Texte intégral
Question : Le PS dépose une motion de censure à l'Assemblée nationale ; le groupe communiste s'y associe-t-il ?
Robert Hue : Oui, le groupe communiste s'associe à cette motion de censure. Il s'agit, à l'occasion du débat qui aura lieu, de dire ce que nous pensons de la politique du pouvoir, menée depuis un an avec Jacques Chirac à l'Élysée et Alain Juppé à Matignon. Dire non pas l'échec – j'ai entendu parler d'échec de cette politique. Pour moi, il n'y a pas échec de la politique JUPPÉ, il y a même une grande réussite si on se place du point de vue des marchés financiers, évidemment ! Mais, incontestablement, elle porte des coups terribles à notre peuple. C'est une politique désastreuse à bien des égards. Il faut qu'il y ait ce débat.
Je veux dire aussi que j'entends parfois prendre en référence la politique menée depuis 93 : alors, effectivement, la droite est au pouvoir depuis 93, mais je pense que quand on évoque, par exemple, le service public, c'est les politiques menées depuis plus de quinze ans qui sont en cause et la dégradation que nous connaissons, les choix qui sont faits s'inscrivent dans des politiques déjà mises en œuvre bien avant 93.
Enfin, je crois vraiment que les salariés, les citoyens de ce pays, naturellement, regarderont ce débat parlementaire autour de la censure, auquel les communistes, je répète, s'associent, mais, en tout état de cause, ils savent que la censure à cette politique, il faut qu'ils l'expriment dans l'action contre cette désastreuse démarche de Juppé. Voilà, il y a un combat à mener.
Toul à l'heure, je me suis adressé aux salariés des services publics, en Seine-Saint-Denis pour leur dire mon sentiment aussi en la matière. C'est à dire qu'il faut qu'ils poursuivent l'action qui est engagée. Naturellement, ils ont le soutien des communistes.
Question : Six mois après les grandes grèves, que reste-t-il aujourd'hui de ce mouvement ?
Robert Hue : Je crois qu'il reste beaucoup de choses de ce mouvement qui, à bien des égards, a été un mouvement très important dans notre société. Il a été très important parce qu'il a été en fait le premier affrontement très fort d'une période où les salariés des services publics, ressentant les conséquences de la politique maastrichtienne, se sont heurtés à cette politique dans leur vie quotidienne, ont lutté contre cette politique à travers ce mouvement social important. Par ailleurs, ce mouvement avec son caractère unitaire important, sa détermination, la solidarité de gens non engagés dans le mouvement lui-même, tout cela a fait qu'il en reste beaucoup de choses aujourd'hui. Vous l'avez vu la semaine dernière notamment avec ce qui s'est passé dans les rues de Paris et dans les rues de villes de province, des manifestations très très importantes, des gens d'EDF...
Question : L'été sera chaud, Robert Hue ?
Robert Hue : Écoutez, ce qu'annonce actuellement le pouvoir, notamment en termes de baisse des dépenses sociales. Les fameux soixante milliards d'économie qui doivent se traduire par une baisse sensible des dépenses sociales qu'annonce Alain Juppé, aurait, si l'action n'empêche pas cette démarche, des conséquences désastreuses. Et, en tout état de cause, ça ne peut pas ne pas se traduire par une riposte vigoureuse, qui est déjà engagée.
Question : Donc l'été sera chaud ?
Robert Hue : Ah, je pense que l'été sera chaud, c'est évident ! Il sera chaud parce qu'aujourd'hui on voit bien que les politiques engagées, y compris la démarche d'Alain Juppé après le mouvement de novembre et décembre, reste avec des conséquences très très dures pour le monde du travail.
Question : N'est-ce pas un peu contradictoire pour vous de dénoncer la politique menée depuis quinze ans, donc socialistes compris, et de voter la motion de censure déposée par les mêmes socialistes ?
Robert Hue : Non, ce n'est pas contradictoire. Le groupe socialiste a pris l'initiative de déposer cette motion de censure, il n'y a aucune raison que nous ne soyons pas associés à cette démarche.
Question : Mais allez-vous voter la censure pour les mêmes raisons que les socialistes ?
Robert Hue : Je pense qu'il y aura un contenu, c'est au groupe communiste qu'il appartient d'expliquer dans quelles conditions il va censurer le gouvernement. Mais il est bien clair que nous aurons une démarche spécifique, une démarche propre au Parti communiste. Françoise David, vous avez raison de dire qu'il y a une partie de l'inventaire dont parlent parfois Lionel Jospin et le Parti socialiste, sur cette période qui a précédé 93, qu'on ne peut pas gommer, qu'on ne peut pas gommer ! Chacun sait bien qu'une partie des coups qui sont portés actuellement au service public dans ce pays s'inscrivent dans la politique maastrichtienne, s'inscrivent dans la politique de l'Acte unique, s'inscrivent dans la mise en cause du statut des salariés, la déréglementation est profondément liée à cette politique-là. Je crois qu'on ne peut pas faire l'impasse là-dessus.
De même qu'on ne peut pas faire l'impasse, mais je ne vais pas anticiper sur d'autres questions, de même qu'on ne peut pas faire l'impasse sur les mesures à prendre, fondamentales, de nature à changer de politique. J'entends bien la critique qui s'accentue, les effets à l'Assemblée, les discours, mais quelle autre politique propose-t-on ? Et est-ce que la politique que l'on propose est aussi radicale que le discours ? C'est ça, la question qui est posée !
Question : Est-ce que vous regrettez de ne pas être descendu dans la rue en décembre ?
Robert Hue : Non, parce qu'en décembre, l'action que le Parti communiste a conduite était étroitement liée à ce que souhaitaient les organisations syndicales. Il y avait en novembre décembre un mouvement très unitaire, avec des centrales syndicales qui se retrouvaient unies dans un grand mouvement pour la première fois depuis longtemps. Je crois qu'il fallait respecter l'esprit dans lequel ces grandes centrales syndicales souhaitaient voir conduire le mouvement. Ce n'est un secret pour personne que j'ai eu des contacts très réguliers avec Louis Viannet, pour regarder ce qu'était ce mouvement, ne pas donner le sentiment et surtout ne pas faire qu'il apparaisse que les partis politiques voulaient conduire ce mouvement. C'est un mouvement très syndical, posant des problèmes revendicatifs importants.
Alors, aujourd'hui, ma participation à la manifestation, la semaine dernière, à Paris, des services publics, notamment EDF-GDF, et bien c'est dans le même esprit : j'ai, à leur demande, reçu non pas une centrale syndicale, mais les secrétaires généraux des trois centrales syndicales de l'énergie, CGT, CFDT et FO, ensemble, à leur demande. C'est à l'issue de cette rencontre avec eux que j'ai décidé en accord avec eux, dans l'esprit de cette rencontre, de m'adresser à Jacques Chirac. Pour lui dire qu'il fallait qu'il exerce son veto par rapport à la directive européenne visant à mettre en cause le monopole d'EDF.
Question : Vous a-t-il répondu ?
Robert Hue : Pas encore, pas pour le moment.
Ensuite, j'ai dit combien je pensais souhaitable de pouvoir exprimer le soutien du Parti communiste dans cette manifestation et c'est comme cela que, d'un commun accord, j'ai participé à ce mouvement et je m'y sentais très bien. C'était un mouvement très déterminé, très fort. Et pour revenir sur la question qui m'était posée tout à l'heure, augure bien d'initiatives à nouveau très fortes dans les mois qui viennent.
Question : Mais est-ce que vous ne faites pas toujours de la CGT la bonne vieille courroie de transmission du PC ?
Robert Hue : Non, pas du tout ! Regardez ce que je viens de dire à l'instant à propos d'EDF : c'est l'ensemble des organisations syndicales, dans le respect du pluralisme syndical qui m'anime et qui anime le Parti communiste. L'idée de courroie de transmission, c'est balayé, c'est fini ! Et d'ailleurs, ça générait à mon avis les formations politiques et les formations syndicales. Blondel, je n'ai pas eu de contacts avec lui, mais il est évident que j'ai suivi le mouvement de près et chacun sait bien qu'il convient dans un mouvement aussi difficile, aussi pointu, de prendre en compte toutes les sensibilités.
Question : Le fait que FO perde la présidence de la CPAM de Paris, cela aura d'après vous des conséquences ?
Robert Hue : Pas vraiment, pas vraiment. Vous savez que la CFDT occupe la place de FO grâce à l'arbitrage du patronat. Tout cela participe d'une sorte de répartition des choses auxquelles je me sens très étranger. Par ailleurs, je crois que l'essentiel, c'est la bataille qui est menée par les administrateurs élus des caisses, pour s'attaquer et riposter au mauvais coup du plan Juppé en matière de Sécurité sociale. C'est ça qui est le plus important.
Question : La polémique bat son plein dans l'affaire de la vache folle entre le gouvernement et le Parti socialiste ; vous ne vous êtes pas encore exprimé dans cette affaire...
Robert Hue : Je vais vous dire. Ce que révèle l'affaire de la vache folle, c'est que cette société de l'argent, puisque vous voulez mon opinion, cette société de l'argent pour l'argent est une société folle. Que peuvent penser les Françaises et les Français qui entendent au fil des jours les informations, qui lisent vos quotidiens, où vous rapportez des choses effarantes ? Effarantes ! On a fabriqué des farines qu'on savait contaminées pour nourrir du bétail qui allait à l'alimentation humaine ! Tout ça, c'est fait pourquoi ? J'entends bien les propos tenus à l'Assemblée, très durs par rapport au gouvernement. J'ai moi-même une position très dure par rapport à ce pouvoir ; mais, en même temps, il ne faut pas s'arrêter aux premiers éléments d'appréciation, il faut aller plus loin : pourquoi on a fabriqué ces farines contaminées ? Mais pour faire du fric ! Pour faire des profits ! Il y en a qui sont richissimes actuellement, qui sont dans une situation d'insolents profits pour avoir contaminé ainsi le bétail avec les conséquences que l'on sait !
Moi, ça me révolte ! Ça me révolte ! Nous assistons à une véritable dérive ultra-libérale en matière d'agro-alimentaire. Il faut prendre là aussi les choses pas seulement en s'arrêtant sur la période immédiate : les gouvernements et la Commission européenne ont laissé utiliser les farines contaminées.
Question : Les gouvernements socialistes notamment ?
Robert Hue : Les gouvernements socialistes, les gouvernements de droite, la Commission européenne qui était encore sous la responsabilité de M. Delors. Il est bien clair que là, il faut regarder ce qui a été fait ! Personne ne pouvait ignorer cette réalité ! On a laissé faire !
Et on peut aller au-delà. Pardonnez-moi de ne pas en rester à la vache folle, mais regardons plus loin, parce qu'on va tous les jours, peut-être pas tous les jours, mais enfin on va découvrir des choses de plus en plus graves à terme ! La mise en jachère de terres dans notre pays conduit on le sait bien, à des traitements très intensifs avec des pesticides dans certaines parties du pays. Qu'est-ce que ça donne au niveau des nappes phréatiques ? On est en train, par tous les bouts, avec cette dérive ultra-libérale, d'avoir une société qui est folle, complètement folle ! Les États-Unis qui veulent nous imposer l'alimentation du bétail aux hormones, ils veulent l'imposer dans le cadre de l'OMC, l'office mondial du commerce, c'est quoi, ça ? Cette loi du profit fou, de l'argent fou, entraîne une véritable société folle. Voilà le cri que je voulais pousser par rapport à la vache folle !
Question : La France poubelle d'aliments que les britanniques interdisaient eux-mêmes à l'époque…
Robert Hue : Certes. Le problème, c'est qu'un certain nombre de nos gouvernants et de gens savaient qu'il se passait cela. C'est cela, la question qui est posée.
Question : Et les gouvernants de l'époque, socialistes…
Robert Hue : Oui. Écoutez, la réalité est à regarder objectivement. Ça ne retire rien. Vous comprenez bien que mon propos n'est pas du tout polémique.
Question : Vous ne renvoyez pas dos à dos le PS et l'actuelle majorité ?
Robert Hue : Je regarde ce qui se passe dans la société au plus profond d'elle-même. Il y a une démarche ultra-libérale. Je n'inventerai rien aujourd'hui et je ne surprendrai pas en disant que je considère que beaucoup de la politique qui a été conduite avant 93 s'inscrivait dans une démarche monétariste et libérale. Je n'invente rien. Ce n'est pas polémique, c'est au contraire pour ne pas recommencer ça. Et peut-être que si on aborde tout à l'heure la question de la perspective politique pour ce pays.je dirai que si on veut vraiment changer les choses en France. Il faut surtout rompre avec ça. Ce sont les marchés financiers qui dominent tout ! C'est ceux qui ont les moyens, qui ont le pouvoir, ce sont les puissants qui imposent une ligne politique. Eh bien moi, je n'accepte pas ça. Peut-être que je suis un doux rêveur, mais je ne crois pas, parce que, pour moi, une politique qui entraîne la contamination des hommes, c'est quelque chose qui est vraiment la caricature poussée à l'extrême de ce qu'est une société qui va contre l'homme. Et moi je suis pour une société de la personne humaine. Donc je ne peux pas accepter ça ! C'est mon cri humaniste aussi et pour moi, communisme doit rimer avec humanisme.
Question : Dans l'immédiat, il faut maintenir le boycott des produits bovins britanniques ?
Robert Hue : Complètement ! Complètement ! C'est grave que le président de la République, ayant connaissance d'un rapport pourtant très précis sur les conséquences encore de l'importation de viande bovine ait accepté que l'on lève quelque peu, éventuellement, l'embargo ! Non ! Il faut maintenir l'embargo !
Question : Georges Tron est mis en cause par Thierry Mandon pour avoir encouragé les phénomènes de violence dans les banlieues. C'est ce qu'établirait un enregistrement téléphonique avec son attachée parlementaire ; qui provoque qui dans cette affaire ?
Robert Hue : Là aussi, c'est le monde à l'envers, c'est fou, cette affaire aussi ! Vous vous rendez compte un peu ? Qu'est-ce que c'est que cette conception de la politique ? Mais c'est fou ! Comment les gens ensuite peuvent dans le débat politique redonner ses lettres de noblesse à la politique ? Vous vous rendez compte : quelqu'un qui, à partir des difficultés certaines que connaissent les jeunes de banlieue, balise pour aller fiche le bazar dans la ville d'à côté, pour des raisons électorales ! Mais c'est criminel, une démarche pareille !
Cela dit, je crois que le fond, c'est davantage ce qui peut conduire ces jeunes aujourd'hui à littéralement exploser dans ces banlieues. Et je voudrais vous dire, si vous le permettez, sur cette question, que moi je suis tout à fait sensible aux jeunes qui sont en difficulté dans les quartiers difficiles. J'habite moi-même dans un quartier difficile, je suis moi-même maire d'une commune où il y a des quartiers sensibles, j'y vis, je suis au cœur de ces quartiers. J'y habite depuis quinze ans. Je sais de quoi je parle. Je suis tout à fait sensible à la souffrance des jeunes aujourd'hui. Cela dit, je dis à ces jeunes : je ne pense pas que ça puisse excuser des actes qui consistent à détériorer des édifices publics, à brûler des voitures, les voitures de leurs parents peut-être, les voitures des salariés qui ont du mal à les payer, ça je ne crois pas que c'est la bonne voie et je n'encourage pas cela. Et je pense qu'il faut même appeler à une mobilisation, de ce point de vue, il ne faut pas accepter cela. En même temps, je dis : je suis solidaire d'une démarche qui, elle, peut conduire à mobiliser les énergies, les solidarités et à mettre en œuvre une autre politique en banlieues.
Question : Vous êtes inquiet pour l'état presque mental des banlieues actuellement ?
Robert Hue : Il y a une situation qui est difficile. Les problèmes de l'emploi pèsent lourdement sur la jeunesse. Il y a des dérives de société, avec la drogue, des économies ouvertes dans des quartiers parallèles, tout cela est grave, sérieux. Et je ne vois pas dans les mesures gouvernementales les moyens mis en œuvre pour contrecarrer une telle politique. Je suis prêt à accepter tous les efforts nécessaires. Vous savez, je ne suis pas partisan du tout ou rien. Par exemple, quand il y a une politique de la ville, lorsqu'il y a des efforts de faits, je suis prêt à regarder ce qui peut effectivement être considéré comme positif. Mais je veux dire ici en toute sincérité, et c'est le maire qui parle là : les moyens sont insuffisants, terriblement insuffisants ! On ne s'attaque pas au fond des problèmes. Et donc les conditions restent totales de situation explosive dans les milieux urbains.
Question : Pour revenir à l'affaire de Ris-Orangis, mettez-vous sur le même plan de gravité le fait qu'une équipe politique attise la violence et de l'autre qu'une équipe politique enregistre une conversation téléphonique ? Vous-même en qualité de maire, vous auriez enregistré la conversation téléphonique ?
Robert Hue : Je ne pense pas. Moi, je ne me serais pas mis dans une telle situation. Parce que c'est vrai, d'un côté, il y a quelqu'un qui est profondément attaqué et qui est mis en cause à travers une démarche inacceptable. En même temps, attention, où va-t-on, si on multiplie ce genre de choses ? Moi je n'aurais pas fait cela. Mais j'ai du mal à imaginer cette affaire, je l'avoue, j'ai du mal. Parce que c'est quand même des pratiques qui, là, sont poussées à une situation extrême. Ça me choque beaucoup.
Question : Dimanche prochain auront lieu en Russie les élections présidentielles, pour qui voteriez-vous ?
Robert Hue : Je ne vote pas en Russie dimanche prochain. En tous les cas, le Parti communiste n'entend apporter son soutien dans cette élection à aucun candidat.
Question : Pas même au Parti communiste !
Robert Hue : Non, non, c'est une époque révolue. Il y a en Russie une situation que l'on connaît, qui est difficile, un peuple qui est traumatisé par les thérapies de choc ultra libérales qui ont succédé à l'effondrement de ce qui a été une caricature du communisme, aujourd'hui il convient de trouver la voie la meilleure pour ce peuple. Le Parti communiste, naturellement, regarde avec beaucoup d'attention ces élections, mais ne soutient aucun candidat.
Question : Quand Eltsine en appelle à la sauvegarde de la paix civile, un peu sur le thème « moi ou le chaos », est-ce un argument qui vous donne à réfléchir ?
Robert Hue : Écoutez, je crois que Boris Eltsine a montré qu'il savait être à l'origine de violences. Ce qu'il vient de faire ces derniers mois en Tchétchénie en écrasant le peuple tchétchène, montre que de ce côté-là il faudrait qu'il balaie devant sa porte.
Question : Donc vous ne votez pas Eltsine, quoiqu'il arrive ?
Robert Hue : Ah, non, certainement pas.
Question : Et que pensez-vous de sa campagne et des sondages qui le donnent largement gagnant ?
Robert Hue : Écoutez, il a fait une campagne, je ne sais pas comment se passe le financement des partis politiques en Russie, je pense qu'une bonne partie des fonds du FMI, donc de notre argent, est passée dans cette campagne. Il est bien clair qu'il a mis beaucoup de moyens, il reste qu'il est responsable, je le répète, d'une politique qui a eu des effets désastreux, avec les conséquences que l'on sait aujourd'hui. On a vu que les thérapies de choc ultra libérales conduisaient à davantage de difficultés, de misère, mais disant ça, je n'ai aucun regret pour ce qui s'est effondré en Union soviétique au moment où elle existait encore, à savoir cette caricature du communisme.
Question : Et si le PC revenait en Russie, ça ne serait pas forcément une bonne nouvelle à vos yeux ?
Robert Hue : Ce n'est pas en ces termes que je pose le problème. Tout ce qui peut aller dans le sens du progrès, tout ce qui peut rassembler les forces capables d'apporter des réponses aux graves problèmes posés à la société russe me semble aller dans le bon sens aujourd'hui. Quand j'entends Ziouganov dire qu'il ne veut absolument pas recommencer ce qu'a été l'échec du passé, lorsque j'entends qu'il faut prendre en compte la nécessité d'une politique de progrès social dans ce pays, je suis sensible. Mais en même temps, quand je le vois faire des clins d'œil à Jirinovsky, ça je dis non. Donc, autant de choses qui me rendent plus que réservé.
Question : Le PCF prépare son XXIXe congrès, comment percevez-vous l'attitude de Georges Marchais?
Robert Hue : Je crois que ce congrès saura se préparer dans les conditions de la mutation du parti communiste aujourd'hui...
Question : ...mutation, c'est VOTRE mot ?
Robert Hue : Oui, c'est mon mot, parce que j'estime que c'est une véritable mutation qui se passe au Parti communiste, c'est sa propre identité qui se modifie pour devenir un communisme moderne, qu'on a parfois appelé le nouveau communisme, donc la diversité des sensibilités s'exprimera. Pour Georges Marchais, je crois que les choses ont été dites par lui-même, il a dit d'abord qu'il allait quitter la direction du Parti communiste...
Question : …oui, mais il ne dit rien sur son rôle à venir…
Robert Hue : Mais le problème ne se pose pas. Je crois que comme tout communiste, et plus que d'autres, Georges Marchais doit pouvoir continuer d'être communiste, de jouer son rôle de communiste, de participer aux débats. Il a dit « je veux laisser la place à des générations nouvelles »…
Question : Il fait bien ?
Robert Hue : Oui, je pense…
Question : Vous ne lui demandez pas de rester ?
Robert Hue : Mais je respecte sa décision, ça ne pose pas de problème. Il y a de vrais débats d'idées, avec Georges Marchais on a notre façon de voir, on peut être différents sur bien des sujets mais d'accord sur beaucoup d'autres. Je crois qu'il ne faut pas systématiquement cristalliser une sensibilité. Il reste que je crois que ce qui se passe au Parti communiste français aujourd'hui est le prolongement d'un grand effort de mutation, je crois que ce qui va se passer avec ce congrès est tout à fait inédit, et tout cela, je crois, est important pour les communistes eux-mêmes dans leur rapport à la société, dans leur façon de concevoir les choses.
Question : On a beaucoup parlé de l'opposition Marchais - Hue, êtes-vous soulagé par son départ ; et puis Marchais souhaite qu'on lui confie une mission au sein du Parti communiste, avez-vous déjà songé à une sorte de mission pour lui ?
Robert Hue : Non, je n'ai pas aujourd'hui en tête ce que pourra faire Georges Marchais pour être utile au parti communiste. Ne posez pas le problème en terme de soulagement.je crois que ce n'est pas dans ces termes que cela se pose. Tout naturellement, Georges Marchais quitte la direction du Parti communiste, je crois qu'il ne faut pas y voir d'astuce politique, de volonté de rester dissimulé pour telle ou telle démarche politique.
Question : Est-ce que le « clan Marchais » reste ?
Robert Hue : Mais il n'y a pas de clan Marchais, il ne faut pas parler comme ça, il ne faut pas parler comme ça. Vous sentez bien ma volonté de ne pas gommer les différences qui peuvent exister, il y a des différences, pendant des années on s'est inquiété, pas inquiété mais on a critiqué le Parti communiste parce qu'il était monolithique, disions-nous à l'époque, aujourd'hui sa diversité s'exprime, ses sensibilités sont nombreuses, on considère que la diversité n'est pas un obstacle, on a considéré dans le temps que c'était un obstacle, aujourd'hui on considère que c'est une richesse, prenez ça du bon côté.
Question : Vous parlez de diversité, mais à la fin du congrès il n'y aura qu'un seul texte présenté à l'approbation des militants ; ne pourriez-vous pas aller au bout de cette diversité et qu'il y ait plusieurs motions proposées aux militants, comme au PS ?
Robert Hue : Actuellement au PS, il y a un seul texte qui est présenté aux militants sur la dernière question de la démocratie...
Question : Ce n'est pas un congrès...
Robert Hue : Ce n'est pas un congrès, mais cela dit ça vaut pour le congrès. Il reste que la façon dont ça va se faire va permettre à tous les niveaux que la diversité s'exprime. Les questions posées aux communistes sur l'orientation à suivre, les choix stratégiques, sont actuellement élaborées avec les communistes, il y a une consultation actuellement dans le parti communiste qui va me permettre la semaine prochaine de présenter un rapport où je dirai « voilà les questions que l'on pose avec ce congrès, voilà la réflexion du comité national, ce n'est plus une résolution ficelée donnant la position du comité national qu'on ne pourrait amender, non, c'est l'opinion du comité national, et en plus on donnera aux militants l'essentiel des débats qui auront lieu au moment du comité national avec les diverses sensibilités. Ça veut dire qu'ils auront tous les éléments. Et ensuite, en octobre, lorsqu'après 6 mois de discussion dans le parti lui-même et avec la société parce qu'on veut aussi discuter de nos choix stratégiques à l'extérieur, nous aurons un texte qui prendra en compte la diversité en disant qu'elle existe, c'est tout à fait nouveau.
Question : Il y a un certain nombre de cadres et dirigeants communistes ou d'anciens cadres qui sont maintenant dans une sorte de diaspora, et qui estiment que ça n'a pas été assez vite, comme Charles Fitermann, ou Jean-Pierre Brard. Ne pensez-vous pas qu'il y a une possibilité de convaincre ces gens de revenir, en donnant un cadre plus démocratique au congrès, avec par exemple l'expression de tendances ou de courants ? Quelles sont vos relations avec ces anciens dirigeants ?
Robert Hue : Elles sont inégales, parce qu'il y en a que je n'ai pas beaucoup connus dans la direction du Parti communiste. Moi je suis au Bureau national du Parti communiste, ça peut étonner, depuis 90 seulement, donc une partie d'entre eux je ne les ai pas pratiqués en tant que direction. Charles Fitermann par exemple, je le connais très très peu, j'ai eu très peu de rapports avec Charles Fitermann. Mais je m'efforce d'avoir des rapports avec un certain nombre de ces camarades ou anciens camarades et militants. Par exemple j'ai des entretiens fréquents, et même là actuellement nous échangeons des points de vue avec Anicet Le Pors et d'autres...
Question : Comment prenez-vous le départ de Jean-Pierre BRARD ?
Robert Hue : Écoutez, le départ de Jean-Pierre Brard il faut le resituer à son juste niveau. Jean-Pierre Brard est en désaccord avec la politique du Parti communiste depuis un peu plus d'une dizaine d'années je crois, je dis je crois parce que je ne situe pas bien le début de son désaccord. Ensuite Jean-Pierre Brard n'a pas appelé à voter communiste à l'élection présidentielle, donc il décide de ne plus être membre du Parti communiste, je ne trouve pas que ce soit quelque chose de très étonnant. Mais ce que je veux dire aussi, c'est qu'il y a beaucoup d'hommes et de femmes qui, aujourd'hui, compte tenu du regard nouveau qui est porté sur le Parti communiste dans ce pays, regardent à nouveau vers le Parti communiste. Et vous évoquiez mes rapports avec ces hommes et ces femmes, dans mon dernier rapport au comité national, j'évoque l'idée de la force communiste, je dis qu'il y a des communistes de cœur, qu'il y a des gens qui ne sont pas membres du Parti communiste, qui l'ont été, qui regardent à nouveau sans vouloir y revenir forcément, il y a des intellectuels, beaucoup, je rencontre beaucoup d'intellectuels, et tous ces gens-là s'inscrivent dans une démarche communiste, mais pas le communisme-caricature du passé, le communisme-libération-humaine qui prend ses racines dans le XIXe siècle, qui prend ses racines dans l'authenticité humaniste que j'évoquais tout à l'heure. Et bien il y a intérêt à discuter, à débattre avec eux, et je souhaite qu'ils puissent participer à la préparation du congrès du parti.
Question : Quand vous dites qu'il y a au sein du parti communiste des idées différentes, il y a quand même un problème qui se pose, c'est que ces divergences portent sur la stratégie du Parti communiste en 97 en cas de victoire de la gauche aux législatives, or au congrès vous n'allez pas débattre de ça…
Robert Hue : Si !
Question : Vous allez débattre de la participation de ministres communistes au gouvernement ?
Robert Hue : Comment on pourrait imaginer des choix stratégiques concernant le Parti communiste qui n'évoquent pas sa participation ou non au gouvernement de la France, qui n'abordent pas une échéance prochaine ? Mais ça serait complètement être à côté d'une réalité, et ça serait être archaïque, nous allons aborder ces questions.
Question : Est-ce qu'on vous appellera un jour Monsieur le ministre ?
Robert Hue : Écoutez, le problème n'est pas là...
Question : Ou Monsieur le Premier ministre ?
Robert Hue : Je ne cours pas après les postes ministériels, les communistes ne courent pas après les postes ministériels.
Question : Vous voudriez quand même gouverner ?
Robert Hue : Mais gouverner pour quoi faire ? Moi je ne cours pas les salons ministériels, tout ça ça ne m'intéresse pas. Ce qui m'intéresse c'est « quelle politique pour la France ».
Question : Et quand pourra-t-on vous appeler Monsieur le député à Argenteuil ?
Robert Hue : Il est normal que je sois candidat aux élections, j'ai choisi une circonscription, actuellement les communistes sont consultés, c'est eux qui décideront, j'ai choisi une circonscription qui est détenue par la droite, et dans un esprit de conquête j'irai aux élections.
Question : C'est une circonscription qui vous est disputée par un socialiste, Manuel Valls ?
Robert Hue : Oh, elle ne m'est pas disputée. Il est normal qu'il y ait, partout en France, des candidats communistes et socialistes dans toutes les circonscriptions ou presque. Donc à Argenteuil il y a un socialiste qui est candidat et il souhaite avoir le meilleur score possible. Chacun sait ce qu'est le rapport de force dans cette région, c'est la circonscription de Gabriel Péri, voilà un symbole, donc c'est là que j'ai souhaité être candidat. Mais c'est les communistes qui en décideront.
Question : On n'a pas parlé du sommet sur l'emploi des jeunes. Sans doute y aura-t-il été question de « l'employabilité »...
Robert Hue : Ce mot barbare comme disait le président lui-même...
Question : Attendez-vous quelque chose d'une telle rencontre ?
Robert Hue : En tous les cas, de ce que je vois des promesses faites dans le domaine de la jeunesse et les résultats catastrophiques qui en découlent, je souhaiterais qu'il y ait des propositions qui puissent permettre à des jeunes de sortir de la difficulté. C'est terrible une société qui n'apporte pas d'emploi, de perspective à sa jeunesse. Je l'ai souvent dit, je veux le répéter ici, c'est une société en panne, c'est une société qui n'a pas d'avenir. Je pense que la politique mise en œuvre par Juppé et Chirac aujourd'hui n'a pas d'avenir parce qu'elle n'offre pas de perspectives à la jeunesse. On ne peut pas imaginer un seul instant vivre avec l'espoir, vivre avec le rêve sans penser à ses enfants, à leurs perspectives, c'est ça qui doit nous guider. Moi je ne pense qu'à cela, je ne pense qu'à cela, mettre tout en œuvre à ma façon, avec mes moyens de communiste, pour qu'on ouvre une issue dans ce pays, on permette à la jeunesse de ne pas avoir le trou noir devant elle. C'est ça qui est essentiel.