Texte intégral
O. Mazerolle : Les emplois-jeunes semblent rencontrer du succès, en tout cas auprès des membres du Gouvernement qui veulent tous embaucher des jeunes selon le plan Aubry. Vous aviez prévu à cet effet deux milliards de francs dans le budget de cette année pour 50 000, ça va exploser ?
D. Strauss-Kahn : J’espère, mais à vrai dire je ne crois pas. Pour cette année, c’est 1997, le démarrage va se faire progressivement. C’est surtout en 1998 que nous allons atteindre des chiffres importants. Les deux milliards dont vous parlez sont pour la fin de l’année puisque ça va commencer grosso modo dans les semaines qui viennent, le texte sera voté en septembre. Donc, c’est au 1er octobre en quelque sorte que ça va pouvoir démarrer. Trois mois ce n’est pas bien long pour finir l’année. En revanche, en 1998, ça prendra toute son ampleur.
O. Mazerolle : Et là, le budget que vous aviez prévu risque d’exploser ?
D. Strauss-Kahn : L’objectif est qu’à fin 1998, nous ayons atteint 150 000 puisque vous savez qu’il faut monter progressivement en puissance. Si on en trouve plus, si finalement les collectivités locales, les associations sont encore plus demandeuses qu’on ne l’a calculé, qu’on ne l’a estimé, c’est tant mieux. Ça voudra dire que ce plan a un véritable succès, ce que je crois.
O. Mazerolle : Mais le ministère de l’Économie et des Finances suivrait, dans ce cas-là ?
D. Strauss-Kahn : Vous savez ces jeunes, auxquels nous voulons donner un travail aujourd’hui, sont un peu dans la rue, pour aller vite, pour nombre d’entre eux en tout cas. Et ils coûtent à la collectivité. Et le gain que, dans les comptes publics, on va récupérer, simplement parce qu’ils seront mis au travail, ce gain-là vient limiter fortement le coût total de l’opération. Si demain, par un coup de baguette magique, on était capable d’avoir tout de suite les 700 000 jeunes, dont on a parlé pendant la campagne, tout de suite au travail, les gains en termes de Sécurité sociale, en termes de RMI à payer en moins, etc., seraient considérables. Et donc moi, je ne suis pas inquiet sur le financement. Ce qu’il faut voir, c’est que ce qui a été mis en place est une procédure qui suppose la définition de projets parce qu’il faut que ça soit des travaux utiles. Il ne s’agit pas de leur faire faire n’importe quoi. Donc, la montée en puissance va se faire progressivement. Mais je pense que c’est une très grande mesure dont on a beaucoup parlé pendant la campagne électorale, vous vous en souvenez, j’étais moi-même, comme d’autres, venu vous en parler. Elle se met aujourd’hui en œuvre. J’en attends beaucoup pour ce qui est de l’emploi des jeunes et pour ce qui est aussi finalement la place des jeunes dans la société.
O. Mazerolle : Donc, le cas échéant, vous êtes prêt à mettre plus de huit milliards de francs au pot pour l’année ?
D. Strauss-Kahn : Écoutez, si le succès devait être encore supérieur à ce que l’on a estimé, ce que vous laissez sous-entendre, ce moment-là, ne vous inquiétez pas, on trouvera les ressources nécessaires.
O. Mazerolle : La croissance, l’activité semblent reparties, certains estiment même que le chômage pourrait reculer dès la fin de cette année. Ce n’était pas votre prévision il y a quelques semaines ?
D. Strauss-Kahn : Non, non, je continue de penser qu’il faut être raisonnable, que le chômage est comme un grand navire qui met du temps à tourner et que, par conséquent, les mesures qui sont prises par le Gouvernement en termes de pouvoir d’achat, en termes d’emploi des jeunes, la croissance économique qui est mieux soutenue nous donneront véritablement des effets sur le chômage plutôt vers la fin de l’année1998, la deuxième moitié de 1998, pas avant. Il ne faut pas se raconter d’histoires. Tout ceci, ce sont des phénomènes qui mettent du temps. Il va falloir d’abord le stabiliser, vous savez qu’il était encore en hausse il y a peu de temps. Il va falloir stabiliser et après la stabilisation, commencer la décrue. Donc, dans la ligne même de ce que souhaite L. Jospin, je ne veux pas dire aux Français que les choses vont aller plus vite que la musique. Mais ce qui me paraît clair, c’est que l’ensemble des mesures de politique économique qui sont prises et le retour de croissance que l’on sent permettent de penser qu’en effet, à échéance d’une année d’ici, nous devrions avoir un effet significatif sur le chômage.
O. Mazerolle : Vous misez beaucoup sur la croissance pour l’année prochaine, elle va se poursuivre malgré les incertitudes financières dues à la politique de la Federal réserve américaine ou de la Bundesbank ?
D. Strauss-Kahn : Il y a toujours des incertitudes et vous avez raison de souligner que si la volatilité qu’il y a aujourd’hui sur les bourses et sur les monnaies devait donner lieu à des tours de vis de la part des organismes de contrôle américains ou de la Bundesbank, ceci ne serait pas bon pour la croissance. Je crois pour ma part que tout le monde va être raisonnable et que, dans le monde du possible, il n’y aura aucun de ces tours de vis. Dans ces conditions, j’estime que la France devrait avoir – et les prévisions se sont encore un petit peu améliorées depuis la semaine dernière – plutôt 2,9 à 3 % de croissance l’année prochaine. J’aurai les estimations définitives sur lesquelles le budget sera calé, placé, d’ici une semaine. Mais finalement, chaque semaine qui passe nous amène des prévisions encore un peu meilleures.
O. Mazerolle : En tout état de cause et quelle que soit la politique menée par les autres, la France pourrait conserver ses taux d’intérêt actuels ?
D. Strauss-Kahn : Il faudrait sans doute – mais c’est le rôle de la Banque de France de le faire et je ne veux parler à sa place – que la France ne voie pas ses taux augmenter. En effet, nous avons aujourd’hui les taux qui sont les troisièmes les plus bas du monde. Cela sert l’investissement, cela sert même la consommation pour ceux qui empruntent pour consommer et ça serait sans doute un frein à cette reprise que tout le monde sent aujourd’hui si les taux devaient augmenter. Donc, il faut espérer qu’en effet, malgré les troubles monétaires qui existent, nous pourront garder des taux d’intérêt suffisamment faibles.
O. Mazerolle : Vous avez prévu des hausses de dépenses publiques d’environ 1,5 % pour le budget 1998 et pourtant, les signatures de l’audit rédigé à la demande de L. Jospin, disaient qu’il était impératif de diminuer les dépenses publiques ?
D. Strauss-Kahn : Des dépenses publiques qui augmenteront grosso modo comme le niveau des prix, c’est-à-dire à peu près le chiffre que vous avez dit, c’est une forte diminution de la part de la dépense publique dans le PIB. La croissance économique va être elle de, disons 3 % alors avec +1,5 % d’inflation, cela fait 4,5 %. Si l’on voulait garder la même proportion, on ferait que la dépense publique augmente de 4,5 %. Elle va augmenter beaucoup moins puisqu’elle va augmenter simplement comme les prix, peut-être de 1,5 %.
O. Mazerolle : Mais vous augmentez plus que ne le faisait A. Juppé.
D. Strauss-Kahn : Cela dépend comment on regarde les choses ! Si vous me parlez de la façon dont A. Juppé présentait ses budgets, vous avez raison mais si vous me parlez de la façon dont il les réalisait, excusez du peu mais l’audit a montré que finalement, il était très au-delà de ce qu’il annonçait au départ. Je préfère faire des préparations de budget réalistes et les tenir plutôt que faire des préparations fantaisistes et d’avoir ensuite un audit qui montre que l’on a complètement dérapé.
O. Mazerolle : Malgré les sommes supplémentaires éventuellement consacrées aux emplois jeunes, vous tiendrez les 3 % pour l’an prochain ?
D. Strauss-Kahn : Absolument ! Le 3 % de déficit public pour l’année 1998 sera tenu, non pas tellement parce qu’il y aurait un quelconque mythe autour de ce chiffre de 3 % mais parce que c’est la ligne régulière de décroissance de notre déficit. Il faut que notre déficit diminue et comme vous le savez, le déficit s’est reporté sur les générations futures ce que l’on ne paye pas nous-mêmes et il y a des limites à ce genre d’exercice. Or, le déficit baisse régulièrement année après année en France depuis 1993, il faut qu’il continue à s’amenuiser. La nouvelle étape, c’est 3 % pour 1998.
O. Mazerolle : La pollution amène votre collègue, D. Voynet, à penser qu’elle peut exercer des pressions sur vous pour l’instauration d’une éco-taxe dès 1998, alors ?
D. Strauss-Kahn : D. Voynet n’exerce pas de pression mais le souci qu’elle a est bien légitime. Nous avons, au travers des questions de pollution ces jours-ci, que c’est un sujet très important. Un groupe de travail entre le ministère des Finances et le ministère de l’Environnement se réunit, travaille à ces questions. Nous verrons si l’éco-taxe ou une taxe écologique peut servir à quelque chose dans ce contexte. Je crois, pour ma part, que ceci n’a beaucoup de sens que si cela se fait au niveau européen sinon on défavorise beaucoup nos entreprises par rapport aux entreprises voisines. Il y a peut-être d’autres pistes à suivre que celle-là. En tout cas, D. Voynet a raison de se préoccuper de ces questions et on travaille ensemble.
O. Mazerolle : Vous n’avez pas l’air enthousiaste !
D. Strauss-Kahn : Tout ce qui augmente les impôts, je ne suis pas très pour. On va réfléchir ensemble aux meilleures solutions.
O. Mazerolle : Allez-vous poursuivre la réforme prévue par A. Juppé sur la réduction de l’impôt sur le revenu ?
D. Strauss-Kahn : Comme je le disais tout à l’heure sans vouloir y revenir trop lourdement, il est facile de prévoir des réformes de réduction quand on ne sait pas les financer. En effet, c’est ce qui s’est passé puisque, dès 1997, la réforme faisait bénéficier de 25 milliards d’allègements de l’impôt et on s’est retrouvé avec un audit qui montrait qu’il y avait un dérapage d’une quarantaine de milliards. Donc, ce qui a été prévu pour 1998 va dépendre de l’ensemble des choix fiscaux faits par le Gouvernement pour la rentrée et ils ne sont pas tous arrêtés.
O. Mazerolle : Est-ce que vous pourriez revenir sur les allègements de cette année ?
D. Strauss-Kahn : Ah non, les allégements de cette année auront lieu. Là où l’État s’est engagé, ce qui a été voté, c’est la parole de l’État et il faut la tenir. Maintenant pour 1998…
O. Mazerolle : Il a été voté d’autres allègement pour 1998 ?
D. Strauss-Kahn : Mais l’annualité budgétaire en France fait que l’on n’a pas le droit de voter quelque chose pour l’année d’après. Donc, on vote pour sa propre année, le reste est indicatif voire un peu baratineur ! Ce que nous allons faire, c’est mettre tout sur la table, tout ce qui est possible de faire. On va regarder cela et puis, on annoncera dans les premiers jours de septembre, c’est la date traditionnelle, ce que le Gouvernement a décidé en matière fiscale. Tous les choix sont encore ouverts.