Interviews de M. Alain Madelin, vice-président du PR (devenu le 24 juin 1997 Démocratie libérale), dans "Paris-Match" du 12 juin 1997, "Le Figaro" du 24 et à RTL le 26 juin, sur les causes de la défaite de la droite aux élections législatives de 1997, sa volonté de reconstruire l'opposition et de créer une force libérale.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Convention nationale du PR qui devient "Démocratie libérale" le 24 juin 1997

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Emission L'Invité de RTL - Le Figaro - Paris Match - RTL

Texte intégral

Paris-Match - 12 juin 1997

Paris-Match : La victoire du P.S. est un véritable séisme dans le camp de la droite. Comment l’ancienne majorité en est-elle arrivée là ?

Madelin : La victoire du P.S., c’est surtout la défaite de l’ex-majorité. Cette défaite est la conséquence de la crise de tout un système de pouvoir et de décision hiérarchique profondément inadapté, que nous avons trop tardé à remettre en cause. Je dis cela depuis longtemps déjà et, hélas, ce qui devait arriver est arrivé. Ceux qui étaient au pouvoir ont été les premiers à faire les frais de cette perte de confiance des Français. Une perte de confiance due, aussi, au décalage entre les attentes de la campagne présidentielle et les résultats obtenus. Au grand décalage qui existe entre le sommet et la base, entre une certaine élite qui donne le sentiment de gouverner de haut et de loin, et les Français ordinaires, ceux qui travaillent durs, la France active qui entreprend, crée des richesses, des emplois, la France malheureuse, celle qui supporte le poids du chômage et de l’exclusion.

Au décalage, enfin, entre la France et le reste du monde.

Paris-Match : Après cet électrochoc, quel rôle peut jouer la nouvelle opposition ?

Madelin : Le rôle d’une opposition, par nature, est de préparer une alternance et de donner une espérance. Il nous faut faire du neuf, tourner une page, ouvrir une perspective et rompre avec tout un système technocratique qui nous a conduits à la défaite. Mais, pour cela, il faut que l’ex-majorité se remette très profondément en cause, qu’elle n’hésite pas à être elle-même et à défendre avec clarté, énergie et conviction la voie libérale et sociale qui est aujourd’hui la seule voie d’une France moderne et la seule porte de sortie du socialisme.

Paris-Match : Pourtant, les idées libérales – ces élections le prouvent encore – ont du mal à percer en France…

Madelin : Parce que le libéralisme conduit à une remise en cause des privilèges, des réseaux de connivence et de pouvoir, de gauche comme de droite, qui se sont construits au fil des dernières décennies. La nomenklatura française, on peut la comprendre, n’aime pas les idées qui remettent en cause son pouvoir et ses privilèges. Elle rêve d’une perestroïka, c’est-à-dire de demi-réformes, de demi-mesures qui infléchissent le système tout en préservant les privilèges.

Paris-Match : Vous avez affirmé vouloir reprendre votre liberté au sein de la nouvelle opposition. Cela veut-il dire que vous allez enfin créer un grand parti libéral ?

Madelin : Les libéraux dans leurs différentes sensibilités constituent un courant central de la majorité et le courant dominant chez ses électeurs. Il est temps de donner vie à l’expression d’une force libérale sans complexes, avec tous ceux qui ont envie de s’engager. Je pense aujourd’hui à tous les Français qui ont voté pour l’ex-majorité et qui ne comprennent pas l’arrivée des socialistes au Gouvernement. Je pense à tous ceux qui, au lendemain de l’élection présidentielle, avaient un espoir et qui n’ont pas voté pour l’ex-majorité dimanche. Je voudrais qu’ils ne rejettent pas avec colère la politique et qu’ils ne perdent pas espoir. Ce qu’ils attendent aujourd’hui, ce n’est ni combinaison ni division, mais quelque chose de nouveau. C’est parce que je ressens cela depuis longtemps que j’ai créé Idées-Action, avec la volonté de faire de la politique autrement, en donnant la priorité aux convictions sur l’ambition et la volonté d’élargir l’action politique au-delà des militants traditionnels des partis, avec une présence active et forte de la société civile.

C’est ainsi qu’il faut aujourd’hui essayer d’apporter un sang neuf à la nouvelle opposition et assurer la relève des idées comme celle des hommes et des femmes.

Paris-Match : Cette recomposition de la droite ne porte-t-elle pas en elle des germes de division ?

Madelin : Faire du neuf, ce n’est pas une division, c’est une addition. Ou les Français auront le sentiment qu’il y a à l’intérieur de l’opposition un pôle fort destiné à tirer toutes les leçons de cette défaite et à proposer une voie nouvelle avec des hommes et des femmes nouveaux pour assurer la relève des idées, et le reste nous sera donné de surcroît. Ou bien ils n’auront pas cette impression, et toutes les incantations à l’union de l’opposition ne serviront à rien.

Madelin : « Séguin le gaulliste et moi le libéral, nous avons la même fibre populaire »

Paris-Match : Le « ticket » Séguin-Madelin de l’entre-deux-tours a-t-il encore un avenir ?

Madelin : Il y a entre Philippe Séguin et moi un point commun : nous voulons mettre en œuvre une autre façon de faire de la politique ; donner la priorité aux convictions, ne pas hésiter, que cela plaise ou non, à dire un certain nombre de vérités. Même si sur le fond nous avons des sensibilités différentes, nous nous reconnaissons aussi dans la même fibre populaire. Philippe Séguin incarne une sensibilité gaulliste. Moi, une approche libérale. Mais comme l’histoire de France l’a montré à plusieurs reprises, notamment en 1958, c’est de l’alliance de ces deux courants que naissent les sursauts.

Paris-Match : A l’Élysée, quelle sera la marge de manœuvre de Jacques Chirac ? Aura-t-il encore les moyens d’influer sur la politique de la France ?

Madelin : Le Président de la République se trouve aujourd’hui plus que jamais dans sa fonction présidentielle en charge de l’essentiel et garant de l’essentiel. L’essentiel, c’est d’abord la place de la France sur la scène internationale et ses choix européens.

C’est aussi prévenir les abus de pouvoir auxquels les socialistes ont été parfois coutumiers.

Paris-Match : Le Front national n’est-il pas aujourd’hui le meilleur allié de la gauche, premier responsable de votre défaite ?

Madelin : Il est clair que le Front national a contribué à la défaite de l’ex-majorité et donc à la victoire de la gauche. Cela étant, si des Français plus nombreux ont voté Front national, nous en portons aussi une part de responsabilité.

Paris-Match : Quel doit être l’attitude de la droite vis-à-vis de Le Pen ?

Madelin : Il faut surtout que la nouvelle opposition soit capable de convaincre, d’entraîner et d’offrir une espérance à tous ceux qui, par désespoir, ont gonflé les rangs des formations protestataires.

Paris-Match : Le nouveau Premier ministre a-t-il une chance de réussir s’il applique ses promesses d’embaucher 700 000 jeunes et de réduire le temps de travail ?

Madelin : Les socialistes français se situent à contre-courant du monde et des autres socialismes en Europe. Ils entendent mettre en œuvre des solutions qui prolongent, voire aggravent, l’étatisme et le dirigisme. C’est hélas la recette de l’échec, et je crains que les socialistes au Gouvernement conduisent une nouvelle fois la France à l’échec. Lionel Jospin a la chance de bénéficier d’un climat d’expansion retrouvée. Mais s’il applique son programme, ses chances de réussir économiquement sont nulles. Cela briserait cette expansion. Par ailleurs, s’il ne l’applique pas, je m’interroge sur sa réussite politique. Le plus vraisemblable est qu’il renonce à tenir ses promesses.

 

Le Figaro - 24 juin 1997

Le Figaro. : Tout d’abord, quelles leçons tirez-vous de la cuisante défaite du 1er juin ?

Alain Madelin. : Elle traduit la situation de crise que nous connaissons depuis plusieurs années et qui conduit, élection après élection, au rejet des gouvernements en place. Cette crise, c’est l’épuisement d’un modèle de société, de tout un système de pensée et d’action, une pratique autoritaire du pouvoir aujourd’hui à bout de souffle. Il y a moins adhésion à la nouvelle majorité socialiste que rejet de l’ancienne majorité. A nous, nouvelle opposition, de démontrer que nous saurons demain rompre avec ce qui nous a fait perdre pour offrir de nouvelles perspectives.

Le Figaro. : Cela fait des années que l’on dénonce le pouvoir « techno », la toute-puissance des énarques, pourquoi y arriverait-on plus aujourd’hui qu’hier ?

Alain Madelin. : Ce modèle de pouvoir et de société aujourd’hui épuisé, les socialistes n’entendent pas le remettre en cause ; au contraire ils vont chercher à le prolonger à contretemps et à contrecourant. Une chose est sûre : l’alternance que nous allons préparer ne consistera pas à reprendre les choses en l’état. Ce sera une alternance franche, fondée sur des choix clairs, des choix de bon sens, reposant sur plus de liberté, plus de responsabilité. Ce sont aussi les valeurs de ma famille politique, des valeurs plus que jamais nécessaires à la réussite de notre pays.

Le Figaro. : Pourquoi d’après vous y a-t-il eu un rejet des idées libérales, un refus, venant du sommet de l’Etat, d’afficher la couleur ?

Alain Madelin. : Je ne considère pas qu’il y a ait eu un rejet des idées libérales dans la mesure où, comme vous le dites, on a voulu escamoter l’enjeu libéral de cette élection. Si l’on avait offert une véritable alternative libérale nous aurions pu éviter l’alternance. Cela étant, il est vrai, nous n’avons pas su encore offrir une vision claire de ce que peut être une démocratie libérale en France. Cela fait longtemps pour ma part que j’essaye de montrer qu’une politique libérale ne se réduit pas à une vision économique de la société, qu’elle est avant tout l’expression d’un certain nombre de valeurs héritées de notre humanisme libéral. C’est une politique profondément attachée à la justice, à l’égalité des chances, à l’égalité devant la loi, à l’égale dignité de tous les êtres humains. C’est certes, une politique économique, mais aussi une politique de progrès social. L’opposition doit être l’occasion de ressourcer et d’élargir notre message.

Le Figaro. : Quelles sont les « vertus pédagogiques » de la défaite de la droite ?

Alain Madelin. : C’est justement l’occasion de se remettre en cause, dans notre message, notre discours et notre organisation. Le moment est venu pour la nouvelle opposition de rompre avec une vision et une pratique autoritaire du pouvoir, de ressourcer ses idées, de les exprimer avec davantage de clarté et de conviction ; de rompre aussi avec une sorte de « médicament » et de « politiquement » correct, de parler de façon simple de l’immigration, de la sécurité, de la famille, ou de la France.

Un fossé s’est creusé entre ceux qui dirigent et ceux qui sont dirigés. Entre les aspirations populaires et les propositions des partis. Le ré-enracinement populaire est à l’ordre du jour de l’opposition.

Le Figaro. : Comment allez-vous parvenir à ce ré-enracinement populaire ?

Alain Madelin. : D’une part, en rassemblant sous un même toit la grande famille des libéraux de ce pays aujourd’hui dispersée. D’autre part en nous ouvrant très largement sur l’extérieur. Très nombreux sont les Français qui sentent bien, quand ils pensent à l’avenir de leur pays ou à l’avenir de leurs enfants, que les solutions socialistes vont à nouveau nous faire perdre du temps et nous éloigner du monde. C’est pourquoi notre convention est la convention du rassemblement et du renouveau de notre famille, le point de départ de la construction d’une grande force politique moderne, ouverte sur la vie, ouverte sur la société ; un mouvement jeune, faisant enfin une large place aux femmes, disposant au cœur de la vie politique française d’une véritable capacité d’attraction et d’entraînement. Ce projet n’a pas encore pris corps que déjà je constate que de tous horizons et de sensibilités extrêmement diverses, nombre de Français sont prêts à s’engager ou à faire un bout de chemin avec nous. Notre rendez-vous est un rendez-vous historique.

Le Figaro. : Vous parlez d’un « rendez-vous » historique. Pour cela la recomposition ne doit-elle pas aller au-delà de l’UDF et de tous les partis ?

Jusqu’où va votre désir d’ouverture ?

Alain Madelin. : Notre convention d’aujourd’hui n’est pas un point d’arrivée. C’est le point de départ d’une démarche de reconstruction associant le plus grand nombre. Notre désir d’ouverture est total. Je refuse l’idée selon laquelle l’opposition se partagerait en trois courant enfermés dans leurs certitudes et leurs frontières, comme on le dit parfois : les gaullistes, les démocrates et les libéraux. Le mouvement que nous voulons créer doit réunir des hommes et des femmes de différentes sensibilités pourvu qu’ils partagent une même confiance dans la personne dans sa liberté et sa responsabilité. Le choix libéral n’est pas un choix qui enferme, il est un trait d’union. On peut être gaulliste et libéral, social et libéral, écologiste et libéral… Il suffit d’ailleurs de regarder au-delà de nos frontières pour voir que les expressions libérales sont plurielles de Tony Blair à Helmut Kohl.

Le Figaro. : Quelle sera votre attitude vis-à-vis du Front national ?

Alain Madelin. : Il est évident que les valeurs des libéraux ne sont pas celles du Front national. Cela étant, beaucoup de ceux qui ont voté Front national n’adhèrent pas pour autant à ses thèses. Ils ont voulu exprimer un refus de l’ex-majorité, quand ce n’est pas un rejet de la politique elle-même. A nous de changer l’image de la politique, de rompre avec tout un système de pouvoir et de décision technocratique, de retrouver une assise populaire. C’est la meilleure réponse que l’on puisse apporter au problème que pose le FN.

Le Figaro. : Vous avez toujours été présenté comme un « agitateur d’idées ». Vous sentez-vous dans la peau d’un chef de parti ?

Alain Madelin. : Je me sens en situation aujourd’hui de rassembler et de reconstruire la grande famille des libéraux. Et, avec mes amis, j’ai pour elle une grande ambition : la mettre en position de conduire et de réussir la prochaine alternance.

Le Figaro. : Gilles de Robien, qui se présente lui aussi à la présidence du PR, critique les méthodes d’organisation de la convention, que lui répondez-vous ?
Alain Madelin. :
Le projet de rassemblement, d’ouverture et de reconquête qui sera proposé à l’occasion de cette convention réunit l’adhésion du plus grand nombre d’élus, de militants, de sympathisants. Prenons garde à ce qu’aux déçus de la majorité d’hier ne viennent pas aujourd’hui s’ajouter des déçus de l’opposition. Cela étant, il est normal, que dans une convention, on puisse contester ce projet.

Avec vous à sa tête, et Millon et Raffarin à vos côtés, le PR va devenir un parti très chiraquien…

Je pense que, plus que jamais, nous devons être nous-mêmes. Ce sont nos idées, nos valeurs, nos propositions qui sont en phase avec le monde qui vient. Et je pense que dans l’avenir le rôle de notre famille politique ne devra plus se réduire à départager les candidats du RPR.

Le Figaro. : Vous prenez donc vos distances avec Jacques Chirac ?

Alain Madelin. : Jacques Chirac est Président de la République. Son rôle c’est d’être gardien du bon fonctionnement de nos institutions et de veiller à la sauvegarde de l’essentiel. Il n’est pas le chef de l’opposition. La reconstruction que nous engageons, c’est notre affaire et seulement notre affaire.

Le Figaro. : Dans ces conditions, qui sera le chef de l’opposition ?

Alain Madelin. : Ce qui compte, c’est de retrouver les moyens, les mots et le projet capables de reconquérir la confiance des Français. Pour le reste une chose est sûre, dans la période qui s’ouvre, tout ce qui divise favorisera le maintien des socialistes, tout ce qui unira l’opposition préparera l’alternance.


RTL - 26 juin 1997

Olivier Mazerolle : Au soir du deuxième tour, vous avez dit « je retrouve ma liberté » et voilà que vous l’enchaînez à la présidence d’un parti, avec son administration, sa gestion, ses compromis forcés !

Alain Madelin : Être libre, cela ne signifie pas forcément être seul ! Et être libre, pour moi, c’est une liberté d’esprit qui nous permette, ensemble, avec cette toute jeune formation, Démocratie libérale, de rompre avec les pesanteurs du passé. Et c’est vrai que, dans le passé, nous avons hésité à utiliser des mots simples, à parler du civisme, à parler du travail, à parler de la famille, à parler de façon claire des problèmes comme l’immigration, comme la sécurité au quotidien parce que le politiquement correct n’aime pas cela ! Ce sont pourtant des mots que tout le monde comprend. C’est vrai que, dans le passé, nous n’avons pas su rompre avec tout un système de pouvoir et de décision très technocratique où se mélangent les mêmes élites sorties du même moule et qui est aujourd’hui trop éloigné de la vie et trop éloigné des Français. C’est un langage plus simple, une politique de proximité que nous souhaitons faire avec cette toute jeune formation, Démocratie libérale. Vous savez, il y a aujourd’hui beaucoup de gens qui nous écoutent, qui pensent à l’avenir de la France, à l’avenir de leurs enfants, qui se doutent que cet avenir ne peut pas être un avenir socialiste, qui ont envie de s’engager, qui savent qu’un bulletin de vote ne suffit pas pour favoriser le changement nécessaire, la modernité nécessaire de notre pays. Eh bien, nous avons voulu construire une jeune formation politique, une formation qui les respecte, qui les écoute, une formation qui n’est pas repliée sur elle-même, pour la France qui travaille, pour la France qui entreprend, pour la France qui souffre. C’est tout cela, Démocratie libérale et c’est une formidable aventure.

Olivier Mazerolle : Ceux qui disent qu’Alain Madelin est un agitateur d’idées, un provocateur qui suscite des débats mais que, pour diriger un parti, cela ne va pas être terrible, qu’en pensez-vous ?

Alain Madelin : Je ne suis pas seul. C’est une formidable équipe que l’on a faite, que l’on va renouveler, à laquelle on va associer des tas de gens nouveaux qui viennent de la société civile et qui ont envie d’apporter quelque chose à la vie politique. Et j’espère que l’on va bousculer, qu’on va déranger, qu’on va étonner.

Olivier Mazerolle : Quand on vous dit que vous être ultralibéral, vous recevez cela comme une injure ? Vous êtes libéral comment ?

Alain Madelin : Ne pas être libéral, mettre son drapeau dans sa poche au moment où le monde entier est libéral, au moment où tout le monde sent bien que le seul avenir qui soit c’est l’avenir libéral, où le fait d’être libéral est seulement le fait d’être moderne ! On peut être libéral de gauche, libéral de droite, on peut être gaulliste, écologiste ! Je suis libéral libéral ! Je suis libéral moderne. Je crois que le choix libéral est un choix de confiance dans l’homme, dans sa liberté, dans sa responsabilité. Vous savez, il y a toute une civilisation qui est en train de tourner la page et il y a une nouvelle civilisation qui arrive. Elle ne va pas être dirigée depuis de lointains bureaux et à plus forte raison depuis des bureaux parisiens ! C’est la civilisation de la liberté, de la responsabilité et il faut inventer des tas de choses nouvelles. Les solutions d’hier ne marchent plus. Le grand choix moderne est un choix libéral. Mais à l’intérieur de ce choix libéral, il peut y avoir des tas de tendances. Il m’est arrivé de dire que Tony Blair était à sa façon un libéral, pourquoi pas ? Je crois que nous allons essayer de faire vivre toutes ces tendances ensemble. Au lendemain de la défaite de l’ex-majorité, certains ont dit qu’il avait d’un côté les gaullistes, de l’autre côté, les démocrates ou démocrates sociaux et puis il y a les libéraux et on n’a qu’à se partager le marché. Je ne suis pas du tout d’accord avec cela ! On peut être gaulliste et libéral, on peut être démocrate social et libéral et nous avons donc vocation à rassembler tout le monde.

Olivier Mazerolle : Le libéral libéral que vous êtes va s’entendre de quelle manière avec le libéral étatique qu’est Philippe Séguin à la tête du RPR et le libéral chrétien qu’est François Bayrou à la tête de Force démocrate ?

Alain Madelin : À chacun son choix. Je veux qu’il y ait chez nous des gens qui soient gaullistes et qui se sentent très bien à Démocratie libérale.

Olivier Mazerolle : Vous allez prendre des adhérents à Philippe Séguin ?

Alain Madelin : Je ne vais pas prendre d’adhérents mais je suppose qu’il y a des tas de gens qui ont envie de faire un bout de chemin avec nous. Eh bien, on peut être gaulliste et à Démocratie libérale. On peut être chrétien bien sûr, parce qu’on est les héritiers de ce souffle chrétien qui a proclamé la liberté et la responsabilité de la personne. Donc, vraiment, nous avons vocation à rassembler au cœur de la vie politique française.

Olivier Mazerolle : Vous avez mené un combat avec Gilles de Robien. Ce qui était intéressant dans cette histoire, c’est que Gilles de Robien est l’auteur d’une loi qui a été qualifiée de socialiste par un certain nombre de membres de votre parti. Comment allez-vous faire en sorte que le libéral libéral soit également attentif au social ?

Alain Madelin : L’un va forcément avec l’autre. Je suis de ceux qui, parmi les premiers, ont attiré l’attention sur le grand danger de fracture sociale dans ce pays, sur le fait que ceux qui sont en bas de l’échelle maintenant restent en bas de l’échelle, que le RMI a tendance à devenir héréditaire et que c’est un véritable scandale social. Si j’ai été un peu critique autrefois sur la loi Robien, c’est parce que je trouvais qu’elle coûtait très cher et je n’aime pas trop donner de l’argent aux entreprises. Je crois qu’il y a de la place pour tout le monde et toutes les sensibilités. Entre un C. Malhuret, fondateur de Médecins sans frontières, un P. Cardo, l’homme des banlieues défavorisés et A. Griotteray, on va couvrir tout le spectre.

Olivier Mazerolle : Ce n’est pas un peu attrape-tout, ce que vous êtes en train de me dire ?

Alain Madelin : Bien sûr que si !

Olivier Mazerolle : Et c’est crédible ?

Alain Madelin : Bien sûr, parce qu’être libéral, c’est être moderne. C’est un trait d’union entre des gens qui peuvent penser un peu différemment mais c’est le grand choix d’avenir dont on a besoin pour la France et les Français.

Olivier Mazerolle : Combien de temps donnez-vous à l’opposition pour retrouver sa crédibilité ?

Alain Madelin : Moi, je me donne six mois pour ouvrir notre formation, six mois pour tenir un peu partout en France des forums de l’ouverture, pour attirer des gens nouveaux qui ont envie de faire un bout de chemin avec nous, pas forcément s’engager en prenant une carte et étant adhérent et militant mais nous accompagner dans cette démarche. Ensuite, il y aura le grand rendez-vous du printemps prochain avec les élections cantonales et régionales, et ce sera sûrement un test. Regardez, le chemin parcouru ! C’est vrai que ce n’était pas facile de faire ce que nous avons fait trois semaines. En trois semaines, nous avons fait de cette vieille famille une nouvelle formation ! Je trouve que l’on est bien parti.

Olivier Mazerolle : Le retour rapide des socialistes au pouvoir vous donne à contrario de l’espoir : cela peut être possible pour vous aussi ?

Alain Madelin : Je suis sûr d’une chose en tout cas : je ne reproche pas à Lionel Jospin de vouloir appliquer son programme mais je lui reproche et je lui reprocherai jour après jour de vouloir appliquer un programme inapplicable et gâcher ainsi l’avenir de la France et celui de nos enfants. D’ailleurs, ou les socialistes appliquent leur programme et nous aurons vraiment une crise économique et un chômage aggravé ou ils n’appliquent pas leur programme et nous aurons une crise de confiance avec des Français abusés.

Olivier Mazerolle : Vous avez la sensation qu’ils appliquent leur programme à l’heure actuelle ?

Alain Madelin : J’ai la sensation qu’ils appliquent leur programme. Regardez les allocations familiales – c’est la seule mesure presque concrète du programme : on prend la famille pour cible, on touche à ce principe jamais remis en cause depuis 1945, à savoir l’égalité des enfants devant la politique de la famille et avec des méthodes qui nous éloignent du discours officiel sur le dialogue et la concertation.

Olivier Mazerolle : Beaucoup d’études d’opinion montrent tout de même qu’une majorité de Français est favorable à une modulation en fonction des revenus.

Alain Madelin : Il va falloir s’expliquer de tout cela ! Moi, je suis contre des allocations familiales et une Sécurité sociale à deux vitesses. Il y a d’autres moyens pour corriger les inégalités de revenus que de prendre les allocations familiales ou la Sécurité sociale en otage.