Texte intégral
Le rapport de Robert Hue
Déployer en grand notre politique dynamique et constructive
Le Comité national du PCF s’est réuni hier, à 14 heures, avec, à son ordre du jour : « Les communistes à l’initiative dans la situation politique nouvelle ». Il était présidé par Jean-Paul Boré. Robert Hue a présenté un rapport – dont nous publions l’intégralité ci-contre – intitulé « Déployer en grand notre politique dynamique et constructive ». La discussion s’est engagée immédiatement après. Sont intervenus : Francis Wurtz, Paul Boccara, André Gerin, Martine Durlach, Yves Dimicoli, Danièle Sanchez, Jackie Hoffmann, Sylviane Ainardi. À propos de Superphénix et des allocations familiales, une discussion s’est engagée dans la salle, à laquelle ont participé : Catherine Margaté, Henri Garino, François Auguste, Sylvie Mayer, Jean-Claude Gomez, Paul Lespagnol, Michel Laurent, Jacqueline Léonard, Yves Dimicoli, Maxime Gremetz, Gilles Bontemps, Nicole Borvo, Richard Gispert et Paul Boccara. La réunion s’est prolongée après le dîner, sous la présidence d’Annick Mattighello, avec un rapport de Jean-Paul Magnon sur l’élargissement du Secrétariat et du Bureau national du PCF. Jean-Claude Gayssot, ministre des Transports et du Logement, et Marie-George Buffet, ministre de la Jeunesse et des Sports, étaient présents à la séance de l’après-midi.
Une situation politique nouvelle, inédite, s’est créée. Rien ne le laissait présager il y a à peine plus de deux mois, à la veille de la dissolution de l’Assemble nationale par le Président de la République.
Il s’agit donc pour nous – ici, au Comité national comme dans tout le Parti – d’analyser, de comprendre pourquoi et comment ce bouleversement politique a eu lieu, et quelles vont être les conséquences. Et il nous faut également débattre des responsabilités nouvelles qui en découlent pour nous, pour l’ensemble des militants, des élus, des responsables communistes.
Saisir la situation dans sa singularité
« Situation inédite », « bouleversement politique » : chacun voit bien que dans cette réalité nouvelle les comportements, les attitudes, les réflexes d'autres périodes ne peuvent avoir cours. Il nous faut saisir la situation dans son originalité, dans sa singularité. Nous ne partons pas de rien. Nous disposons de la richesse des travaux de notre 29e Congrès, des enseignements que nous pouvons tirer des initiatives politiques que nous avons prises pour en faire vivre les décisions. Et, bien entendu, de l’expérience de la campagne électorale que tous nos candidats et tous les militants communistes ont menée sans ménager leurs efforts. Avec un cœur, une imagination, un dynamisme dont on me permettra de les féliciter.
C'est bien tout cela - jusqu'à l'impressionnante mobilisation des communistes au lendemain du scrutin pour une consultation elle aussi inédite – qui a conduit à la situation que nous vivons.
Nous avions beaucoup réfléchi lors de notre congrès sur ce que nous avions appelé « les conditions politiques du changement » dans la perspective des élections législatives de 1998. Mais l’échéance de 1998 s’est présentée en 1997 ! Tout n’en est pas bouleversé pour autant dans nos analyses. Mais tout ce que nous avions envisagé n’a pu être mené à son terme. Et ce n’est pas sans conséquence, pour le pays et pour nous. Il nous appartient donc de faire œuvre de réflexion novatrice. De bien saisir ce que l’événement et ses conséquences comportent d’inédit. De bien dégager les responsabilités qui découlent du choix largement majoritaire des communistes de participer au gouvernement dans les conditions issues de la victoire électorale.
C’est une page nouvelle pour le pays qui doit s’écrire. Pour notre parti aussi. C’est le sens des réflexions avancées dans ce rapport.
C’est une situation nouvelle
Situation nouvelle, en effet : début avril, la droite était installée au pouvoir pour un an encore. Le problème posé alors à la gauche était de construire une perspective de changement crédible et mobilisatrice pour pouvoir gagner en 1998.
C'est dans ce contexte que des échéances importantes pour le pays allaient être abordées :
Échéances des « réformes » libérales, engagées et souvent très avancées, afin de transformer la société en la rendant plus « flexible », plus soumise aux exigences du capitalisme d'aujourd'hui : déréglementation du travail et de la protection sociale ; abaissement sauvage du coût du travail ; exclusion massive et mise en concurrence des salariés à qui acceptera le plus de sacrifices ; démantèlement des services publics et privatisations généralisées ; baisse drastique des dépenses publiques ; extension de la « financiarisation » de l’économie, avec une soumission totale aux marchés financiers ;
Échéance du passage à la monnaie unique préparé par une nouvelle et très dure cure d’austérité. Celle que le chancelier Kohl vient de décider pour l’Allemagne donne une idée de ce que Jacques Chirac et Alain Juppé se préparaient à faire pour la France. On voit mieux du même coup pourquoi ils ont préféré faire les élections avant de l’annoncer.
C’est maintenant, au lendemain d’un scrutin par lequel les Français ont sanctionné durement la droite, et c’est avec une majorité de gauche dans laquelle les communistes ont une place et un rôle importants, et un gouvernement de gauche comprenant des ministres communistes, que la France aborde ces échéances.
C'est une situation nouvelle, pas seulement pour la France, mais aussi pour l'Europe.
C’est une situation inédite
C'est également une situation inédite. Car la gauche n'a pas remporté les élections en gagnant les Français à un programme de changement élaboré et conclu entre ses différentes composantes. Il n'y a à cet égard rien de comparable avec les expériences passées.
La présence des communistes au gouvernement c’est pas le résultat « mécanique » de leur participation à une union autour d'un programme - celui de la Résistance en 1945 ou le programme commun en 1981.
Cette présence, les électeurs de gauche l'ont voulue. Ils ont élu une majorité pluraliste avec trente-six députés communistes et apparentés, en exprimant explicitement le souhait que les communistes jouent tout leur rôle pour que cette majorité nouvelle réponde à leurs attentes.
Souhait de l'électorat de gauche, la présence des communistes est aussi apparue comme une nécessité pour Lionel Jospin. Pour les mêmes raisons qui l'avaient conduit à la « déclaration commune » du 29 avril. Après l'échec des années quatre-vingt, lourdement sanctionné par les Français et qui a laissé des traces profondes dans leur conscience politique, et compte tenu de la mutation du parti communiste, traduite en actes concrets pour construire une perspective de changement, le Parti socialiste ne peut aujourd'hui se positionner à gauche, se « légitimer » à gauche, sans la présence des communistes.
Enfin, cette présence des communistes dans la victoire et au gouvernement est également un choix fait par les communistes, au cours d'une consultation inédite, en toute lucidité, dans le droit-fil de l'orientation résolument constructive adoptée lors de leur dernier congrès.
Une situation originale en Europe
L'inédit, c'est aussi cette arrivée des communistes au gouvernement, légitimée par les élections, dans l'un des principaux pays capitalistes, jouant un rôle essentiel dans la construction de l'Europe de Maastricht. Et cela, quelques années après l'effondrement de l'URSS et la « mort » annoncée du communisme et des partis communistes. La France se trouve désormais dans une situation tout à fait originale en Europe. L’événement suscite de très nombreux commentaires dans le monde entier.
Dans cette situation politique nouvelle et inédite, quelle orientation donner à notre activité ? Quels efforts conduire pour que le Parti soit mieux à même de faire face à toutes ses responsabilités ? Tel est l'ordre du jour de ce Comité national.
L’Humanité - 25 juin 1997
I. Que s’est-il passé ? Comment et pourquoi cette situation nouvelle s’est-elle créée ?
Comme au lendemain de chaque scrutin, il nous appartient naturellement – ainsi qu’à toutes les organisations du Parti – de faire l’analyse des résultats. Au plan national, comme circonscription par circonscription. Afin d’en tirer enseignement et de dresser le bilan de notre activité.
Ce travail, déjà engagé dans les cellules, sections et fédérations, ne saurait être tenu pour une simple et routinière formalité. Il doit au contraire être mené avec sérieux et minutie. Ne serait-ce que pour porter l’attention qu’elles méritent aux inégalités qui marquent nos résultats selon les régions et départements. Je pense aussi aux réflexions que ne peuvent manquer de susciter une analyse du vote – et bien souvent de l’abstention – chez les jeunes. Ou bien encore l’évolution de notre influence – avec parfois la stagnation ou le repli – dans les milieux populaires. Il serait sans doute également intéressant de comparer les mouvements de nos résultats dans les zones où l’influence des idées communistes est faible, et dans celles où leur implantation est plus forte et plus ancienne. Tout cela, chacun le comprend bien, afin de prendre lucidement et en toute connaissance de cause les mesures qui s’imposent pour notre activité.
Il convient donc de mener partout à leur terme cette analyse et cette réflexion.
L’occasion de sanctionner la droite
Globalement, la donnée politique principale de ces élections est, me semble-t-il, que les Français ont saisi l’occasion de sanctionner la droite qui s’est refusée à entendre ce qu’ils avaient voulu dire déjà en novembre-décembre 1995, et lors des différents mouvements de ces dernières années, de ces derniers mois.
Il ne s’agit pas seulement de l’expression d’un mécontentement – certes réel et fort – mais d’une réaction politique. Les Français ont dit clairement à la droite au pouvoir : « Vous ne voulez pas nous entendre, eh bien ! puisque vous nous en donnez le moyen, nous vous sanctionnons. Nous vous refusons la confiance que Jacques Chirac nous demande. Nous refusons de vous donner à nouveau une majorité pour continuer à nous ignorer, à nous mépriser. Vous nous dites que tout est joué d’avance, qu’il n’y aura pas de vraie campagne, pas de débat, et que vous serez à nouveau majoritaires. Eh bien ! nous ne l’acceptons pas. Nous en décidons autrement. »
Gardons-nous d’une interprétation erronée de cette donnée politique qui consisterait à considérer que MM. Chirac et Juppé auraient été sanctionnés pour leur « comportement » fait de surdité et de refus du dialogue, mais que leur politique, les « réformes » qu’ils ont engagées ne seraient pas en cause. Bref, ils auraient été sanctionnés pour avoir mal « communiqué », ou pour une « mauvaise éthique de pouvoir » ou, à tout le moins, un mauvais « style » de gouvernement.
Non. Ce que les Français leur ont reproché de ne pas avoir voulu entendre, c’est leur refus de continuer à subir l’insupportable – principalement le chômage, l’exclusion et le risque d’exclusion pesant sur des millions d’entre eux – et leur aspiration à être écoutés, consultés pour faire autre chose. Et, en même temps, ils ont rejeté une façon de gouverner – sur le fond et dans la forme – qu’ils ne supportent plus.
C’est à partir de là qu’on peut comprendre la défaite de la droite. Une partie importante de son électorat était déjà dans la rue en novembre-décembre 1995, ulcérée du « retournement » de Jacques Chirac le 26 octobre. Elle a continué de s’exaspérer devant l’aggravation de la situation et l’arrogance et le mépris affiché par Alain Juppé. Elle a refusé de voter pour les candidats de ce pouvoir continuant à affirmer contre toute évidence que tout allait mieux. Et le Front national a trouvé dans cette partie de l’électorat de droite exaspéré un renfort qui a concouru à sa progression le 25 mai.
Les résultats du Front national
Je veux m’arrêter sur le résultat du Front national qui ne peut manquer de nous préoccuper. Avec 15 % des voix ses candidats se situent au niveau du score de Le Pen à l’élection présidentielle, en progression de 2,5 % sur 1993. Ses positions demeurent élevées dans les zones urbanisées, où les difficultés de toutes sortes s’accumulent et elles s’élargissent à l’ensemble du territoire national, y compris dans certains secteurs ruraux où elles étaient jusqu’alors très faibles.
D'une part, le vote Front national a été un « refuge » pour une partie de l’électorat de droite mécontent et inquiet, qui contribue ainsi à cette implantation élargie dont je viens de parler. Les enquêtes montrent également qu'il a cette fois fortement pénétré certaines classes moyennes. Avec, par exemple, une progression de 6 % chez les « cadres supérieurs ». C’est sans aucun doute lié au caractère insupportable pour eux de la crise de la politique, accompagnée d’une sorte de « déclassement » qui les menace ou les frappe, et auquel ils réagissent avec violence. Quant aux électeurs du Front national issus des milieux populaires, ce vote leur apparaît comme le moyen de crier leur rejet des politiques mises en œuvre et des plaies vives qu’elles engendrent pour eux et pour la société, leur désarroi devant l’absence de perspective de changement susceptible de les mobiliser. Je veux rappeler à cet égard, qu'au moment de la dissolution, nous avons dû reporter un Comité national sur ce sujet. Il faudra y revenir pour relancer notre activité, relever effectivement l’insupportable défi que constitue pour un parti comme le nôtre la présence à ce niveau de Le Pen dans le paysage politique français, notamment dans les milieux populaires.
Je veux également remarquer que l’addition des voix de la droite dite « classique » et de celles de l’extrême-droite représente 51,7 % des suffrages exprimés. Ce qui peut conduire les forces de droite – on l’entrevoit déjà avec les déchirements qui la traversent – à des tentations de recompositions où, d’une manière ou d’une autre, des passerelles seraient tendues en direction de son extrême.
Une dynamique de victoire pour la gauche
Le phénomène essentiel de ces élections, c’est bien, je l’ai dit, la sanction de la droite. Dans le même temps, on connaît les doutes dans l’opinion sur le Parti socialiste et son programme. C’est sans doute pourquoi son résultat au premier tour est en nette progression sur 1993, mais assez éloigné des 30 % réclamés par Lionel Jospin. Dans le même temps, amorcée sans doute dans les dernières heures avant le premier tour (beaucoup d’électeurs PS se sont en effet décidés au tout dernier moment) et amplifiée entre les deux tours, la vision s’est installée d’une droite tellement sanctionnée par les siens qu’elle pouvait être défaite. Et, à partir de là, une « dynamique » de victoire pour une gauche, certes jugée « pas prête », mais dont on espérait – surtout si elle gagnait dans son pluralisme – qu’elle allait répondre, même partiellement, aux attentes des Français qui n’en peuvent plus de la politique qu’on leur impose.
Une accentuation de la crise de la politique
Je veux également souligner un autre aspect essentiel de ces élections : elles manifestent une nouvelle expression accentuée de la « crise de la politique ». Ainsi 37 % des Français – et ce chiffre est encore plus élevé chez les jeunes – se sont abstenus, ont voté blanc ou nul au premier tour. Si l’on y ajoute les 9 % et 10 % d’électeurs qui ne se sont pas inscrits sur les listes électorales, cela fait près d’un citoyen sur deux qui ne participe pas ou ne se reconnaît pas dans la vie politique, dans « l’offre politique » actuelle. Sommes-nous aussi loin qu’on le croit d’une situation à l’américaine ? Il y a là une situation de crise et de désarroi profond à laquelle on ne peut se résigner, et qui suppose une action urgente.
D’autres comportements électoraux ont souligné à leur manière la profondeur de cette « crise de la politique ». Ceux par exemple de ces électrices et électeurs qui votent Front national non parce qu’ils en partagent les idées ou les pratiques, mais parce qu’avant tout ils refusent celles de tous les autres partis. Ceux des électrices et électeurs traditionnels de la droite, qui l’ont cette fois sanctionnée parce qu’elle n’a pas tenu les engagements de la campagne de Jacques Chirac.
La constance des Français dans le refus du mépris
À cet égard – la presse s’en est fait l’écho – certains ont prétendu que les Français étaient « changeants », puisque deux ans seulement après avoir élu un président de droite, ils provoquaient sa défaite et celle de sa majorité. Et si c’était tout le contraire qu’ils fallait comprendre ?
Les Français ne sont-ils pas en réalité remarquablement constants dans le refus du mépris avec lequel on les traite, lorsqu’on ignore avec superbe ce qu’ils ressentent et leurs exigences d’être considérés comme des citoyens au plein sens du mot ? Cette constance est même, à mes yeux, l’un des traits dominants de toute la période passée. Il suffit pour cela de rappeler quelques faits que chacun a en mémoire. C’est la victoire de la droite et la première cohabitation en 1986, qui fait suite à la déception causée par ce qu’il est désormais convenu d’appeler le « tournant de la rigueur de 1983 ». C’est le nouveau succès de François Mitterrand et d’une majorité socialiste en 1988, suivie d’une autre victoire de la droite en 1993 et de la deuxième cohabitation avec Balladur à Matignon. C’est Chirac qui l’emporte sur son rival deux ans plus tard, en faisant campagne sur le thème du combat contre le chômage et la « fracture sociale ». Et c’est cet engagement balayé quelques mois après pour, selon ses propres termes, « mériter la confiance des marchés financiers » et le gouvernement d’Alain Juppé qui s’en prend brutalement au soi-disant « conservatisme » des Français, jusqu’à ce qu’il en paie le prix il y a quelques jours.
Comment ne vas voir que la confiance accordée aux majorités élues, aux équipes en place, est de plus en plus chichement comptée par le pays, dès lors que les promesses qui lui sont faites ne sont pas tenues ? Il est naturellement de la responsabilité, du devoir de la gauche que les Français viennent de porter au pouvoir, d’interrompre ce « cycle » des sanctions répétées. Il faut pour cela répondre aux attentes de la société, gouverner autrement, en tenant les engagements pris. Chacun le sent bien, une nouvelle déception serait sans appel pour la gauche.
PCF : une consolidation au premier tour
C’est dans ces conditions qu’il convient d’apprécier le résultat du Parti communiste. Au premier, et au second tour.
Au premier tour : avec 10 % et une progression de 1 %, nous avons parlé de « consolidation ». C’est, je crois, le terme qui convient. Et c’est une consolidation dont il faut analyser avec lucidité dans quelles conditions elle se produit.
La question à laquelle les Français ont eu à répondre lors de ce scrutin concernait quasi exclusivement la droite : fallait-il lui redonner ou non une majorité ? La bipolarisation Jospin-Juppé a été mise en scène dans le style d’une élection présidentielle. Le travail que nous avions entrepris à partir du 29e Congrès, à la fois autour de nos propositions et sur les problèmes de la gauche, n’a pu être qu’amorcé avant la dissolution. Le débat électoral a été limité dans le temps et dans le contenu.
Nous pouvons avoir la certitude que sans le travail effectué ces dernières années, et singulièrement au 29e Congrès – sans notre mutation –, qui a conduit notre électorat à apprécier positivement notre positionnement comme parti utile et constructif, attaché à l’intervention citoyenne pour élaborer et réussir le changement, cet électorat se serait sans doute, pour une part non négligeable, abstenu, voire aurait voté « utile » pour le Parti socialiste afin « d’assurer » la défaite de la droite.
Comment ont été ressenties nos propositions ?
Ce n’est pas cela qui s’est produit. Cet électorat s’est consolidé au niveau de 10 %. Mais la précipitation et les conditions de l’élection n’ont pas permis d’aller plus loin. Faute d’avoir pu disposer du temps nécessaire au débat citoyen autour de nos propositions, de nombreux électeurs communistes potentiels, satisfaits de notre engagement pour « réussir le changement à gauche » et prêts à voter communiste pour cette raison, n’ont-ils pas trouvé que l’affirmation de cet engagement était contradictoire avec les propositions qui leur apparaissaient comme des « surenchères » susceptibles de rendre impossible une entente avec le Parti socialiste pour que le changement puisse se réaliser ?
Ne faut-il pas prêter aujourd’hui davantage d’attention à ce propos souvent entendus pendant la campagne : « c’est bien ce que vous faites, mais attention à ne pas ?casser la baraque? ; bien sûr vos propositions sont justes mais tout n’est pas possible tout de fuite… »
Le problème n’étant pas d’en rabattre sur les objectifs transformateurs à avancer mais de travailler avec les citoyens sur le contenu des mesures à prendre et des réformes à entreprendre pour réaliser les changements correspondant à leurs attentes.
Ce travail, nous l’avons fait pendant la campagne, dans les limites qu’elle nous imposait. Il n’a pas cependant été sans écho. Notamment en matière sociale, où il a permis que s’exprime l’exigence de mesures en faveur des salariés, des familles modestes qu’aucune autre formation politique ne proposait.
Un grand succès au second tour
Le second tour a été un grand succès pour le Parti communiste, pour sa politique d’ouverture et de rassemblement. L’élection de trente-six députés communistes et apparentés indique nettement une volonté largement partagée de voir le Parti communiste prendre toute sa place dans la vie politique comme parti de majorité, de gouvernement.
Tous les éléments d’appréciation dont nous disposons vont dans ce sens. Je pense, par exemple, à la bonne qualité des reports de voix sur nos candidats, illustrant leurs capacités de rassemblement. Je pense aussi aux déclarations faites dans la campagne par des personnalités, des intellectuels, des artistes, qui ont – chacun à sa matière, avec ses mots – souligné l’utilité pour la gauche de l’apport de sa composante communiste.
Ce sont les électeurs qui ont décidé de ce que des commentateurs ont appelé « une réintégration totale du Parti communiste dans le jeu politique français » et qui ont du même coup – toujours selon ces commentateurs – « légitimité » notre ligne communiste constructive.
Au total : un votre très politique des Français : la sanction des engagements non tenus, d’une politique inhumaine et de comportement arrogants, un votre pour le Parti socialiste indiquant, dans son progrès et dans ses limites, à la fois des attentes et des craintes ; le choix du pluralisme de la majorité de gauche, avec une présence communiste plus forte ; des attentes marquées à l’égard du Parti communiste que l’on veut « relais citoyen », « vigilant », constructif.
Les Français ont créé une situation nouvelle, inattendue. Sans s’être prononcés pour un projet – qui ne leur était d’ailleurs pas proposé –, ils ont exprimé des attentes et une volonté de vigilance pour qu’elles soient bien prises en compte.
II. – Mesurer la nature des attentes exprimées
On a beaucoup parlé d’aspirations au « changement », de « radicalité ». Il est sans doute nécessaire de revenir sur ces notions pour en mieux cerner la réalité et la signification politiques.
Aspiration au changement ? Oui, incontestablement. Les Français ont déjà exprimé cela dans une élection : l’élection présidentielle de 1995. C’est en effet sur ce thème du changement, d’une « autre politique » – et même d’une autre pensée dégagée de la « pensée unique » –, d’une « rupture » avec ce qui se faisait depuis quinze ans, que Jacques Chirac s’est fait élire.
La déception et la colère après sa décision de ne pas tenir cet engagement de changement pour cause de monnaie unique et de pression des marchés financiers n’ont fait que renforcer l’exigence que « ça change ». Mais sans que pour autant la nature, le contenu du changement attendu soit clairement perçus et à plus forte raison exprimés.
On sait quelle a été, dans le même temps, l’attitude des Françaises et des Français vis-à-vis des propositions du Parti socialiste. Ils les jugeaient peu convaincantes. Ils exprimaient leur crainte d’un retour amer à la politique et aux pratiques des années quatre-vingt. Tout cela n’a pas contribué à éclairer cette question du changement.
L’aspiration au changement, mais quel changement ?
La dissolution est donc intervenue alors que les Français dans leur majorité aspiraient à un « changement » sans pouvoir dire quel changement ils voulaient. C’est pour surmonter cette difficulté que nous avions développé nos efforts, avec les forums, puis en lançant les « Assises pour le changement en 1998 ».
Cependant de grands traites se dessinaient dans la conscience collective. Le changement, cela devait être la fin d’une politique aggravant sans cesse le chômage et créant l’exclusion, la fragilité, l’insécurité de la vie pour des millions de gens. Le changement ce devait être qu’on arrête de dire aux Français qu’il fallait des sacrifices pour que cela aille mieux demain. Le changement ce devait être qu’on arrête de les mépriser, de ne pas les écouter, que l’on gouverne autrement.
C’était donc bien à un changement complet d’orientation et de méthode que les Français aspiraient – et cela explique pourquoi on a pu parler de « radicalité » – mais sans que soit clairement perçue l’ampleur des changements concrets que cela impliquait. Les communistes l’ont mesuré dans les forums, lors des rencontres publiques qu’ils ont organisées, et avec le début des assises : il y avait du chemin à parcourir entre l’aspiration « au changement » et l’intervention pour promouvoir des solutions réelles, pour répondre à cette aspiration. Entre la « radicalité » des aspirations et la « radicalité » des propositions à faire vivre pour les satisfaire la concordance n’est pas immédiate. Elle suppose le temps, la réflexion, le débat citoyen, l’initiative. C’est ce que nous nous sommes efforcés de faire dans les conditions qui nous étaient imposées d’une campagne très brève. Tandis que, de son côté, Lionel Jospin s’appuyait sur cette réalité pour affirmer, comme le soir du second tour, que « tout tout de suite, personne n’y croit plus ».
Voir les attentes sociales telles qu’elles sont
Pour bien saisir la nature des attentes sociales, il nous faut faire effort pour les entendre réellement telles qu’elles sont, et non telles que nous voudrions qu’elles soient. Il nous faut bien prendre en compte tous les aspects, toutes les dimensions qui viennent en quelque sorte « se télescoper » dans les cœurs et dans les têtes.
Il y a bien sûr le poids de l’insupportable, ce sentiment fort que l’on « n’en peut plus », qu’il « faut que cela s’arrête », qu’il « faut radicalement autre chose que tout ce qui s’est fait et qui a échoué ». Mais il y a aussi le poids considérable des années de ce que j’appellerai « la pédagogie des contraintes ». Avec le sentiment d’impuissance résignée qui en découle. Quelque chose que l’on pourrait résumer ainsi : « bien sûr il faudrait faire autrement, mais on ne peut pas. Car il y a les contraintes de l’économie, des marchés financiers, de la mondialisation, de l’Europe ». Et il y a enfin le poids des angoisses profondes qui naissent des blessures de la société, de la précarité, des rêves brisés et de l’avenir incertain. Elles aussi peuvent conduire aussi bien – et parfois chez les mêmes personnes – à la révolte qu’à la recherche du « moindre mal », supposé permettre d’éviter de sombrer dans le pire.
Plusieurs aspects qui se « télescopent »
Les enquêtes, mais aussi l’expérience militante, montrent bien comment ces processus complexes et qui peuvent se contredire l’un l’autre, se traduisent et s’expriment. On dit, par exemple : « assez de chômage ! ». Mais en même temps on s’est laissé persuader qu’on ne peut pas créer des emplois, alors on se contenterait de la recherche de « gisements » d’activités disponibles, même si cela ne fait pas de vrais emplois stables et dignes de ce nom. Et surtout on aspire à des mesures sociales permettant que le « non-emploi », jugé inévitable, ne conduise pas à l’exclusion. Ou bien encore, ce sont ces propos, que nous avons tous entendus : « on vit mal, mais s’il faut choisir entre augmenter les salaires et créer des emplois, tant pis pour les salaires… ».
Des enquêtes réalisées après le second tour montrent également comment s’expriment les attentes sociales. Comment par exemple, à propos de l’ampleur de la hausse du SMIC, l’aspect « pédagogie des contraintes » – il faut une hausse modérée afin de ne pas mettre les entreprises en difficulté – l’emporte sur ce que j’ai appelé « le poids de l’insupportable » – c’est-à-dire l’exigence de voir les inégalités réduites – ou sur la conception d’une nouvelle logique économique et sociale permettant une amélioration de l’emploi par la relance de la consommation.
Il est d’autres domaines où c’est l’inverse qui se produit, où « l’insupportable » s’impose face aux tentations de la résignation et de la soumission aux contraintes. C’est le cas par exemple, lorsqu’une majorité de l’opinion déclare souhaiter de nouvelles négociations avec les partenaires européens de la France « au risque de compromettre le passage à la monnaie unique » plutôt qu’une soumission aux critères tels qu’ils sont définis et qui conduisent au renforcement de l’austérité et du chômage.
III. – Les grands défi
Les problèmes que la France doit résoudre à l’aube de XXIe siècle
J’ai évoqué la principale donnée qui se dégage du scrutin : une cuisante défaite de la droite par sanction contre sa politique, mais sans adhésion à un véritable projet de changement. Je viens de montrer la nature complexe des attentes sociales, avec les aspects qui se mêlent et s’opposent dans leur détermination. Il n’en reste pas moins que pour répondre pleinement à ces attentes il faut inventer des réponses aux grands défis de notre temps. Et que ces réponses supposent, comme nous l’avons montré au 29e Congrès, que l’on s’engage dans une transformation de la société.
– Fracture sociale ou « nouveau développement », avec le progrès social comme moteur ?
Autrement dit : peut-on construire une économie moderne au prix du sacrifice des individus, des reculs de société et de civilisation ? Ou bien faut-il harmoniser modernité et humanisme, en considérant que le progrès social n’est pas seulement un but à venir de l’activité économique présente mais qu’il doit en être le levier, le moteur. Qu’il est en fait la condition de son développement ? En somme, faut-il – comme la conception libérale l’a imposé depuis vingt ans, et comme beaucoup de Français s’y refusent aujourd’hui – accepter les sacrifices au présent au nom de la promesse d’un avenir économique meilleur dont tout leur a montré qu’il était loin de s’annoncer ? Ou bien faut-il au contraire trouver dans la relance du progrès social au présent les conditions d’une dynamique nouvelle, nécessaire, des activités économiques et humaines ? Chacun voit bien que formuler ainsi ce défi n’a rien d’artificiel : il est bel et bien présent dans les attentes de nos concitoyens, même s’ils ne le formulent pas en ces termes.
– Démocratie dévoyée avec les engagements non tenus, les citoyens qu’on se refuse à écouter, ou « nouvel âge de la démocratie française » ?
Autrement dit : enfoncement dans la crise de la politique que nous connaissons, avec la dérive monarchique du pouvoir, la présidentialisation des institutions, l’affairisme, les décisions prises dans les peuples, des droits essentiels bafoués, notamment dans les entreprises, une société qui ne se reconnaît plus dans ses représentants ? Ou bien au contraire une société qui se retrouve dans l’épanouissement d’une vraie citoyenneté de ses membres, une démocratie représentative qui se ressource et se vivifie dans la démocratie directe, une République qui reprend son sens et déploie ses valeurs ? Je l’ai rappelé en analysant les votes des Français, ce défi-là est au cœur de leurs interrogations, de leurs doutes, de leurs colères. Même s’ils l’expriment de façons diverses et, à bien des égards, contradictoires.
– Société pour l’argent, la « rentabilité » ou pour l’épanouissement des êtres humains ?
Autrement dit une société qui traite les êtres humains comme des marchandises à acheter au plus bas prix possible, considère le travail et la formation comme des coûts à réduire ou la protection sociale comme un luxe inaccessible et périmé, conçoit les capacités humaines en formidables extension comme un marché fermé au plus grand nombre ? Ou bien au contraire une société qui met l’argent à sa place sans le diaboliser, et qui se donner pour objectif l’épanouissement des êtres humains, leur bonheur et leurs droits, parie sur leur intelligence, leur formation, leur qualification qu’elle considère alors comme un « investissement » productif d’avenir. Comment ne pas voir que cette quête de sens pour une société que l’on ressent à la dérive, livrée qu’elle est au seul souci de la rentabilité capitaliste, est aujourd’hui vitale pour des millions d’hommes et de femmes en France, en particulier les jeunes ?
– Europe des marchés financiers ou construction européenne de progrès ? Europe qui nie de plus en plus les nations, ou nations qui se développent en faisant ensemble l’Europe autrement ?
Et, dans ce cadre, une France soumise et qui se défait, ou une France qui déploie et enrichit son identité, une France toujours plus et toujours mieux elle-même, en s’ouvrant toujours plus et toujours mieux aux autres, pour la solidarité, la coopération, le progrès partagé ?
Non, la nation n’est pas dépassée, quoi qu’en disent et quoi que fassent ceux qui la bradent honteusement pour satisfaire aux froides et brutales exigences des marchés financiers. La nation, son identité, sa grandeur dans la paix et la construction avec les autres nations européennes d’un avenir de progrès social et humain, c’est l’un des plus beaux défis de la modernité. Et l’on voit bien s’exprimer le désarroi d’un peuple que ses dirigeants ne cessent d’appeler à accepter l’abandon, l’abaissement national.
– Mondialisation de guerre économique ou mondialisation de co-développement ?
C’est un autre grand défi de notre temps. Celui du refus d’une guerre aux ravages immenses, et de la construction d’autres relations entre les peuples et les nations, entre les États, pour partager les efforts et progresser ensemble vers une civilisation de la solidarité des peuples et de l’épanouissement des êtres humains.
Parce que la droite a voulu des élections précipitées, le débat n’a pu avoir lieu sur la façon de relever ces grands défis afin de répondre aux attentes des Français. Ceux-ci n’ont pu ni s’informer suffisamment, ni débattre, ni trancher par leur vote. Et la majorité et le gouvernement ne se sont pas constitués autour de la réponse à ces questions. Et pourtant il est indispensable et urgent d’y répondre.
Cela implique une transformation de la société : un effort pour construire des réalités nouvelles qui éliminent du même pas des réalités anciennes. Nos visées, les grandes orientations que nous avons définies lors de nos congrès en ce sens, sont pleinement réalistes, même si leur ambition est élevée. On peut même dire que c’est précisément parce qu’elle se situent à ce niveau élevé d’objectifs transformateurs qu’elles sont réalistes. Parce qu’elles découlent non de conviction idéologiques, mais de la réalité elle-même. Des difficultés, des graves problèmes posés, qu’elles veulent s’employer à surmonter dans la voie du progrès, de la civilisation, de l’humanisme.
IV. – L’apport du Parti communiste français
J’ai évoqué la nature des attentes qui parcourent la société et les grands défis d’aujourd’hui. Permettre à notre peuple d’aller de l’expression des premières à la perception des seconds et à l’initiative pour les affronter et y répondre : telle est l’ambition du Parti communiste français.
C’est précisément pour être à même de satisfaire utilement à cette grande existence que notre Parti a décidé sa mutation, et qu’il la mènera à bien.
Le choix d’un « nouvel âge du communisme français »
Notre mutation, c’est en effet le choix d’un « nouvel âge du communisme français ». Pour cela, avons-nous dit au 29e Congrès, nous avons entrepris de nous libérer, après des années et des années d’efforts, des pesanteurs du passé de de regarder les yeux grands ouverts les tâches du présent et de l’avenir. Cette décision, pour autant, ne nous précipite ni dans l’inconnu ni dans un affadissement de notre identité. « Au contraire – avons-nous dit –, elle nous permet d’accéder à un ressourcement dans l’inventivité qui marque notre histoire de communistes français, de Parti communiste français, ayant su apporter du neuf au grands rendez-vous de notre peuple. « Nous sommes bien aujourd’hui à l’un de ces grands rendez-vous. Notre peuple attend beaucoup de nous. Nos responsabilités sont grandes.
Il nous faut innover
Il s’agit en effet d’inventer une « voie française et citoyenne » de la transformation sociale, avec une gauche pluraliste et dans une construction européenne nouvelle. Il s’agit de le faire dans la société française telle qu’elle est, dans les réalités qui sont celles de notre pays et de notre temps. Il s’agit d’avancer en ce sens dans les conditions politiques qui sont les nôtres. Des conditions qui impliquent notamment qu’au rebours de toute une culture, et de toute une histoire, on ne fasse pas de la conquête d’une position dominante de notre parti le préalable au processus de transformation. Mais qu’on s’engage sans attendre dans ce processus. Avec la conviction que l’apport constructif de notre Parti à l’œuvre de renouveau lui vaudra la confiance élargie de notre peuple. Et que la perception de son utilité pour répondre aux aspirations au changement qui parcourent la société lui gagnera une audience élargie dans la vie nationale, conduira à son renforcement.
On le voit, la tâche est d’importance. Aucun livre n’en donne la recette. Il nous faut innover. Et pour cela donner du souffle à notre mutation, faire vivre avec cœur et audace tout ce qu’elle implique
Être constructifs
Notre mutation, c’est d’abord le choix résolu d’être constructifs. « Constructifs », c’est bien l’un des maîtres mots de notre 29e Congrès. Et c’est, à mes yeux, un impératif crucial dans la situation que nous connaissons.
Car ce que l’on attend de nous, ce n’est pas le décompte sourcilleux des insuffisances du gouvernement, l’attente immobile de l’échec, le pessimisme pour tout horizon. C’est au contraire l’alliance de la lucidité, de l’espoir, de la détermination, de la perspective. Et c’est l’engagement constructif pour contribuer à la conquête des avancées qu’attend notre peuple. Constructif dans l’action pour faire valoir haut et fort des aspirations, des exigences, en se rassemblant pour surmonter les obstacles qui s’opposent à leur satisfaction. Constructif dans l’élaboration des propositions, dans la vigueur de leurs affirmations pour qu’elles soient entendues. Et cela non pour compliquer la tâche du gouvernement ni seulement pour le « rappeler à l’ordre » de ses engagements. Mais pour aider tout pas en avant fût-il limité. En se conduisant en partie prenant citoyenne, en acteur résolu du renouveau.
Mieux unir le présent et la visée d’avenir
À cet égard, ne devons-nous pas réfléchir à la nécessité de contribuer, dans la période où nous sommes à une véritable émulation en matière de formulation de propositions tangibles, précises, novatrices. La perception d’un « décalage » entre un gouvernement se consacrant naturellement à la gestion concrète du quotidien et un parti s’en tenant à des orientations générales ne risquerait-elle pas d’avoir des effets pernicieux ? Il nous faut donc travailler à mieux unir le présent et la visée d’avenir, la mesure immédiate et la perspective dans laquelle elle prend sens.
Et il me semble, dans cet esprit, que nous devrions mettre à l’ordre du jour de notre Comité national et de la discussion de tout le Parti, dans la période qui vient, une série de réflexions sur de grandes questions de société aujourd’hui posées, avec l’objectif de mieux préciser nos propositions en les confrontant aux aspirations en les confrontant aux aspirations populaires aussi bien qu’à l’expérience gouvernementale qui s’amorce.
Le choix de l’ouverture à la société
Notre mutation, c’est aussi le choix de l’ouverture à la société. Ce que j’ai dit de la nécessité de bien prendre en compte les attentes sociales dans leur réalité confirme la pleine validité – mieux : l’urgence – de cet engagement.
Nous voulons en effet permettre l’irruption dans le champ de la politique de celles et ceux qui en sont écartés ou qui ne s’y retrouvent plus. Nous voulons restituer à notre peuple un rôle d’élaboration, de formulation, d’imagination, d’action qui prend aujourd’hui une portée nouvelle. Nous voulons non pas faire descendre une politique d’experts dans la société, mais faire battre la politique au rythme des aspirations populaires en les « relayant » le plus haut et le plus fort possible, jusqu’aux plus hautes institutions de l’État. Tout cela, on en conviendra, prend aujourd’hui une dimension, une portée nouvelle.
Cela suppose d’être plus et mieux que jamais à l’écoute de la société, de considérer « l’opinion » comme une donnée incontournable qu’il faut mieux intégrer à l’élaboration et à la formulation de nos choix politiques, pour mieux ressentir ce qui palpite et grandit au sein de notre peuple.
Un Parti communiste moderne, attrayant
En même temps, nous le savons bien, pour nourrir les attentes sociales des exigences transformatrices qu’elles appellent, la présence, l’action de notre parti sont indispensables. Car il n’y a aucune spontanéité en tout cela. Et autant il serait vain – nous l’avons dit et nous avons décidé une fois pour toutes d’y renoncer – de se présenter au pays en détenteur de la « bonne parole », de la « bonne solution », de la « bonne société » en l’appelant à se rallier à nos vérités, autant il serait illusoire de faire mine de ne rien savoir, ne rien croire, ne rien lui proposer. Pour s’en remettre à je ne sais quelle puissance occulte faisant jaillir la lumière sur ce qu’il convient de faire de la seule aspiration des salariés, des citoyens à « prendre la parole ».
Il faut donc un Parti communiste moderne, novateur, dynamique, attrayant. Avec ses idées, ses propositions, son identité. Avec son activité et ses démarches propres. Avec les espaces de rencontre, de débat, d’initiatives qu’il s’agit de créer. Avec les initiatives de ses journaux, notamment « l’Humanité », « l’Humanité Dimanche », « Regards ». Avec la mise en œuvre de ce que nous avons appelé au congrès une « fonction communiste nouvelle dans la société ». Afin d’y faire grandir, par une présence « de terrain », les solidarité concrètes, les liens effectifs entre personnes, a contrario des tendances au repli, à l’isolement social et civique que provoque le déchirement du tissu social.
Tout le montre donc, l’ouverture du Parti communiste d’aujourd’hui à la société française d’aujourd’hui pour répondre aux défis de notre temps doit être toujours plus et toujours mieux au centre de notre activité.
Contribuer au déploiement de l’intervention citoyenne
Notre mutation, c’est également la volonté de contribuer au déploiement de « l’intervention citoyenne ». Chacun le sait, nous avons consacré une grande partie de notre réflexion lors du 29e Congrès à l’importance cruciale de cet appel au rôle moteur des salariés, des citoyens, qui est au cœur de notre démarche politique. Aussi, évoquant la nécessite de faire face au drame humain et à l’effrayant gâchis social que constitue le chômage, je remarquais dans mon rapport – pardonnez-moi de me citer – : « Un bon plan pour l’emploi au sens habituel ferait-il l’affaire ? À mon avis, non. Notre peuple en a connu des dizaines et rien en s’est arrangé. Il est à juste titre sceptique sur le « bon plan » que mettrait en œuvre même un « bon gouvernement ». Et montrant l’importance du pas en avant de civilisation qu’il faudrait accomplir pour faire vivre une conception moderne du travail dans la vie d’aujourd’hui, je concluais : « Pour aller en ce sens, une action gouvernementale, des décisions gouvernementales sont certes nécessaires, mais il y faut un mouvement de société bien plus vaste : précisément l’intervention citoyenne. » Ces appréciations conservent à mon sens toute leur valeur aujourd’hui. Et comment ne pas voir qu’elles prennent une dimension nouvelle dans la situation que nous connaissons ?
Un levier efficace pour le changement
Il arrive pourtant que, tout en la trouvant souhaitable, l’on ne prenne à douter de l’efficacité de l’intervention citoyenne, de sa capacité à faire bouger les choses, voire parfois à les bouleverser. À dire vrai, comment ne pas le comprendre quand on voit le nombre des experts en conformisme, distillant, chacun dans son registre et depuis des années, les prétendues vérités de l’air du temps, d’après lesquelles les « États-nations » seraient désarmées devant une « mondialisation » qui les dépasse et les « politiques » impuissants devant la « loi inexorable » des « marchés financiers » ? Et j’ai tout à l’heure parlé du poids de la « pédagogie des contraintes » dans l’opinion.
Il importe donc de contester ces prétendues évidences désespérantes pour les peuples. En montrant comment ce sont des choix politiques qui confèrent leur toute puissance aux marchés financiers en décidant de s’y soumettre et comment les « contraintes » qu’ils imposent peuvent être combattues par d’autres choix politiques. Et aussi en montrant comment l’expérience enseigne qu’il serait hasardeux de fixer a priori des limites étroites à ce que les peuples peuvent faire prévaloir.
Ainsi nous sortons en France d’une expérience éclairante à cet égard. Car la droite y disposait il y a peu de tous les pouvoirs, y compris celui de dissoudre la représentation nationale. Tout semblait indiquer en début de campagne qu’elle allait avoir cause gagnée. Notre peuple en a décidé autrement et… tel est pris qui croyait prendre !
Voir la réalité dans sa dynamique possible
Il nous faut donc voir la réalité, non en l’arrêtant à tel ou tel instant, mais en la saisissant dans son mouvement, dans sa dynamique possible : en un mot comme un processus. Ainsi, il nous arrive d’entendre : « Avec le pacte de stabilité, la lutte pour une autre construction européenne, c’est fini. » Naturellement – et j’y reviendrai – la ratification du pacte de stabilité lors du sommet d’Amsterdam n’est pas une bonne chose. Elle ne va rien faciliter, c’est le moins que l’on puisse dire ! Mais en même temps, l’histoire de la construction européenne ne s’arrête pas avec elle. Des préoccupations comme l’emploi, la croissance ont été mises sur le devant de la scène. En premier lieu par le mouvement des peuples avec les premières « eurogrèves », les premières « euromanifs ». Et aussi par le nouveau gouvernement français. Des contradictions bien visibles existent aujourd’hui au sein de « l’Europe », alors qu’auparavant y régnait la « pensée unique ». Et ces contradictions ont désormais un écho jusque dans les plus hautes instances européennes. Au point que bien malin qui pourrait dire aujourd’hui ce que sera l’avenir de l’Europe et de la monnaie unique. Un avenir qui paraissait pourtant des plus sûrement écrit il y a quelques mois.
Il y a donc bien du « grain à moudre » pour les peuples. La déferlante ultralibérale de toutes ces dernières années a sans conteste subi des coups d’arrêt. L’intervention citoyenne constitue bien, si on contribue à la fortifier, à la faire grandir, une réponse de fond à la « crise de la politique », un levier pour le changement. Et la France peut trouver des alliés pour lui donner les prolongements nécessaires en Europe.
Concevoir et faire autrement la politique
Notre mutation, c’est enfin une nouvelle conception, une nouvelle pratique de la politique. C’est la volonté de raccorder ce qui est disjoint aujourd’hui entre la société et les formations politiques. En se décidant à écouter les citoyens. En mettant la politique entre leurs mains. En leur donnant les moyens de se réapproprier et de maîtriser ce qu’ils ressentent comme leur ayant échappé, comme leur étant devenu étranger. En contribuant à leur donner le pouvoir d’apporter des réponses à toutes les questions du changement.
Et notre mutation, c’est aussi, dans l’esprit de la démarche du pacte unitaire pour le progrès, l’effort obstiné pour apporter du neuf dans les rapports entre les différentes formations de gauche, de progrès, écologistes et dans les rapports entre les formations et les citoyens. C’est la volonté de s’employer à mettre ces forces politiques à l’unisson des aspirations populaires, dans la construction d’un projet politique nouveau.
Naturellement, nous l’avons dit, il s’agit là une tâche de longue haleine. La situation politique créée en France, loin de la compromettre, lui donne au contraire un relief inédit.
Le pluralisme à gauche
Ainsi prenons la question du pluralisme. Nous l’avons dit, le pluralisme de la gauche est une donnée qu’il nous faut considérer non comme un handicap, mais comme une richesse. Cela était vrai avant l’élection : on l’a bien vu au cours des forums et initiatives diverses que nous avons organisés. Cela le demeure, à mon sens, après. Et loin de s’en plaindre, c’est bien ainsi que le ressent l’opinion. Dans la déclaration que nous avons adoptée le 29 avril avec le Parti socialiste, nous avons affirmé de grandes orientations communes, une volonté commune, sans dissimuler les différences de vues, qu’au demeurant tout le monde connaît. Nous y avons mentionné que chaque parti faisait campagne avec son programme, ses propositions, ses idées. Et les Françaises et les Français ont apprécié que nous jouions ainsi la carte de la franchise, de la loyauté, au débat à gauche. Naturellement la victoire a créé une situation nouvelle. Mais pourquoi devrait-elle nous conduire à ranger dans les tiroirs cette franchise, cette loyauté, cet esprit de débat constitutifs de la gauche et auquel son électorat est si attaché ?
Les Françaises et les Français ont battu la droite qui n’a cessé de brandir au cours de la campagne « l’épouvantail » passablement défraîchi des communistes au gouvernement. Ils ont voulu qu’une gauche pluraliste, forte de toutes ses composantes, dirige le pays. Ils ont également exprimé un rapport de forces au sein de la gauche. Nous prenons en compte ces deux aspects. Mieux : nous les appelons à réfléchir à ces deux aspects. Précisément parce que nous souhaitons qu’ils aient toutes les cartes en main et qu’ils maîtrisent tous les aspects du changement qu’ils espèrent.
PCF : dans la gauche et original au sein de la gauche
Et notre ligne de conduite est claire. Elle n’a pas changé. Nous sommes à la fois une partie constitutive et une composante originale de la gauche. L’opinion attend que nous soyons reconnus comme tels. Nous l’attendons nous-mêmes. Et ce que nous réclamons pour nous-mêmes, nous le concevons pour tout autre. Lionel Jospin souhaite la cohérence de son gouvernement. Elle va de soi à nos yeux. Membre de la majorité, nous agissons et agirons, au Parlement comme dans le pays, dans un esprit profondément constructif et unitaire, avec la liberté de jugement et le souci du débat franc et loyal qui sont désormais de mise au sein de la gauche et des forces progressistes. Afin de contribuer positivement à ce que le gouvernement réponde aux attentes formulées par le pays et aille le plus loin possible dans la voie du changement.
De nouvelles relations avec les citoyens
Et ce neuf qui existe dans les relations entre les formations de gauche, écologistes, nous voulons tout faire pour qu’il existe aussi dans les relations existant entre ces formations et les citoyens. Car construire avec les citoyens et les autres forces politiques de gauche, de progrès, une perspective solide et durable de changement répondant aux attentes et aux grands défis – cet objectif de notre 29e Congrès – est plus que jamais à l’ordre du jour. Bien sûr dans des conditions différentes : désormais il y a une majorité de gauche et un gouvernement avec des ministres communistes.
Nous n’attendons pas de ce gouvernement qu’il fasse ce que les Français ne lui ont pas demandé parce qu’ils n’ont pas eu le temps d’élaborer leur projet de changement. Nous allons contribuer à ce qu’il prenne au plus tôt des mesures urgentes, vitales pour des millions de gens et que du même coup s’amorce une autre politique, une autre façon de gouverner. Pour cela nous ferons tout pour une intervention citoyenne, une dynamique sociale et politique qui soit un atout pour que le gouvernement réussisse.
Nous voulons tout faire pour que cette majorité, ce gouvernement répondent au mieux aux attentes exprimées par les Français lors des élections. Et dans le même temps, nous allons reprendre et déployer nos initiatives pour que l’intervention citoyenne permette de construire le changement nécessaire. C’est le sens, j’y reviendrai, des rencontres citoyennes que nous avons décidé d’organiser.
V. – Notre orientation, notre activité, nos comportements dans la situation nouvelle
Les premiers actes du gouvernement de Lionel Jospin montrent la nécessité du déploiement de cette dynamique sociale et citoyenne.
Le sommet franco-allemand de Poitiers avait permis d’ouvrir une brèche dans l’orthodoxie européenne jusqu’ici incontestée, en mettant sur le devant de la scène des questions jusqu’alors taboue comme la croissance et l’emploi. Les pressions ont été considérables et, à Amsterdam, le « pacte de stabilité », qui place des États sous la férule des marchés financiers et condamne à l’austérité à répétition a été signé sans en changer une ligne. « Victoire de l’Allemagne » qui impose son point de vue, a souligné dans l’ensemble la presse. Tant il est vrai que la résolution obtenue sur la croissance et l’emploi et l’annonce d’une sommet exceptionnel prévu sur ces questions ne peuvent « équilibrer » la nocivité du « pacte de stabilité » qui impose une logique contredisant ces objectifs. C’est dire combien la construction européenne a révélé les contradictions qui la minent, ce qui peut être un point d’appui pour les initiatives sociales et citoyennes dont j’ai parlé.
La déclaration de politique générale de Lionel Jospin
Il est à cet égard important à nos yeux que, dans sa déclaration de politique générale, Lionel Jospin ait été amené à souligner que « la parole de la France » avait été donnée sur le pacte de stabilité. Cela revient à reconnaître qu’il a dû s’aligner et que ce « pacte » constitue bien un obstacle au développement d’une politique nouvelle de progrès social parce qu’il limite considérablement les « marges » nécessaires à une telle politique. Il est tout aussi important qu’il ait tenu à rappeler que « l’Europe ne saurait se substituer à la nation, mais la prolonger, l’amplifier », qu’il ait parlé de poursuivre dans la voie de « réorientations », permettant d’aller « dans le sens d’un renforcement de l’union, à condition que celle-ci soit d’abord au service des peuples qui la composent ». Chacun voit bien que ces efforts supposent le développement d’une intervention des citoyens et des peuples permettent d’aboutir à ces réorientations. Cela suppose, à mon sens, l’organisation d’un grand débat national sur les objectifs que doit s’assigner la construction européenne, sur le contenu de sa réorientation, avec, le moment venu, la consultation des Françaises et des Français par référendum.
J’ai évoqué la déclaration de politique générale de Lionel Jospin. Au nom du groupe communiste à l’Assemblée nationale, Alain Bocquet lui a apporté la réponse de lucidité et de travail constructif qui convenait. On voit bien, là encore, dans ce qui a été annoncé la contradiction existant entre d’une part les objectifs avancés et les moyens nécessaires pour les accomplir. Les objectifs dans leur expression correspondent pour l’essentiel à ceux qui avaient été affirmés dans la déclaration commune PC-PS : choix du progrès social, « modèle de développement plus solidaire et plus riche en emplois », priorité absolue à l’emploi, en particulier pour les jeunes, « modernisation de la démocratie », avec notamment des droits nouveaux pour les salariés face aux procédures de licenciements, défense des services publics et refus des privatisations, affirmation résolue des valeurs républicaines…
Une dynamique pas seulement vigilante mais motrice
Mais, je le répète, face à ces objectifs affirmés, ce qui apparaît c’est le manque des moyens dégagés et même leur amputation du fait de la ratification du « pacte de stabilité » dont on voit déjà qu’il est bien de « carcan » dont nous avions parlé.
Lionel Jospin annonce que son gouvernement va travailler cet été pour proposer à la rentrée toute une série de mesures et d’orientations. La dynamique sociale et citoyenne va être nécessaire, on le pressent bien, pour que ces choix correspondent eux attentes. Nous ne ménagerons pas nos efforts en ce sens, dans le droit fil de la volonté constructive qui nous anime.
Et, dans le même mouvement, nous contribuerons à ce que l’intervention citoyenne ne soit pas seulement l’expression de la « vigilance » par rapport aux engagements pris, mais le moteur pour engager et mener à bien une dynamique transformatrice permettant les changements nécessaires.
Nous l’avons dit au moment de décider la participation de ministres communistes au gouvernement : nous sommes lucides, nous voyons bien les difficultés et les obstacles. Et la déclaration de politique générale de Lionel Jospin a bien montré leur réalité. Mais, parce que nous voyons aussi les potentialités, cela ne saurait nous conduire à la résignation ou au pessimisme. Cela ne fait au contraire que renforcer notre détermination.
Le tournant que pourraient prendre la politique française, la société française
Notre vision des années à venir n’est pas celle d’un échec de l’expérience engagée. Nous allons tout faire pour contribuer à ce que les objectifs annoncés soient atteints. Et au lieu du « tournant » de 1983 – ce « tournant de la rigueur » sanctionnant un échec dû au renoncement au changement – c’est, si l’intervention citoyenne donne l’élan nécessaire – et nous allons y travailler –, un tout autre tournant que pourraient prendre la politique de la France et la société française : dans le sens des changements profonds nécessaires, pour le progrès social et humain, pour un nouvel âge de la démocratie citoyenne, pour le développement national, et pour une France active dans une construction européenne nouvelle.
Je le rappelle, c’est dans la perspective de la transformation sociale nécessaire que nous inscrivons en effet notre visée stratégique.
Répondre à ces grands défis de notre temps dans le sens du progrès humain et d’une avancée de civilisation suppose qu’on s’en prenne à la logique du capitalisme, qu’on la fasse reculer en construisant, en faisant prévaloir une autre qui ait la personne humaine en son centre. L’expérience montre que s’en satisfaire, chercher à l’encadrer, à la civiliser – comme l’ont fait les tentatives social-démocraties – débouche sur l’échec. Il faut donc inventer du neuf : en marchant ; en s’appuyant sur le travail que nous voulons faire avec cette majorité et ce gouvernement, et avec un déploiement inédit de l’intervention citoyenne.
Une dynamique sociale et politique
Cela suppose comme nous l’avons dit la construction d’une « dynamique sociale », d’un mouvement porteur d’exigences sociales et citoyennes. Il va de soi que les militantes et militants communistes sont et seront parties prenantes de ce mouvement nécessaire, qui ne saurait constituer une « complication » pour l’œuvre de changement à accomplir, mais qui en est la condition.
En même temps, il faut le déploiement de l’action politique. Il ne s’agit pas seulement de l’intervention du « mouvement social » pour faire valoir ses exigences, contribuer à lever les obstacles. L’expérience a montré qu’il pouvait s’essouffler sans une dynamique proprement politique, sans une perspective politique. Il faut donc explorer la voie neuve de l’élaboration et de la promotion d’un projet politique de changement, dans un débat politique avec les citoyens et les forces de gauche. Et avec une intervention citoyenne dans le champ de la politique, qui peut s’appuyer sur l’apport des propositions et des initiatives du Parti communiste.
Inventer une voie française et citoyenne de la transformation sociale
C’est cela la réponse communiste à la crise de la politique qui traduit et sanctionne la mise à l’écart des citoyens de la politique, et du même coup la perte de sens et de rôle des partis politiques.
Le renforcement du Parti passe par là : c’est sur cette base seulement que son utilité sera reconnue par celles et ceux qui l’éprouveront concrètement. Et je veux, de ce point de vue, souligner avec satisfaction que plus de 12 000 hommes et femmes – 1 100 de plus que l’an dernier à la même époque – ont décidé d’adhérer au Parti communiste depuis le début de l’année. Dont 3 470 pendant la campagne des élections législatives ; et plus de 1 000 lors des rencontres citoyennes de la semaine dernière.
Et en même temps, pour réussir notre politique de gros efforts sont nécessaires pour continuer à transformer positivement le Parti : pour un Parti communiste moderne, dynamique contribuant de façon décisive à inventer une « voie française et citoyenne » de la transformation sociale avec une gauche pluraliste, et dans une construction européenne nouvelle.
Un parti moteur pour un mouvement transformateur de la société, de la civilisation, à l’initiative en France, en Europe et dans le monde.
Je veux à cet égard souligner les responsabilités nouvelles du Parti communiste français en Europe, et au-delà, et notre volonté d’y faire pleinement face. En effet, dans l’un des principaux pays européens, le Parti communiste est dans la majorité et au gouvernement, au moment où se développent ces contradictions dans la construction européenne que je viens d’évoquer. Ses responsabilités sont grandes. Et l’on attend beaucoup de nous aussi dans d’autres pays européens. Il ne faut pas décevoir.
On le voit, il y a beaucoup à faire dans cette situation politique nouvelle pour déployer en grand notre politique dynamique et constructive.
Cela implique d’abord, me semble-t-il, de beaucoup discuter, de beaucoup travailler, dans le Parti lui-même, avec les communistes.
Ils et elles ont beaucoup fait ces derniers mois. Les militants et les militantes ont mis tous leurs efforts dans la campagne. Qu’il me soit à nouveau permis de les en féliciter. Car la place qui est la nôtre aujourd’hui dans le pays, le rôle que nous jouons, le regard que l’on porte sur nous depuis bien des pays du monde – je viens d’en parler –, c’est à leur dévouement, à leur activité, à leur audace que nous le devons.
Un Parti démocratique, ouvert, utile
Il nous faut à présent sur la base de la richesse de l’expérience acquise, avec les contacts nouveaux que permet la situation actuelle, tirer tous les enseignements de la confiance qui s’est exprimée à l’égard de notre mutation et de l’attente de sa poursuite. Il nous faut aussi tirer tous les enseignements de la réussite de la « consultation » des communistes après le second tour. C’est dans cette voie qu’il faut continuer. Le Parti doit être partout et en toute circonstance à cette image : démocratique, ouvert, utile et efficace pour notre peuple. Il va nous falloir, pour continuer à avancer dans cette voie, prendre tout le temps nécessaire à la discussion sur les orientations que nous allons décider lors de cette réunion de notre Comité national, et sur notre façon de travailler. De ce point de vue sans doute nous faut-il aussi rediscuter de notre travail au niveau de la direction du Parti. Vous vous souvenez qu’au lendemain du Congrès nous avions convenu de faire le point après quelques mois d’activité de notre direction nouvellement élue. Le Bureau national vous propose qu’une réunion de notre Comité national sur cette question se tienne à l’automne prochain.
L’ambition des rencontres citoyennes
L’initiative des rencontres citoyennes que le Bureau national a proposée le 9 juin dernier est d’une particulière importance.
Il est indispensable, nous l’avons vu, que le mouvement social se fasse davantage entendre. Dans le même temps, il y a l’impératif absolu, pour que la gauche réponde à ce qu’on attend d’elle, que les citoyens tout à la fois fassent davantage entendre leurs exigences et maîtrisent les moyens proprement politiques permettant de les faire valoir.
Encore faut-il favoriser cette dynamique politique en décidant d’actions appropriées : d’où l’initiative nationale et de longue haleine des rencontres.
L’ambition de ces rencontres est d’offrir un espace démocratique où toutes celles et tous ceux qui veulent être parties prenantes des changements indispensables puissent se rencontrer, associer leurs réflexions et leurs apports, décider d’actions, contribuer à la recherche de solutions neuves.
Une précision à ce propos : si elles s’inscrivent totalement dans la continuité de la démarche citoyenne que les forums pluralistes de l’an dernier puis notre proposition d’« Assises pour le changement en 1998 » ont illustrée, ces rencontres ne sont pas une reprise, une répétition de ces deux initiatives. Les questions posées ne sont plus les mêmes. Il ne s’agit plus de permettre une confrontation d’idées entre les citoyens et les formations de gauche qui aspirent à les représenter à la direction des affaires du pays : ces formations sont désormais associées au sein d’un gouvernement pluriel. C’est non plus lors de tel ou tel débat pluraliste, mais quotidiennement et dans tous les domaines de la vie sociale, politique, institutionnelle, que se trouve posée pour les formations politique de gauche et écologistes au pouvoir la question d’être ou non « au diapason des aspirations des citoyens ».
Nous ne proposons donc pas de créer des lieux où les représentants de la gauche et des écologistes viennent « s’expliquer » devant les citoyens ; des lieux où ceux-ci seraient « observateurs » des décisions du gouvernement, lui décernant de bons ou des mauvais points, mais de permettre aux citoyens de mieux préciser leurs exigences et le projet de transformation – son contenu et ses conditions politiques – permettant de les satisfaire.
Voilà pourquoi ces rencontres se déroulent à l’invitation des communistes et s’adressent à celles et ceux, quel qu’ait été leur vote, qui aspirent à de réels changements et souhaitent y contribuer aujourd’hui et dans toute la période qui s’ouvre.
Une initiative nationale et de longue haleine
Nous avons donc proposé, dès le mois de juin, de tenir à l’échelle de chacune de nos sections, d’entreprise ou locale, ou à l’occasion de nos fêtes fédérales, environ 1 000 rencontres ; conçues comme les premières d’une série, comme, je cite, « l’engagement d’un processus destiné à se poursuivre à la rentrée et dans les mois qui suivront, la Fête de l’Humanité permettant de marquer cette démarche de façon significative ».
Initiative de longue haleine, avons-nous dit. C’est-à-dire que les rencontres de l’été devraient constituer, selon nous, une prise de contact. On y décide des suites à leur donner : on rédige un procès-verbal, qu’on fait connaître à la population ; on peut mettre en circulation un cahier citoyen ; on se donner un prochain rendez-vous, auquel on invite à nouveau les salariés de l’entreprise ou la population.
Initiative nationale aussi, car il ne s’agit pas de débattre chacun dans son coin : les rencontres n’ont pas leur but en elles-mêmes. Ce qu’on y dit, ce qu’on y décide est relayé, participe d’une construction politique plus ample. On est mis en relation avec d’autres : autour de tel ou tel centre d’intérêt peut se créer un espace de débat, de travail, au niveau département, régional, national.
Si donner la parole aux citoyens devient pour les communistes comme une manière d’être, c’est un peu un nouveau mode de vie du Parti que nous expérimentations avec ces rencontres.
Il faut dire qu’il y a beaucoup de répondant de la part des communistes. Nous avions, en début de semaine, connaissance de plus de 700 rencontres pour 80 fédérations contactées.
Les militants ont donc pris très à cœur cette initiative. Et celles et ceux que nous invitons également. Les premières initiatives tenues sont couronnées de succès.
Il y a du monde et on y sent assez systématiquement une solide envie de débattre, un effort de lucidité et en même temps une disponibilité pour travailler, construire, rechercher ensemble des solutions neuves aux problèmes posés, grands et petits. La presse ne s’y est pas trompée, en se faisant assez largement l’écho de cette initiative.
La Fête de l’Humanité
Je viens de le rappeler : la Fête de l’Humanité marquera de façon significative cette démarche des rencontres citoyennes.
Les conditions politique actuelles, la volonté populaire de se saisir de chaque rendez-vous pour se faire entendre sont plus grandes. L’idée que l’opinion peut infléchir le cours des événements a gagné en crédibilité. La volonté de se retrouver tous ensemble dans le respect des diversités, avec les communistes comme moyen d’aller de l’avant est largement partagée ; bien au-delà des habitués de la Fête, encore que déjà l’an dernier avait vu un élargissement de l’éventail des sensibilités de ses participants. Les conditions sont donc là pour réussir une grande Fête de l’Humanité 1997. Partout, absolument partout, il nous faut voir grand, plus large, changer d’échelle pour animer la diffusion de la vignette afin d’y parvenir.
Ainsi, toute le montre : dans cette situation politique nouvelle, les communistes, de plain-pied avec les aspirations et les attentes de notre peuple, sont à l’initiative, dynamiques et déterminés. Cette importante session de notre Comité national va sans nul doute beaucoup continuer à ce que partout ils déploient pleinement leur politique ouverte et constructive.