Interview de M. Lucien Rebuffel, président de la CGPME, à France 2 en juin 1997, et article parus dans "La Volonté" de juillet 1997, sur son opposition à une "politique fiscale confiscatoire", à une réduction du temps de travail sans diminution de salaire ou à un rétablissement de l'autorisation administrative de licenciement, sur le rôle des PME dans les créations d'emploi, et sur les relations entre le gouvernement Jospin et les entreprises, intitulé "A gauche toutes ?".

Prononcé le 1er juillet 1997

Intervenant(s) : 

Média : France 2 - LA VOLONTE - Télévision

Texte intégral

Dans une récente émission « Expression directe » à la télévision, le président de la CGPME, Lucien Rebuffel, a déclaré : « On n’avait pas besoin d’aller à gauche parce que l’on y était déjà »

Nous publions ci-après l’essentiel des réponses de Lucien Rebuffel.


La Volonté : juillet 1997

La Volonté : On n’avait pas besoin d’aller à gauche parce que l’on y était déjà ; cette phrase, vous en êtes l’auteur, pouvez-vous préciser votre pensée ?

Lucien Rebuffel : Déjà, aujourd’hui dans ce pays, on travaille un jour sur deux pour l’État. Je parle des travailleurs à leur compte et à leurs risques, c’est-à-dire tous les gens que j’ai l’honneur de représenter. Ils ne commencent à travailler pour eux-mêmes qu’à partir du jeudi matin et au niveau de l’année donc, à partir du 1er juillet. Cette politique fiscale confiscatoire ne peut pas durer. Elle aura des effets néfastes pour l’économie et surtout lorsqu’on remarque que malgré cette énorme redistribution des richesses, il y a encore une fracture sociale à réduire.

La Volonté : Concrètement, que redoutez-vous du Gouvernement actuellement ?

Lucien Rebuffel : J’espère que le Gouvernement actuel manifestera beaucoup de bon sens et qu’il laissera toute idéologie de côté. La France est une patrie, un pays, un État, une Nation, mais c’est aussi une entreprise et je regarde Monsieur Jospin comme le chef de l’entreprise France ; par conséquent, il aura lui aussi à affronter un bilan, il sera conduit ainsi, je l’espère, à beaucoup de prudence pour les engagements qu’il a pu prendre en période électorale.

La Volonté : Comment voyez-vous sa politique par rapport aux PME ?

Lucien Rebuffel : Elle ne peut qu’être compréhensive, voire favorable pour un motif tout simple : de 1981 à 1995, seules les entreprises employant 1 à 49 salariés ont créé 1 150 000 emplois. Les entreprises de 50 à 200 personnes en ont créé environ 130 000 (en tout, 1 300 000). Dans la même période, 1981-1995, les moyennes et grandes entreprises employant plus de 200 personnes ont détruit autant d’emplois. Par conséquent, on ne peut pas couper le cou à la poule aux œufs d’or et j’imagine que le Gouvernement aura pour souci de la protéger de manière qu’elle continue de pondre.

La Volonté : Voyez-vous des aspects préjudiciables dans son programme ?

Lucien Rebuffel : Oui. Il y en a trois. Je les lui ai déjà expliqués et développés devant lui. Premièrement, le rétablissement de l’autorisation administrative préalable à tout licenciement. C’est un fonctionnaire anonyme, dans un bâtiment, dont on ne connaît pas l’adresse, qui va décider dans votre entreprise, alors qu’il n’a aucune responsabilité dans votre gestion, si vous devez ou vous ne devez pas licencier. C’est tétanisant et je suis sûr que l’annonce d’une pareille mesure freinerait déjà l’embauche chez les PME ; la deuxième, c’est 35 heures payées 39 : soit un accroissement de 11 % de la masse salariale. Cela provoquerait des infarctus financiers d’où des dépôts de bilan à la chaîne ; et enfin, une augmentation des salaires que réclament légitimement sans doute les syndicats, je ne persifle pas là-dessus, mais que nos entreprises ne peuvent pas supporter s’il n’y a pas une baisse des charges concomitantes, de manière à ce que la chose se fasse à somme nulle. Voilà trois menaces mortelles pour les PME.

La Volonté : C’est ce que vous aviez dit à Lionel Jospin lorsque vous l’aviez rencontré ?

Lucien Rebuffel : Oui.

La Volonté : … Concrètement lui aviez-vous demandé autre chose… la politique des PME en général ?

Lucien Rebuffel : Je lui ai demandé, après avoir explicité les raisons que je viens d’exposer, que s’il était conduit à prendre des mesures gouvernementales dans ces domaines-là, il en exonère complètement les PME de moins de 200 salariés.

La Volonté : À cette époque de l’année, on parle toujours de la rentrée, comment voyez-vous cette rentrée, les rendez-vous avec les partenaires sociaux ?

Lucien Rebuffel : Avec quelque appréhension parce ce que ce type de grand’messe n’a jamais apporté grand-chose. C’est excellent parce qu’on se rencontre et qu’on peut échanger des points de vue, en débattre, mais je doute qu’on puisse déboucher sur des mesures concrètes. Il faut que celles-ci soient prises au niveau de l’entreprise : certaines entreprises peuvent se permettre une augmentation de salaires, une diminution du temps de travail ; à deux rues de distance, pour des raisons diverses, une autre entreprise identique ne pourra pas le faire. Par conséquent, je me défie des grandes lois, des grands principes affichés… Il faut être aujourd’hui très réaliste et pragmatique et je crains que ce genre de confrontation ne débouche que sur de la surenchère syndicale.

La Volonté : Nous sommes dans une période d’incertitudes ; question rituelle : comment voyez-vous l’avenir ?

Lucien Rebuffel : Toujours avec optimisme. Un certain nombre de facteurs en France sont positifs : l’entreprise France n’est pas nulle ; elle est le quatrième pays exportateur et la quatrième puissance mondiale. Je redoute toutefois que l’idéologie ne prime sur les réalités. Mon espoir est que le Gouvernement actuel fasse passer d’abord le sens des réalités avant toute prise de position ayant un fondement idéologique, ce qui ne pourrait déboucher que sur des déceptions et, chez nous, sur des drames multipliés.


La Volonté : juillet 1997

Le mot du président - À gauche toutes ?

Priorité à l’emploi. Aujourd’hui gouvernemental, ce slogan nous a toujours servi de règle. Pour la raison qu’accroître notre personnel est le signe de notre réussite, de notre prospérité. Ce qu’il faut savoir. En quatorze ans, les PME comptant moins de 200 employés ont procuré du travail à 1 355 000 personnes. Soit autant que, dans le même temps, les grandes entreprises en ont licenciées. Cette prouesse nous donne le droit de dire notre mot.

Non. Trois fois non. Nous disons non à un relèvement autoritaire des salaries qui ne s’accompagnerait pas, à l’avenir, d’un abaissement équivalent de nos charges sociales. Non à une réduction à 35 heures, sans diminution de salaire, de la durée hebdomadaire de travail, quand bien même l’application de cette mesure s’étalerait sur cinq ans. Non au rétablissement de cette autorité administrative de licenciement qui permettrait à l’on ne sait quel fonctionnaire, de son bureau, en toute impunité, de prescrire ce qu’il y a lieu de faire dans une entreprise dont il ignore quasiment tout. Nous tenons à conserver la gestion pleine et entière de nos entreprises. À la mesure des risques que nous prenons et des périls que nous avons le courage d’affronter.

Rien d’autre que nos entreprises ne génèrent de richesse. Encore ne faut-il pas les en priver par des prélèvements fiscaux qui accableraient celles, de préférence – on nous en a prévenus – qui réaliseraient des bénéfices et qui seraient alors menacées de mettre la clef sous la porte. Donner un coup de barre vers la gauche ? C’est oublier jusqu’où nous y sommes déjà engagés jusqu’au cou. Quand les taxes qui nous frappent font que nous travaillons un jour sur deux pour l’État ou que, chaque semaine, nous ne travaillions pour notre compte qu’à partir du jeudi ou pas avant, chaque année, le 1er juillet, nous ne sommes plus à gauche, mais à l’Est. Que des murs soient tombés, ici ou là, ne nous a-t-il rien appris ?

Prendre son temps, comme le dit l’actuel Gouvernement, c’est bien. Nous nous en félicitons même. Mieux vaut réfléchir en effet, tourner sa langue le temps qu’il faudra dans sa bouche. Le pire serait, en toute hâte, de prendre des initiatives qui n’auraient d’autre effet que de casser la baraque. Nous sommes prêts à discuter pourvu que ce soit à la loyale. Nous n’avons pas coutume de jouer autrement que franc jeu. Nous le ferons notamment en matière d’emploi. Quand la meilleure pondeuse du poulailler est en train, en attendant, de pondre, ce n’est pas le moment de lui tordre le cou.