Interview de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, à Europe 1 le 24 février 1999, sur le temps de travail dans la fonction publique, le régime de retraite des fonctionnaires, les réformes de l'enseignement et les dépenses de santé.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q - On parle beaucoup des fonctionnaires, en ce moment, après la publication de rapports, de notes internes, etc. Est-ce que vous pensez qu'on essaie de leur faire un mauvais procès ou n'a-t-on pas le droit, tout simplement, de s'interroger sur des situations qui peuvent apparaître comme confortables ?

– « Il faut bien évidemment s'interroger, regarder la réalité des conditions de travail, d'emploi des fonctionnaires et il n'y a pas de raison, ils sont d'ailleurs demandeurs qu'on les traite comme des salariés qui ont, eux aussi, envie de faire correctement leur travail, dans des conditions qui leur assurent de nouvelles perspectives par rapports aux administrations dans lesquelles ils travaillent, ou les hôpitaux, ou l'école. On voit bien les débats aujourd'hui. Il y a des mutations de fond qui se passent dans ces administrations ; il faut conduire ces mutations, il faut replacer l'utilité, la nécessité de la fonction publique là où elle doit être, c'est-à-dire mettre l'usager au centre de la modernisation des fonctions publiques. Et je crois que les fonctionnaires, de ce point de vue-là, quelle que soit l'administration dans laquelle ils sont, sont demandeurs de changement, mais de changement sans qu'on en fasse effectivement des boucs émissaires et sans que l'on veuille à tout prix les mettre au banc des accusés. »

Q - Quand on s'aperçoit qu'il y en a à peu près 40 % qui font déjà moins de 39 heures, vous pensez que ça peut paraître choquant pour des salariés du privé ?

– « Il y a déjà des salariés du privé qui font aussi moins de 39 heures, regardez dans tous les grands groupes français. Je pense qu'on serait très étonné si l'on faisait l'opération vérité sur le temps de travail. Mais parlons franchement de la situation des fonctionnaires. Il y a incontestablement des diversités d'organisation et de temps de travail pour les fonctionnaires... »

Q - Justifié ou bien c'est parce qu'il n'y a pas de réglementation ?

– « Il y a un certain nombre de diversités qui sont des diversités de situation. Dans les hôpitaux, on ne travaille pas de la même façon la nuit que le jour, et heureusement ! On ne travaille pas de la même façon dans l'Éducation nationale, on ne comptabilise pas le service des gens dans l'Éducation nationale comme on le fait dans l'administration des impôts, c'est bien normal. Donc cela, je crois qu'il faut le prendre en considération et ne pas trouver là matière à polémique. Il y a des diversités de comportement. J'étais frappée de regarder la polémique que suscite ce qui se passe dans les mairies, par exemple. Vous savez, dans les mairies, il y a des employeurs qui agissent sans principe de cohérence globale. Chaque maire discute, organise, propose l'organisation du travail. »

Q - C'est plutôt près de 29 heures ou 30 heures, parfois, que des 39 !

– « Je ne sais pas, je n'ai pas fait la comptabilité tout à fait entière mais je crois qu'il y aurait intérêt, pour prendre par exemple les collectivités locales, et ne serait-ce que les mairies, une fédération des maires de France, à faire une fédération des employeurs où l'on puisse rediscuter de manière cohérente de tout ce qui concerne les questions des salariés. »

Q - Vous parliez de l'usager, tout à l'heure : est-ce qu'on peut envisager, dans cette réflexion globale, d'instaurer un service minimum les jours de grève ?

– « Je crois qu'il faut, là encore, prendre les choses par le bon bout. Il n'est pas question de toucher au droit de grève : c'est un droit constitutionnel, c'est une liberté fondamentale, il ne faut pas y toucher. Mais que dans les discussions – ça s'est fait à la RATP, ça peut se faire dans d'autres entreprises –, on réfléchisse aux conditions d'utilisation de la grève, qu'on réfléchisse à ce que la grève soit le dernier recours après une série de procédures d'alerte qui permettent de l'éviter, tout en satisfaisant les revendications de salariés. Je pense que, que ce soient les gens de la RATP, que ce soient les cheminots, que ce soient les gens qui travaillent  Air France, ils n'ont pas toujours envie de prendre les usagers en otages pour leurs revendications. »

Q - S'il n'y a pas de tabous, alors on peut toucher aussi aux régimes spéciaux de retraite des fonctionnaires.

– « Je crois qu'il ne s'agit pas, là, de dire qu'il faut toucher ou pas toucher. Je crois qu'à l'horizon de quelques années, tout le monde sait très bien que si tout reste égal par ailleurs, le paiement des pensions des fonctionnaires représentera un tel poids dans le budget de l'État que les fonctionnaires se demandent légitimement si on ne va pas leur massacrer leurs retraites, si au contraire on ne va pas sabrer fort dans l'emploi des fonctionnaires demain, ou si tout simplement l'État ne sera plus en capacité d'assurer d'autres missions qui sont les siennes. Donc ce dossier est urgent, pas seulement pour des questions de comparaison, il faut faire attention à ces questions de comparaison et d'inégalité entre régimes, mais il faut surtout éclairer l'avenir et le garantir. »

Q - Donc vous ne dites pas : « Attention, on s'est fait peur en décembre 1995, on remet à nouveau le chantier en route, il faut le faire » ?

– «  Non il faut mettre le chantier en route, le plan est en train de le faire, les discussions sont en bonne voie je crois. La méthode est la bonne, il faut maintenant s'entendre sur les problèmes concrets qui sont à résoudre, les mettre à plat et organiser le débat avec le maximum de gens. »

Q - Et le Gouvernement doit le faire avant la fin de l'année, comme prévu ?

– « Le Gouvernement ayant lancé le dossier, je ne le vois pas ne pas prendre de décisions ou alors, ce serait jouer la politique du pire pour les quelques années qui viennent. »

Q - Évidemment, il y a le secteur de l'éducation, dans la fonction publique, très important. Vous êtes de ceux ou de celles qui disent Allègre en fait trop ?

– « Je ne crois pas qu'Allègre en fasse trop pour les réformes. »

Q - Pas assez, alors ?

– « Peut-être qu'il y a même, dans l'Éducation nationale, des gens qui craignent qu'il mette un peu le pied sur le frein des réformes. Il ne faut pas. Il y a incontestablement un besoin évident de réforme dans l'Éducation nationale, et il y a aussi une demande de réforme dans l'Éducation nationale On entend beaucoup les détracteurs de la réforme. »

Q - De qui ?

– « De la part d'un certain nombre d'enseignants. On entend beaucoup les détracteurs et les opposants à la réforme et aussi au ministre, à sa personnalité. Il y a de quoi être irrité, énervé ; c'est un ministre qui est un peu un éléphant dans un magasin de porcelaine. »'

Q - Un provocateur !

– « C'est un provocateur. Donc les enseignants ont quelque raison de se demander, d'avoir à l'égard d'Allègre des attitudes qui ne sont pas forcément très complaisantes. Mais je crois que ce n'est quand même pas ça l'enjeu. L'enjeu, c'est l'action du ministre, c'est l'action de réforme Je maintiens qu'il y a des gens qui ont envie de réforme dans l'Éducation nationale, je crois qu'ils sont nombreux dans des organisations : le Sgen, dans la CFDT, est de ceux-là, mais il y a aussi des fédérations de parents d'élèves, il y a les jeunes, qui ont montré qu'il y avait besoin de changer. Il ne faut pas que ces attentes, ces espoirs de changement soient déçus. Je souhaite que le ministre s'appuie plus sur les réformateurs dans l'Éducation nationale, qu'il en fasse les artisans des changements dans l'Éducation nationale, que de jouer en permanence le bras de fer avec ses détracteurs. »

Q - Vous êtes comme lui, vous dénoncez les révolutionnaires du statu quo dans l'Education nationale ?

– « En tout cas, Je crois qu'il y a un vrai débat de fond. Il y a aujourd'hui, je crois, un courant, et c'est bien normal, dans l'Education nationale, qui voit, dans le changement, une manière de saborder l'école d'hier. Mais l'important, c'est que l'école soit adaptée aux jeunes, aux réalités d'aujourd'hui. Donc placer l'élève, placer l'étudiant, placer le lycéen au coeur du système éducatif, oui. C'est autour de ça qu'il faut organiser les réformes. »

Q - On va dire que décidément, vous êtes toujours derrière ceux qui font des réformes un peu à la hache C'était Juppé, c'est Allègre aujourd'hui ! C'est votre spécialité de soutenir ?

– « Je ne suis pas sûre qu'Allègre fasse des réformes à la hache. Peut-être, d'ailleurs, ses réformes ont besoin de plus de visibilité, de lisibilité, et qu'il y a besoin de responsabiliser les gens. Nous sommes pour des réformes justifiées, fondées, bien conduites. Et ne regardons pas d'abord la tête de celui qui les décide. »

Q - On s'interroge, aujourd'hui, sur les résultats de l'application des 35 heures. Certains disent que c'est bien pour la flexibilité mais que c'est beaucoup moins bien pour l'emploi.

– « Là encore, il y a quelques détracteurs sur ce terrain. »

Q - Ça ne crée pas beaucoup d'emplois, quand on regarde ! Autour de 25 000...

– « Pour le moment, le nombre d'entreprises qui ont véritablement mis en oeuvre la réduction du temps de travail est très faible, donc, évidemment, le résultat sur l'emploi, aujourd'hui, est encore faible. Mais attendons que toutes les négociations de branche, qui sont déjà terminées, qui sont en cours et qui devront se prolonger par des négociations d'entreprise, fassent leurs preuves, fassent leur oeuvre, et à ce moment-là, on pourra faire une comptabilité exacte de l'effet emploi. »

Q - Vous espérez la création de combien d'emplois, finalement ?

– « Nous avons toujours refusé de mettre un chiffre. »

Q - C'est prudent, ça.

– « Non, ce n'est pas de la prudence, c'est qu'à chaque fois que des gens se sont risqués à lancer des chiffres sur le nombre de créations d'emplois, il se sont plantés. Ils se sont plantés parce que ces choses-là ne se mettent pas en équation, ces choses-là ne se mettent pas dans un ordinateur. C'est complexe, c'est du sur-mesure à réaliser dans chaque entreprise. Donc on fera la comptabilité en fin de parcours et je crois que c'est une méthode qu'on devrait généraliser. »

Q - La nouvelle loi sur l'application des 35 heures : vous soulignerez quoi, vous demanderez quoi, particulièrement, au ministre, M. Aubry ? Sur les heures supplémentaires, de faire attention ?

– « Avant de passer à des modalités techniques, je crois que nous aurons tout à fait le souci que la dynamique qui est partie – car une dynamique est enclenchée, elle est en train de s'amplifier, elle va se généraliser –, que la deuxième loi permette à ce mouvement d'aller à son terme. »

Q - Les dépenses de santé continuent à déraper : M. Aubry et B. Kouchner viennent d'écrire aux médecins. Qu'est-ce qu'on fait pour trouver enfin une solution, pour qu'on n'ait pas toujours + 2 milliards, + 2 % ?

– « Il faut incontestablement continuer à mettre la maîtrise des dépenses au centre de la réforme parce que c'est la qualité qui est en cause, c'est l'accès aux soins, c'est l'égalité de tous devant la santé, il faut le préserver. Et ensuite, si à nouveau, dans une nouvelle concertation que M. Aubry ouvre, les médecins parvenaient à s'entendre sur des dispositions, bien évidemment, ce serait la meilleure nouvelle de l'année. »

Q - Dernière question personnelle : jusqu'où irez-vous avec B. Thibault ? Pas personnellement, mais la CGT ?

– « Nous irons là où la CGT décidera d'avancer, sur une réforme, là aussi, en profondeur du syndicalisme français si la CGT le souhaite, sur la réforme des relations sociales en France, et nous mettrons fin à cet atypisme, à cette exception française de la division du syndicalisme français. »

Q - Et jusqu'où irez-vous avec M. Blondel ?

– « Là où M. Blondel a envie d'aller, pour le moment, je n'ai pas vraiment envie de le suivre. Mais s'il peut rentrer dans le jeu de ce qui est en train de se passer dans le syndicalisme français, ce sera là aussi une bonne nouvelle. »