Interview de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière et M. Alain Krivine, porte-parole de la LCR, à TF1 le 21 mars 1999, sur la constitution d'une liste commune pour les élections européennes, la corruption dans le monde politique, les manifestations des enseignants, la démission du collège des commissaires européens, les rapports entre le PCF et l'extrême gauche, la nécessité d'instaurer une Europe sociale et les conséquences du capitalisme.

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Média : Emission Public - Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

MICHEL FIELD
Bonsoir à toutes, bonsoir à tous, merci de rejoindre le plateau de « Public ». Ce soir, deux invités à la table, Arlette LAGUILLER et Alain KRIVINE qui mènent de concert une liste d'extrême gauche aux élections européennes. Ils vont nous dire ce qu'ils en attendent et puis les grands axes de leur campagne. Peut-être juste une première question pour aller vite : 5,3 % aux présidentielles, Arlette LAGUILLER, 4,4 % de voix de Lutte Ouvrière aux élections régionales. Quelquefois plus de 6 % pour des listes de la Ligue par exemple dans la Creuse. Vous avez le sentiment qu'il y a… comment dire… une augmentation ? Une augmentation de l'électorat porté vers l'extrême-gauche, Arlette LAGUILLER ?

ARLETTE LAGUILLER
Je crois qu'il y a une confirmation qu'il y a un électorat d'extrême gauche qui depuis trois ans, depuis 1995, en passant par les élections régionales, qui a donné plus de vingt élus à Lutte Ouvrière, un certain nombre aussi à la Ligue Communiste Révolutionnaire. On peut dire qu'on est autour des 5 %. 5 %, c'était 1,6 million de voix, 1,6 million de personnes qui sont d'accord avec notre critique de la gestion capitaliste de l'économie.

MICHEL FIELD
Alain KRIVINE, est-ce qu'il n'y a pas dans cette campagne commune – il a fallu que vous dépassiez des divergences légendaires entre vos deux organisations – est-ce qu'il n'y a pas une opération un petit peu politique au sens strict du terme, c'est-à-dire profiter de la notoriété médiatique d'Arlette LAGUILLER, vous mettre dans sa roue, et puis permettre à la Ligue Communiste Révolutionnaire d'acquérir une surface électorale qu'elle a du mal à avoir ?

ALAIN KRIVINE
Ce n'est pas une opération politique, c'est une vraie campagne politique, absolument, où avec Arlette, on essaie de se donner le maximum de moyens, l'outil le plus efficace, justement pour rendre compte de cette radicalité, de ce sentiment de révolte, de ras-le-bol qui existe aujourd'hui face à la crise du capitalisme et puis aussi face à la gestion de ce gouvernement de gauche mais je suis sûr qu'on va y revenir.

MICHEL FIELD
Oui, mais l'un et l'autre, le Parlement européen, c'est quand même le cadet de vos soucis, non ? Vous vous sentez d'aller siéger à Strasbourg, vous ?

ARLETTE LA GUILLER
On s'est aussi présentés au Parlement français. Pour l'instant, on n'a pas eu d'élus, mais on s'est déjà présentés. Je pense que les communistes révolutionnaires que nous sommes, peuvent s'exprimer et tenter de représenter les intérêts des travailleurs, des chômeurs, de tous ceux qui souffrent aujourd'hui dans la crise aussi bien au Parlement européen qu'au Parlement français.

ALAIN KRIVINE
J'ajoute, ce n'est pas le cadet de nos soucis mais peut-être que ça deviendra le souci de certains.

MICHEL FIELD
Si vous y êtes ! Si on y est. On en parlera peut-être tout à l'heure avec Michel ROCARD qui commentera dans la première partie de l'émission la crise qui secoue aujourd'hui les institutions européennes après la démission collective de la Commission. Mais sur tout cela, nous allons revenir dans un instant avec le résumé des grands événements de la semaine. Pour l'instant, une petite pub.

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AGENDA DE LA SEMAINE

MICHEL FIELD
Alain KRIVINE, ça vous touche, ce record du premier tour du monde en ballon ? Pas vraiment, ce n'est pas votre tasse de thé.

ALAIN KRIVINE
Non, pas tellement. Ce m'a touché pendant cette semaine, c'est trois records que je trouve importants, c'est-à-dire premier record – et ils sont identiques – lundi, on accuse Edith CRESSON et ses complices de – népotisme ; mardi, ça vous ne l'avez pas dit, on accuse l'ancien maire de la ville de Paris qui n'est autre que monsieur CHIRAC, d'avoir financé avec notre argent, frauduleusement, le RPR. Mercredi, on apprend que monsieur DUMAS n'avait pas simplement des statuettes mais que ELF lui a donné visiblement des millions et des millions, ce qui est encore notre argent parce qu'à l'époque, ELF faisait partie de l'Etat. Ce qui prouve quand même la première conclusion en ce qui concerne monsieur DUMAS parce que c’est quand même un scandale, qu'on peut être socialiste le jour et trafiquant la nuit. Mais du coup, comme visiblement ça émeut même des gens de gauche, eh bien il faut aller jusqu'au bout : si les ministres sont vraiment à gauche, moi je les mets au défi demain matin, chaque ministre, socialiste, communiste, vert, d'exiger demain matin par mesure de salut public la démission immédiate de monsieur DUMAS qui est quand même chargé de faire respecter, parait-il, le droit républicain. Alors allez demander ensuite aux jeunes dans les quartiers d'aller respecter le droit, je le répète, quand on voit celui qui est chargé nationalement de le contrôler, de se conduire un peu comme un voyou.

MICHEL FIELD
Enfin il y a une procédure judiciaire et il n'est pas encore condamné.

ALAIN KRIVINE
Il n'est pas encore condamné mais je ne sais pas, il y a un minimum de morale qui ferait qu'il devrait démissionner très vite et s'il ne le fait pas, il faut peut-être l'obliger, parce que tous ces gens-là sont des intouchables. On n'a pas le droit de le virer du Conseil constitutionnel, CHIRAC est intouchable. Et au même moment hier, dernier point, cinq sans-papiers étaient condamnés à cinq mois de prison. Alors selon que vous êtes sans-papiers ou avec des statuettes, vous n'avez pas le même statut dans ce pays.

ARLETTE LAGUILLER
Je suis bien sûr d'accord et je pense qu'il faut qu'on obtienne – et c'est une de nos revendications et de nos objectifs – qu'on obtienne la levée du secret bancaire, la levée du secret commercial parce qu'il y a les corrompus – Alain en a parlé – mais alors il y a les corrupteurs. Et les corrupteurs, c'est la société ELF, une société qui annonce encore ces jours-ci deux mille suppressions d'emplois. Donc on veut que la population, que les travailleurs aient le contrôle sur tout cet argent qui circule, sur les bénéfices des sociétés et puis au passage sur toutes ces affaires qui finalement, même si elles sont scandaleuses, je suis d'accord, sont une petite goutte d'eau, le haut de l'iceberg du gros scandale de la gestion capitaliste de l'économie aujourd'hui.

MICHEL FIELD
Les députés verts réclament une commission parlementaire d'enquête sur ELF.

ALAIN KRIVINE
C'est la moindre des choses mais enfin une commission parlementaire d'enquête, il faudrait faire encore confiance aux commissions parlementaires. Vous avez vu généralement ce que ça donne, les commissions parlementaires, celle de Bruxelles ; alors tout le monde s'étonne : c'est fantastique ! Regardez, la démocratie… Enfin elle a mis plusieurs années à savoir que la Commission était composée de coquins et de copains.

MICHEL FIELD
Arlette LAGUILLER, est-ce qu'il n'y a pas quand même une sorte de… je ne sais pas… vous criez un peu avec les loups de manière un peu poujadiste là-dessus. C'est-à-dire c'est tous pourris ?

ARLETTE LAGUILLER
Ecoutez…

MICHEL FIELD
Pas loin.

ARLETTE LAGUILLER
Ces gens-là…

MICHEL FIELD
Vous ne dites pas non spontanément.

ARLETTE LAGUILLER
Ces gens-là, ils ont des revenus confortables, que ce soit monsieur DUMAS, madame CRESSON, le maire de Paris, TIBERI etc. Donc effectivement c'est scandaleux quand on voit les revenus aujourd'hui, les minimas sociaux, tous ces gens qui vivent au RMI, tous ces travailleurs, les femmes en particulier qui ont le temps partiel mais pas le temps partiel choisi, le temps partiel imposé parce qu'on nous raconte que le chômage diminue mais ce n'est pas vrai ! Les grandes entreprises de ce pays suppriment des emplois stables et les seuls emplois créés, c'est des emplois précaires, c'est des emplois à temps partiel. Alors oui, il y a de quoi être écoeuré devant toute cette corruption, devant toutes ces affaires aujourd'hui. J'espère bien que dans ces élections, il y a des travailleurs et des chômeurs qui auront envie de sanctionner ces gens-là et de voter pour une liste qui elle réclame la transparence, le contrôle et la levée du secret bancaire et du secret commercial sur toutes les grandes entreprises de ce pays.

MICHEL FIELD
Alors au niveau des grandes entreprises de ce pays, la semaine a été formidable pour les observateurs que vous êtes puisque d'une part, il continue à y avoir la double offre publique d'échange de la BNP sur la SOCIETE GENERALE et PARIBAS et puis la perspective d'un énorme pôle bancaire français ; il y a les grandes manoeuvres dans l'industrie du luxe entre Bernard ARNAULT et François PINAULT. Ça vous intéresse, ça, GUCCI, SAINT-LAURENT ?

ARLETTE LAGUILLER
Oui, écoutez, ARNAULT, PINAULT, ça m'intéresse, c'est aussi des gens que le CREDIT LYONNAIS a beaucoup aidé, tiens, entre parenthèses parce qu'on parle toujours du trou du CREDIT LYONNAIS, on a cité TAPIE d'accord, mais enfin il n'y avait pas que Bernard TAPIE. Il y a beaucoup de gens qui ont bénéficié des mannes de l'entreprise publique parce qu'on nous dit toujours : oh ! les patrons, ils arrivent, ils font du profit parce qu'ils travaillent beaucoup etc. Mais il y a d'abord les banques qui prêtent et il n'y a pas besoin de rembourser tout de suite ; on peut racheter des entreprises et puis on peut rembourser que quand on les a revendues avec une plus-value en ayant licencié des travailleurs au passage. Alors qu'aujourd'hui, 130 000 salariés de la BNP, de la SOCIETE GENERALE, de PARIBAS voient leur sort entre les mains de capitalistes qui ont décidé comme ça qu'ils allaient faire une offre publique d'échange, les travailleurs, ça ne compte pas, on en supprimera, on fermera des guichets etc, ça n'a aucune espèce d'importance et pendant ce temps-là, il y a six millions de personnes dans ce pays qui sont soit chômeurs, soit semi-chômeurs et toutes les grandes entreprises font des profits. On pourrait parler d'ALCATEL : 15 milliards de profit supplémentaires en 1998 et dans le même temps, le PDG annonce la suppression de 12 000 emplois il n'y a pas de quoi être révolutionnaire !? 12 000 emplois qui vont s'ajouter aux 30 000 emplois qui ont déjà été supprimés les quatre ans passés. Eh bien nous, nous disons : prenons ne serait-ce que la moitié des 15 milliards de profit, on peut sauver les 12 000 emplois et même rétablir les 30 000 emplois qui ont été supprimés et offrir au moins un espoir à cette jeunesse qui aujourd'hui eh bien voit que sa vie, c'est la recherche désespérée d'un emploi.

MICHEL FIELD
Alain KRIVINE …

ALAIN KRIVINE
J'ajoute une chose sur PINAULT qu'Arlette connaît bien aussi, c'est que monsieur PINAULT se vantait dans les hebdomadaires il y a trois semaines, d'être un homme qui n'a jamais payé l'impôt sur la fortune. Ce qui fait partie d'une certaine insolence. Et je suppose qu'il y a d'autres PINAULT qui font comme lui.

MICHEL FIELD
Mais dans tel ou tel secteur de l'économie, les industries ou les banques françaises essaient de constituer un pôle de résistance vis-à-vis d'autres pôles étrangers. Pour l'anticapitaliste que vous êtes, c'est blanc bonnet et bonnet blanc, que ce soit français ou pas ?

ALAIN KRIVINE
Mais le résultat, on le connaît : ils ne font pas un pôle pour créer de l'emploi et aider les travailleurs, sinon ça se saurait. Ils font un pôle aujourd'hui pour essayer d'être en meilleure capacité d'investissement dans le cadre comme on dit de la mondialisation et dans le cadre de la concurrence, on y reviendra peut-être sur l'Europe ; mais je veux dire en terme d'emploi, d'abord au niveau des banques elles-mêmes, ça va être l'inverse, c'est des licenciements qui vont arriver, quand il y a de tels regroupements, tous les syndicats d'ailleurs l'ont dit. Mais faire croire qu'aujourd'hui c'est pour essayer de financer l'emploi, c'est de la rigolade.
Enfin les banques aujourd'hui, elles sont là pour essayer d'accumuler au maximum se qu'est l'argent qui dort dont parlait François MITTERRAND et dont la particularité en dormant, c'est de faire des petits, c'est-à-dire l'argent qui est mis pour la spéculation et qui ne crée pas d'emplois du tout.

MICHEL FIELD
Avant de revenir sur l'Europe. Hier, des enseignants étaient dans la rue. Ça n'a pas été le succès qu'escomptaient les syndicats mais il y a plusieurs dizaines de milliers d'enseignants qui ont protesté…

ARLETTE LAGUILLER
On nous dit ça à chaque manifestation, n'empêche que çà fait des mois que régulièrement, tous les quinze jours, les enseignants sont dans la rue. Moi j'étais hier à Angers pour un meeting…

MICHEL FIELD
Non mais honnêtement Arlette LAGUILLER, 30 000 manifestants pour une grande manifestation nationale préparée depuis longue date, ce n'est pas un grand succès.

ARLETTE LAGUILLER
Et il y en avait eu une autre la semaine d'avant et une autre encore la semaine d'avant ; et puis vous savez, les enseignants, ils ont raison de toute façon…

MICHEL FIELD
Tous ? C'est-à-dire qu'il y avait le SNES mais il y avait aussi le Syndicat Autonome…

ARLETTE LAGUILLER
Ils ont raison, ils ont raison !

MICHEL FIELD
C'est bizarre de vous entendre partager les vues du Syndicat Autonome de l'enseignement qui est plutôt à droite.

ARLETTE LAGUILLER
Il y a des syndicats qui sont plutôt à droite, il y a des syndicats qui sont plutôt à gauche mais de toute façon, la politique qui est menée par les gouvernements de droite comme par les gouvernements de gauche vis-à-vis de l'Education nationale, c'est toujours de supprimer des postes. Et quand on nous, présente comme une réforme le fait qu'on va réduire les horaires alors qu'on sait très bien que ça veut dire réduire le personnel et finalement donner un enseignement au rabais, moi je dis que les enseignants, ils ont raison de se battre. Je pense que l'argent de l'Etat, plutôt que d'arroser sous forme de subventions, le grand patronat de ce pays, eh bien l'argent de l'Etat devrait servir à créer des emplois. Ce n'est pas possible que dans l'Education nationale, il y ait les classes surchargées qu'on connaît dans les quartiers populaires, que les enseignants se retrouvent transformés non pas en enseignants mais en gardiens finalement à l'école il faut que ça change et nous, on est solidaires de leur lutte.

MICHEL FIELD
Alain KRIVINE, il y avait néanmoins… je vous pose la question que je posais à Arlette tout à l'heure. Il y avait hier dans la rue des gens hostiles à cette réforme et puis des gens hostiles à toute réforme du système éducatif.

ALAIN KRIVINE
Oui, il y avait deux points communs, je crois, et ils sont importants. Le premier, c'est d'abord une riposte en terme de dignité, au fait qu'il y a un ministre des enseignants qui depuis qu'il est ministre, passe son temps à les insulter et à les discréditer. Ça avait commencé sur l'absentéisme etc. avec des chiffres qui en plus étaient faux. Donc hier, c'était aussi une riposte par rapport à la dignité que ces enseignants veulent garde et ils ont raison, Arlette l'a dit, aujourd'hui il y a une crise sociale, ce n'est pas la crise de l'école, c'est la crise de la société et l'école bien sûr en subit les conséquences ; et on demande aujourd'hui aux enseignants… moi je trouve qu'ils font un boulot fantastique de devenir les pompiers de cette crise sociale. Et deuxièmement, deuxième point commun de tout le monde, quelle que soit la couleur des directions syndicales, c'est de dire : des réformes, discutons-en, tout le monde est pour réformer l'école aujourd'hui, c'est évident, les profs les premiers. Mais il n'y a pas de réforme possible à moyens constants, c'est-à-dire qu'il faut donner le maximum de crédits. Je veux dire que l'école, c'est clef, surtout dans une période de crise ; et je crois que les professeurs l'ont compris, je crois que les parents l'ont compris parce que les parents aujourd'hui qui sont victimes du chômage, ils sont inquiets pour leurs enfants ; ils n'ont pas envie de voir leurs mômes demain sans aucun avenir, sans aucun futur. Et c'est pour ça qu'il est indispensable, je crois, qu'on se solidarise complètement parce que la défense de l'école publique comme service public et c'est ça que font les enseignants et les parents d'élèves, je crois que c'est une cause sacrée aujourd'hui pour la totalité de la population.

MICHEL FIELD
Alors dans un instant, on va poursuivre cet entretien et vous aurez l'occasion de répondre aux questions des téléspectateurs et des téléspectatrices qui nous ont appelés ou qui nous ont envoyé leurs messages par courrier ou Minitel. Je voudrais revenir sur la crise des institutions européennes avec vous, Michel ROCARD. Merci d'être là. Alors en début de semaine, on se dit : c'est la plus formidable crise qu'ait connu la construction européenne et très vite, des voix d'Européens convaincus se sont élevées en disant : mais finalement, à toute chose, malheur est bon et peut-être il y a là l'occasion de donner plus de pouvoir de surveillance au Parlement, aux élus donc, sur cette Commission habituellement taxée de repère de technocrates.

MICHEL ROCARD, DEPUTE EUROPEEN
Oui, tout à fait. C'est une crise très grave, profonde et qui aura des séquelles durables ; mais en effet à quelque chose malheur est bon, ce n'est pas l'occasion de donner de meilleurs pouvoirs de contrôle au Parlement européen, c'est le moment de découvrir qu'il les a pris. Il n'y a jamais eu, contrairement à ce qui a été dit tout à l'heure, de commission d'enquête parlementaire spéciale sur les problèmes de la gestion de la Commission. Mais il y a une commission permanente du Parlement européen, qui s'appelle la commission de contrôle budgétaire et qui depuis un an et demi ou deux diagnostique un certain nombre de laxismes, un certain nombre de facilités, un certain nombre d'irrégularités dans plusieurs des services de la Communauté. Et c'est à la suite des incidents que ça a produit il y a deux mois, il y a eu une motion de censure déposée, qui a été repoussée mais de peu et qui a été ressentie comme une alerte et elle n'a été repoussée que parce que le Parlement s'est mis d'accord pour imposer la création de ce comité des sages qui lui, en quinze jours… enfin un peu plus de quinze jours, trois semaines je crois, a fait un rapport – 149 pages – je n'ai pas tout à fait tout lu mais j'ai lu en détail les conclusions.

MICHEL FIELD
Ça vous a étonné, le contenu de ce rapport ? Ou ça a confirmé ce que vous saviez déjà ?

MICHEL ROCARD
Le rapport est beaucoup plus grave qu'on ne s'y attendait sur le manque de contrôle administratif et une mauvaise gestion générale. Mais on peut très bien comprendre. Je ne donnerai qu'un exemple dans les affaires que je suis, qui sont les politiques d'aide au développement, de coopération, l'Europe dépense beaucoup d'argent, c'est même le premier bailleur de fonds du monde, mais au million d'euros ou de dollars distribués dans le monde pour aider au développement, l'Europe a moitié moins de personnes que chacune de nos administrations nationales pour dépenser cet argent intelligemment et avec suffisamment de contrôle et un tiers en moins que ce qu'on met à l'unité, soit le Fonds Monétaire International, soit le Banque Mondiale. La Commission est étranglée dans ses charges de personnel, du coup, elle a trop sous-traité ; elle est coincée, elle n'a pas le droit d'embaucher de nouveaux titulaires, du coup il y a six ou sept cents emplois sous-marins.

MICHEL FIELD
Oui, mais on lui a toujours aussi refusé des augmentations de budget quand elle les réclamait.

MICHEL ROCARD
Précisément. Je suis pour ma part ravi qu'on soit obligé d'aller jusqu'au bout de ces problèmes et dans le domaine qui est le mien, je dis que la Commission a besoin au contraire d'avoir davantage de moyens d'actions et de moyens de contrôle bien entendu. Cela étant, le rapport comporte aussi cette phrase : aucun des commissaires ne s'est enrichi, c'est écrit en toutes lettres. Il y a sur le plan de ce qui met en cause les responsabilités personnelles trois embauches de faveur, et dans le cas d'Edith CRESSON, une embauche payée par Bruxelles pour quelqu'un qui travaillait à Châtellerault, ce n'est pas élégant. Et c'est ce qui vient d'être sanctionné. Nous ne sommes pas dans le vol, nous ne sommes pas dans la concussion, nous ne sommes pas dans ce genre d'affaires. Néanmoins, je pense qu'il est bon que la Commission ait eu la sagesse de démissionner vite, il y a là de l'élégance, un sens de la collégialité et de la responsabilité.

MICHEL FIELD
Alors maintenant qu'est-ce qui va se passer et qu'est-ce qui est souhaitable ? Il y a plusieurs voix qui s'opposent. Certains disent : il faut qu'une nouvelle Commission soit nommée provisoirement pour assurer un petit peu les affaires courantes ; et d'autres qui disent, non, il faut vraiment que la future Commission soit désignée quitte à ce qu'elle soit ratifiée ensuite par les instances communautaires.

MICHEL ROCARD
C'est grave, difficile et compliqué.

MICHEL FIELD
Essayez de faire simple et léger.

MICHEL ROCARD
Rassurez-vous, tout le monde va comprendre. Il y a des élections européennes parlementaires bientôt, le 13 juin. Le 13 juin, c'est dans trois mois quand même. Le Parlement est compétent pour confirmer ou infirmer et censurer la nouvelle Commission. Et en plus, la nouvelle Commission, elle devrait être mise en place fin décembre pour janvier. Alors problème : est-ce qu'on bricole une solution temporaire jusqu'en janvier ou au moins jusqu'à l'élection du nouveau Parlement, pour ne présenter qu’une Commission vraiment intérimaire et se donner le temps de construire la vraie commission après ? Difficile, parce qu'un bricolage d'intérimaires, c'est très mauvais. Il y a de très grandes affaires en cours. Nous sommes en conflits commerciaux avec les Etats-Unis sur d'immenses affaires dans l'aéronautique, dans la banane, c'est un conflit hautement symbolique du capitalisme moderne, la banane ; et l'Europe telle qu'elle est, majoritaire, elle tombe bien. L'abandon de la poursuite de ces conflits, toute notre politique de coopération… on ne pourra pas prendre de mesures nouvelles. Tout ça est désastreux. Et donc je ne suis pas favorable, moi, à une solution bricolée. Et en plus, qui irait ? Vous imaginez extraire de fonctions importantes quelqu'un qui a du poids, qui a les compétences…

MICHEL FIELD
Pour quelques mois seulement.

MICHEL ROCARD
Pour quelques mois. Et par conséquent, je crois qu'il faudra se mettre d'accord pour mettre en place avec double validation, une fois par l'actuel Parlement tout de suite et l'autre par le nouveau Parlement, la Commission durable qui tiendra les cinq ans qui commencent en janvier de l'an 2000. Je préférerais pour ma part cette solution. Parce qu'en plus, il y a une autre conclusion à cette bataille et cette autre conclusion, elle est tout à fait importante : pourquoi avons-nous une commission si faible dont les arbitrages internes étaient si difficiles ? Parce que la Grande-Bretagne, monsieur MAJOR, n'a pas voulu d'un homme de caractère ; il a mis un veto ; et parce que par lâcheté, les onze autres Premiers ministres, on n'était que douze à l'époque, ont refusé de violer le veto anglais pour imposer une Commission.

MICHEL FIELD
Ça, il faudrait que ça change ?

MICHEL ROCARD
Ça doit changer. Et le Parlement est à la garde : nous n'investirons plus une Commission faiblarde et bricolée pour faire plaisir à des gouvernements paralytiques.

MICHEL FIELD
Vous avez un candidat de prédilection, vous par exemple, non ?

MICHEL ROCARD
Je n'ai pas de candidat de prédilection mais je trouve que monsieur PRODI, l'ancien Premier ministre italien, a fait un travail fabuleux en Italie ; il est un homme de centre gauche. Il était en relations excellentes avec non seulement les forces politiques de gauche italiennes mais le mouvement syndical ; il a poussé dans le sens... de comment dire… d'accepter de se situer dans le monde, c'est le capitalisme qui a gagné dans le grand conflit contre le communisme, mais de commencer les corrections indispensables parce que ce système est d'une injustice criante, il est vainqueur, il est puissant, il faut le corriger et seule l'Europe a la puissance globale pour le faire. Monsieur PRODI, il est sur cette ligne de correction.

MICHEL FIELD
Dernière question pour faire écho à ce que disait Alain KRIVINE de façon polémique tout à l'heure : le fait de voir le nom d'Edith CRESSON qui a été votre successeur… à Matignon ; le fait de voir le nom dans un autre contexte, de Roland DUMAS, dans les affaires, qui a été votre ministre, ça suscite quoi comme commentaires de votre part ?

MICHEL ROCARD
C'est une évidence… mais il ne faut pas mélanger… je pense que monsieur DUMAS devrait démissionner de toute urgence ; je pense qu'il y a en effet un problème moral posé et je pense qu'Alain KRIVINE a raison d'employer le mot de morale. Ce n'est pas nouveau. Je ne l'ai pas dit avant parce que de ma part et vu les relations que j'ai avec lui depuis très longtemps, tout avis ou toute suggestion n'aurait pas été considéré comme impartial si vous voyez ce que je veux dire ; et par conséquent ma propre parole n'avait pas une très grande importance là-dedans…

MICHEL FIELD
Et là qu'est-ce qui vous pousse à changer d'avis ?

MICHEL ROCARD
Dans le cas d'Edith CRESSON, il y a maladresse, il n'y a pas malhonnêteté. Donc s'il vous plaît, ne mélangeons pas les choses. Et en plus, elle, elle est démissionnaire collectivement.

MICHEL FIELD
Qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis sur Roland DUMAS pour nous le dire ce soir ?

MICHEL ROCARD
Je n'ai jamais changé d'avis sur Roland DUMAS.

MICHEL FIELD
Non, mais exprimer publiquement ce que vous…

MICHEL ROCARD
Eh bien parce que vous me posez la question.

MICHEL FIELD
D'accord. Jusqu'à maintenant, personne ne vous l'avait posée ?

MICHEL. ROCARD
Ce n'était pas absolument nécessaire au débat. Non, je n'ai pas fait de communiqué de presse.

MICHEL. FIELD
Michel ROCARD, merci, Une page de pub et on se retrouve avec Alain KRIVINE et Arlette LAGUILLER pour répondre à vos questions et un petit peu aux miennes.

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MICHEL FIELD
Retour sur le plateau de « Public » Arlette LAGUILLER et Alain KRlVINE sont les invités de l'émission pour parler de leur liste commune aux élections européennes et répondre à vos questions et on va tout de suite démarrer avec une de vos questions par téléphone.

AUDITEUR
Madame Arlette LAGUILLER, Monsieur Alain KRIVINE, êtes-vous encore pour la révolution, pour le grand soir mais pour vous qu'est-ce que signifie être révolutionnaire en 1999 ?

MICHEL FIELD
Vaste question j'imagine pour l'un comme pour l'autre. Une réponse brève, c'est ce que je vous demande.

ALAIN KRIVINE
Etre révolutionnaire, moi je crois, c'est refuser une société dont la logique aboutit par exemple aujourd'hui en France, à avoir cinq millions de chômeurs, six millions de personnes qui vivent avec les minima sociaux, c'est-à-dire qui survivent avec moins de 3 500 francs, d'avoir cinq millions de mal logés, d'avoir 200 000 exploitations agricoles supprimées depuis 92 et de se dire que ce n'est pas lié à des questions de climat, ce n'est pas lié à des questions d'imbécillité, c'est lié au fait que c'est une société qui n'est pas là pour répondre aux besoins des gens mais qui est là pour répondre au profit. Et je donnerai un seul exemple : être révolutionnaire, c'est refuser une société dont tous les matins, à la radio, à la télé, le bulletin de santé, c'est de nous dire comment va notre CAC 40, notre indice Nikkei et notre Dow Jones dont on se fiche éperdument. Ça intéresse 0,02 % de la population. Etre révolutionnaire, c'est vouloir une société où tous les matins, et ce n'est pas de la démagogie, on nous dira combien il y a d'infirmières en plus, combien il y 3 de crèches en plus, combien il y a d'enseignants en plus, combien il y a de lycées en plus, etc. combien d'effectifs en plus on aura aujourd'hui par exemple dans tous les domaines de loisirs, de besoins sociaux qui ne sont pas satisfaits. C'est ça. Je crois qu'être révolutionnaire, c'est finalement refuser l'injustice la plus totale dans un monde où on est au bord de la barbarie dans certains continents comme en Afrique.

MICHEL FIELD
Arlette LAGUILLER ? Et pourtant il y avait une sorte de petite nuance dans la question du téléspectateur, sur le grand soir, c'est-à-dire être révolutionnaire, est-ce que ce n'est pas aussi véhiculer toute une mythologie de la révolution qui apparaît peu réaliste aujourd'hui.

ARLETTE LAGUILLER
Vive la mythologie, parce que c'est ne pas supporter effectivement cette société, ce système pourri, oui, Alain KRIVINE a raison, le chômage, la misère, les enfants qui meurent de faim, de maladie, en Afrique, oui, c'est la barbarie. Et nous, nous ne supportons pas ça, c'est un système pourri. C'est la dictature des marchés. Nous ne voulons plus de cette dictature des marchés. Nous ne voulons plus que lorsqu'une entreprise veut voir le cours de ses actions monter, il lui suffit d'indiquer qu'elle va licencier mille ou deux mille personnes ; qu'il suffise qu'aux Etats-Unis on annonce que peut-être le chômage va un petit peu baisser pour qu'aussitôt, la bourse augmente parce que quand il y a le poids du chômage sur la société, que les travailleurs peuvent moins se défendre parce qu'ils sont coincés par cette recherche d'emploi, par ce chômage, eh bien le cours des actions monte. On ne veut plus de cette société-là.

MICHEL FIELD
Et comment on fait pour en changer ?

ARLETTE LAGUILLER
Eh bien comment on fait pour en changer ? Eh bien on espère convaincre de plus en plus de travailleurs, de chômeurs, de jeunes parce que quoi qu'on en dise, eh bien oui, les jeunes, ils réagissent. Ce n'est pas vrai qu'ils sont individualistes. C'est vrai qu'eux aussi, de plus en plus, ils ne supportent pas cette société, ils le montrent, ils sont mobilisés contre le racisme, contre ... il y a la lutte anti-CIP, on s'en souvient, ils se sont mobilisés en Seine-Saint-Denis, les jeunes lycéens ; ils se mobilisent contre la violence, ils se mobilisent contre plein de choses. Eh bien on espère que cette jeunesse peut-être ; cette génération, aujourd'hui, qui ne supporte plus comme nous, cette société, oui, elle la fera changer.

MICHEL FIELD
Alors il y a une intervention d'un téléspectateur un petit peu particulier, qui était sur ce plateau il y a quelques semaines : Robert H.

ROBERT HUE (07102199)
Quand j'entends Arlette LAGUILLER, je pense un peu à ce qu'on a peut-être été dans d'autres périodes, c'est-à-dire…

MICHEL FIELD
Vous dites « on », le Parti communiste ?

ROBERT HUE
Le Parti communiste ! Une attitude très incantatoire voyez-vous.
Mais qu'est-ce qu'on propose ? Tous les matins, on peut avoir raison en criant sur la réalité capitaliste et je suis de ceux-là, mais en même temps si on ne propose pas quelque chose de nature à apporter une alternative, on est dans l'impuissance et c'est un peu ce que je ressens avec Arlette LAGUILLER, je sens une démarche impuissante, une démarche qui n'est pas efficace.

ARLETTE LAGUILLER
Oui. Oh ! Je crois que…

MICHEL FIELD
Excusez-moi, ce n'est pas idiot, on peut avoir raison tout seul tous les matins mais en même temps, les moyens ?

ARLETTE LAGUILLER
Oui, mais on peut aussi être complètement impuissant en participant à un gouvernement qui privatise plus que BALLADUR et JUPPE l'ont fait. Or le Parti communiste est dans ce gouvernement, d'ailleurs malgré les promesses y compris du Parti socialiste et du Parti communiste : on peut être dans ce gouvernement, dire qu'on est pour la régularisation des sans-papiers mais ne pas partir du gouvernement alors que 60 000 sans-papiers ne sont toujours pas régularisés aujourd'hui dans ce pays. On peut dire qu'on peut faire quelque chose et puis on ne voit personne dans ce gouvernement qui change quoi que ce soit au fait que toutes les grandes entreprises de ce pays annoncent des suppressions d'emplois. Alors l'impuissance, elle est plutôt du côté de Robert HUE aujourd'hui.

MICHEL FIELD
Alain KRIVINE, vous avez été sévère avec Robert HUE ; vous avez dit : ce n'est pas une liste électorale, c'est un carnet mondain.

ALAIN KRIVINE
Ce que je veux dire par là, il faut regarder le fond politique, c'est que d'abord Robert HUE n'est pas notre adversaire, les communistes ne sont pas nos adversaires, c'est la droite, c'est l'extrême-droite, c'est le patronat. Maintenant, on n'est pas d'accord, c'est ça, avec la politique du Parti communiste et cella de Robert HUE. Je veux dire… c'est difficile, comme vient de le dire Arlette, d'avoir des ministres au gouvernement, d'être solidaire de la politique du gouvernement, de faire passer toutes les mesures de privatisation comme l'EDF. Mettez-vous à la place d'un salarié communiste aux télécoms par exemple ! Et en même temps, d'avoir des militants à la base qui sont avec nous, dans toutes les luttes, les sans-papiers, les grèves etc. Là, il y a une contradiction. Et le résultat, c'est que… bon, ils ont décidé de faire une liste d'ouverture, ça, ça les regarde, il y a même des communistes dans cette liste il paraît, mais surtout, c'est une liste – Robert HUE le dit lui-même – qui du coup, au niveau de son contenu, c'est pour ça que j'ai fait une critique, c'est au niveau du contenu, n'est ni pour ni contre le gouvernement, n'est ni pour ni contre Maastricht, ni pour ni contre les privatisations, ni pour ni contre. Alors elle est quoi ?! Il y a un problème de lisibilité. C'est pour ça qu'on porte une certaine critique. Mais nous, on espère bien avec les militants communistes, les électeurs et les sympathisants, continuer au moins dans les luttes, à se retrouver ensemble justement quand la politique patronale est souvent la politique du gouvernement.

ARLETTE LAGUILLER
Et on se retrouve d'ailleurs.

MICHEL FIELD
Une autre question.

AUDITRICE
Sortant des sentiers battus gauche-droite qui ne signifient plus rien à ce jour avec les politiques menées depuis ces vingt dernières années, Madame LAGUILLER, Monsieur KRIVINE, que signifie pour vous deux une politique sociale ? N'hésitez pas à donner des exemples, merci beaucoup.

MICHEL FIELD
N'hésitez pas à donner des exemples.

ARLETTE LAGUILLER
C'est simple. Je crois qu'on a une plate-forme politique, oui, justement, et on propose des revendications et des objectifs pour en finir avec le chômage. On est pour l'interdiction immédiate des licenciements collectifs et en particulier dans toutes les entreprises qui font du profit et qui licencient. Ça, c'est concret. Moi je suis et Alain KRIVINE aussi, pour qu'on prenne sur les profits pour créer des emplois. Pourquoi on n'impose pas plus les bénéfices des entreprises ? Le taux d'imposition sur les bénéfices des entreprises, il est inférieur aujourd'hui dans ce gouvernement de gauche à ce qu'il était sous GISCARD d'ESTAING, un gouvernement de droite ! Pourquoi on a baissé l'impôt sur les hauts revenus et sur la fortune ? Là, il y aurait matière à avoir de l'argent pour créer des emplois. Oui, ça, ça serait une véritable politique en faveur des travailleurs, en faveur des chômeurs.

MICHEL FIELD
Alain KRIVINE, vous évoquez une harmonisation sociale de l'Europe par le haut. Qu'est-ce que vous entendez par là ?

ALAIN KRIVINE
J'entends par là… c'est dommage que Michel ROCARD soit parti, c'était le grand chantre de l'Europe, on nous avait promis pour la jeunesse, des emplois etc. Mais aujourd'hui l'Europe qu'on a faite, c'est à l’inverse une Europe monétaire sur des critères monétaires, c'est une Europe de banquiers qui est régie d'ailleurs par le secret bancaire – on l'a vu avec l'histoire de la Commission. Il faut aller à l'envers. Si on veut une Europe sociale, tout le monde est pour une Europe sociale et nous, en tout cas, on est pour l'Europe, je veux dire, on est des internationalistes mais .il faut commencer par mettre en avant effectivement des critères qui soient des critères sociaux et non pas avoir une Europe aujourd'hui qui en terme d'espèce humaine, ne défend que les patrons et les oiseaux migrateurs d'ailleurs puisque c'est la seule directive qui impose quelque chose aux Etats. Mais je crois qu'aujourd'hui par exemple, il faut se battre pour un SMIC, un salaire minimum pour l'ensemble des salariés d'Europe, ça évitera comme on dit la concurrence et prendre le plus haut – par exemple, c'est sans doute celui de la France qui est le plus haut – et dans l'espace de quatre ou cinq ans parce qu'il y a un problème d'harmonisation, d'arriver à un SMIC commun à l'Europe. Il faut arriver à harmoniser les lois sociales et faire en sorte que tous les travailleurs d'Europe aient les mêmes lois mais en prenant les meilleures lois qui peuvent exister aujourd'hui sur le plan social. Il faut, pour mener une véritable politique sociale de travaux et autres, trouver l'argent. Arlette a parlé par exemple… pour créer des emplois aujourd'hui, il faut bien sûr taxer le capital mais il faut commencer par taxer par exemple tout le capital qui circule, le capital spéculatif en Europe, et à partir de là trouver les moyens de financer des centaines de milliers, voire des millions d'emplois. Donc il y a toute une série de mesures, il y a le droit des femmes qu'il faut absolument aujourd'hui harmoniser aussi mais par le haut, il y a des pays où par exemple l'avortement n'est pas possible, n'est pas toléré, où les droits des femmes sont encore plus bafoués qu'ailleurs ; et par conséquent là aussi il y a toute une bataille, sans parler des sans-papiers, il faut régulariser parce que le 27, il va y avoir une manifestation européenne pour défendre les sans-papiers. Il faut aujourd'hui donner des papiers à l'ensemble des sans-papiers. Je signale que là encore, je disais tout à l'heure qu'avec l'Europe, c'est extrêmement… il y a des lois obligatoires terribles qui obligent à avoir des budgets, qu'il n'y ait pas de déficit supérieur à 3 % et du coup, ça explique pourquoi on privatise à tour de bras, pour suivre les critères du pacte de stabilité. Et j'ai montré que par exemple, sur le plan social, les patrons peuvent faire ce qu'ils veulent ; il n'y a rien d'obligatoire ; on peut licencier à tour de bras. C'est pour ça que je rigolais avec la circulaire sur les oiseaux. Moi je suis pour défendre les oiseaux migrateurs mais très franchement, de voir qu'aujourd'hui, on préfère ça à la défense des travailleurs, ça pose un véritable problème.

MICHEL FIELD
Mais comment faire pour que votre double candidature ne soit pas seulement une candidature de témoignage. Parce que j'entends dans votre discours : il faut, « y a qu'à », c'est quelque chose qu'on peut vous reprocher quand même, l'irréalisme de vos propositions.

ARLETTE LAGUILLER
Je voudrais aussi rajouter un point qui est dans notre plate-forme, c'est des droits égaux pour tous ceux qui vivent et travaillent en Europe. Ça implique le droit de vote. Et pour répondre à votre question, mais non, on est les seuls au contraire à avoir des perspectives concrètes et bien sûr, on sait très bien… on ne se fait pas d'illusion, on sait très bien que ce n'est pas simplement en votant pour notre liste, mais si on augmente considérablement nos scores, si ce n'est pas 5 %, mais si on double ce score, si c'est 10 %...

MICHEL FIELD
Ah carrément !

ARLETTE LAGUILLER
Oui, carrément ! Ça voudra dire qu'il y a une prise de conscience dans la population ouvrière, parmi les chômeurs, parmi les jeunes que ça ne peut pas durer comme ça et que les mesures radicales – oui, parce qu'on en est bien conscients, ce sont des mesures radicales que nous préconisons – eh bien ces travailleurs, ces chômeurs, ces jeunes, ils seront pour lutter pour ces objectifs et les faire aboutir ; parce qu'on sait très bien qu'il faudra des luttes dans les entreprises, dans la rue, pour faire aboutir les objectifs que nous demandons. Mais redonner confiance à la classe ouvrière, à ces militants qui sont démoralisés de voir finalement que depuis vingt ans, gauche ou droite, on mène la même politique. On a fait croire aux travailleurs qu'il fallait aider les entreprises, leur donner des exonérations de charges sociales, de charges fiscales, des aides et pas seulement au niveau de l'Etat, au niveau de toutes les collectivités territoriales régionales et pour que ça crée des emplois ; et depuis vingt ans, eh bien les grandes entreprises continuent à supprimer des emplois. Ah ! Elles empochent les aides mais le chômage, il ne baisse pas et la misère non plus. Eh bien oui, on veut changer ça par des mesures concrètes qu'on a évoquées tout à l'heure.

MICHEL FIELD
Une autre question.

AUDITRICE
Bonsoir Madame LAGUILLER, je suis animatrice socioculturelle à Strasbourg et voici ma question : votre mouvement symbolise la lutte contre les nouvelles formes de souffrance sociale, comment se fait-il que vous soyez si peu présente auprès des mouvements pour les sans-papiers, pour les chômeurs et pour le PACS ?

MICHEL FIELD
Ça s'adresse spécialement à Arlette LAGUILLER, cette question.

ARLETTE LAGUILLER
Pour le PACS, j'espère qu'elle ne me voyait pas avec les grenouilles de bénitier qui étaient dans la rue contre le PACS. Je suis évidemment pour que le PACS existe, si des gens qui ne veulent pas ou ne peuvent pas se marier comme les homosexuels, souhaitent le faire. Donc là-dessus…

MICHEL FIELD
Ah mais il y a une certaine ouverture de Lutte Ouvrière parce que vous avez une réputation quand même d'être une organisation assez ordre moral dans votre fonctionnement.

ARLETTE LAGUILLER
Non, mais ça, c'est parce que Michel FIELD, peut-être pas vous, mais c'est parce qu'il y a des journalistes qui se recopient les uns les autres en écrivant des choses complètement fausses, mais répéter des mensonges, ça ne les rend pas vrais pour autant. Dans les mouvements de chômeurs, dans le mouvement des sans-papiers, Lutte Ouvrière est. J'étais dans les manifestations à chaque fois que j'ai pu, de soutien aux sans-papiers, aux mouvements des chômeurs et si vous veniez dans nos meetings, vous verriez que ces mouvements viennent nous soutenir dans nos meetings et qu'ils ne se trompent pas et qu'ils savent bien qu'on est avec eux et puis on est aussi dans les entreprises pour la lutte contre le chômage, la lutte contre les licenciements, la lutte contre cette application de la loi sur les trente-cinq heures qui fait qu'aujourd'hui,·. Au lieu d'améliorer la vie des travailleurs aux Chantiers de l'Atlantique ou chez PEUGEOT, eh bien ils sont obligés de faire grève pour ne pas avoir le travail du samedi obligatoire. Alors on est dans tous ces combats-là avec nos camarades de la LCR, qu'elle se rassure cette dame.

MICHEL FIELD
En même temps, c'est vrai que la Ligue Communiste Révolutionnaire est plus à l'aise on a l'impression, dans ces mouvements sociaux, les sans-papiers, tout ce qui représente un petit peu le mouvement sociétal, que Lutte Ouvrière. Est-ce que vous par exemple, vous n'êtes pas souvent plus proches d'un certain nombre de propositions de Daniel COHN-BENDIT sur la dépénalisation des drogues douces etc. Est-ce que sur les questions de société, vous n'êtes pas plus proches des Verts ou de Daniel COHN-BENDIT que de Lutte Ouvrière ?

ALAIN KRIVINE
On ne va pas parler de Daniel COHN-BENDIT ici, on en parle déjà, assez comme ça. Mais je veux dire…

MICHEL FIELD
Il faut vous faire une raison.

ALAIN KRIVINE
Non, non, mais bon… je pense que sur la dépénalisation de la drogue, sur le nucléaire ou sur les sans-papiers, il dit des choses avec lesquelles je suis d'accord, mais moi j'aimerais bien l'entendre sur ce dont il ne parle pas, c'est-à-dire sur tous les problèmes dont on vient de parler avec Arlette, qui sont tous les problèmes aujourd'hui de la crise sociale, du chômage, des fonds de pension, des trente-cinq heures sauce AUBRY, de la loi ALLEGRE, et qu'est-ce qu'il pense aujourd'hui d'ALLEGRE…

ARLETTE LAGUILLER
Des 42 ans et demi de cotisations pour la retraite.

ALAIN KRIVINE
Absolument. Moi je considère que COHN-BENDIT, comme Robert HUE d'ailleurs, il fait partie de la majorité gouvernementale. Alors je sais qu'aujourd'hui ça fait bien d'essayer de faire oublier qu'on en fait partie ; il est solidaire de cette politique gouvernementale. Pour ce qui est de ce qu'on appelle les nouveaux mouvements sociaux, bien sûr que c'est très important pour répondre à notre interlocutrice, je crois que notamment depuis 95, ça prouve la profondeur de la crise, c'est que maintenant ce n'est pas simplement... c'est bien sûr en grande partie dans les entreprises, mais en dehors des entreprises maintenant, la déchéance sociale, la détresse sociale est telle que· vous avez par exemple les sans-logis qui se donnent leur organisation, comme Droit au Logement, qui essaie de lutter y compris d'obtenir ne serait-ce que l'application des décrets de réquisition que la gauche n'applique pas puisqu'elle envoie les flics d'ailleurs maintenant ; vous avez des mouvements comme Agir contre le Chômage ou l'APEIS ou les comités CGT qui essaient d'organiser les chômeurs et c'est très difficile parce qu'ils sont atomisés parce qu'il y a une culpabilité quand on est chômeur, pour s'organiser, c'est difficile, qui se battent par exemple pour une augmentation de 1 500 francs des minima sociaux. Vous avez des mouvements antifascistes comme Ras le Front, vous avez le mouvement des femmes, extrêmement important, Arlette en a parlé, notamment sur l'affaire du temps partiel, le temps partiel imposé. Aujourd'hui il y a 3,7 millions de personnes qui sont au temps partiel imposé dont 3 millions de femmes et il y a une lutte spécifique des femmes avec les hommes bien sûr contre cela. Donc je pense que tous ces mouvements, c'est important et justement notre but avec Arlette, c'est de redonner confiance à tous ces gens qui luttent sans parler de ceux qui sont dans les entreprises, de leur redonner confiance. Il y a aujourd'hui une attaque sans précédent… enfin sans précédent… extrêmement vive, extrêmement forte, maintenant le CNPF change de nom pour remplacer une droite qui est complètement en déliquescence – il y a les fascistes malheureusement très forts, il ne faut pas les oublier – mais il y a une droite…

ARLETTE LAGUILLER
Oui, ils ont beau être coupés en deux, ils sont toujours les ennemis des travailleurs.

ALAIN KRIVINE
C'est l'essentiel pour nous. Mais il y a une droite qui est en lambeaux, enfin le débat entre Edouard, SEGUIN… tout le monde s'en… ce n'est pas très très important, ce n'est pas décisif. Mais le patronat qui a changé de nom d'ailleurs, a pris un peu la place de ces partis politiques et maintenant ils imposent leur volonté : sur les trente-cinq heures, ça on en veut, ça on n'en veut pas, c'est invraisemblable. Et la gauche se couche, la gauche est complètement à plat ventre aujourd'hui devant les diktats de la droite et ça, c'est impossible. Et il faut donner une réponse politique et c'est ça qu'on essaie de faire avec Arlette. Et pour la première fois peut-être ça apparaît comme utile et crédible. Les gens se disent : il y a peut-être quelque chose de nouveau qui apparaît à gauche, quelque chose de totalement à gauche.

MICHEL FIELD
C'est nouveau, mais dans une phraséologie ou dans une, rhétorique qui n'est pas très nouvelle. Qu'est-ce que vous répondez aux reproches de sectarisme, de dogmatisme, que vous entendez souvent ?

ALAIN KRIVINE
Le chômage, ce n'est pas nouveau.

MICHEL FIELD
Vous avez une longue expérience politique, Arlette LAGUILLER…

ARLETTE LAGUILLER
COHN-BENDIT, paraît-il, traite Lutte Ouvrière de secte. Alors…

MICHEL FIELD
Hier soir.

ARLETTE LAGUILLER
Oui, qu'est-ce que vous voulez. Il y a des grands partis, il y a des petits partis que certains traitent de secte et puis il y en a qui roulent pour eux-mêmes. Et nous, on roule pour les intérêts des travailleurs, de la classe ouvrière, des chômeurs, de tous ceux qui souffrent dans cette société.

MICHEL FIELD
Est-ce qu'il vous est arrivé de vous tromper, de faire une erreur d'analyse politique importante dans les 20-25 ans de militantisme qui sont les vôtres ?

ARLETTE LAGUILLER
Je ne crois pas. Je ne crois pas.

MICHEL FIELD
C'est typiquement la définition du dogmatisme votre réponse.

ARLETTE LAGUILLER
Ecoutez, peut-être, mais j'ai beau chercher…

MICHEL FIELD
Vous avez toujours eu raison ?

ARLETTE LAGUILLER
Peut-être que si des historiens s'intéressent à nos écrits depuis 25 ans, ils trouveront qu'on s'est trompé mais je ne crois pas ; et je crois qu'on est vraiment… on représente vraiment les seules idées d'avenir. Je crois vraiment que la gestion capitaliste de la société, que cette concentration, que cette concurrence à l'échelle mondiale… on voit bien que cette Union européenne, elle est surtout faite, pas pour le bien des peuples, mais pour concurrencer les Etats-Unis ou pour concurrence le Japon sur des marchés qui se raréfient parce que la misère grandit dans le monde et que des populations solvables, il n'y en a plus tant que ça. Alors justement, cette société, elle va dans le mur, cette société, elle, est gravement atteinte, elle est malade du racisme, de la xénophobie, elle est pourrie d'inégalités, elle est pourrie de misère et les seules idées d'avenir, eh bien c'est d'en revenir aux vraies idées communistes, aux vraies idées socialistes, celles que justement les Staliniens avaient abandonnées et celles que le Parti socialiste a abandonnées parce que ce n'est plus du tout le Parti socialiste du début du siècle. On dit des fois qu'être communiste, c'est dur à porter, eh bien moi je crois que c'est beaucoup plus facile à porter quand on a combattu le stalinisme comme on l'a combattu que de porter le nom de socialiste qui était un beau nom au début du siècle, mais quand on voit la politique menée au niveau européen par tous les partis socialistes, les BLAIR, les JOSPIN et les autres, eh bien sincèrement, les idées d'avenir, je crois vraiment que c'est les nôtres.

MICHEL FIELD
Vous m'avez empêché de poser la même question que je vous ai posée à Alain KRIVINE sur le sentiment de s'être trompé. Trente secondes ?

ALAIN KRIVINE
Trente secondes. On nous accuse toujours de dire la même chose mais moi je reproche aux autres justement de retourner leur veste en permanence. Et justement en votant pour l'extrême gauche, en soutenant l'extrême gauche, on est sûr que le vote pour nous le dimanche ne sera pas trahi le lundi. Et si aujourd'hui effectivement sur le fond et c'est ce qu'a dit Arlette, on dit peut-être toujours la même chose, c'est qu'en face, on a le même adversaire. On a tout essayé en. France depuis la Libération, on a eu des droites dures, des droites molles, des droites mi-dures, des droites mi-molles, des gauches unies, des gauches désunies, des gauches plurielles et il y a toujours les maux de cette société : le chômage, l'exclusion, la détresse sociale, plus ou moins forte. Pourquoi ? Parce qu'on n'a pas changé cette société. Eh bien c'est ça qu'on veut et là-dessus, on radote peut-être mais je crois que c'est capital de continuer cette lutte. La lutte des classes, elle existe, on peut le regretter mais c'est la seule chose qui fait avancer aujourd'hui le progrès social. Et là-dessus, on n'abandonnera pas ni Arlette ni moi et je pense que cette fois-ci, on va étonner aux prochaines élections parce qu'il y a des millions de gens qui vont dire enfin, on va pouvoir voter pour nous.

MICHEL FIELD
Arlette LAGUILLER, Alain KRIVINE, merci