il y a un retard de la France. La place de la France dans l’économie asiatique est loin de ce qu’elle devrait être. Elle est autour de 2 %. Dans certains pays, et pas des moindres, elle est en-dessous de 2 %. Il est urgent de rattraper ce retard, et c’est un de nos objectifs. Mais il ne faut pas oublier les autres aspects.
D’abord, il ne faut pas oublier l’aspect culturel qui est très important, parce que l’Asie est un monde de vieilles civilisations, de très hautes civilisations, admirables, avec lesquelles c’est un vrai bonheur de dialoguer. Et l’Europe elle-même, vieille terre de civilisations, a un champ naturel de dialogue avec l’Asie.
Ensuite, il ne faut pas négliger le dialogue politique, auquel nous les Européens, et nous les Français en particulier, attachons de l’importance, car nous avons beaucoup de choses à nous dire. J’ai d’ailleurs été frappé de constater que nous avons parlé quatre heures et demie avec M. Ikeda. Certes on a parlé de questions économiques – ne croyez pas que je laisse échapper ces sujets – mais en même temps nous avons eu de très longs échanges de vues sur beaucoup de sujets qui intéressent le dialogue politique, les questions de sécurité en Asie, que de toute façon je crois fort utiles, pour les uns et pour les autres.
Q. : J’avais une question qui prolongeait celle de Pierre Taillefer. À propos du nucléaire, je voulais savoir si vous ne concevez pas quelques désagréments de voir que la réaction japonaise aux essais chinois paraît beaucoup plus faible que celle qui s’était produite lors des essais français d’une part, et est-ce que vous demandez maintenant au Japon de faire pression, par exemple par le biais de pressions économiques sur la Chine, pour qu’elle signe le traité d’interdiction totale des essais nucléaires, d’ici la fin du mois ?
R. : Nous n’avons ni jalousie ni rancune, rien du tout. Nous regardons vers l’avenir. Nous n’avons renoncé à rien. Vous avez pu constater que dans la période où nous étions en train de poursuivre nos essais nucléaires, comme nous l’avions dit, nous n’avons pas renoncé à quoi que ce soit, pas plus aujourd’hui qu’hier. Nous sommes une nation indépendante, nous poursuivons notre route. Aujourd’hui, dans le domaine que vous évoquez, le sujet c’est la négociation et, nous l’espérons, l’aboutissement de cette négociation sur l’interdiction des essais nucléaires. Naturellement nous considérons qu’il est très important que cette négociation parvienne à son terme. Nous souhaitons hautement que le calendrier fixé par la communauté internationale soit respecté, c’est-à-dire qu’avant l’été cette négociation arrive à sa fin pour que le traité futur soit signé à l’automne prochain. Et ceci nous paraît de la plus haute importance. Comme nous l’avons dit d’ailleurs depuis le début. Dans cette affaire la France est active, puisque c’est nous qui avons proposé l’option zéro au mois dernier. L’option zéro, cela signifie que contrairement à ce que beaucoup d’experts pensaient, certains l’espéraient, nous demandons qu’on interdise tous les essais nucléaires, y compris les petits. D’ailleurs les spécialistes avaient réussi à appeler d’un autre nom les essais nucléaires, en les débaptisant pour les rendre sans doute plus faciles à faire accepter par les négociateurs. Nous avons dit que, si on renonce, il faut renoncer complètement. De même, comme vous le savez, en signant le protocole de Rarotonga, nous nous sommes engagés à fermer notre site d’essais nucléaires de Mururoa, et nous sommes aujourd’hui dans cette situation digne d’être remarquée vous : la France sera la seule grande puissance nucléaire qui ne disposera plus de site d’essais. Avec ou sans traité, les États-Unis, la Russie, la Chine disposeront toujours de leurs sites. Nous avons pris des engagements en signant le protocole de Rarotonga, qui nous conduit désormais à fermer le site de Mururoa. Comme nous l’avons annoncé, nous l’avons fait. Tout cela place la France dans une position de pointe, en avance dans la négociation qui a lieu actuellement, et je souhaite, pour répondre à votre question, que nous puissions déboucher rapidement sur un résultat positif. Vous me demandiez si je poussais le Japon faire pression sur la Chine. Ça ne marche pas comme ça. Tous les partenaires sont autour de la table, la France dialogue elle-même sur ce sujet avec la Chine, et nous cherchons, les uns et les autres, les solutions les plus appropriées.
Q. : Je voudrais évoquer, si vous le permettez, la question de l’aide au développement. Les positions françaises et japonaises paraissent, si j’ose dire, d’autant plus rapprochées qu’elles sont éloignées de celles des cinq autres du sommet de Lyon. Est-ce que si cela n’aboutit déjà sur une autre (inaudible) à Lyon, vous envisagez ces fameuses mesures concertées dans d’autres enceintes, par exemple comme ce fut le cas au Club de Paris ?
R. : Pour tout vous dire, je crois aujourd’hui que je peux être raisonnablement optimiste sur les résultats du sommet de Lyon. Ça n’empêchera pas que nous continuerons à travailler avec le Japon sur ce sujet à l’avenir, parce que tout ne sera pas traité, tout ne sera pas résolu au sommet du G7. Je crois qu’on aboutira à des conclusions positives, et je suis de ce point de vue tout à fait optimiste. Il n’empêche qu’il faudra continuer à travailler entre la France et le Japon, la main dans la main, sur ces questions du développement.
Q. : Dans les relations économiques, lors de vos entretiens d’aujourd’hui, avez-vous évoqué d’éventuels différends aux difficultés que la France pourrait avoir dans ses relations économiques avec le Japon ?
R. : Oui. J’ai d’abord insisté sur un aspect des choses qui nous paraît important : nous militons, vous le savez, pour le respect des règles du jeu du multilatéralisme. Nous sommes, en matière d’échanges économiques, pour le multilatéralisme. Nous souhaitons que les discussions, les délibérations, les négociations, aient lieu dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce. Celle-ci est une organisation jeune, qui mérite d’être soutenue et encouragée. La France a joué un grand rôle dans la décision qui a conduit à la création de l’OMC. Nous défendons la thèse que le multilatéral doit l’emporter sur le bilatéral. C’est un point très important, et j’ai dit à nos amis japonais combien nous étions attentifs à cette question.
Sur un sujet comme celui des semi-conducteurs, le Japon a pris l’initiative de proposer aux Américains que les discussions s’engagent avec l’Europe. La France soutient les initiatives, les démarches de Sir Leon Brittan auprès des autorités japonaises, qui vont dans le sens du multilatéralisme. Nous souhaitons que tous les grands débats qui peuvent avoir lieu, aient lieu. Par exemple, les services financiers. Nous pensons, en effet, que le multilatéralisme est de loin la meilleure chose. Et en réalité, c’est la règle de base même de la globalisation. On ne peut pas avoir d’un côté la globalisation des marchés, et de l’autre l’unilatéralisme.
Q. : Monsieur le ministre, autour de vos entretiens d’aujourd’hui, a-t-il été question du problème du déficit commercial, qui est en baisse mais demeure important ?
R. : Je dois vous dire, Monsieur, que naturellement je suis très attentif à tout ce qui concerne la présence économique de la France dans le monde. Je considère que dans la diplomatie française, l’économie doit prendre une part très grande. Je ne dirai pas qu’elle est prioritaire, encore qu’elle le soit souvent, mais après tout quel est le meilleur signe de l’amitié entre les peuples dans le monde d’aujourd’hui, si ce n’est le niveau de leurs échanges. Et donc en effet, je soutiens ici, comme ailleurs, les entreprises françaises. Ce soutien au fond doit aller dans les deux sens. Je reviendrai du Japon, naturellement, avec quelques dossiers que j’aurai plaidés auprès de mes interlocuteurs, parce qu’il y a toujours des obstacles au commerce, et pas seulement des obstacles tarifaires, il y en a d’autres comme vous le savez. Les obstacles non tarifaires sont d’une infinie fertilité. Il faut sur ce sujet progresser, travailler, insister, et nous ne manquons pas de le faire. Et en même temps, je reviendrai aussi avec l’idée qu’il nous appartient d’inciter les entreprises françaises à faire preuve d’une présence très active au Japon. Certaines le font, bien entendu. Mais d’autres pourraient le faire et ne le font pas, ou pas assez. Le Japon est un marché à conquérir pour la France. Sa part de marché est trop faible par rapport à celle d’autres pays européens en face des mêmes difficultés. Et donc je reviendrai aussi avec l’idée qu’il nous faut encourager nos entreprises à venir sur ce marché où il y a des opportunités importantes. La qualité de nos produits le justifie, la compétitivité de nos entreprises le permet, et il faut maintenant encourager ce mouvement. Nous avons fait de très réels progrès dans ce domaine, et vous avez observé vous-mêmes que le déficit commercial est en baisse. Il faut poursuivre l’effort, poursuivre l’action. Car il n’y a pas que le déficit, qui est le différentiel entre les importations et les exportations, il y a aussi le volume de nos exportations qui est en question. Nous avons une part de marché légèrement inférieure à 2 %, c’est inférieur à ce qui est possible et donc nécessaire. C’est l’un des grands objectifs de cette politique ambitieuse que j’ai essayé d’exposer devant vous.