Articles de M. Alain Deleu, président de la CFTC, et de M. Jacques Voisin, secrétaire général de la CFTC, dans "La Vie à défendre" de mai 1996, sur la démarche revendicative de la CFTC, intitulés "Le parti pris du constructif" et "Soyons les moteurs du changement".

Prononcé le 1er mai 1996

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Texte intégral

Le parti pris du constructif - Alain Deleu

Jacques Chirac vient de passer le premier anniversaire de sa présidence. La campagne électorale avait suscité son lot de promesses. Le candidat élu n'en avait pas été avare. Dès la fin octobre le ton a changé. Faut-il pour autant reprocher au Président de la République d’avoir tant mis l’accent sur la fracture sociale et d'avoir fait de remploi sa priorité ? Ne faut-il pas plutôt insister pour qu'il tienne ce cap contre tous les fatalismes qui ne sont que défenses des intérêts dominants ? La priorité a été mise sur les réformes de la gestion des affaires publiques et notamment de la protection sociale. La crise de confiance à l'égard des responsables politiques traduit la fragilité de notre société démocratique.

Comme nous savons qu'il n'y a pas d'alternative acceptable à la démocratie sociale, malgré les difficultés et les désaccords, nous maintenons notre parti pris d'être constructifs.

Ce printemps nous en donne l'occasion avec de nombreux dossiers difficiles, sur fond de précarité et d'inquiétudes. Les cas de la SNCF, de France-Télécom, des industries de main d'œuvre comme le textile ou de la Défense en sont des exemples. C'est dire l’importance des négociations, par exemple autour de l'aménagement du temps de travail pour l'emploi. Ces discussions sont ardues car les employeurs (l’État y compris) restent dans une logique de rentabilité qui, à court terme, met fréquemment en cause des emplois.

La CFTC s'implique dans ces multiples négo­ciations. Il nous faut à la fois afficher des objectifs ambitieux pour mettre notre action en perspective et accepter la dure confronta­tion avec les positions des employeurs, généralement fort éloignées des n6tres, pour réussir à conclure. Le cas de l’industrie textile est particulièrement significatif, compte tenu des perspectives de chômage (30 000 suppressions d'emploi par an), alors que le gouvernement s'est déclaré prêt à abonder les accords.

La réduction du temps de travail est un moyen (ce n'est pas le seul) de mieux passer des années extrêmement difficiles sur le front de l’emploi. C'est pourquoi nous appelons nos militants à l'action sur nos thèmes dans les entreprises, y compris avec d'autres confédérations lorsqu'elles partagent notre exigence d'une politique plus active pour l’emploi.

L'accord du 25 avril garantit l'existence des retraites complémentaires des cadres et des non-cadres Jusqu'au grand rendez-vous de 2005. Il ne peut que tenir compte de l'allongement de la durée de la vie et de l'érosion de la démographie. Mais il est Indispensable pour faire pièce aux mauvaises alternatives qu'on nous fait miroiter. C'est l'occasion de rappeler le rôle déterminant qu'a joué la CFTC dans la généralisation des retraites complémentaires.

La réforme de l'assurance maladie est en place. Elle devrait permettre une meilleure maîtrise des dépenses, si l’on évite une dérive principalement comptable. Mais la réduction du nombre des sièges des représentants syndicaux dans les caisses locales (Il passe de 15 à 8) va contredire notre volonté de prendre toutes nos responsabilités. Cela en dit long sur ce que le gouvernement attend des organisations syndicales.

Le dossier « famille » est relancé. Inutile d’insister sur l’importance que la CFTC y attache. Nous nous battons pour éviter de nouvelles pénalisations et tout au contraire, obtenir une vraie relance de la politique familiale.

Les terrains d’action sont multiples. Sachons, à chaque fois associer détermination et réalisme, revendications et négociations.

 

Soyons les moteurs du changement - Jacques Voisin

« L’essentiel est de participer ». Actualité oblige, à quelques jours de l'ouverture des Jeux d'Atlanta, j'aimerais que nous réfléchissions ensemble à ce principe énoncé voilà un siècle par Pierre de Coubertin. À l'origine, pendant toute la durée des jeux, les Grecs déposaient les armes. La violence était expulsée de la cité et le stade devenait le lieu de tous les affrontements. La paix régnait alors l'espace de quelques semaines.

Que se passe-t-il, aujourd'hui ? les mois passent. L’année avance et chacun, attentif, observe l’avenir avec le secret espoir de pouvoir prétendre personnellement et collectivement à cette sérénité. « Que demande le peuple ? », selon l'expression triviale bien connue. Autre chose que « du pain et des jeux » ! Un emploi, la santé, une vie de famille, une enfance heureuse, une jeunesse bien remplie, une retraite libérée des soucis quotidiens, rassuré que ses enfants et petits-enfants, à leur tour, trouveront une place dans la société.

Rassuré… Voilà un sentiment méconnu de tous ceux qui, plongés dans l'incertitude, assommés par les difficultés ne parviennent pas à percevoir de quoi demain sera fait et tente d'avancer sans repère.

Aider nos proches, dans nos familles, au sein de nos entreprises, à retrouver confiance en l'avenir, leur donner pour point de repères de leur action l'homme dans toutes ses dimensions, remettre l'économie à sa juste place, leur faire partager nos priorités (l'emploi, en particulier pour les jeunes, le temps de travail, la famille, la participation dans l'entreprise, la protection sociale), faire naître en eux la volonté de s'unir à nos efforts.

Notre rôle – celui de tous les militants et de chacun de nous à la CFTC – commence là. C'est le sens de nos travaux, ceux de notre dernier Comité national confédéral ; c'est également le sens de notre action sur le terrain. Notre participation y est nécessaire, mais est-elle suffisante ?

Si nous avons fait le choix de l’engagement, c'est pour pouvoir agir sur notre environnement, c'est parce que nous refusons le défaitisme et le fatalisme ambiant. Alors mieux qu'une simple participation passive, je propose que nous nous impliquions davantage dans la vie de l'entreprise, de la cité. Je propose que nous soyons le moteur du changement.

C'est avec cette conviction que nous avons souhaité l’organisation d’un sommet sur la famille et c'est en y apportant un vrai projet pour la famille que nous y avons participé. Il y va au fond de l'équilibre de notre société, du sens de la vie, du travail, de notre avenir à tous.

C'est également avec cette conviction que nous faisons avancer les négociations sur l'aménagement et la réduction du temps de travail. Nous devons saisir cette chance qui s'offre à nous de répondre aux besoins de l'entreprise et de satisfaire les aspirations au mieux vivre des salariés tout en donnant aux exclus leur place.

Des signes encourageants apparaissent et laissent penser que la situation évolue dans le bon sens. Mais les avancées demeurent fragiles. Une plus grande implication permettra de les conforter.

Nous devons défendre nos convictions et imposer les réponses que nous apportons aux questions posées : compensation salariale pour la réduction du temps de travail, nouvelle organisation du travail, semaine de quatre jours, temps partiel choisi et insertion des jeunes dans des emplois normaux. Mieux vivre nos temps professionnels, familiaux et privés, répondre aussi à l'excès de travail des uns, au besoin de travail des autres, à la flexibilité, à la dérégulation…

Prenons les exemples qui frappent, échangeons les expériences, servons-nous de ce qui se fait ici ou là. Agissons ensemble en partenaire responsable là où nous avons le sentiment que c'est possible avec ceux qui veulent aller dans la même direction. Il n'y a pas de fatalité et le pire des échecs serait celui de n'avoir rien tenté.