Interview de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national, à RMC le 21 janvier 1999, sur la création du FNMN et ses relations avec Bruno Mégret, notamment dans le cadre des élections européennes 1999, et sur la sécurité et l'immigration.

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Philippe Lapousterle : Vous êtes engagé dans les élections européennes qui ont lieu dans cinq mois. Pour la première fois, vous aurez en face de vous une liste concurrente du Front national. C’est maintenant décidé, puisqu’elle s’appellera, d’après ce qu’on sait, Front national Mouvement national, et elle sera dirigée par B. Mégret. Comment allez-vous faire face à cette concurrence ?

Jean-Marie Le Pen : C'est une concurrence déloyale d'abord, puisque cette formation à la prétention de continuer à porter le nom du Front national. Ce qui est tout à fait aberrant.

Philippe Lapousterle : La justice l’y a autorisé.

Jean-Marie Le Pen : Non, non, non. Le président Coulon – avec des commentaires qui lui sont personnels, et on sait bien qu'ils nous sont forcément hostiles – a rendu une décision de renvoi sur le fond. Mais la justice, à un moment donné, sera bien amenée à trancher et à condamner cette escroquerie et cette série incommensurable d'illégalités qui aboutit à la réunion des putschistes à Marignane. On note d'abord que cette organisation, qui se veut forte, se réunit dans le bunker Marignane-Vitrolles. Nous ne sommes d'ailleurs pas sûrs, même sur le plan de la municipalité, d'avoir la majorité. Parce qu'il y a aussi un certain nombre de lepénistes, si j'ose dire, dans ces municipalités. Non, ce qui est extraordinaire dans cette affaire, c'est qu'elle soit justement intervenue en pleine campagne électorale européenne. Parce que le Front national avait commencé sa campagne européenne dès le mois de septembre, de façon très active, et ceci pour une raison c'est la première fois qu'il y avait des crédits pour la campagne électorale. Or, nous avons déjà distribué des millions de documents aussi bien sur l'euro que contre Amsterdam. Nous venons de faire une très grande manifestation à Versailles, samedi et dimanche, nous étions encore présents sur le terrain.

Philippe Lapousterle : Cela s'appelle comment ?

Jean-Marie Le Pen : Je serai ce soir – moi – à la salle Wagram à Paris toujours dans le cadre de la campagne. Je m'intéresse assez peu à ce qui se passe à Marignane et à Vitrolles. Nous nous intéressons à la campagne, parce que nous pensons que c'est la dernière chance que la France a de sauver sa souveraineté.

Philippe Lapousterle : Quelle est la différence entre M. Mégret et vous ?

Jean-Marie Le Pen : Une différence de taille, déjà. Oui, ça joue ! Vous savez, quand on doit monter sur les tribunes, et qu'on doit s'asseoir sur des fauteuils à la télévision et que vos pieds ne touchent pas terre, c’est assez gênant quoi !

Philippe Lapousterle : Vous croyez que c'est l'explication de ce qui s'est passé ?

Jean-Marie Le Pen : Non, oui, c'est peut-être l'explication. Je crois qu’il y a un fond psychologique dans cette affaire-là.

Philippe Lapousterle : Mais, y a-t-il une différence politique entre M. Mégret et vous ?

Jean-Marie Le Pen : Oui, certainement. M. Mégret est un haut fonctionnaire, ce qui en dit long, si vous voulez. Et moi, j'ai toujours veillé à ce que les hauts fonctionnaires n'occupent pas, comme dans tous les autres partis politiques, une place prépondérante. Parce que je crois que les carences de la politique française et ses dérives sont largement explicables par le monopole exercé, sur leur direction, par les énarques et par les technocrates.

Philippe Lapousterle : C’était votre délégué général quand même ?

Jean-Marie Le Pen : Oui, bien sûr. Si vous pouvez prendre un chauffeur pour votre voiture, vous n'êtes pas obligé de mettre des chauffeurs dans toute la maison. Donc, M. Mégret remplissait son office – comme délégué, vous le dites très bien, de par ma délégation personnelle – à la place qu'il occupait, et qui était un petit peu le problème de formation, de communication, etc. Et qu'il a d'ailleurs exploité à fond, en direction non pas de l'intérêt du mouvement, mais en direction de l'intérêt du clan dont il était le candidat et – je ne sais pas, je n'en suis pas sûr – le chef, mais en tous les cas le candidat du clan qui s'était donné comme objectif, depuis des mois et même peut-être des années, de s'emparer, dans le secret, des leviers de commande du Front national, de faire une opération de noyautage généralisé des cadres et des élus, opération que nous avons vu déboucher en quelque sorte publiquement...

Philippe Lapousterle : C'est une opération politique ou personnelle ?

Jean-Marie Le Pen : Personnelle, je pense. Mais c'est assez banal pour de hauts fonctionnaires : ils ont un sens de leur carrière qui est, pour eux, une finalité principale, et d'ailleurs on entend toujours parler de "pouvoir", de "puissance." Ce sont des mots d'ailleurs généralement employés par des impuissants.

Philippe Lapousterle : Quand il vous reproche de n'avoir jamais pensé aller au pouvoir, de vous cantonner à un rôle d'opposant, il a raison ?

Jean-Marie Le Pen : Mais c'est absurde. Avoir amené le mouvement national de 0 à 15 %, avoir consolidé cette base de 15 %, non seulement aux présidentielles, mais ensuite aux législatives et aux régionales, c'est une base pour repartir. Mais on ne repart pas comme cela vers le pouvoir avec un établissement politique entièrement hostile, un établissement médiatique entièrement hostile. C'est donc la patience. Et le mouvement national ne peut attendre son succès que de la venue vers lui, de la rencontre avec les événements qu'il a en quelque sorte prédits et annoncés. Reconnaissez avec moi qu'en matière de chômage, en matière d'immigration, en matière d'insécurité surtout, ce que dit le Front national et ce que dit J.-M. Le Pen depuis vingt ans est en train de se réaliser et de rendre ainsi nécessaire une formation dont la politique est alternative de celle des partis qui se sont partagé le pouvoir.

Philippe Lapousterle : Quelle a été votre réaction personnelle quand vous avez entendu B. Mégret dire devant des millions de Français que vous étiez une diva qui allait rater sa sortie ?

Jean-Marie Le Pen : Oui, c'est ce que pense toujours la petite chanteuse qui n'a jamais réussi à monter au premier niveau d'un grand opéra. Elle espère toujours l'angine de la diva. Il prend ses désirs pour des réalités. Pour l’instant – et il va s'en apercevoir – je n'ai pas du tout l'intention de sortir de la scène.

Philippe Lapousterle : Vous pensez qu’il fera 5 % aux élections européennes ?

Jean-Marie Le Pen : Non, il fera 1 %. Tous les dissidents du Front national – il y en avait certains qui avaient un autre gabarit que Mégret – tous ces gens-là ont fait 1 %. Soit Arrighi à Marseille, Bachelot, d'autres, Chambrun – pourtant dans sa propre ville. Alors, je ne sais pas s'il trouvera des sponsors pour lui donner les 60 millions nécessaires à perdre dans cette affaire, c'est son problème.

Philippe Lapousterle : Vous êtes déçu ou en colère ?

Jean-Marie Le Pen : Quand on a des responsabilités importantes depuis longtemps, on a le cœur blindé un petit peu contre les déceptions. Mais je dois dire que, là, dans certains cas, oui j'ai vraiment été non seulement déçu mais surpris. Cela dit, j'ai aussi trouvé beaucoup de fidélité, en particulier toute la direction du mouvement est à 80 % restée fidèle. Seul le clan des putschistes s'est séparé, que ce soit au bureau politique, au bureau exécutif, au groupe parlementaire, et puis à la base, chaque fois que je vais à la base, que ce soit à Metz, que ce soit à Lyon, que ce soit à Versailles ou à Paris, ce soir, à la salle Wagram, je suis sûr que c’est Le Pen, c'est moi, président élu l'unanimité du mouvement, qui aura l’immense majorité des adhérents et bien sûr des électeurs.

Philippe Lapousterle : Vous avez parlé de la sécurité tout à l'heure. On sait que c'est un de vos centres d'intérêt essentiels – est-ce que vous pensez que le discours de M. Chevènement et le virage que la gauche opère sur le problème de la sécurité sont importants ?

Jean-Marie Le Pen : Je crois qu’ils sont malheureusement inefficaces parce qu’ils ne touchent pas aux raisons profondes de l'insécurité. Et la principale raison, personne n'ose le dire, c’est l’immigration.

Philippe Lapousterle : J'en étais sûr !

Jean-Marie Le Pen : Oui, mais c’est normal ! Écoutez ! Si vous me demandez : pourquoi est-ce que j'ai la tuberculose ? Je dis : parce que vous avez le bacille de Koch. Tant que vous ne l'aurez pas extirpé, vous serez tuberculeux. Et cela ne servira à rien de prendre des pastilles Valda ou des pulvérisations dans le nez.

Philippe Lapousterle : Mais beaucoup de gens sont français de la deuxième génération. Autrement dit, ils sont français.

Jean-Marie Le Pen : Non, ce n'est pas le problème, ça ! Comment voulez-vous que la France intègre les étrangers alors que, par Maastricht et Amsterdam, elle renonce à être la France ? Comment voulez-vous que quelqu'un qui est venu en France, qui même aurait l'intention, le désir de devenir français, eh bien à cela on leur dit : mais écoutez, la France, ça n'existe plus, c'est l'Europe maintenant.

Philippe Lapousterle : Est-ce qu'il n'y a pas un changement dans le politique du Gouvernement en matière de sécurité ?

Jean-Marie Le Pen : Oui, il y a une petite adaptation parce que les praticiens, si j'ose dire – ceux qui sont aux prises avec la réalité, c'est-à-dire le corps enseignant, la police – sont débordés. Il n'y a qu’à voir par exemple les articles d'hier et d'avant-hier du Figaro qui sont démonstratifs : un policier et un enseignant. C’est une réalité effrayante et ce sont les prodromes de la guerre civile, ça ! Et personne ne veut le voir et encore moins le dire. Et quand je le dis, on dit : ah, oui, Le Pen, c'est un catastrophiste, etc. Moi, ma mission, dans l'opposition, c'est de dire ce qui ne va pas, d'essayer d'avertir, mais c'est vox clamentis in deserto : c'est la voix clamant dans le désert.

Philippe Lapousterle : Si je vous dis Cohn-Bendit, vous me dites quoi ?

Jean-Marie Le Pen : Je vous dis : il a fait l'expérience, lui aussi, que les opérations de protestation on peut en être victime. C'est l'arroseur arrosé.

Philippe Lapousterle : Et Millon, qui avait eu votre soutien ?

Jean-Marie Le Pen : Non, il n'avait pas notre soutien. Nos élus avaient voté pour M. Millon à la présidence de la région pour que cette région, qui était majoritairement à droite, ait un président qui ne soit pas de gauche.

Philippe Lapousterle : Et maintenant, vous pensez quoi ?

Jean-Marie Le Pen : Je ne pense rien du tout. Je pense que l'opération Million a fait long feu. Il va essayer de la prolonger pour essayer de se réinsérer dans l'Alliance, ou dans le groupement d’intérêt des partis de l'établissement. Mais je crois que comme leader d’une formation nouvelle, je crois que c'est terminé.