Texte intégral
P. Lapousterie :
Élections en Corse : très forte poussée des nationalistes, baisse de l’opposition, baisse aussi du score de la gauche plurielle. Quels enseignements tirez-vous du scrutin ?
D. Vaillant :
« Je constate qu’il y a une plus forte participation. De ce point de vue, c’est bien. Je constate une montée des nationalistes, même si les choses sont, là, un peu compliquées. C’est peut-être aussi un vote de contestation… »
P. Lapousterie :
Protestation contre quoi ?
D. Vaillant :
« Sans doute contre, à la fois, la droite, qui recule beaucoup dans cette élection, qui ne dispose plus de la majorité absolue, qui perd des sièges. Alors que la gauche, – je tiens à le dire à votre micro –, si on voit le résultat de la liste d’E. Zuccarelli et la liste de S. Renucci, qui était avec E. Zuccarelli en 98, on retrouve exactement le même nombre de sièges. Simplement, il y avait deux listes au lieu d’y en avoir une. Il n’y a donc pas de recul de la gauche, contrairement à ce que j’entends ici ou là. Mais une protestation, aussi sans doute, car l’État de droit implique, par exemple, des dispositions fiscales qui sont les mêmes que sur le continent, et j’imagine qu’il y a un certain nombre de gens qui n’apprécient pas. Je pense qu’ils ont tort, et que le Gouvernement doit continuer à faire appliquer l’État de droit en Corse. La Corse fait partie de la République, et il est normal que les Corses vivent normalement. Il faut les aider au développement économique, il faut les aider à passer ce cap difficile, mais je pense qu’ils étaient dans une situation qui ne pouvait pas durer ».
P. Lapousterie :
Si je vous comprends bien, le corse d’hier n’oblige pas le Gouvernement à modifier d’une façon ou d’une autre la méthode du retour du droit en Corse ?
D. Vaillant :
« Non, je ne le crois pas. Je ne crois pas que le résultat des élections territoriales en Corse doive faire changer l’attitude du Gouvernement. Au contraire, les Corses attendent en réalité de revenir à une situation normale, pacifiée. Et je pense qu’il ne faut pas, encore une fois, changer de pratique. Il y a un nouveau cours de l’État de droit en Corse, ça doit être nécessairement progressif et long. Mais je crois que le Gouvernement ne doit pas dévier de sa route ».
P. Lapousterie :
La liste Corsica Nazione a réuni près de 17 % des voix et demande l’ouverture d’un dialogue immédiat avec le Gouvernement. Réponse !
D. Vaillant :
« A partir du moment où il y a des élus du suffrage universel, bien évidemment ! Le dialogue avec tous. Nous avons toujours dit « oui au dialogue », mais dans la transparence, et pas sous la menace évidemment, et dans le cadre légal des institutions. Il y a une collectivité territoriale, j’espère qu’une majorité se dégagera pour diriger la région Corse, mais le dialogue ne doit pas se faire comme, semble-t-il, cela se faisait avant : dans la clandestinité. Sûrement pas ! Les problèmes, il faut les examiner. L’État est disponible pour examiner les problèmes, mais pour faire respecter le droit, la loi de la République ».
P. Lapousterie :
Vous avez entendu aussi, hier, les électeurs de la liste demander la démission du préfet Bonnet.
D. Vaillant :
« Je pense que, très franchement, le préfet Bonnet fait respecter les lois de la République. C’est un homme, à la fois, de conviction et un grand professionnel. Donc, je crois qu’il faut le laisser travailler avec les services de l’État. C’est cela dont la Corse a besoin, et je crois que c’est ça faire du bien à la Corse : c’est d’y faire appliquer l’État de droit ».
P. Lapousterie :
Aujourd’hui, les enseignants sont en grève. Ils le seront demain, il y aura encore d’autres manifestations lundi prochain. Est-ce que, quelle que soit la réforme, et quel que soit le bon caractère de cette réforme, on peut la mettre en place contre les enseignants ?
D. Vaillant :
« Si les enseignants n’en veulent pas, il n’est pas question de mettre en place une réforme contre les enseignants, mais avec les enseignants ».
P. Lapousterie :
Mais, ils défilent dans les rues !
D. Vaillant :
« La réforme proposée par C. Allègre, au nom de tout le Gouvernement, est je crois une bonne réforme. Vous l’avez dit vous-même, il y a des éléments tout à fait intéressants pour faire en sorte que les enfants qui sont maintenant au lycée… ils sont beaucoup plus nombreux qu’avant grâce à la politique que L. Jospin avait engagée en 88/89 ; qui, honnêtement, sous l’époque de M. Bayrou, avait été occultée, et là qui est reprise par le Gouvernement avec C. Allègre et S. Royal. Je pense que cette réforme juste, positive, qui permet la qualité de l’enseignement et de faire en sorte qu’il n’y ait pas d’élèves qui soient laissés au bord du chemin, c’est une réforme qui doit se faire avec les enseignants. Aujourd’hui, certains enseignants manifestent. C’est légitime qu’ils le fassent, si c’est leur conviction. En même temps, je crois qu’il y a beaucoup, beaucoup d’enseignants qui considèrent que les réformes sont indispensables… ».
P. Lapousterie :
Est-ce que Monsieur Allègre devrait faire un effort pour que le malentendu se dissipe ?
D. Vaillant :
« Je crois que C. Allègre a fait beaucoup d’effort de concertation, cette réforme des lycées n’est pas arrivée du jour au lendemain : cela fait neuf mois ; plus de 2 millions de questionnaires sont revenus, ont été dépouillés ; il y a eu le Conseil supérieur de l’éducation qui a tranché par un vote… ».
P. Lapousterie :
Il y a eu des phrases malheureuses !
D. Vaillant :
« Lui-même le reconnaît ! S’il a eu des phrases malheureuses, eh bien il n’y aura plus de phrases malheureuses. Ce qu’il faut c’est qu’il y ait de bons lycées et que les élèves qui sont au lycée aient des perspectives d’avenir. C’est cela l’objet de la réforme que défend C. Allègre au nom de tout son Gouvernement. Ce n’est pas Claude Allègre avec « sa » réforme, c’est la réforme du Gouvernement ».
P. Lapousterie :
Aujourd’hui le Crédit Lyonnais va mettre en place sa future privatisation. Il se passe actuellement ce qu’on appelle le grand monopoly financier : la réorganisation du secteur bancaire par le rachat de très grandes banques en France, notamment la BNP, la Société générale et Paribas. Monsieur Madelin a dit, hier, que l’État devrait s’occuper de ce qui le regarde – c’est-à-dire de ses fonctions régaliennes – et de ne pas s’intéresser aux affaires privées. Il demande que l’État ne s’occupe pas de cette affaire. Est-ce que vous pensez, ministre du Gouvernement, que le Gouvernement doit garder un œil sur cette affaire, et lequel ? »
D. Vaillant :
« Si, j’entends Monsieur Madelin, il faudrait que la France soit privée d’État. Mais, à partir du moment où il y a une restructuration – c’est vrai que cela se fait selon les modalités privées, où le Gouvernement n’intervient pas –, concernant le statut du personnel, les questions sociales liées à ce type de restructuration, il est légitime, comme pour toute entreprise, que le Gouvernement regarde les conditions dans lesquelles le personnel de ces établissements sera traité à l’avenir. C’est le rôle de l’État que de protéger, de réguler, et d’être vigilant pour défendre l’intérêt des salariés de ces banques si elles doivent se restructurer ».
P. Lapousterie :
Le Sénat n’est pas content en ce moment, parce que votre projet de modifier le mode de scrutin l’inquiète. Est-ce que ce projet est définitif ?
D. Vaillant :
« C’est un projet qui a été adopté en Conseil des ministres… »
P. Lapousterie :
Donc, il n’est pas question de le modifier sous les remarques d’untel ou d’untel ?
D. Vaillant :
« Ce texte sera présenté au Sénat. Par courtoisie, je l’ai inscrit au Sénat. Il viendra au mois de juin en discussion. Bien évidemment, les sénateurs pourront… je ne doute pas qu’ils amenderont le texte. Je constate qu’eux-mêmes reconnaissent que la situation ne pouvait pas durer, que le Sénat n’est pas bien représentatif de la population française, puisqu’eux-mêmes ont fait une proposition de loi. Ce qui prouve que le statu quo n’était pas possible. Et puis, cela ira à l’Assemblée nationale. Le débat parlementaire est libre, il existera. En même temps, je pense que le projet du Gouvernement est équilibré, qu’il est juste – là encore –, il modernise la vie politique, il correspond à une attente majoritaire des Françaises et des Français. Ça n’est pas une agression contre le Sénat. C’est peut-être aussi, une occasion pour le Sénat d’être revalorisé dans l’opinion ».
P. Lapousterie :
Est-ce que le but est que le Sénat puise passer à gauche ?
D. Vaillant :
Non, ce n’est pas ça ! – parce qu’au vu des résultats d’aujourd’hui, l’application du mode de scrutin ne changerait pas la majorité –, c’est que, chaque Français soit représenté également au Sénat et pas de la manière déséquilibrée, aujourd’hui, dont c’est fait ; puisqu’aujourd’hui c’est une surreprésentation du monde rural et une sous-représentation des 80 % des Français qui vivent en ville. Cela ne pouvait pas durer ».
P. Lapousterie :
Un décalque de l’Assemblée nationale, en gros ?
D. Vaillant :
« Non, le statut n’est pas le même puisque le Sénat est élu pour neuf ans, par tiers. Et donc, il n’y a pas le même rythme, il n’y a pas de dissolution du Sénat. Tout cela ne changera pas. Simplement, il y aura des sénateurs élus à la proportionnelle dès que qu’il y aura trois dans les départements. Cela permettra une meilleure représentation politique, et notamment des femmes, puisque le Sénat a fini par résoudre à voter l’égalité entre les femmes et les hommes. Là, il y a une bonne occasion qui pourra s’appliquer quand ce sera la proportionnelle. Je crois qu’il faut vraiment considérer que le Sénat ne pourrait pas rester dans la situation où il était. Mais, ce n’est pas un coup politique que fait le Gouvernement ».