Texte intégral
J.M. Lefèbvre : Très critique vis-à-vis de l’annonce de L. Jospin de soumettre les allocations familiales à des conditions de ressources, vous allez être reçu dans moins de deux heures par M. Aubry. Qu’allez-vous lui dire, qu’allez-vous lui demander ?
A. Deleu : J’appuierai d’abord ce qui a été dit aujourd’hui sur la relance des négociations salariales dans les branches ; ça me paraît très important. Mais c’est vrai que le sujet pour lequel elle nous invite dès maintenant, c’est celui de ce projet, cette annonce, de la mise sous conditions de ressources des allocations familiales. Et je vais lui demander assez simplement de revoir cela. Car cette affaire a déjà été examinée, débattue, sous toutes les coutures. L’ensemble des familiaux, des confédérations syndicales, tout le monde a dit non. Et finalement A. Juppé qui pendait à cela aussi, a renoncé à ce projet. Je vais donc lui demander de ne pas gâcher la chance de bâtir une politique sociale et familiale distincte mais cohérente, en maintenant une proposition qui va jeter les relations entre le Gouvernement, les syndicats, et les mouvements familiaux, dans un conflit à n’en plus finir.
J.M. Lefèbvre : Mais votre refus c’est un refus sur le principe ou c’est le chiffre de 25 000 ?
A. Deleu : Non, ce n’est pas le chiffre. Vous savez à la CFDT on n’a malheureusement pas beaucoup d’adhérents qui gagent 25 000 francs par mois. Mais on ne peut pas entrer dans le processus des conditions de ressources. Les prestations familiales sont dues aux familles parce qu’elles ont des enfants et donc des charges. Elles servent à compenser la différence du niveau de vie en raison de ces charges. Et elles le font très partiellement. Nous savons aujourd’hui que la difficulté se pose surtout pour les familles. Donc, nous ne voulons pas d’un engrenage, d’un processus entamé, qui commencerait à toucher beaucoup de monde. Ou bien ça ne touche personne, et ça ne rapporte rien, ou bien ça touche beaucoup de monde, et alors c’est pas acceptable. C’est un mauvais choix.
J.M. Lefèbvre : Est-ce que vous ne vous trompez pas de combat quand on voit le résultat du sondage Ipsos réalisé hier par Le Journal du Dimanche : 63% des personnes interrogées étaient favorables à cette décision ?
A. Deleu : On pose la question comme ça, mais vous savez bien, qu’aujourd’hui, il y a en gros, un tiers de prestations qu’on appelle les allocations familiales, qui sont donnés à tous. Et il y a les deux-tiers des prestations déjà affectées aux familles modestes, et c’est très bien. Si on veut vraiment aller dans le sens de ce que les Français attendent – la justice sociale – c’est du côté fiscal qu’il faut regarder.
J.M. Lefèbvre : Vous faisiez tout à l’heure allusion à A. Juppé et à la fiscalisation des allocations familiales, mais elle n’a pas eu de succès ?
A. Deleu : Les prestations familiales sont destinées à compenser des pertes de niveau de vie et des charges. Ce n’est pas le sujet de la fiscalisation. En revanche, si on trouve qu’il n’y a pas assez d’impôts prélevés sur les riches, si le problème c’est que les riches sont trop riches et que les pauvres sont trop pauvres et qu’il faut répartir, on travaille sur l’impôt, on ne travaille pas sur ceux qui, en France, sont comparativement moins riches : les familles.